La théorie des cactus

By Imaxgine

91.5K 12.9K 4K

Logan, c'est le grand brun aux yeux bridés qui aime les drames, ceux qui se terminent par de longs dialogues... More

Avant-propos.
01
02
03
04
05
06
07
08
09
10
11
12
13
14
15
16
17
18
19
21
22
23
24
25
26
27
28
29
30
31
32
Épilogue.
Mot de la fin.

20

2K 313 90
By Imaxgine


Les aéroports avaient toujours dégagé quelque chose de festif. Toutes les cultures s'y mélangeaient harmonieusement. Il n'y avait rien de plus diversifié qu'un aéroport situé en pleine métropole. J'aimais bien m'amuser à observer les gens pour les associer à certaines catégories. Il y avait les touristes, ceux qui venaient de débarquer à Montréal et qui avait l'air extrêmement perdu (je faisais parti de cette catégorie), puis ceux qui quittait la métropole pour partir en vacances à l'autre bout du monde. Il y avait aussi les membres d'équipage, ceux qui se déplaçaient comme des mannequins lors de la Fashion Week. Ils étaient dans leur environnement, ils avaient le contrôle. Et ils le savaient. Puis, il y avait ces personnes en complet, les yeux rivés sur leur cellulaire, que peu de choses impressionnaient. Les voyages en avion faisaient parti de leur quotidien.

Lorsque j'ai fait part de mes observations à Sacha, elle m'a jeté un regard réprobateur.

— Tu les mets dans des cases, tu sais.

Je n'ai rien dit, me sentant légèrement mal d'avoir appliqué ce concept que Sacha détestait tant. Heureusement, mon amie ne semblait pas fâchée, simplement décidée à me prouver que j'avais tort. Elle m'a pointé une dame qui récupérait sa valise sur le carrousel.

— Tu la vois dans quelle catégorie ?

J'ai observé la femme en question. Elle devait avoir trente-cinq ans, tout au plus. Ses cheveux étaient bruns et semblaient avoir été fraîchement coupés. Elle portait des baskets et un jeans et ne cessait de regarder sa montre nerveusement.

— Définitivement touriste, ai-je dit.

— Et qu'est-ce qui te fais dire ça ?

— Sa tenue. Et le fait qu'elle regarde continuellement l'heure.

Sacha a souri.

— Ou peut-être qu'elle est simplement en retard pour un rendez-vous.

— Dans ces vêtements ?

Elle a haussé les épaules.

— Qui a dit que c'était un rendez-vous galant ? Elle ne va peut-être que chez le dentiste.

J'ai souri.

— T'es en train de me dire que cette fille a fait trois heures d'avion rien que pour aller chez le dentiste ?

— Non, a rétorqué Sacha. Elle était dans notre vol, donc elle n'a voyagé qu'une heure. Elle devait assister à un évènement à Toronto et maintenant que c'est le week-end, elle a décidé de rentrer chez elle.

— Pour se faire traiter une carie ?

Sacha m'a frappé le bras, en riant.

— Idiot ! J'en sais rien, moi. Tout ce que je cherche à dire, c'est que tu ne peux pas classer les gens comme ça.

— D'accord, d'accord. J'ai compris la leçon.

J'ai souri. Sacha s'est agrippée à mon bras et nous nous sommes dirigés vers la sortie de l'aéroport, nos valises traînant derrière nous. Arrivés devant les portes, nous nous sommes arrêtés. Sacha a jeté un regard circulaire autour d'elle.

— Ton père est là ? lui ai-je demandé.

Elle a secoué la tête.

— Non, il travaille en ce moment, m'a-t-elle informé. Mais il nous a appelé un taxi. Le voilà, justement !

Nous sommes sortis à l'extérieur pour rejoindre la voiture noire. J'ai glissé nos valises dans le coffre de la bagnole, puis j'ai rejoint Sacha sur la banquette arrière. La blonde a donné notre adresse au chauffeur et nous sommes partis. Durant tout le trajet, mon regard se fixait sur le paysage. J'étais tout simplement émerveillé d'être ici. Rien que maintenant, je pouvais dire avec certitude que Montréal était une ville vivante. Semblable à Toronto, mais bien différente sur certains points. La musique de rue, le bruit des klaxons, les conversations sur les terrasses... Je n'avais qu'à regarder pour savoir que ça me plairait. J'étais suffisamment chanceux d'être ici, chanceux que mes parents aillent accepter de me laisser partir seule avec Sacha dans un autre coin de pays. J'avais réussi à les convaincre en leur disant que pour les deux derniers mois de l'année scolaire, j'allais me forcer au maximum et faire augmenter mes notes. Maintenant, je n'avais plus qu'à tenir ma promesse.

Du coin de l'oeil, Sacha m'observait, tout sourire. Je devais avoir l'air de gamin, penché sur le bord de la fenêtre, l'air émerveillé.

— Pourquoi y a-t-il autant de cônes orange ? ai-je demandé, confus.

Elle a ri.

— Bienvenue à Montréal.

Le chauffeur de taxi nous regardait depuis le rétroviseur.

— Vous venez d'où ?

— Toronto, a répondu Sacha.

— C'est la première fois que vous venez ?

— Moi, non. Mais lui, oui.

L'homme m'a souri.

— Vous allez adorer.

— Oh, je n'en doute pas, ai-je dit.

Nous nous sommes arrêtés à une lumière rouge.

— C'est idéal pour un petit week-end en amoureux, n'est-ce pas ? Vous voyez, c'est pas New York ou Paris, mais ça a son charme.

Sacha et moi avons échangé un regard.

— Euh, nous ne sommes pas...

Le chauffeur a haussé ses sourcils broussailleux.

— Pardonnez-moi, j'ai cru... Enfin, il n'y a qu'à vous regardez tous les deux !

— Nous ne sommes qu'amis, a précisé Sacha.

— De très bons amis, à vrai dire, ai-je ajouté.

— Ah oui, je vois.

Le mal était déjà fait. Sacha et moi avons tous les deux pris une affreuse teinte rougeâtre. Je refusais de rencontrer son regard, tout comme elle refusait de rencontrer le mien. Du coin de l'oeil, j'ai remarqué que le chauffeur souriait comme s'il savait quelque chose que nous ne savions pas. Je n'étais pas certain de vouloir comprendre ce qui se cachait derrière ce sourire.

Après une vingtaine de minutes de route, le taxi s'est arrêté devant un immense bloc appartement.

— C'est ici ? ai-je demandé.

— Oui.

— C'est très différent de chez ta mère.

— Mon père n'est pas riche, alors c'est tout ce qu'il peut s'offrir.

Nous avons payé et remercier le chauffeur de taxi, puis nous sommes descendus de la bagnole. Armés de nos valises, Sacha et moi sommes entrés dans le bâtiment. Nous avons par la suite monté les escaliers qui menait à l'appartement de son père. Arrivé sur le bon palier, je ne sentais plus mes bras. J'ai posé ma valise sur le sol, alors que Sacha déverrouillait la porte d'entrée. Une énorme bête poilu nous a accueillis en jappant. Sacha a émit un couinement et s'est mise à caresser le golden retriever.

— J'ignorais que tu aimais les chiens, ai-je dit.

— Seulement Holly, parce que c'est une chienne formidable.

J'ai souri.

— Holly, hein ?

Je me suis agenouillé auprès de Sacha pour caresser la chienne au pelage doré. Elle m'a reniflé, puis m'a léché les doigts.

— Alors, tu es tombé sous le charme ? m'a demandé Sacha.

— On va dire ça.

Elle a souri.

Nous avons installés nos bagages dans la chambre d'amis. Il était midi et tous les deux, nous crevions de faim. Sacha s'est donc mise à faire des pâtes. J'ai croisé les doigts pour que cette recette ne ressemble en rien aux crêpes qu'elle avait faite l'autre jour. Ayant un peu de temps mort devant moi, je me suis mis à observer les lieux. C'était petit, oui. Et assez sobre. Il y avait très peu de photos sur les mur et pas beaucoup de déco. Seulement des murs aux teintes de blanc et de gris. Le canapé du salon devait avoir une dizaine d'années, tout comme les meubles de la chambre d'amis. Dans la chambre du père de Sacha, il y avait une photo de celui-ci et de mon amie, sur fond de fête foraine. Cette fameuse sortie pourtant bien simple, mais qui comptait tellement aux yeux de Sacha. J'ai souri.

Je suis retourné dans la cuisine et me suis assis face au comptoir. Sacha était en train de verser ses pâtes dans deux assiettes distinctes. Holly se frottait à ses jambes, la queue battante.

— Alors c'est quoi le plan pour cet après-midi ?

— On va aller se promener en ville et je vais te faire goûter à un mets typique de Montréal.

— Si c'est de la poutine, je t'avertis à l'avance : j'y ai déjà goûtée et je n'ai pas aimée.

Sacha a écarquillé les yeux.

— Premièrement, comment peux-tu ne pas aimer la poutine ? Et deuxièmement, si tu tiens à la vie, ne dis jamais une telle chose en public. T'auras une centaine de Québécois, francophones et anglophones confondus, à tes trousses. Je suis déjà surprise que les voisins n'aient pas défoncé les murs pour te foutre une raclée.

— C'est sérieux à ce point ?

Mon amie n'a pas répondu, mais son expression grave m'a suffi.

— Et puis, ce n'est pas à la poutine que je voulais te faire goûter, a ajouté Sacha. C'est aux bagels.

— Aux bagels ?

— Tu es dans la capitale du bagel, je te signale. Ce sont les meilleurs au monde.

— Ah ouais ?

— Attends d'y goûter. C'est divin !

Holly s'est mise à japper. Sacha lui a donné quelques pâtes et je me suis demandé si le spaghetti, c'était bon pour un chien. Probablement pas, mais Sacha s'en fichait.

Vers une treize heures et demi, nous sommes allés en ville. Holly nous a accompagné, tenue en laisse par Sacha. La pauvre chienne haletait sans cesse, en raison de la température. Il faisait chaud pour un début de mai, si bien qu'il y avait beaucoup de monde dans les rues. Les terrasses étaient bondés, surtout à cette heure. Sacha m'a pris par la main et m'a entraîné dans les rues montréalaises. Je n'ai pas relevé ce contact, ne souhaitant pas le défaire, seulement j'avais cet drôle d'impression que c'était un truc de couple. Problème : nous n'étions pas un couple.

Nous nous sommes promenés en ville et j'ai bien aimé. Il y avait de la musique un peu partout, que ce soit venant des gens affublés d'une guitare au coin d'une rue ou des magasins. Certains étaient pressés, alors que d'autres flânaient dans les magasins. Montréal ressemblait beaucoup à Toronto. Sauf, qu'au lieu d'entendre sans cesse de l'anglais, une large vague de français flottait en plus dans l'air. C'était multiculturelle, c'était vivant. Nous avons marché dans la rue Sainte-Catherine, puis nous avons emprunté des rues plus étroites qui nous mèneraient à une petite boutique de bagels. L'endroit m'avait tout l'air miteux, mais Sacha m'a assuré que ça faisait parti du charme de Montréal. J'ai attaché Holly à un lampadaire et j'ai suivi mon amie à l'intérieur. Ça sentait le pain et tout ce qui pouvait toucher à la boulangerie. Il y avait des dizaines et des dizaines de bagels, tous assaisonnés différemment. Un vieil homme affublé d'un tablier se disputait en italien avec une femme de son âge, de l'autre côté du comptoir. Les deux nous ont jeté un drôle de regard lorsque nous sommes entrés. Sacha leur a fait un petit signe de la main et ils lui ont souri, avant de se remettre à se disputer. Une femme dans la vingtaine, les cheveux regroupés en natte s'est avancée vers nous et s'est exprimée en français - enfin, ça me semblait être du français. Sacha lui a répondu avec une telle aisance, que je suis resté sonné pendant quelques secondes. Ce n'était pas la première fois que je la voyais s'exprimer dans la langue de Molière, mais c'était toujours aussi impressionnant. J'ai observé mon amie, un sourire aux lèvres. Alors que la femme à la natte plaçait une demi-douzaine de bagels dans un sac en plastique, Sacha s'est retournée vers moi, intriguée.

— Pourquoi me regardes-tu comme ça ?

— Pour rien, ai-je dit.

— Menteur.

J'ai ri.

— J'admirais juste à quel point tu semblais être dans ton élément ici.

— Dans un trou miteux ?

Cette fois, c'est elle qui s'est mise à rire.

— Non, dans cette ville, ai-je rectifié. Tu as l'air épanouie.

Elle a haussé les épaules, sourire aux lèvres.

Nous avons quitté la boulangerie quelques minutes après avoir payé et salué la dame qui nous avait servi. J'ai suivi Sacha jusque dans un parc avoisinant. Il y avait des gamins un peu partout qui jouaient au ballon et qui couraient. Quelques adultes étaient allongés sur une couverture à même le sol, un livre ou un téléphone portable en main. Il y avait aussi un très grand nombre de personnes qui se promenaient à vélo dans les sentiers établis à cet effet. J'ai souri. C'était une belle journée.

Sacha et moi nous sommes installés à une table de pique-nique dans un coin du parc. J'ai détaché Holly qui s'est aussitôt mise à courir un peu partout en jappant.

— Je comprends pourquoi tu veux tant venir t'installer ici.

— Ah oui ?

— C'est un bel endroit.

Elle a souri.

— Si tu veux, je pourrai te montrer le campus de McGill avant qu'on ne retourne à l'appartement.

— J'aimerais bien ça.

Par la suite, nous n'avons fait que lancer la balle à la chienne en riant et en discutant. Le golden retriever ne cessait de revenir vers nous, la balle en gueule. Au final, nous sommes restés près d'un heure dans ce parc. Lorsqu'Holly en a eu assez de courir sans cesse, Sacha et moi avons conclu qu'il était temps de rentrer. Nous sommes donc repartis sillonnés les rues de la métropole.

— Merci de m'avoir invité, ai-je dit.

— Non, merci à toi d'être venu.

— T'as à ce point pas envie d'être seule avec ton père ?

Sacha a soupiré.

— Ouais, à ce point.

J'ai resserré la laisse d'Holly autour de mon poignet.

— Tu sais quoi ? J'avais vraiment besoin de venir ici ce week-end.

Sacha a souri.

— C'est vrai, ai-je ajouté. Je commençais à avoir l'impression d'étouffer à Toronto. Le nouveau boulot, les disputes entre amis, les affaires familiales, grandir... J'en ai marre de tout ça. Ça me compresse les poumons, au point que j'oublie de respirer.

— Je suis désolée.

— Ne soit pas désolée. Parmi toutes les personnes que t'aurais pu choisir pour t'accompagner, tu m'as choisi, moi. Ça me touche beaucoup.

Mon amie s'est arrêtée face à moi.

— Logan, tu es ma personne préférée au monde, d'accord ? a-t-elle déclaré. Alors ne va pas croire que j'aurais invité qui que ce soit d'autre que toi. Tu es le seul véritable ami que j'aie, celui qui me connais mieux que quiconque. Je te choisirais contre n'importe qui.

Sur un coup de tête, ou sous l'effet de ses paroles, je me suis penché pour l'embrasser. J'ai bien cru qu'elle allait m'embrasser à son tour, jusqu'à ce qu'elle s'écarte brusquement de moi. Je me suis éloigné à mon tour, mortifié. J'aurais bien voulu disparaître six pieds sous terre. Quant à Sacha, elle me regardait les yeux écarquillés. Je me suis maudit intérieurement d'avoir saboté le moment. Mais que m'était-il passé par la tête ?

— Je suis désolé ! me suis-je exclamé. Je suis désolé, Sacha. Je ne sais pas... Je ne sais vraiment pas ce qui m'a pris. Pardonne-moi, je...

— Ça va, ça va.

Mon amie a inspiré profondément, les joues rouges.

— On oublie, d'accord ?

— Ouais, on oublie. C'est bon. Pardonne-moi.

Nous sommes repartis, comme si de rien n'était. C'était peut-être mieux ainsi au fond, même si une partie de moi en doutait continuellement.



La première fois que j'ai rencontré le père de Sacha, nous venions tout juste de rentrer de notre petite balade en ville. Après avoir visité le campus de McGill, Holly était épuisée. Elle haletait beaucoup et marchait tête baissée, si bien que nous n'avons pas perdu de temps pour rentrer. Une fois à la maison, Holly s'est allongée sur le canapé et s'y est endormie, nous prouvant que nous avions eu raison de rentrer. Plus tard, Sacha m'apprit que cette chienne avait déjà une dizaine d'années. Pas surprenant qu'à cet âge, elle soit à ce point épuisée. En regardant la chienne s'endormir, je n'avais pas remarqué qu'un homme d'une quarantaine d'années nous observait depuis la cuisine. J'ai sursauté lorsqu'il a levé sa voix pour nous saluer.

— J'espère que vous avez fait un bon voyage, nous a-t-il dit.

— Oui, merci.

Sacha n'a rien dit. Elle s'est contentée de flatter la chienne. Son père l'a regardée, un sourire hésitant sur les lèvres, comme s'il ne savait pas quoi faire. Voyant qu'aucune réponse ne viendrait, il s'est avancé vers moi. Il m'a tendu la main.

— Tu dois être Logan.

J'ai accepté la main qu'il me tendait, poli.

— Oui, c'est moi.

— Sacha m'a parlé de toi.

Il s'est raclé la gorge.

— Au fait, moi c'est Frederick. Je suis ravi de faire ta connaissance.

— Enchanté.

— Vous avez fait une bonne promenade ?

Sacha a continué de l'ignorer.

— Euh, ouais. C'était chouette. Sacha m'a montré tout ce qu'il y avait à voir.

— Ah, Sacha, elle a toujours les yeux qui brillent en venant dans cette ville. Pas étonnant qu'elle soit une aussi bonne guide !

— Qu'est-ce qu'on mange pour souper ? a demandé Sacha, sortie de nulle part.

Mon amie s'est levé pour aller dans la cuisine, alors que son père peinait à répondre.

Je l'ai regardée, les yeux écarquillés. Je trouvais mon amie effrontée. Le père de Sacha n'était peut-être pas un homme parfait, mais ça se voyait qu'il faisait des efforts. Ça se voyait qu'il cherchait à s'intéresser à la vie de sa fille, mais qu'il échouait. Et puis, mon amie ne faisait rien pour lui rendre la tâche facile. Je n'étais pas au courant de tous les antécédents familiaux qu'il y avait entre les deux, mais j'avais bien du mal à ne pas ressentir de la pitié à l'égard du géniteur de Sacha. Jamais je ne l'admettrais à voix haute, cependant.

— Pas encore des surgelés, j'espère ? s'est plainte Sacha.

— Euh, moi j'aime bien les surgelés.

Sacha m'a dévisagé depuis la cuisine. J'ai fui son regard.

— À vrai dire, j'ai préparé un pain de viande.

— Ah oui ? s'est étonnée mon amie.

— Avec des invités aussi spéciaux, je ne pouvais pas me contenter de repas surgelés.

— Pourtant, c'est toujours ce à quoi j'ai droit quand je viens ici.

Le géniteur de mon amie s'est raclé la gorge, mal à l'aise.

— Le pain de viande risque d'être prêt dans quelques minutes.

Du coin de l'oeil, j'ai cru apercevoir Sacha sourire.

Effectivement, le repas s'est avéré prêt quelques minutes plus tard. Je me suis assis face à Sacha, alors que le père de cette-dernière était à la tête de la table. Je n'étais pas très fan des pains de viande, mais je me suis dit que cet homme avait probablement mis beaucoup d'efforts dans la réalisation de ce repas, alors je me suis efforcé de terminer mon assiette. À table, il y avait encore de nombreux silences gênées, seulement Sacha semblait plus apte à répondre à son père. Même si elle ne faisait aucun effort pour cacher le fond de sa pensée, c'était déjà un pas vers l'avant.

— Que font tes parents dans la vie, Logan ? m'a demandé Frederick.

— Ma mère est comptable et mon père, il travaille dans un truc d'assurance.

— Je vois. Tu as des soeurs et des frères ?

— Deux soeurs, à vrai dire. De vraies plaies !

Il a souri.

— Je peux te comprendre là-dessus. Quand j'étais gamin, mes frères ne cessaient de m'embêter. J'étais bien content le jour où ils ont décidé de quitter la maison.

— C'est libérateur ! ai-je renchéri.

Frederick a ri. Puis, il est redevenu plus sérieux.

— On m'a dit que tu aidais Sacha à traverser cette, euh... cette épreuve.

— C'est maman qui t'a dit ça, pas vrai ? est intervenue Sacha, sans le regarder.

Son géniteur a semblé surpris.

— Euh, oui. C'est exact.

— Qu'est-ce qu'elle t'a dit d'autres exactement ?

— Que tu traversais des moments difficiles, que tu avais rompu avec ton copain...

Sacha a brusquement reposé sa fourchette. J'ai sursauté.

— Et tu peux me dire pourquoi c'est toujours maman qui t'apprend ce genre de trucs ?

Il n'a pas répondu dans les premières secondes qui ont suivi.

— Tu es ma fille. Je m'intéresse à ta vie.

— Ça ne répond pas à ma question.

— Quoi, Sacha ? Que veux-tu que je te dise ?

— Je veux que tu m'expliques pourquoi c'est toujours maman qui t'informe de ce qui se passe dans ma vie. Pourquoi ne t'adresses-tu pas directement à moi, hein ? C'est si difficile que ça, pas vrai ? Un coup de téléphone de temps en temps, non ? Ça ne t'es jamais venu à l'esprit ?

— Écoute, Sacha...

— Non, toi, écoute ! Tant mieux, si tu t'intéresses à ma vie. Mieux vaut tard que jamais, pas vrai ? Mais seulement, au lieu de soutirer lâchement des informations à maman, peut-être que tu pourrais un jour prendre ton courage à deux mains et me confronter. J'en ai marre que tu fasses comme s'il n'y avait pas de problèmes entre nous ! Il y en a, il y en a tout plein. Seulement, tu passe ta vie à les éviter ! Tu crois peut-être que toutes ces années qui ont passées sans que tu ne m'accordes de ton attention ont été pardonnées, mais non, elles ne le sont pas. Je ne peux pas continuer de faire comme si c'était le cas. On n'efface pas l'absence d'un père comme ça. Ce n'est pas ainsi que ça marche.

— Je suis désolé.

— C'est si faible pour effacer dix-huit ans d'absence.

Sacha a quitté la table sans un mot de plus. Je suis resté assis, avec cette drôle de sensation que je n'avais rien à faire ici. Seulement, j'étais incapable de faire quoi que ce soit. Je suis donc resté à table, dans le silence, la tête baissée. J'ai terminé mon assiette, puis j'ai aidé le père de Sacha à nettoyer la vaisselle. Il m'a remercié d'un sourire triste, mais n'a rien dit. Je lui ai souhaité une bonne nuit, puis je suis retourné dans la chambre d'amis, Holly sur les talons. J'ai enfilé un pyjama, puis je me suis allongé sur le matelas posé au sol, près du lit d'amis. Heureusement, le géniteur de Sacha avait pensé aux couvertures et à l'oreiller, si bien que ce n'était pas totalement inconfortable. Holly s'est hissé sur le bout du lit d'ami et s'y est endormie.

Sacha est finalement sortie de la douche une demi-heure plus tard. Je fixais le plafond en pensait à toutes ces choses qui m'habitaient l'esprit en ce moment, lorsqu'elle est entrée dans la chambre, vêtue uniquement d'une serviette de bain.

— Tu en as mis du temps, ai-je murmuré.

— J'avais besoin de réfléchir.

— Dans la douche ?

Elle n'a rien répondu. Au lieu de quoi, elle a laissé sa serviette tombée au sol. Elle ne m'a pas dit de ne pas regarder, mais j'ai tout de même détourner les yeux. Je savais qu'elle ne souhaitait pas que je regarde. Et elle savait que je ne le ferais pas.

Je me suis demandé quel parent nous laisserait dormir dans la même chambre, puis j'en suis venu à la conclusion que Frédérick était loin d'être un parent ordinaire. De toute manière, têtue comme Sacha l'était, elle lui aurait désobéi.

Sacha a enfilé son pyjama, puis s'est glissée entre les draps.

— J'ai vu comment tu me regardais tout à l'heure, a-t-elle dit.

— Comment ?

— Comme si je me comportais mal envers mon père.

Je n'ai rien dit.

— Je sais ce que tu penses, Logan. Tu crois que je lui mène la vie dure.

— C'est vrai.

— Je veux simplement que tu saches que ça fait extrêmement mal de grandir sans l'amour et l'attention de son père. Et que ça ne se pardonne pas avec des beaux sourires et du pain de viande.

— Ok.

— Quoi, ok ?

— Je respecte ça, Sacha. Je ne peux pas prétendre que je te comprends, mais je peux t'assurer que peu importe comment tu choisis de vivre ta vie, je suis là pour te supporter.

— Merci.

Je n'ai rien dit. Sacha a ramené sa couverture contre sa poitrine et s'est tournée pour faire face à la fenêtre, m'empêchant ainsi de voir son visage. J'ai fermé les yeux et j'ai tenté de trouver le sommeil, mais j'en étais incapable. Trop de choses m'occupaient l'esprit en ce moment.

— Au fait, j'ai embrassé Gina.

Sacha n'a rien dit.

Elle devait déjà dormir.

Continue Reading

You'll Also Like

6K 632 70
Cette histoire est surtout écrite à but humoristique, pour vous changer les idées. Evidemment qu'il est important de respecter les mesures prises par...
213K 6K 9
L'océan, Luka en a toujours rêvé. Vivre libre et loin de la misère dans laquelle elle a grandi l'obsède. Peu importe qu'elle soit une femme, sa déte...
152K 2.1K 10
Qui des deux est prêt à céder... aux principes de l'autre ? Sandra Mullens et Victor Klein suivent leurs secondaires dans la même école, mais pas av...
131K 4.6K 70
Aïda, une jeune fille de 17 ans comme les autres filles de son âge, vivant en banlieue parisienne va voir sa vie complètement chamboulée face à l'arr...