Le doux bruissement des feuilles qui volent. Le calme de la nature. La brise qui fait voleter ma longue chevelure. Groggy je me passe la main sur mon front en soupirant de lassitude. Mes membres sont ankylosés. Je suis affamée. Epuisée. Déshydratée. Et très probablement perdue. Au bord de la crise de nerf. Je suis larguée, je ne sais pas quoi faire. Jamais au grand jamais je n'ai été confrontée même dans mes rêves à une telle situation.
Calée contre le creux d'un chêne massif. Roulée en boule dans l'espoir fou de conserver un peu de ma chaleur corporelle face au froid ardent de la nuit qui s'insinue jusque dans ma chair. Piques glacés. Morsure brûlante. J'aurais pu allumer un feu cela m'éviterait de mourir transie de froid. Mais après l'incendie je ne m'en sentais pas la force. L'épouvante coule encore dans mes veines. Je crains de voir cette rougeur écarlate me lécher les mains.
Affaiblie je me suis mise à somnoler. Je ne pouvais pas me permettre de dormir sur mes deux oreilles. Plus maintenant. Qui sait ce qui traîne dehors ? Tapi dans l'obscurité ? Quels démons ? Je ne peux compter que sur moi-même. Enfin ça ça ne change pas bien comparé à avant.
Les yeux clos, la respiration sifflante je frémis. Pas à cause de l'air glacial. Non chaque fibre de mon corps cherche à me faire passer un message : je suis surveillée. J'entrouvre lentement mes paupières à l'affût d'un indice. Un long frisson de peur me secoue. Juste quelques heures je voudrais avoir ce répit que je cherche tant. Pourquoi ne puis-je pas toucher du bout des doigts le bonheur ou le repos ? Mon esprit et mon corps sont à bout. Vieux avant l'heure. Roués par les coups durs de la vie.
Mais le clair de lune ne m'offre pas une grande visibilité et je ne distingue rien. Hormis cette impression persistante d'être observée. C'est alors que je le remarque. Le chant des cigales a cessé. La cause ? Un prédateur. Et je redoute d'en être la proie. Je me suis terrée un peu plus profond contre mon arbre comme si ce dernier pouvait m'engloutir et me soustraire à cette nouvelle menace. Cela n'arriva pas.
En revanche je les vois enfin. Des yeux verts vifs. Doués d'intelligence. Deux orbes d'animaux. Des pupilles de félins. Deux paires de yeux qui me fixent nullement gênées par la noirceur ambiante. Je jure entre mes dents. J'aurais pu réciter un sort. Probablement. Mais lequel ? Et surtout à quel prix ? Mentalement je me repasse les cours enseignés par Nana. Mais je ne trouve rien. Pas de sortilège pour se débarrasser d'une bête qui semble avoir une furieuse envie de vous dévorer histoire de voir si vous avez le même goût qu'une biche. A vrai dire je ne suis pas plus étonnée que ça. Mes connaissances magiques sont assez limitées. Car je suis incapable de me maîtriser. La magie nécessite un certain self contrôle que je n'ai pas. Et sans doutes que je ne parviendrais jamais réellement à l'obtenir. Mes pouvoirs sont plus puissants que moi. Ce sont eux qui font la loi. Je ne suis qu'un réceptacle entre leurs mains avides. Un vulgaire fétu de paille qui risque de s'embraser face à sa propre puissance.
Tout simplement parce que je suis une sorcière instable. Le plus grand danger qu'il puisse exister pour le Monde et probablement pour moi-même. Aucun remède. Juste une bombe à retardement qui risque de tout dévaster sur son passage. Une erreur de la nature. Rien de plus rien de moins. Même parmi ma propre espèce je serais une paria. Ma place n'est pas auprès des sorcières. Et je ne suis pas tout à fait humaine non plus...
Un rugissement féroce fend soudainement l'air figeant mes pensées dans un cocon de frayeur. Mais grâce à une éclaircie dans le ciel je la vois. Cette masse sombre qui fond sur moi. Prête à ne faire qu'une bouchée de moi. Prête à m'anéantir sans autres formes de procès.
Une panthère noire sublime si elle ne signifiait pas ma mort prochaine...
Je me remets prestement sur pieds peu encline à me laisser déchiqueter sans réagir. Ce n'est pas parce que je ne peux pas compter sur ma magie que je vais lui faciliter la tâche. Si elle veut me manger elle devra bien s'accrocher. Parce que je compte bien me battre jusqu'au bout pour protéger ma liberté. Je ne suis pas parvenue aussi loin pour terminer dans l'estomac d'une panthère ! Je me saisis d'une grosse branche d'arbre que j'avais ramassé en chemin. Une arme de fortune. Mais c'est mieux que rien. Et parfois il suffit d'un petit rien pour renverser la tendance et transformer une situation désespérée en opportunité.
Je lève mon bras haut, prête à frapper le félin qui retrousse les babines en feulant. Ses pattes sont repliées en position d'attaque. Mais à mon plus grand étonnement la panthère noire s'assoit tranquillement, sans me quitter du regard. Et elle rapetisse. Sa forme se disloque. S'efface. Comme si ses contours devenaient brusquement flous pour laisser place à d'autres.
L'animal redoutable se transforme sous mes yeux écarquillés. Il devient humain. Homme. Et je reconnais cette personne. Cet air narquois. Ce menton droit. Ces pommettes. Lord Alexander. Et vous voulez savoir ? Je ne crois pas au hasard. Sa présence ici n'a absolument rien d'une étrange coïncidence. Et elle ne peut vouloir dire qu'une chose : il est là pour moi. Je n'ai pas oublié. Il veut une sorcière. Une esclave. Mais ce ne sera pas moi.
- Comme nous nous retrouvons petite Lucy, engage-t-il la conversation sur un ton badin comme si de rien n'était.
Je grince des dents et abat mon bout de bois sur sa tête alors qu'il s'est rapproché de moi. Ne s'y attendant pas il se prend mon attaque de plein fouet en grognant. Il s'empresse de s'éloigner en portant la main à son nez duquel goutte du sang carmin qui se perd dans le sol boueux. La terre rougit mais je le sais plus que je ne le vois. Je suis totalement concentrée sur mon opposant. Lui aussi alors. Il est enchanté. Mais ce n'est pas un sorcier non ça j'en suis certaine. Pourtant je n'avais jamais vu une telle chose de ma vie. A quelle sorte d'espèce magique appartient-il ?
- Je ne suis pas petite, rétorquais-je piquée au vif ne sachant quoi dire d'autre.
- Tu m'as défoncé le nez pour ça ?
- Non parce que tu es nu et qu'accessoirement je ne te fais pas confiance.
Il baisse alors les yeux et hoquète en se rendant compte de ce détail fortuit qui ne lui avait clairement pas effleuré l'esprit. Il grommèle une phrase incompréhensible en trifouillant un anneau à son doigt seul vestige ayant survécu à son changement de forme. Par quel miracle ? Excellente question. Toujours est-il qu'immédiatement après il est affublé d'une chemise blanche et d'un pantalon foncé. Classique mais suffisant. De surcroît cela lui donne un petit côté sauvage plutôt attrayant. Je déglutis difficilement n'osant pas croiser son regard mal à l'aise.
- C'est bon ? Tu peux baisser ta super arme maintenant non ? s'enquiert-il en désignant d'un mouvement de la main mon bâton.
Je feins de réfléchir un instant. Le temps pour moi de parcourir mentalement les options qui s'offrent à moi. Jouer aux écervelées ou le défier. Mon âme m'enjoint de choisir la seconde option. Mais cela ne me semble pas des plus aviser. Pas dans mon état. N'oublions pas que je ne suis pas au top de ma forme.
- Donne-moi une seule bonne raison de le faire, de t'écouter et de te faire face totalement désarmée, cherchais-je à gagner du temps.
- Si je te voulais du mal je serais resté sous ma forme animale.
Il n'a pas tort. Et il le sait. Mais pour ce que ça vaut j'ai vécu pire que la douleur physique. Il y a bien pire. Tellement de façon d'exploiter une personne. De fouiller en elle en quête de la plus petite faille pour en tirer profit. Et des failles je sais que j'en ai. Déterminée je le confronte finalement.
- T'attends-tu vraiment à me faire baisser ma garde juste avec ça ?
- Tu es dure en affaire, se plaint-il en se passant la main dans ses cheveux histoire de les ébouriffer plus qu'ils ne le sont déjà.
- Qu'est ce que tu fais ici ? repris-je en poursuivant l'interrogatoire que j'ai décidé de commencer.
- Je te cherchais, admet-il en écartant les bras comme démuni du moins en apparence.
- Pourquoi ?
- Tu es une sorcière, et ce n'est pas le moins du monde une question mais une affirmation
Il est certain de ce qu'il avance. Pourtant il n'a pas de preuves. Il n'a pas été témoin de ma magie. Je peux le certifier.
- Les sorcières n'existent pas, fis-je semblant de m'indigner.
- Tu fais une très mauvaise actrice je trouve. Sache que tu rougis quand tu mens et que de surcroît ton cœur lui ne ment pas. Et il bat plus vite, explique-t-il face à mon air perdu.
- Je ne suis pas une sorcière, repris-je en essayant de faire passer toute la force de mon désarroi dans mes mots.
Dans un sens c'est la vérité. Je n'en suis pas une. Et je n'en serais jamais totalement une. Pour le meilleur et le pire. Pourtant il ne me croit pas. Il a déjà une opinion toute préconçue à mon sujet. Et rien de ce que je pourrais dire ne pourra y changer quoique ce soit.
- Alors comment expliques-tu l'incendie de ton manoir ? Ce n'était pas un accident. Et ces flammes n'avaient rien de naturelles !
La tête me tourne. Je suis pris dans un étau. Pris dans un tourbillon infernal qui ne semble pas vouloir me laisser partir. A croire que je ne pourrais jamais totalement m'échapper. Quelle utopie ! Évidemment qu'on ne peut pas fuir son passé. C'était illusoire. Et impossible.
- Alors ? me relance l'homme-animal face à mon mutisme soudain. Je t'écoute, tente ta chance peut être que cette fois tu réussiras à me berner.
- Je n'ai pas provoqué cette incendie si c'est ce que tu insinues, répliquais-je acerbe en resserrant ma prise sur ma branche comme si cela pouvait m'aider à canaliser ma rancœur et mon chagrin. C'est de ma demeure dont on parle et tu dis que j'aurais sciemment condamné les personnes que j'ai côtoyé toute ma vie ? Mais tu te trompes. Tu vois la cendre dont je suis recouverte ? C'est tout ce qu'il me reste de ce que j'ai été. C'est le dernier vestige de mon passé. Il n'existe plus rien d'autre que cette poussière grisâtre.
- Tu n'en avais pas l'air si affectée tout à l'heure pourtant. Quand tu as couru sans te retourner.
- Et que voulais-tu que je fasse ? Qu'est ce que j'aurais bien pu faire contre ces flammes ravageuses ? hurlais-je alors que mon regard se voile d'horreur en y repensant.
- Je ne sais pas mais là n'est pas la question parce que tu n'as même pas essayé. Ces gens tu les as lâchement abandonné.
- Et que veux-tu entendre ? rugis-je ne supportant pas les accusations proférées à mon encontre. Oui je suis heureuse ? Oui ça me fait plaisir de savoir que je peux recommencer ma vie ? Et non je n'ai aucuns remords ? Dans ce cas désolée de te décevoir mais tu te trompes. J'ai des regrets j'aurais préféré que les choses se déroulent autrement mais c'était eux ou moi. Ça l'a toujours été. Ils n'auraient pas hésité à me laisser brûler dans cet enfer si le cas inverse avait eu lieu. Je ne pouvais rien pour eux. Je pouvais à peine assurer ma propre survie.
- Bon sang tu es une sorcière bien sûre que tu pouvais les sauver ! Tu as créé cet incendie parce que tu le voulais et tu es partie voilà la vérité est-ce si dur à admettre ?
- Ça suffit ! En quoi est-ce si important pour toi ? Qu'est ce que ça t'apporte de salir ainsi mon honneur ?
- Je veux juste que tu comprennes une chose, tu peux nier autant que tu le veux je n'en démordrai pas. Tu es une sorcière et tu n'as pas ta place ici ni nulle part ailleurs. Autant te faire à l'idée ce n'est pas un monde pour toi dehors. Ni pour une noble ni pour une putain d'enchanteresse ! Une salope magique !
Un feulement sortit du fin fond de sa gorge. Comme une menace voilée. Menace à laquelle je ne suis pas sourde. Il voue une haine sans équivoque à ce que je représente. Il ne me laissera pas lui filer entre les doigts. Jamais. Et à la fin de la chasse je ne suis pas sûre que je serais indemne.
Dans mon cœur pulse la colère. Sourde. Violente face à ses paroles âpres. Le démon qui se terre dans mon sein n'est jamais bien loin. Toujours là à la surface, insaisissable et si indomptable. Il attend une opportunité de prendre le contrôle. Si je ne fais pas attention il s'en saisira et exterminera tout le reste. Un moment de faiblesse c'est tout ce qu'il lui faudra. Et alors je ne donne pas cher de la survie de ce lord mais de bien d'autres personnes. Je suis un volcan, pour le moment en sommeil mais quand viendra l'heure la lave recouvrera tout.
Au prix d'un immense effort je parviens tout juste à le museler, ce démon. Mon démon. A me retenir. A contenir jusqu'à la plus infime goutte de magie. Je ne lui donnerais pas ce plaisir. A ce lord prétentieux et imbuvable. Il n'aura pas la satisfaction que je lui serve sur un plateau d'argent la preuve qu'il lui manque de ma véritable nature.
- Tu peux me traîner dans la boue, me traiter de tous les noms, débitais-je rapidement avec une frustration grandissante. Tu peux peut-être même m'éliminer. Mais tu ne vaux au final pas mieux que ce que tu décris de moi. Toi aussi tu ne cadres pas avec le décor. Tu es une créature, tu es un monstre autant que cette sorcière que tu crois que je suis. Alors ne viens pas me donner des leçons de vie et encore moins me dire que je n'ai rien à faire dehors. J'ai mérite d'être libre plus que toi. Je l'ai acquis et je ne comptes pas laisser quiconque me retirer ce privilège dont j'ai été privée depuis bien trop longtemps à mon goût !
Un moment de flottement. De ceux qui précèdent des révélations fracassantes. Puis un éclat de rire, il se paie ma tête.
- Oh non il y a méprise j'exècre les sorcières, vous êtes des êtres vils mais les changelins ont beau être en partie des animaux nous seront toujours plus humains que vous !
Ainsi donc il est un changelin. Aussi connu sous le nom de métamorphe. Un être à deux cœurs. Un bestial. Un d'homme.
- Toute cette discussion n'a aucun sens ! repris-je repoussant mes pensées concernant sa nature. Tu me détestes ? Très bien alors laisses moi partir et je te jure que plus jamais tu ne croiseras mon chemin.
- Une sorcière qui s'abaisse aussi bas, qui promet de disparaître pour toujours ? murmure-t-il surpris, plus pour lui que pour moi. Vous êtes vraiment prêtes à tout pour sauver votre peau. Manque de chance ensorceleuse il se trouve que j'ai besoin de toi et tu vas gentiment me filer un coup de main en échange de mon pardon !
Me soumettre. C'est la seule option qu'il me propose. Lui obéir. Renoncer. M'abandonner toute entière à son bon vouloir. Mais je ne lui dois rien. Et je n'ai que foutre de son pardon ou de sa pitié. Il ne m'enchaînera pas à lui. Je me rappelle de sa conversation avec ma mère. Il veut une sorcière. Mais il n'acceptera jamais que cette dernière soit libre. Je le lis dans ses yeux qui étincellent sauvagement dans la nuit. Je le lis dans sa posture audacieuse et inflexible. Je le lis sur lui. En lui.
- Tu peux toujours crever ! crachais-je nullement intimidée par ses revendications.
- Pas tout de suite petit cœur, se moque ce lord de pacotille mais malgré tout je vois s'illuminer une lueur de froideur sur son visage.
- Je ne te suivrais jamais et il est hors de question que je te file un coup de main. Peu importe la raison. Je ne suis pas un objet que tu peux traiter comme une moins que rien et ensuite utiliser selon ton bon vouloir.
- Oh que si c'est exactement ce que tu es et un petit conseil pour la route, tu ferais bien de t'y habituer de suite parce que ce n'est que le début !
- Jamais tu ne me soumettras ! hurlais-je une nouvelle fois avec vigueur.
- C'est ce qu'on verra ! me promit-il poussant même la comédie jusqu'à me lancer un clin d'œil appuyé. Ça m'est égal de devoir te casser un peu avant.
- Je suis déjà brisée alors bon courage ! le défiais-je avec toute la mauvaise foie dont je dispose encore.
Et ensuite ? Un trou noir m'a avalé toute entière.
***
Coucou tout le monde je publie en express un tout nouveau chapitre rédigé tout droit de l'avion rien que pour vous alors bonne lecture ! Ce qui explique l'absence de mise en page je m'excuse mais avec ma tablette ce n'est pas très pratique...
En image l'idée que je me fais d'Alexander il vous plait ? ;)
Que pensez-vous de lui d'ailleurs ?
Croyez-vous que notre petite Lucy aura le droit au bonheur ?
Que va-t-il lui arriver ?
La suite très bientôt...
Et n'oubliez pas
Amusez-vous,
Lisez,
Votez,
Commentez !