Les chiens (n.jin)

By lapincarnivore

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"- Chambre 32, il ne reste plus qu'un garçon de libre ce soir alors vous vous contenterez de la surprise. C'e... More

La deuxième fois
La dernière fois

La première fois

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By lapincarnivore

Je suis Nam joon. 

J'ai sans cesse cette image d'un monstrueux chien noir aux yeux blancs qui me hante l'esprit chaque fois que je vais au boulot. La raison: ce mystérieux prospectus arrivé un de ces jours sur la table de mon bureau. Je l'ai tout de suite déchiré puis jeté.



J'ai, en quittant le travail ce soir, comme l'envie de changer d'air. La vie des bureaux a beau être trépidante, je n'en suis pas moins fatigué. Les voix des collègues, celles des clients, elles m'ont toutes donné mal au crâne. Non, décidément j'ai besoin de me détendre, de penser à autre chose. Bizarrement, l'ambiance peu feutrée et à coup sûr alcoolisée d'un bar où d'un restaurant ne me tente guère. Je n'ai pas faim qui plus est alors pourquoi n'irais-je pas m'essayer aux baraques à foutre ?

Je crache un nuage de fumée bleu néon dans la nuit. La rumeur continue de m'ennuyer, comme si elle caressait l'intérieur de ma tête avec des griffes. Je décide de m'éloigner du centre de Séoul 2 pour trouver le silence de sa banlieue. Le métro est bondé de fétards et de vieux. Dernier effort avant de trouver ce que je cherche. Lorsque je remonte à la surface, c'est un air frais et quasiment pur qui vient me trouver. Il s'infiltre sous mon costume triste, fait s'hérisser chaque parcelle de pilosité recouvrant mon corps. Je ferme les yeux et respire avant de commencer à tracer dans une ruelle dénuée de toute lumière. Seule celle d'un certain établissement me permet de m'orienter sans crainte.

La décision de découvrir ce monde peu glorieux qu'est celui de la prostitution, je l'ai prise il y a de cela plusieurs longs mois. Je me suis penché sur le sujet avec beaucoup de curiosité. Non pas que je recherche spécifiquement un rapport charnel avec un individu de tel ou tel sexe, je désire simplement y voir clair dans cette drôle de machinerie qu'elle le consentement à la commercialisation de son corps, la mise sur le marché de son bien le plus cher, de sa personne. Peut-t-on vraiment séparer corps et être ? Âme et corps ? J'ai beau être le stéréotype parfait du salary man en toute sa splendeur, je ne demeure pas moins fasciné par ce genre de question. Ici, en Corée du Sud, cela doit faire une dizaine d'années que les réseaux de prostitution masculine ont proliféré. Je n'étais pas né lorsque le pays a entamé sa libération sexuelle mais c'est probablement ce qui explique l'expansion de ce commerce. Celui de la prostitution féminine n'a pas dépéri pour autant à ce que je sache même si je dois bien avouer moins m'y intéresser. Et la raison de cette différenciation m'échappe. Je ne crois pas avoir un semblant d'orientation sexuelle définie de toute manière. Un peu comme la majorité de la population qui s'est vue devenir progressivement plus libre à ce propos avec une hausse très importante de la bisexualité ces dernières années. Cela va sans dire que l'asexualité n'est pas restée en marge de tout ce changement de mœurs. Encore une grande évolution du 22ème siècle. Je n'en pense pas grand chose pourtant. Tout ce que je sais c'est que je peux être amené à désirer n'importe qui. Il n'y a que ce système de nominations des orientations sexuelles qui m'apparait quelque peu inutile aujourd'hui dans une société bien plus libre qu'il n'y a un siècle. Encore faut-il se poser la question du gouvernement et de sa place... C'est une histoire qui susciterai bien mon intérêt si j'étais au bureau.

L'enseigne lumineuse qu'affiche la maison close est assez criarde pour attirer l'œil de n'importe quel vagabond tardif qui se serait aventuré un peu trop loin de sa zone de confort. C'est exactement ce que je ressens en ce moment même si l'idée de transgresser cette ségrégation socio-spatiale me dépouille de toute peur. La libération sexuelle n'a pas effacé les inégalités, ni la pauvreté orchestrant depuis la nuit des temps ce déséquilibre. Il y a dans ce monde les hommes prédominants et ceux qui vivent toujours dans l'ombre jusqu'à leur mort. Ceux là ne sont même plus en quête d'ascension et meurent dans une misère au delà de la pauvreté matérielle et sociale, en silence. J'appelle généralement cette réalité fatidique le déséquilibre humain. Quand je suis ivre après le boulot certains soirs de semaine avec mes collègues, je penche plutôt pour "suicide social". Et j'ai l'alcool heureux.

Je pousse la porte vitrée de l'établissement, faisant retentir la clochette annonçant la venue de chaque nouveau client. Comment nous nommes-t-on tiens ? L'acceptation de ce genre de liberté individuelle doit bien nous avoir permis de gagner un certain titre autant que les dizaines de synonymes scotchés sur la tête des gens qui vendent leur corps.

Je fais signe au type qui semble surveiller l'entrée et vais m'asseoir sur l'un des sièges miteux de la salle d'attente. Cela doit à peu près se passer comme dans les bars à putains lambda. Enfin, j'ai l'impression d'être sexiste à considérer la prostitution féminine de "lambda". Je vais me garder d'utiliser ce qualificatif à l'avenir.

Des tas d'affiches dévoilant maints et maints corps d'hommes sublimés dans des positions suggestives bombardent mon œil observateur. Je croise les bras et m'affale sur ma place, toisant chacun de ces visages, de ces mimiques tantôt espiègles et sulfureuses, tantôt craintives et angéliques. Soumises. Un soupire traverse ma gorge et je me demande, alors que je passe une main dans mes cheveux décolorés: Pourquoi suis-je réellement venu dans un endroit aussi sale, probablement tenu par la mafia et qui sent la débauche. Qui pue la débauche ? J'ai envie de rencontrer quelqu'un. Voilà pourquoi je suis ici à me peler le cul sur cette chaise bancale et sous le regard figé  d'une trentaine de jeunes hommes sous payés, et contraints d'avoir recours à ce genre de business pour survivre dans cette marre que les gros poissons assèchent. J'intègre en partie ce beau monde fait de lumière et d'ascension sans limites alors je sais de quoi je parle.

L'homme sur qui je suis tombé en entrant dans ce qui ressemble à l'antre d'un enfer impitoyable sans nom me rejoint dans la pièce après dix minutes d'attente interminable. Il est muni d'un billet fluorescent qu'il me tend sèchement et s'adresse à moi. Pas accueillant pour un sous celui-là.

- Chambre 32, il ne reste plus qu'un garçon de libre ce soir alors vous vous contenterez de la surprise. C'est 100 000 won de l'heure ici, à régler une fois que vous aurez choisi de finir votre affaire.

- C'est pas cher payé dis-donc. Vous vous prenez combien par heure vous ?

Il me regarde d'un air qui n'annonce rien de bon. Un air qui insinue que j'aurais des problèmes si je continue de me donner bonne conscience devant lui.

- Z'êtes venu ici pour tirer un coup comme tout le monde lorsqu'il vient fréquenter un bordel, commença-t-il à me rétorquer. Allez pas me faire croire que vous êtes un putain d'humaniste. Maintenant dégagez, j'ai du boulot.

Les yeux rivés sur le billet rose fluo qui porte le numéro de la chambre ainsi que le les caractères d'un nom, je me dirige tout droit dans un couloir à peine éclairé d'où se dégage une odeur entre celle du renfermé et du vomis. Les relents semblent s'éteindre dès que j'arrive au niveau du troisième. Je suis la numérotation croissante des portes de chambre, écoutant le bruit sourd que mes pas font sur la moquette. Ignorant les gémissements excessifs hantant mon passage. Une fois devant la chambre que l'on m'a attribué, je prends le temps de souffler en prévision du premier contact visuel que je vais avoir d'une minute à l'autre avec un inconnu. Celui-ci intimement persuadé que je suis ici pour soulager tout mon refoulement de la journée avec son corps comme l'on essuie ses mains sur un torchon chaud et humide après une mauvaise bouffe chinoise. Je suis pourtant venu dans une toute autre optique, du moins, je le crois.

Je presse la poignée et ouvre avec douceur la porte, investissant contre toute attente une pièce vide. Un lit fait m'y attend illuminé d'une lumière jaunâtre et tamisée. Je repose mes yeux sur le bout de papier usé que je tiens entre deux doigts, lisant de nouveau le nom du prostitué avec qui je suis censé m'entretenir, pour peu que cela soit son vrai nom.

- Kim Seok Jin ? ( Jinnie)

Tout en décrivant le lieu triste à en mourir, je me sépare de ma veste que je jette négligemment sur un fauteuil et m'en vais trouver place assise sur les draps écrus du lit. Je caresse le linge, notant tâches et autres empruntes de salissures à la provenance douteuse. Un maniaque de la propreté se tirerait une balle rien qu'en passant la porte de ce bordel. Peut-être le jeune homme que je vais rencontrer en aura-t-il tout juste fini avec un autre client. Peut-être est-il vilain ou très beau. Je n'en sais rien et tant que je ne l'ai pas vu je ne peux fixer mes pensées. C'est la première fois que je viens à ce genre d'adresse dans un autre but que pour baiser.

Je tourne la tête dès que je vois la porte de la chambre s'ouvrir. Mes poignes se tendent sur mes cuisses que je maintiens serrées l'une contre l'autre. Je meurs presque d'impatience. Les pans d'un voile violet et translucide m'apparaissent en premier. Rapidement, le propriétaire de cette tenue légère se dévoile, comblant mes yeux imbibés de curiosité. Je le dévisage sans la moindre gêne, si bien que je me laisse même quasiment emporter par sa beauté frappante. Je crois qu'il m'a dit "bonsoir" mais je ne lui ai pas répondu. Depuis sa fine et pourtant robuste mâchoire jusqu'au sommet de sa tignasse noire d'encre, je ne discerne que beauté. Une beauté triste certes mais si percutante. Ses yeux me fixent, aussi bien larmoyants que durs. Sa nudité supposément exubérante ne frappe pas tout de suite mon regard tant sa gueule d'ange du désespoir balaye en moi toute possibilité de réfléchir de bouger ou de respirer.

Je me reprends lorsqu'il avance jusqu'à s'adosser au mur face à moi, ne pouvant m'empêcher de le suivre des yeux. je dois avoir l'air profondément perturbé. Aussi à cette pensée, c'est avec une pointe de rire que je m'ébouriffe les cheveux en regardant mes pieds.

- Qu'est-ce qui vous fait rire ? Je ne vous conviens pas ? Vous pouvez demander un autre garçon si je ne vous plaît pas, fit-il, l'air las.

A ses mots, secs et cassants -probablement est-ce le fait qu'il me vouvoie qui me donne une impression pareille- je n'ai d'autre réaction que celle de le dévisager de nouveau en secouant vivement la tête. Sa voix est au passage d'une profondeur qui dépasse mon entendement.

- Non, non! Excuse-moi, tu es... Tu es magnifique voilà tout et moi je suis... Je dois t'apparaître comme un décérébré dégoutant...

Il fronce les sourcils en penchant légèrement la tête sur le côté comme si ce que je viens de dire lui échappe. Il rabat ensuite les pans de son kimonos contre lui en s'y blottissant et viens me rejoindre sur le lit, s'y asseyant en tailleur.

- Vous êtes étrange mais... je ne crois pas que vous soyez ainsi. C'est la première fois que vous tentez ce genre de pratique, dites-moi ?

Sa voix s'est adoucie. Manifestement, les fausses idées qu'il se fait à mon propos l'ont attendri. Il faut que je sois clair pourtant. Quant à mon intérêt premier de venir ici, j'ai l'impression que celui-ci s'éloigne. Quand je vois une créature tel que lui, je pourrais me laisser tenter...

- Détrompe-toi, je suis loin d'être novice haha, mais disons qu'avant ce soir, je ne fréquentais que des endroits avec des filles.

Il a l'air de devenir tout à coup plus rude. Je ne me sens pas très à l'aise, si bien que je ne le regarde même plus, canalisant plutôt ma vision sur un bout de papier peint déchiré et pendant contre le mur derrière lui.

- Alors vous voulez essayer ce que c'est que de coucher avec un gars ? Vous êtes plutôt  tenté pour être au dessus ou en dessous ? je vous laisse choisir. Je ne suis pas très doué en matière de bavardages donc si vous voulez qu'on parle un peu de vos problèmes après qu'on l'ait fait je me contenterai de vous écouter. Je sais faire ça à la perfection. Comme beaucoup d'autres choses par ailleurs...

Mes prunelles le fixent de nouveau. je ne réussis pas à retenir la main qui vint directement trouver son épaule dans une élan d'empathie des plus inconfortables. Il ne bouge pas, soutenant mon regard de ses orbes sombres.

- Je ne suis pas venu pour qu'on fasse l'amour, Seok Jin.

- Pardon ? Rétorque-t-il, bizarrement offensé.

- A vrai dire, si je me présente à toi ce soir, c'est pour discuter... Justement.

Il bondit du lit, les yeux injectés d'une rage que je ne peux expliquer et qui m'affecte d'une manière tout autant inexplicable. Je le regarde me toiser de haut. Son poing frappe la cloison, faisant osciller le bout de papier peint dans le coup de vent que son mouvement a généré.

- Les mecs dans votre genre, je ne veux même plus y avoir affaire. J'ai déjà eu ma dose. Virez  sinon c'est notre garde qui s'en charge.

Je me lève, et m'avance vers lui doucement en gardant mes mains en évidence. Geste tout à fait futile après réflexion mais qui a pour vocation d'apaiser toute âme légèrement fébrile. Je repense alors au gars baraque de l'entrée et me vois mal me plaire avec cette alternative.

- Ne te braque pas comme ça, soupiré-je. J'imagine que je ne suis pas le premier à t'apparaître sous le masque d'un prétendu saint...

- Non, vous ne l'êtes certainement pas.

- ...Mais dans mon cas -et je suis loin d'être un saint- je ne porte absolument aucun masque.

- Oh vraiment ? C'est vraiment convaincant ça vous savez. Tenez. Je crois qu'on pourrait carrément devenir un couple maintenant d'ailleurs.

Tout ce sarcasme reflète bien le vécu dont sa tête a dû s'imprégner avec l'expérience. Je ne sais pas pour qui il me prend. En revanche, ce dont je suis certain c'est qu'il se méprend durement su mon compte...

- La vérité, écoute la bien, c'est que je pourrais sans discuter te faire l'amour s'il n'y avait pas une barrière mentale assez forte ici bas pour m'en empêcher.

Il croise les bras sur sa poitrine, attendant que je développe. Je reprends donc, placé à quelques centimètres de sa personne retranchée contre le mur.

- Ce soir c'est toi comme cela aurait pu être n'importe qui d'autre. J'ai simplement besoin de te connaitre toi et ta vie.

- Oh le coup du mec bien pensant, qui veut connaître son petit coup de cœur. Je reconnais avoir un certain charme mais, mon vieux, tomber raide dingue au premier coup d'œil, c'est un peu inquiétant vu votre âge.

- ...Qui a parlé de coup de coeur ? Et on est quasiment de la même génération , j'en suis persuadé!

On a approximativement le même âge pourtant, il me parle aussi formellement que si j'étais un homme de cinquante ans.

- ... Vous me dévorez du regard mais ne vous empressez pas de me toucher ou de me baiser. C'est ce que j'appelle l'abstinence de L'égocentrique. Si vous saviez combien de gars dans votre genre ce sont adonnés à ce genre de manipulation. Désormais je ne veux plus avoir affaire avec ce genre de grossier personnage plus bas que terre.

- Ils t'ont touché ?

- Comment-ça ?

- Je veux dire... Au cœur. Ils t'ont fait du mal ?

- Là c'est le moment où vous dégagez pour de vrai.

- Seok Jin.

- Barrez-vous.

Je me sens subitement si jeté dehors que je n'ai d'autres mots à la bouche que son nom. Je ne veux pas le laisser. Pas lui et la sensibilité qui se dégage de son être. Si c'est ça le coup de foudre que l'on sacralise tant, je veux bien être considéré comme un gosse. Je reviendrais la semaine prochaine. Ainsi que chaque vendredi soir s'il le faut. Je le demanderai, et j'attendrai s'il n'est pas disponible. Le savoir à la merci des bougres et des nymphomanes me désole tant que je pourrais avoir même envie de réserver d'office pour qu'il ne m'appartienne qu'à moi et moi seul. Pour que plus personne ne le touche. Mais je ne suis pas aisé au point de le monopoliser, hélas. Je n'insiste donc pas ce soir et récupère ma veste avant de regagner la froideur du couloir et d'entendre la porte claquer derrière moi. Bien entendu, j'ai payé la demi heure que j'ai passé en sa compagnie quand bien même il ne s'est rien produit de physique.





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