Je me réveille lentement et m'assois sur mon lit bientôt trop petit pour mon mètre soixante-quinze. On est samedi et il est dix heures et demie. Je me suis levée plus tard que d'habitude, c'est étrange. Généralement, je me réveille tôt, en même temps que le soleil, à cause de mes fichus cauchemars. J'aimerais bien passer au moins une nuit complète sans me réveiller en sueur et hurlant à plein poumons. Il fait très beau dehors, je peux voir passer la lumière à travers les stores, ça devrait être une bonne journée pour tout le monde pourtant, ce n'est pas le cas pour moi. Je suis toujours à part du lot. Qu'il pleuve, qu'il neige ou qu'il vente, mes journées se résument à rester dans ma chambre à travailler et à lire, la boule au ventre. J'attache mes longs cheveux châtains, je sors du lit et m'étire longuement. J'ouvre mes stores en laissant ma fenêtre ouverte pour aérer, mais j'oublie que le soleil à cette heure-ci tape fort et m'agresse les yeux. Je plisse les yeux et porte ma main devant pour atténuer l'attaque. Je sors de ma chambre en attrapant au passage mes lunettes pour aller me rincer le visage afin de me réveiller un peu et enfin émerger de ce semi-sommeil. Soudain, je fonce dans quelque chose ou plutôt dans quelqu'un et mes lunettes tombent à terre. Je porte ma main à mon nez et gémis de douleur, le massant légèrement pour l'atténuer. La silhouette devant moi s'accroupit et j'en profite pour tâter ce qu'il y a autour de moi, espérant trouver appui sur le mur et ainsi retrouver mes lunettes à terre. Je comprends rapidement que ce n'est pas le mur que je suis en train de tâter. Je comprends enfin que je viens de me cogner contre un torse, qui, ma foi est plutôt bien musclé. Je me mets à rougir comme une tomate. Je suis gênée et je n'ose pas lever la tête pour voir à qui appartient ce corps. Je bafouille un timide pardon et m'agenouille pour tâter le sol et enfin retrouver mes lunettes. Pourquoi c'est dans ces moments-là que je ne les retrouve pas ? Sérieusement. On dirait que Dieu est contre moi ! À vrai dire, il n'a jamais été là pour moi depuis ma première respiration sur terre. Je vois ensuite une main, enfin ce que j'imagine être la silhouette d'une main, attraper quelque chose près de moi et me la tendre. J'en conclus que ce sont mes lunettes. Je les attrape vite pour éviter un quelconque contact physique et les remets sur le bout de mon nez. Nous nous relevons en même temps et j'aperçois enfin ce garçon qui est vraiment très, très beau. Voire trop beau. Il est très grand, il mesure facilement un mètre quatre-vingt-dix. Il a des cheveux bruns et des yeux bleu-gris brillant de malice. Il a des traits fins contrastant avec sa mâchoire carrée et de jolies fossettes. Sa bouche est pulpeuse et il possède une petite barbe de trois jours parfaitement soignée. Son pectoral droit est tatoué d'une phrase en latin. Je suis hypnotisée par sa beauté et reste bouche bée, fascinée par sa prestance et son charisme. Est-il réel ? Suis-je en train de rêver ? J'enlève mes lunettes et me frotte les yeux avant de les remettre. Non, il est bien réel.
- Fais attention où tu vas. Tu pourrais te faire mal, me dit-il en riant.
Explosion de sensations. Il a une voix grave, cassée et à la fois enjouée. Et son sourire... un sourire magnifique avec des dents droites et blanches. Je ne réponds pas et rougis encore plus. Mon malaise le fait encore plus rire. Tout à coup, je me rends compte que je suis en tee-shirt, sans soutien-gorge et en culotte devant lui et qu'il porte seulement une serviette autour de sa taille.
- Est-ce que tu vas bien ? me demande-t-il. - Je... euh, bafouillé-je.
Ma génitrice sort de la douche, également en serviette. Nos regards se croisent et elle fronce les sourcils. Je décide de faire demi-tour, je ne veux pas de problèmes. Pas dès mon réveil. En prenant la fuite, j'entends ma génitrice dire :
- Elle est ridicule, bon débarras. - C'est bon Steph, laisse-la, répond le mystérieux garçon.
Je ferme la porte derrière moi et me tape le front avec ma main, me répétant à quel point cette situation est honteuse. Je m'allonge sur le lit et repense à ce qui vient de se passer. Il est vraiment beau, même trop beau. C'est un peu le stéréotype des garçons de magazines. Un air macho, sûr de lui et qui drague tout ce qui bouge. Tout ce que je déteste quoi. Mais comme je dis souvent, l'habit ne fait pas le moine. Je ne devrais pas le juger aussi rapidement. Je prends mes affaires au bout de trente minutes pour aller à la douche. Je vérifie qu'il n'y a plus personne dans le couloir et me précipite dans la salle de bain. Je prends une douche presque froide car je ne supporte pas l'eau chaude, ni les bains. En fait, tout ce qui comporte un volume d'eau assez important, ce n'est pas pour moi. Je sors de la douche, me brosse les dents, mets un tee-shirt à manches longues, un jean et des chaussettes. Je ne me maquille pas. Je n'aime pas trop le maquillage. Je trouve que ça ne sert à rien à part cacher l'être que nous sommes réellement. Je le vois comme un masque, un faux-semblant. Je descends discrètement les escaliers avec méfiance, espérant que ma mère soit partie et bingo, il n'y a personne. Je vais dans la cuisine afin de me faire un smoothie et un bowlcake au chocolat. Je me retourne pour poser le tout sur le bar quand je vois le mystérieux garçon assis. Il me demande ce que je prépare. Surprise, je lâche mon bowlcake qu'il rattrape au dernier moment.
- Hop attention ! dit-il. Donne-moi ça, c'est mieux pour tout le monde.
Je reste silencieuse, tentant encore de me remettre de mes émotions. Il m'a fait drôlement peur, je ne pensais pas qu'il serait encore là. Il me prend mon smoothie qui se trouve dans mon autre main et pose le tout sur la table. Il n'a pas l'air d'être beaucoup plus vieux que moi. Il doit avoir vingt-cinq, vingt-six ans tout au plus. Il me sourit en disant qu'il préfère prendre des précautions, car je ne suis pas très adroite.
- Je ne te permets pas ! râlé-je. - Ah, tu parles ! s'exclame-t-il. Moi, c'est Barthélémy enchanté. Mais, on m'appelle Bart, c'est plus rapide et simple.
Il me tend la main, mais je m'éloigne. Je n'ai pas l'habitude d'être près de quelqu'un du sexe opposé. Enfin, je n'aime pas ça. Il fronce les sourcils.
- Je te fais peur ou quoi ? me demande-t-il. - Je secoue énergiquement la tête. Je n'ai pas peur. Enfin... je crois. Je ne sais plus trop. - Bah alors, pourquoi tu réagis comme ça ?
Je ne vais quand même pas lui dire que je suis « effrayée », parce que c'est un garçon tout de même... Si ? C'est un grand mot. Ma mère a raison, je suis ridicule. N'ayant pas de réponse de ma part, il se lève et s'apprête à partir.
- Khlayne !
Il se tourne vers moi, interloqué et s'adosse contre le mur.
- Je m'appelle Khlayne. - Bah tu vois, ce n'est pas la mer à boire ! Ton prénom est original, j'aime beaucoup. Pourquoi tu réagis comme ça ? - Je n'ai... balbutié-je, les yeux rivés sur le sol. Je n'ai juste pas l'habitude... - L'habitude de quoi ?
Je me retourne et lui dis de laisser tomber que c'est ridicule. Il insiste en disant que rien n'est ridicule et que de toute façon le ridicule ne tue pas. Légèrement rassurée, je lui explique toujours dos à lui :
- Parce que je n'ai jamais été aussi proche d'un garçon... marmonné-je. - Hein ? Je n'entends pas, parle plus fort ! rétorque-t-il. - Parce que je n'ai jamais été aussi proche d'un garçon ! hurlé-je.
Il me fixe un moment, comme s'il essayait de savoir si je blague ou non. Il s'assoit sur la chaise en face de moi et croise ses jambes ainsi que ses bras.
- Jamais, jamais, jamais ? m'interroge-t-il.
Je secoue de nouveau la tête. Toujours loin de lui, je m'appuie contre le rebord de l'évier, scrutant chacun de ses mouvements pour être sûr qu'il reste à bonne distance de moi. Il doit me prendre pour une petite fille prude.
- Tu es vraiment différente de ta mère, lâche-t-il. - Je dois le prendre comment ? - Pas mal, loin de là. Pas que je la critique hein. - Tu peux dire ce que tu veux, je n'en ai rien à faire, le coupé-je. - J'en déduis que vous ne vous entendez pas. - Pas spécialement.
Il sourit et commence à manger mon bowlcake. Le bowlcake que j'ai pris du temps à préparer et que je me languissais de manger. Je rêve ! Quelle audace !
- Non, mais j'hallucine ! C'est mon petit-déjeuner ! - C'est vraiment bon ce truc ! Qu'est-ce que c'est ? me demande-t-il. De l'avoine et de la pâte à tartiner ? - C'est un bowlcake, le mélange d'un œuf, d'avoine, de levure chimique et de lait. J'ai ajouté la pâte à tartiner. Ce n'est pas trop calorique. - Tant mieux parce que je dois faire attention à ma ligne pour le mannequinat.
Je suis à deux doigts de lui dire que je ne lui ai jamais autorisé à manger ce qui m'appartient de droit. En tout cas, je le savais. Il est mannequin. Je tire la chaise qui se trouve près de moi et m'assois. J'aime bien lui parler.
- Tu en fais depuis combien de temps ? le questionné-je. - J'ai commencé à treize ans en tant que modèle dans des publicités puis je suis devenu égérie photo. Petit à petit, j'ai travaillé avec de grandes marques, comme Hermès, Tommy, ou encore Chanel et Dior. Et à partir de mes vingt ans, j'ai commencé à poser et à faire des défilés et ça fait cinq ans maintenant.
Il a donc vingt-cinq ans.
- Plus jeune, ma mère était mannequin et mon père est chef d'entreprise. J'ai un petit frère et une petite sœur, ce sont des jumeaux, mais assez parlé de moi. Parle-moi de toi. - Je m'appelle Khlayne, j'ai vingt ans et je suis en quatrième année de médecine.
Il écarquille ses yeux et me demande comment c'est possible, j'esquisse un sourire. C'est toujours ma petite fierté de le dire.
- J'ai sauté deux classes et eu mon bac à seize ans. Stéphanie, m'a eu très tôt à l'âge de seize ans et je n'ai jamais connu mon père. Voilà, c'est tout ce que tu as besoin de savoir. Mon smoothie !
Il se fout de moi ? Il boit mon smoothie après avoir mangé mon bowlcake. - Désolé, il donnait envie, se justifie-t-il. L'acidité des fruits rouges, la douceur de la mangue et le sucrant de la banane. Ça ne peut que titiller mes papilles. - Je sais tout ça. J'ai fait ce smoothie. - Bon, je veux voir ta chambre maintenant. J'ai pu visiter toutes les pièces de cette maison sauf ta chambre.