La théorie des cactus

By Imaxgine

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Logan, c'est le grand brun aux yeux bridés qui aime les drames, ceux qui se terminent par de longs dialogues... More

Avant-propos.
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Épilogue.
Mot de la fin.

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By Imaxgine


J'avais passé une semaine épuisante. Entre les études et le travail, j'avais eu peu de temps pour me retrouver seul avec moi-même. Sacha et moi faisions toujours le trajet en bus jusqu'à l'école ensemble, mais c'était un des rares moments que nous partagions. Notre horaire n'étant pas similaire, nous peinions à nous croiser durant la journée. À l'heure du dîner, nous avions de nouveau droit à un petit moment. La cafétéria étant occupée par des gens qui nous gênaient, nous allions toujours manger sur la pelouse à l'avant de l'école. Et puis, à la fin de la journée je partais travailler. Sacha, elle, rentrait directement chez elle ou allait à l'un de ses nombreux rendez-vous. Quand mon quart de travail était finalement terminé, je prenais le chemin de la maison et j'appelais Sacha. On arrivait à parler pendant des heures et des heures. Seulement, le temps pressait : les examens approchaient à grand pas. C'est ainsi que du lundi au vendredi, nos conversations téléphoniques avaient passé de deux heures à une vingtaine de minutes. Il n'y avait plus une seconde à perdre à ce temps-ci de l'année. Il fallait étudier, travailler, étudier, travailler.

Voilà pourquoi, le lundi suivant, à quelques heures seulement de mon examen sommaire de physique, j'étais incapable de quitter mon lit. Six heures et demi du matin, c'était beaucoup trop tôt pour quelqu'un comme moi, qui avait passé la nuit à étudier. Mais ma mère n'était pas de mon avis ; elle est entrée dans ma chambre sans me prévenir.

— Lève-toi ! s'est-elle exclamée. Pas question que tu sois en retard pour ton examen.

— J'en n'ai pas envie...

Elle a levé les yeux au ciel.

— Et moi, je n'ai pas envie que tu restes dans ton lit toute la journée. L'école c'est important, Logan.

Une voix familière s'est faite entendre depuis la cuisine. Je me suis aussitôt redressé.

— Sacha est là ?

Ma génitrice a hoché la tête.

— Elle t'attend. J'imagine que tu n'as pas envie de la faire attendre.

J'ai secoué la tête, avant de m'extirper du lit. Ma mère m'a regardée faire, un sourire en coin. Elle semblait songer à quelque chose d'important.

— Ne t'en fais pas, a-t-elle dit. Il ne te reste qu'une petite semaine d'école. Après, ce sera les vacances.

— Encore heureux !

— Et tu pourras rester dans ton lit toute la journée.

— Non, parce que tu vas me crier de me bouger le cul et de faire un peu de ménage.

Ma mère a ri.

— Il y a des chances, oui.

— Et puis, je vais travailler.

— C'est vrai, a-t-elle admis. Tu ne seras pas à la maison tout l'été.

J'ai entendu Sacha rire depuis l'autre pièce.

— Je serai dans la salle à manger, m'a informé ma génitrice.

J'ai acquiescé. Lorsqu'elle a quitté ma chambre, j'ai enfilé un pantalon et un tee-shirt fraîchement lavé. Puis, j'ai rejoint ma famille dans la pièce avoisinante. Sacha était assise à la table de la cuisine et discutait avec mon père. Ma mère s'était mise à lire le journal, tout en écoutant un peu leur conversation. Lorsque ma copine m'a aperçu, elle a souri.

— Logan.

— Sacha, ai-je murmuré.

— Tu es prêt ?

— Euh, c'est que je n'ai pas déjeuné et que je dois me brosser les dents.

— Je parlais de l'examen de physique, a-t-elle expliqué.

— Oh.

J'ai hoché la tête.

— Ouais, je suis prêt. Enfin, je crois.

Mes parents m'ont tous les deux gratifié d'un haussement de sourcil.

— Tu es mieux d'être prêt, a lancé ma mère. C'est un examen important.

— Et il compte pour une grosse partie de ton année, a renchéri mon père.

— Je le sais. Ne vous inquiétez pas. Tout se passera bien !

Sacha a souri.

— Allez, dépêche. Si on part dans cinq minutes, on aura au moins vingt minutes pour étudier avant le début de l'examen.

— Tu es trop à fond là-dedans, Sacha.

Elle a simplement ri.

Je me suis mis un tranche de pain dans le grille-pain. J'ai proposé à Sacha de prendre un café, mais elle a refusé.

— Ça va, j'ai déjà eu ma dose de caféine.

Mes parents nous observaient du coin de l'oeil, mais ne disaient rien. Ils faisaient semblant de discuter de politique alors qu'on savait tous très bien qu'ils nous épiaient. C'était presque embarassant de les voir porter autant d'attention à ce que nous nous disions. J'avais l'impression de mesurer toutes mes paroles.

Ma toast a soudainement bondi hors du grille-pain. Je l'ai tartinée de chocolat. Ma mère a profité de ma distraction, du fait que je ne parlais plus à Sacha, pour commencer à parler études avec ma copine.

— Alors, Sacha ? Quels sont tes projets pour l'année prochaine ?

Sacha m'a jeté un coup d'oeil discret.

— Je compte aller à McGill.

Mes parents ont tous les deux écarquillés les yeux.

— Tu as de l'ambition, a commenté mon père.

— J'ai surtout les notes pour.

— Sacha est une petite intello, ai-je ajouté. Elle a battu Toby Williams, vous imaginez ?

Ma copine s'est mise à rougir.

— Il n'est pas si bon à l'école que ça, vous savez.

— Arrête ! Tu es juste hyper intelligente.

Elle a jeté un coup d'oeil à sa montre comme pour fuir le regard admiratif de mes parents.

— On va être en retard.

— D'accord, d'accord ! Je me dépêche.

J'ai englouti ma rôtie en trois bouchées. Puis, en tout juste deux minutes, je suis parvenu à me brosser les dents et à rejoindre Sacha à la sortie de la salle à manger.

— Relis les questions deux fois ! m'a rappelé ma mère. Juste au cas où tu n'aurais pas compris. Oh et révisez, tous les deux, avant le début de l'examen.

— Ça va, maman ! Je n'ai plus sept ans.

Ma mère a acquiescé.

— C'est vrai. Tu es presque un adulte.

Mon père a pris la main de ma mère.

— Le temps passe si vite, tu ne trouves pas ?

Je les ai laissés sur leur élan émotif et me suis dirigé dans le vestibule. J'ai enfilé mon manteau et accroché mon sac à dos à l'une de mes épaules. Lorsque j'ai relevé la tête dans la direction de Sacha, j'ai remarqué que ses yeux étaient fixés sur quelque chose en face d'elle. J'ai suivi son regard et je suis tombé sur la babillard vieux d'au moins une dizaine d'années qui était couvert de photos de moi et de mes soeurs, plus jeunes. Il y avait aussi quelques photos de mes cousins, de mes tantes et oncles, de ma défunte grand-mère et de mes parents. Sacha a souri et a pointé quelque chose sur le tableau.

— Ça, c'est toi.

Un Logan joufflu et certainement plus jeune que moi d'une quinzaine d'années était la raison de son rire incessant.

— Tu étais un bébé dodu.

J'ai levé les yeux au ciel et me suis empressé de cacher la photo, alors qu'elle se marrait toute seule.

— Tu t'es déjà déguisé en tigre ? a-t-elle demandé en pointant un autre cliché.

— J'avais cinq ans et ma grand-mère avait insisté pour me confectionner un costume.

— Elle était douée.

J'ai secoué la tête.

— Pas vraiment, ai-je rétorqué. Mais c'est l'intention qui compte, pas vrai ?

Elle a souri et m'a désigné une photo prise le jour de Noël.

— J'imagine que ce sont tes soeurs ?

— Harper est à droite et Candice, à gauche.

Ce cliché pris devant le sapin nous avait demandé des minutes et des minutes de concentration. Mon père avait acheté une nouvelle caméra photo à ma mère et ni l'un ni l'autre ne savaient comment s'en servir exactement. Pour nous faire patienter un peu, nos parents nous avaient demandé de jouer à un jeu. En y repensant bien aujourd'hui, c'était le jeu le plus ennuyant de la terre, mais pour des gamins, c'était l'extase total. Les règles étaient simples : il fallait rester immobile, sinon on perdait. Inconsciemment, ma mère avait inventé l'ancêtre du mannequin challenge.

— Qui est-ce ? m'a demandé Sacha.

C'était une photo dont j'avais complètement oublié l'existence. Moi, gamin, avec une Olivia au visage barbouillé de crayons feutres.

— Ce n'est personne.

J'ai évité de rencontrer le regard de Sacha. Les émotions m'ont submergé, le coeur lourd de chagrin. L'amitié qu'Olivia et moi avions partagé remontait à bien plus longtemps que ce qu'on pourrait croire. Nos mère étaient amies avant même que nous naissions. Elles étaient enceintes toutes les deux et allaient au spa. Sans trop le savoir, Olivia et moi étions déjà prédestinés à être potes. Nos mères nous forçait à jouer dans le carré de sable plus jeune, mais au fil du temps, ça n'avait plus rien à voir avec une obligation. On se liait d'amitié tout seul, sans nos mères pour nous imposer quoi que ce soit.

Sacha étant Sacha, elle n'a pas lâché le morceau aussi facilement.

— Arrête, Logan. Je ne te crois pas une seule seconde.

Elle m'a forcé à la regarder.

— Qui est cette fille ?

— Olivia, ai-je admis.

Ma copine n'a rien dit pendant un moment.

— Tu devrais aller lui parler.

— Non ! Pas question.

— Pourquoi pas ? Je le vois bien : ça te rend malheureux.

— Elle ne t'aime pas. Aucun d'entre eux ne t'aime.

— Et alors ?

J'ai secoué la tête.

— Et alors, ils n'apprécient pas que je traîne avec toi.

— Tu sors avec qui tu veux, non ?

— C'est ce qu'ils ne comprennent pas ! Ils veulent sans cesse me protéger.

— Te protéger de quoi ?

J'ai fermé les yeux, incertain.

— Tu sais quoi ? ai-je dit. On devrait peut-être y aller ? Sinon, on va manquer le bus et on n'aura pas le temps d'étudier.

— Je m'en fiche, je veux savoir si tu vas bien...

— Sacha ! On y va.

Elle m'a toisé, n'appréciant visiblement pas le ton que j'avais employé. Je me suis empressé de m'excuser.

— Écoute, je n'ai pas envie d'en parler. Je crois que tu peux comprendre ça, pas vrai ?

Sacha a acquiescé, mais semblait tout de même réticente à laisser tomber l'affaire. Je lui ai prise la main et je l'ai entraînée avec moi à l'extérieur de la maison. Furtivement, j'ai déposé un baiser sur sa main liée à la mienne.

— Tu n'as pas besoin de tout savoir.

Sacha a froncé les sourcils, mais n'a rien dit. Ça lui déplaisait de ne rien savoir. Sacha était comme ça.

Je n'avais aucune idée de la journée qui m'attendait. Avoir su, je serais peut-être resté plus longtemps à discuter avec ma copine dans le vestibule.



Carter est venu me voir après l'examen de physique. Je rangeais mes quelques manuels scolaires dans mon casier, lorsqu'il s'est pointé. Il avait fumé plus d'une clope, ça se sentait.

— Il faut qu'on parle.

Une chose qui m'avait toujours plu chez Carter : sa franchise. Il allait droit au début, même si ça lui coûtait. Et il avait une certaine audace. Il venait me voir, alors qu'on ne s'était pas adressé la parole l'un à l'autre depuis plus d'un mois. Si ce mec était celui qui semblait le moins affecté par la dispute qui séparait notre bande, il avait autant de choses à se reprocher qu'aux autres. Il n'avait rien fait, rien dit. Parfois, ne pas agir s'avérait aussi terrible que tout dire, tout faire. Carter avait peut-être cherché à rester neutre, mais ça ne faisait pas forcément de lui un bon ami. Il n'avait pas levé le petit doigt pour me défendre le soir du feu de camp ou pour chercher à écouter mon point de vue. Pour cette raison, j'avais tous les droits d'être en colère contre lui.

— Je sais que tu me détestes, Logan. Mais c'est important.

J'ai cessé de ranger mes manuels et je l'ai dévisagé.

— C'est important ? Tu plaisantes, j'espère ? Tu crois vraiment que t'as le droit de te pointer ici et de venir me parler comme si on était pote ? Merde, t'as rien fait ! Carter, t'as rien foutu !

— Je suis désolé, a-t-il dit. Vraiment.

— Je croyais que je pouvais compter sur toi.

Il est resté silencieux, la tête baissée comme un enfant qu'on venait de gronder.

— C'est vrai, quoi, ai-je ajouté. Tu te fais toujours ta propre opinion. Je te croyais trop malin pour écouter Olivia et ses remarques superficielles. Faut croire que je me suis trompé.

— Écoute, je ne suis pas là pour te sermonner au sujet de ta copine.

J'ai ricané.

— Encore heureux, parce que j'en ai marre de ce discours de merde.

— Je connais bien Sacha, Logan.

Ai-je cessé de respirer ? Je crois bien que oui. J'ai dû envoyer un message à mon coeur pour qu'il reparte, sinon tout mon corps serait resté enfermer dans cette paralysie subite.

— De quoi tu parles ?

— Sacha et moi, on se connaît, a-t-il dit. On s'est fréquenté quelques mois.

Je l'ai poussé. Je n'étais pas quelqu'un de violent, mais à ce instant là, je n'avais pas réfléchi. J'avais tout simplement senti le besoin de le faire. Carter a titubé vers l'arrière et m'a dévisagé, aussi surpris que moi. Quelques élèves nous ont observé, mais personne n'est venu s'interposer entre nous.

— Arrête tes conneries, ai-je dit.

— C'est vrai, ce que je dis. Tu te souviens du jour de l'an ? Sacha n'est pas venue chez moi par hasard. Elle savait où j'habitais.

Lorsque j'ai associé toutes les pièces du casse-tête entre elles, j'ai eu l'impression d'être précipité du haut d'une falaise et d'être frappé de plein fouet par les vagues.

— J'ai tenu bon de venir t'en parler, a-t-il dit.

— Pourquoi maintenant ?

— Parce que... Votre histoire est plus sérieuse que ce que je croyais.

J'ai refermé la porte de mon casier violemment et je lui ai fait face.

— Allez, raconte.

— C'était en novembre dernier. Sacha me voyait dans le dos de son copain, Cole. Elle passait beaucoup de temps avec moi. Puis, un jour, on s'est embrassé.

— Rien qu'embrasser ?

Il s'est mordu la lèvre.

— Non, on est allé un peu plus loin, a-t-il admis.

J'ai serré la mâchoire, mais n'ai rien dit. À quoi bon ? Je n'étais pas encore entré dans la vie de Sacha à ce moment-là. En quoi ça me regardait vraiment ? Le hic, c'est que j'aurais au minimum aimé être que ma copine me mette au courant de sa précédente liaison avec un de mes potes.

— Et ?

— Et elle s'est mise à parler. Sacha adore parler, tu sais.

J'ai acquiescé, sceptique.

— Bien sûr que tu le sais, a ajouté Carter. Tu es son copain, après tout.

— Elle a parlé de quoi ?

— C'est ça qui est bizarre. Elle s'est mise à me parler de cactus. Elle n'arrêtait pas de parler de cactus ! Ça m'a un peu énervé, parce que je ne comprenais pas pourquoi elle me parlait de ça. Et lorsque je lui ai demandé, tu sais ce qu'elle m'a répondu ?

J'ai secoué la tête. Évidement que non, je ne le savais pas.

— « Je suis un cactus. »

— C'est ce qu'elle t'a dit ?

— Ouais. C'est bizarre, pas vrai ?

— Et qu'est-ce qui s'est passé ? l'ai-je interrogé. Après qu'elle t'ait dit ça ?

— Je lui ai dit un truc et elle est s'est fâchée. Elle a commencé à me crier des propos incompréhensibles, puis elle a quitté ma maison en furie.

— Qu'est-ce que tu lui as dit ?

— Pardon ?

— Qu'est-ce que tu lui as dit pour qu'elle se fâche de cette manière ?

— Honnêtement, je ne vois pas en quoi ça aurait pu la contrarier. Je lui faisais un compliment, c'est tout.

— Qu'est-ce que tu lui as dit ? ai-je insisté, en pesant sur chacun de mes mots.

Il a soupiré.

— J'ai simplement répondu qu'à mes yeux, elle avait plutôt l'air d'une orchidée. Pas d'un cactus. C'est moche, les cactus, non ?

J'ai souri, malgré moi. J'étais toujours en colère, mais il y avait quelque chose dans la réaction de Sacha qui me plaisait bien. Ce n'était pas anodin. C'était brillant.

— Tu vois, c'est pour ça que je tenais absolument à te parler.

J'ai froncé les sourcils.

— Comment ça ?

Carter a haussé les épaules.

— Je crois qu'elle est cinglée.

J'ai secoué la tête.

— Elle n'est pas cinglée, Carter. Au contraire.



Je suis arrivée chez Sacha une vingtaine de minutes plus tard. L'automobile de sa mère n'était pas dans le garage. Elle devait être partie au travail, tout comme son conjoint. Je suis donc entré sans frapper, comme j'en avais pris l'habitude. J'ai trouvé Sacha dans le salon, assise, une vieille boîte de chaussure posé sur les genoux. Celle-ci semblait lui apporter grand intérêt. Le téléviseur n'était même pas allumé. Il n'y avait que Sacha, seule, dans le silence total, qui contemplait l'intérieur d'une boîte en carton.

— Pourquoi tu ne m'as rien dit au sujet de Carter ?

Ma copine s'est retournée dans ma direction. Elle pleurait. Ça m'a surpris.

— Hé, ça va, ai-je murmuré. Ne le prends pas comme ça. Je ne t'en veux pas, j'aurais juste aimé le savoir.

Elle a essuyé les quelques larmes qui coulaient le long de ses joues.

— Et Pénélope ? Pourquoi me l'as-tu caché ?

Je me suis figé.

— Comment le sais-tu ?

Sacha a désigné la boîte de chaussure qu'elle avait sur les genoux. Elle m'a tendu un des clichés qui se trouvait à l'intérieur. Je l'ai pris pour la contempler. Le sourire de Pénélope figé à jamais sur ce bout de papier. Ça remontait à deux ans auparavant.

— Je croyais que tu ne prenais pas les visages en photo.

J'ai senti toute la douleur et la trahison qui se lisait dans sa voix.

— C'est vrai, ai-je murmuré. J'ai arrêté après elle.

— C'est Pénélope qui t'a brisé le coeur, non ?

J'ai acquiescé. Lentement, je me suis assis sur le canapé à ses côtés.

— Elle m'a fait beaucoup de mal, ai-je dit.

— Pourquoi tu ne m'as rien dit ?

J'ai haussé les épaules.

— J'en sais rien. Et Carter, lui ?

Ses yeux se sont posés sur les miens. Elle savait que je marquais un point et pour cette raison, elle refusait de répondre.

— Où est-ce que tu as trouvé ces clichés ?

— Dans ta chambre, ce matin, a-t-elle admis. J'étais curieuse de savoir ce que tu photographiais. C'est vrai, quoi. Tu ne m'as jamais montré ton art.

— Et toi, tu n'as jamais joué de piano devant moi.

Elle a soupiré.

— Ne commence pas, je t'en prie.

Elle a niché sa tête contre mon cou. Je l'ai sentie éclater en sanglots. Impuissant, je n'ai fait que la serrer plus fort contre moi.

— C'est de l'histoire ancienne Pénélope et moi, lui ai-je assuré.

— Le pire dans tout ça, c'est qu'elle m'avait confié qu'elle était sortie avec toi bien avant qu'on se connaisse tous les deux. J'étais certaine qu'elle plaisantait.

Sacha a posé ses yeux sur les miens.

— Est-ce que ça fait de moi une mauvaise personne ?

J'ai secoué la tête.

— C'est vrai que si on regarde bien Pénélope, elle n'a rien en commun avec moi.

— Les étiquettes, toujours les foutus étiquettes, a-t-elle grommelé. Même moi, je m'y accroche.

— Hé, ce n'est pas bien grave.

J'ai haussé les épaules.

— C'est inévitable. Pénélope a changé. Ce n'est plus la même fille qu'il y a deux ans.

Sacha a secoué la tête.

— C'est pour ça que tes amis me détestent.

Je me suis crispé, malgré moi.

— Ils ne te détestent pas, l'ai-je contredit.

— Bien sûr que si.

— Ils détestent l'image qu'ils ont de toi.

Un faible sourire s'est glissé sur ses lèvres.

— Qu'est-ce que j'ai fait pour sortir avec un gars aussi bien que toi ?

J'ai déposé un baiser sur sa tête.

— Tu as oublié tes bonnes manières et tu t'es incrustée à une fête du Nouvel An.

— C'est vrai, j'oubliais presque.

Cette fois, c'est moi qui ai souri.

— Tu sais, Logan, a commencé Sacha, je te connaissais bien avant tout ça.

J'ai froncé les sourcils.

— Comment ça ?

— Je te voyais, à l'école. Je vous voyais tous.

— Et pendant tout ce temps, j'ai cru que...

— Que j'étais aveugle ? Enfin, pas au sens propre. Ça, ça viendra.

— Ton humour est macabre, Sacha.

Elle a secoué la tête.

— À ce point-ci, mieux vaut rire que pleurer.

Il y a alors eu un silence. Long et lourd en sous-entendus. On n'avait pas besoin de mots pour exprimer ce que l'on avait sur la conscience à ce moment-là.

— Je suis désolé de n'avoir rien dit, ai-je admis.

— Moi aussi.

— J'imagine qu'on n'a pas été cent pour cent honnêtes l'un envers l'autre.

— C'est vrai, a-t-elle murmuré.

— Ça ne devrait plus se reproduire.

— Tu as une idée en tête ?

J'ai souri faiblement.

— Pour être carrément honnête envers toi, j'ai fait pipi au lit jusqu'à l'âge de huit ans.

— Oh, c'est intéressant.

— Et toi, quelque chose à me partager ?

Sacha a mis quelques secondes à comprendre. Mais lorsqu'elle l'a fait, elle a tout de suite embarqué.

— Je n'ai jamais écouté Bob l'éponge de toute ma vie.

— Et après tu te moques de moi quand je ne sais pas qui sont les soeurs Brontë ? Bob l'éponge, c'est un icône ! C'est toi qui n'a pas de culture.

Elle a ri.

— J'aime les céréales avec plein de produits chimiques à l'intérieur, ai-je ajouté. Le sans-gluten, les fibres et tout... Non, merci.

— J'ai cru jusqu'à l'âge de douze ans que le Père Noël existait.

— Je me suis déjà déguisé en koala parce que ma mère insistait que j'avais l'air mignon dans mon costume, ai-je renchéri. J'ai des photos, je te montrerai. J'ai l'air d'un chat sur qui on a roulé avec une voiture.

— J'ai hâte de voir ça !

— Tu risques de te foutre de ma gueule. Enfin, plus qu'à l'habitude.

Sacha m'a souri.

— J'ai la phobie des lapins de Pâques, tu sais. Ne va jamais avec moi au centre commercial avec moi à cette période de l'année parce que je risque de piquer une crise.

— Eh bien, maintenant je sais ce qu'on fait à Pâques l'année prochaine !

J'ai éclaté de rire. Elle m'a frappé le bras.

— C'est sérieux !

Je lui ai alors donné un petit coup de coude.

— Ça fait du bien d'être finalement honnête l'un envers l'autre. À partir de maintenant, on devrait toujours se dire la vérité. Qu'est-ce que tu en dis, Sacha ?

Elle n'a pas répondu. Je l'ai regardée, soudainement inquiet.

— Sacha ?

Elle s'est extirpée de mon étreinte. Son visage était de nouveau sérieux.

— Puisque c'est l'heure des confessions, j'ai quelque chose à te dire.

Je l'ai dévisagée.

— Tout va bien ?

Elle a secoué la tête.

— Pas vraiment, non.

— Comment ça ?

Je l'ai observée se mordre la lèvre nerveusement.

— Je t'en prie, dis-moi tout.

Ma copine a refusé de me regarder en face.

— Le traitement en Oméga-3 ne fonctionne pas, a-t-elle admis.

— Ce qui veut dire ?

Des larmes ont de nouveau fait leur apparition sur son visage.

— Il n'y a rien pour empêcher l'évolution de la maladie.

Je suis resté muet.

— La rétinite se propage bien plus vite que prévu.

Tout ce qui s'est passé après ça, demeure flou. Je me souviens d'avoir bredouillé une excuse bidon, puis de m'être enfui. Aussi lâchement que ça, oui. Je suis parti. J'ai laissé Sacha seule alors qu'elle avait le plus besoin de moi. Pourquoi donc ? J'imagine que j'ai paniqué. En tout cas, j'ai couru. Puis, marché. Puis, couru. Marché. Couru. Marché. Couru. Encore et encore. Sans trop savoir où je m'en allais. J'ai senti quelque chose glissé le long de mes joues. Peut-être que je pleurais ? Je ne m'en souviens pas très bien. Tout ce que je sais c'est que je suis rentré à pieds chez moi et que dès que j'ai franchi la porte d'entrée, je suis tombé sur mes deux parents. Mon père tenait un papier entre les mains. C'était une lettre.

Mes parents n'ont pas semblé remarquer les larmes qui avaient séché ur mes joues. Ils m'ont aussitôt bombarder de question.

— C'est quoi ça ? demandait mon père.

— Pourquoi ne nous as-tu rien dit ? disait ma mère.

— On aurait aimé le savoir !

— Tu aurais dû nous en parler avant de prendre cette décision !

— Logan, tu nous écoutes ?

J'ai secoué la tête.

— Je ne sais même pas de quoi vous parlez.

Ma voix était rauque.

— Nous avons reçu une lettre de l'Université de Toronto, a déclaré mon père.

J'ai acquiescé, désintéressé. En vrai, je ne souhaitais qu'atteindre ma chambre le plus vite possible pour me rouler en boule dans mes couvertures et m'endormir.

— Et qu'est-ce qu'elle dit cette lettre ? ai-je demandé, davantage par obligation que par curiosité.

— Qu'ils sont navrés d'apprendre que tu ne feras pas parti de la cohorte de l'automne prochain et qu'il te sera toujours possible de t'inscrire pour l'année suivante.

— Ah, rien que ça.

Ma mère m'a fusillé du regard.

— Pourquoi as-tu fait ça ? C'était ta chance ! Ils t'avaient accepté.

— Je n'avais pas envie d'y aller, d'accord ?

— Tu aurais dû nous en parler avant, a insisté mon père. On aurait pu en discuter.

— Pourquoi faire ? ai-je demandé. Qu'est-ce que ça aurait changé ? Je ne veux pas y aller ! Je n'ai pas envie de passer quatre années de ma vie à étudier pour devenir quelque chose que je ne veux pas être. Ce n'est pas ce que je veux faire ! J'ai envie de voyager, de photographier, de faire de mon passe-temps mon métier !

— Mais ce n'est pas ça, la vie, Logan ! a hurlé ma mère. Ouvre-les yeux, ça ne te mènera nul part. Tu auras de la difficulté à te payer un loyer, à te nourrir. Tu ne pourras pas toujours joindre les deux bouts ! C'est pour ça que nous avons emménager dans cette ville, pour que vous ayez tous l'opportunité d'avoir une belle vie.

Mon père a baissé les yeux. Je savais que d'où il venait, une réserve amérindienne au nord du Canada, les gens avaient rarement autant d'opportunités. La misère était courante dans ce coin de pays. C'est ma mère qui l'avait sorti de cet environnement. Et les années que mon père avait passées dans cet environnement l'avait marqué à jamais. Ça se reflétait dans ces gestes, dans le quotidien et dans la manière dont il nous avait élever. Je trouvais ça plutôt bas de la part de ma mère de sortir cet argument là, alors qu'elle savait pertinemment que c'était quelque chose de sensible pour notre famille.

J'ai mis un moment à répondre, à chercher la bonne manière d'exprimer ce que j'avais sur le coeur sans blesser personne.

— Eh bien, je préfère essayer que de passer à côté d'une opportunité comme celle-ci.

— C'est Sacha qui t'a mis ces idées dans la tête ?

J'ai écarquillé les yeux.

— Sacha ? Elle n'a rien à voir là-dedans.

— Pourtant depuis que tu la connais, tu es différent.

J'ai fait mine de ne pas avoir l'air offensé.

— Tu passes la majeure partie de ton temps avec elle, donc tu n'étudie pas. Pas étonnant que tes notes aient chuté. Je veux bien croire que Sacha a de la facilité à l'école, mais ça ne veut pas dire que c'est ton cas aussi.

— Maman, c'est important que je passe du temps avec Sacha.

— C'est ta copine, je sais. Mais tu es en train d'oublier l'essentiel ! Tes études, par exemple. Ta famille. Toi.

J'ai secoué la tête.

— C'est plus compliqué que ça, ai-je dit.

Mon père a soupiré. Ma mère a enfoui sa tête dans ses mains.

— Et si je passe autant de temps avec Sacha, ce n'est pas seulement parce que c'est ma copine. Elle a besoin de moi.

— Pourquoi, Logan ? Explique-nous ce qui ne va pas, explique-nous pourquoi c'est autant compliqué. Je ne suis plus. Je suis totalement perdue.

— Je ne peux pas vous le dire. J'ai fait une promesse.

Ma mère pleurait, désormais.

— Logan, je t'en prie, a insisté mon père.

Lui aussi, s'est mis à pleurer.

— On veut savoir ce qui ne va pas. On veut comprendre.

Cette fois, c'était la goutte qui faisait déborder le vase. J'ai éclaté en sanglots. Pour la même raison qui m'avait poussé à m'enfuir de chez Sacha. Parce que c'était plus que ce que je pouvais endurer. Sacha. Mes amis. Et maintenant, mes parents. J'avais une surdose d'émotions qui faisait rage en moi. C'était trop, trop, trop. TROP.

— Sacha va devenir aveugle.

Et je me suis effondré à même le sol, incapable de supporter plus.

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