Brendan

By Galloupii

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XII ème siècle, quelque part dans un village médiéval au Nord de la France. Brendan, fils de bûcheron, est be... More

Chapitre 1

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By Galloupii



      C'était le 5 juin 1230. Un cavalier noir de sang séché et de poussière galopait depuis plusieurs jours dans la lande. Il avait atteint les portes de la capitale au début d'après midi et avait franchit sans ralentir le pont levis du château. La reine et toute sa suite étaient réunies dans la cour de la citadelle. Le cheval couvert d'écume s'était arrêté, et le chevalier en était descendu lourdement. Un silence pesant s'installait dans l'assemblée, tandis que l'homme ouvrait avec difficultés sa besace de cuire pour en sortir avec lenteur une lourde couronne dorée. Il resta quelques instants, parfaitement immobile, le bras tendu, la couronne pointée droit vers la reine, puis, comme d'un seul homme, le cheval et son cavalier s'effondrèrent sans un bruit. La couronne tinta lourdement sur le sol, et, tel le son du glas, s'effaça pour laisser place à un silence glacé qui recouvrit tout le château, puis toute la ville, qui s'étendit dans toute la lande, survola les chaînes glacées du Nord, gagna un lointain champ de bataille où des hommes indénombrables gisaient, blessés ou morts, où le sang et la boue recouvraient l'herbe brûlée. Et aux milieux de ses soldats, un hommes gisait, un roi sans couronne.

      Brendan se releva et tapota son pantalon. Aussitôt, une multitude de feuilles sèches et d'aiguilles de pin tombèrent par terre. Le soleil s'était couché depuis plus d'un heure et tous les enfants du village rentraient chez eux après la veillée. Cette soirée encore, c'était le vieux Yannig qui avait animé la veillée, et comme à chaque fois qu'il s'en occupait, il avait raconté l'histoire du roi Orïu, mort à la guerre contre les peuples du Nord. En effet il avait été longtemps un proche compagnon du roi, mais des problèmes de santé l'avaient empêchés de le suivre à la guerre. Il était alors resté près de la reine Inès pendant les quatre longs mois que dura la guerre. Il avait été présent lorsque le cavalier avait pénétré dans la citadelle, il avait vu l'homme s'effondrer avant de lâcher la couronne. Cet épisode s'était alors gravé dans la légende, et les rares qui y avaient assisté n'en parlaient jamais. Yannig était le seul qui faisait vivre la légende, et à travers lui, le roi Orïu était immortel. Il s'était retiré de la Cour pour retourner à son village natal, après s'être assuré que le trône revenait bien au fils d'Inès, né peu de jours après la mort de son père.

     Brendan poussa un soupir. Il connaissait cette histoire par cœur, comme tous les gens du pays d'ailleurs, et il était presque sûr qu'il aurait le droit le lendemain soir à sa suite : comment le prince Maël, le frère du défunt roi, avait revendiqué la couronne, et comment lui-même, le preux Yannig, chevalier du roi, s'y était opposé en attendant le sexe du nourrisson, comment la reine avait alors miraculeusement accouché d'un fils, coupant court à toute réclamations du prince. Le vieillard, qui ne portait pas le frère du roi dans son cœur, adorait cet épisode et ne pouvait pas s'empêcher de le raconter avant les autres, ce qui engendrait toujours des allers-retours dans le temps quand il le contait. Brendan, perdu dans ses pensées, ne regarda pas où il mettait les pieds et trébucha contre quelque chose de dur. Le garçon jeta ses mains en avant et s'étala dans la poussière.

   -Ça va Bren ?

La voix de Marc résonna au-dessus de sa tête.

   -Oui, oui, je crois juste que j'ai trébuché contre une pierre.

   -Mmmm...d'ici ça ressemble plus à une grosse bûche.

Brendan se retourna, au moment même où ladite bûche émit un énorme ronflement.

   -Ah non, je crois que c'est plutôt Joël, il a encore dû s'endormir devant chez lui...

      Joël, un ancien soldat réformé suite à une blessure, était une figure connue au village : l'éternel ivrogne, toujours attablé à l'auberge, ou bien roupillant dans les bottes de paille. Sa femme, Marguerite, essayait depuis près de vingt ans de lui faire passer cette mauvaise habitude, mais les cris, menaces et coups de rouleau à pâtisserie n'y avaient rien fait et Joël restait à jamais fidèle à la bière.

   -On devrait peut-être le décaler non ? proposa Marc, sinon quelqu'un va vraiment lui marcher dessus et Marguerite va le retrouver en morceaux au pied de chez elle.

Les deux garçons saisirent l'homme par un bras chacun et le traînèrent derrière sa remise, entre deux bottes de foin sec.

   -Voilà, ici au moins il n'y aura personne qui lui trébuchera dessus...

   -Ça va, il fait trop noir aussi, on ne voit plus ses mains.

   -En tout cas, tu n' pas non plus dû voir ce à quoi tu as échappé, répondit Marc en désignant du doigt ce qui ressemblait fort à la plus grosse bouse de vache que Brendan ait jamais vu. Tu es tombé juste à côté...

Les deux garçons marchèrent côte à côte pendant quelques instants, discutant de la soirée.

   -Je suppose que demain nous auront le droit à la suite de l'histoire de Yannig...

   -Bien sûr ! Si ça ne tenait qu'à lui il nous la raconterait toute entière tous les soirs, ajouta Brendan, c'est nos mères qui ne seraient pas contentes.

   -Sûr, puis demain c'est vendredi, et le vendredi est toujours une journée remplie.

      Les garçons s'arrêtèrent devant une porte de bois, semblable à toutes celles du village, à la différence que celle-ci était affublée d'une fine clochette ouvragée sur le montant droite. Les deux enfants se souhaitèrent une bonne nuit, puis Marc s'éloigna et Brendan poussa la porte.

      La chaumière était chaude et accueillante, bien qu'aménagée pauvrement. Une petite porte à droite menait à la cuisine et au sellier, à gauche un étroit escalier de bois menait à l'étage et un feu s'éteignait paisiblement dans la petite cheminée, devant laquelle un homme travaillait silencieusement, penché sur une table de bois.

   -Bonsoir P'pa.

      L'homme sursauta et leva la tête. Sa stature colossale était digne d'un homme de trente ans, mais ses cheveux gris, son front dégarnit et ses quelques rides trahissaient ses cinquante printemps. Il était vêtu comme son fils, un gilet de laine recouvrait sa chemise de toile et un pantalon usé à force de travail, de boue et de sueur était bouclé à ses extrémités par une ceinture de cuir et des chausses à semelle de bois.

   -Bonsoir mon grand, tu rentres tard dis-donc.

   -Ce soir c'était au tour de Yannig de raconter l'histoire, répondit Brendan et ôtant son gilet.

   -Ah oui, Yannig...Un jour il vous fera dormir sur la place du village celui-là...

      Tous les hommes du village aimaient le vieil homme, beaucoup avaient été ses compagnons de combat, d'autres encore parmi les plus vieux l'avaient connu dès son enfance et avaient grandit avec lui. Les femmes aussi l'appréciaient, bien que bon nombre de mères aient certes un jour voulu le tirer par les oreilles pour avoir gardé les enfants éveillés trop tard avec ses histoires.

      Melchior, le père de Brendan, replongea le nez dans son travail. Brendan se glissa silencieusement derrière lui et admira par dessus son épaule son travail : Melchior était bûcheron et il était capable de couper un énorme tronc en temps records, sa force était connue dans le village et il faisait parti des hommes robustes auxquels on demandait de l'aide pour décharger les lourds sacs de farine en provenance du moulin. Mais si ses énormes bras étaient capables de prodiges, ses doigts épais en revanche se livraient à une autre passion : la gravure sur métal. Melchior arrivait avec quelques bouts de fer à forger de minuscules objets gravés de motifs délicats. Brendan avait toujours été époustouflé par la finesse des dessins qui naissaient des mains de son père. La petite clochette de la porte lui avait prit plusieurs semaines de travail, le soir après le travail. On pouvait voir ainsi quelques unes de ses créations dans la maison : une minuscule croix gravée au-dessus de la cheminée, un cerf argenté posé à côté du bocal remplis d'herbe pour agrémenter la soupe, et enfin un anneau entrelacé sur lui même pendu au cou de sa mère. Il lui avait offert le jour de leur mariage lui avait-elle raconté. Aujourd'hui son père travaillait sur un tout autre projet : il avait fondu une plaque avec diverses bouts de ferrailles trouvés deçà et là et avait percé en son extrémité un trou. Un nouveau pendentif ? Pour l'instant aucun dessin n'était gravé dessus mais Brendan imaginait déjà plusieurs éléments : des arbres bien-sur, Melchior s'inspirait toujours de la forêt. Un animal ensuite, un renard peut-être ?

   -Un renard ? Oui ça pourrait être une bonne idée, déclara Melchior.

     Brendan sursauta, encore une fois il avait dû penser à haute voix. Cela faisait toujours rire ses parents d'entendre leur fils exprimer hautement sa pensée comme si personne n'entendait.

   -Tu devrait aller te coucher mon garçon, demain sera une longue journée. Au fait ta mère à laissé ça pour toi, tu n'a pas beaucoup mangé ce soir.

      Son père désigna du doigt une écuelle avec un fond de soupe et une tranche de pain à côté. Le garçon engloutit le tout avant de souhaiter une bonne nuit à son père et dirigea vers l'escalier. Quelques minutes après avoir prit le temps de retirer sa chemise et ses chausses, il s'écroula sur son lit, endormi.

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