Rimbaud et Lolita

By OhMyLonelyMonster

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La disparition de la jeune Nola Kellergan, tout le monde l'a oubliée, à Aurora. Ça se comprend, l'affaire rem... More

blurb
disclaimer
prologue
un // mouettes
deux // carottes
trois // cafés
quatre // équation
cinq // pluie
six // boîte
sept // monstre
huit // amertume
neuf // photographie
petit mot de l'auteure
dix // médisances
onze // vérité
douze // vengeance
treize // maison
quatorze // millard
quinze // lâche
seize // bébé
dix-sept // point de non-retour
dix-huit // embarras
dix-neuf // fantôme
vingt // corps
vingt-et-un // inopiné
vingt-deux // parias
vingt-trois // mère
bonus // océan mer
vingt-quatre // colère
vingt-cinq // winston
vingt-six // manuscrit
vingt-sept // sweet sixteen
vingt-huit // pénultième (1)
vingt-huit // pénultième (2)
vingt-neuf // glas
trente // rideau
trente-et-un // calamité
trente-deux // adieux
trente-trois // magouilles
trente-quatre // canada
trente-six // twitter
trente-sept // alma
trente-huit // retrouvailles
bonus // montages photos
trente-neuf // règle d'or
quarante // dorian gray (1)
quarante // dorian gray (2)
épilogue
the end...or is it?
des mouettes et des hommes

trente-cinq // déchéance

817 89 86
By OhMyLonelyMonster

Enlighten Me, Grouplove

— Pour résumer, on est dans la merde jusqu'au cou! Pire encore : jusqu'au front!

Le magnat de l'édition américaine donna un bon coup de poing à son bureau, et la tasse de café devant lui menaça de se renverser sous l'impact. Le prodige des lettres américaines ainsi que son agent littéraire avaient été convoqués très tôt ce matin dans les bureaux de la maison d'édition Schmid & Hanson, gratte-ciel très urbain de vingt-deux étages composé de murs en verre et de larges baies vitrées.

La vue sur la ville de New York était saisissante, mais aucun des trois hommes n'était d'humeur à s'émerveiller du paysage qui s'offrait à leurs yeux cernés. Ils étaient bien trop préoccupés par la catastrophe médiatique qui s'abattait à l'heure actuelle sur le nouveau roman de Marcus Goldman. En librairie depuis hier seulement, le livre avait récolté de maigres ventes malgré une campagne publicitaire du tonnerre pendant les derniers mois et des réactions enthousiastes lors de son lancement.

C'en était incompréhensible, jusqu'à ce que la secrétaire de Barnaski découvre le pot aux roses : l'un des invités de la fête avait filmé et posté sur YouTube les échos de la dispute entre Harry et Marcus, qu'on parvenait à entendre distinctement à travers la porte fermée du bureau. Plus loin dans la vidéo, on voyait Harry tenter d'étrangler Marcus contre le mur, puis Marcus qui demandait à tout le monde de s'en aller, sans même faire les dédicaces tant promises.

Bref, la vidéo avait eu un effet boule de neige sur Internet, et plus des trois quarts des lecteurs de Marcus avaient décidé sur un coup de tête de se serrer les coudes contre cet affront (qu'ils étiquetaient comme un comportement de diva et un haut manque de respect de sa part envers tous ses lecteurs) et de boycotter le livre. Résultat : les ventes peinaient à décoller.

— Eh bien, messieurs? s'impatienta Barnaski. Vous n'avez donc rien à dire pour votre défense?

Assis sur des fauteuils ronds, Marcus et Douglas s'échangèrent un regard discret mais appuyé. Évidemment que Barnaski chercherait à les accuser de ce délicat problème.

Marcus tenta un sourire maladroit, qui s'apparenta davantage à une grimace qu'à autre chose, mais ne répondit rien au courroux de son éditeur. Il baissa le regard sur ses Converse noires. Tout à l'heure, en s'habillant, son cerveau embrumé par les relents d'alcool de la veille lui avait soufflé que ça serait drôle d'enfiler ses vieilles baskets plutôt que ses chaussures italiennes pour sa rencontre avec son éditeur, prévue à 8 h ce matin. Maintenant qu'il avait dessaoulé, il voyait sa soi-disant blague d'un tout autre œil.

Avec son début de barbe et son t-shirt de Guns N' Roses (le premier qui lui était tombé sur la main), il ressemblait à un redoublant revêche qui aurait fait une énième connerie en classe, et Barnaski, à son directeur sévère et mécontent. Il se frotta l'œil de son poing fermé; la fatigue le rattrapait, et son mal de tête au réveil — que deux comprimés avaient suffi à anesthésier — repointait le bout de son nez. Le salaud.

Douglas replaça d'une main la monture de ses lunettes rectangulaires, puis gratta d'un geste machinal son menton enrobé de pansements, héritage de son combat contre Harry Quebert. Avec un sourire maladroit, il essaya de détendre l'atmosphère :

— Dans la merde jusqu'au front? Wow, ça veut dire qu'on se noie dans une mer d'étrons? Quelle mort glorieuse.

Barnaski le fusilla du regard.

— Dites donc, Claren, vous êtes l'agent littéraire de Goldman ou un collégien boutonneux en pleine puberté?

Douglas balaya l'air de la main.

— Un peu d'optimisme, Barnaski. À vous entendre, tout est déjà fichu.

La colère de Barnaski monta d'un cran.

— Mais bordel de merde, réveillez-vous! Tout est déjà fichu. Pour ça, on peut vous remercier, Goldman. Vous vous êtes donné en spectacle devant une bonne cinquantaine d'invités, et voilà le résultat.

Il se mit à applaudir de manière sarcastique le jeune écrivain qui avec une moue désintéressée se contenta de fixer du regard ses Converse sales. S'il était devant Barnaski ce matin, c'était uniquement parce que Douglas l'avait forcé. Autrement, il serait volontiers retourné dans les bras de Morphée jusque tard dans l'après-midi. Et pourquoi pas? Il n'avait aucune raison d'affronter la vie.

Aucune raison — et aucune envie non plus — de sauver son livre. Il l'avait mis au monde, à lui de se débrouiller pour survivre dans ce monde de sauvages. Son sort lui importait peu. Plus rien ne lui importait, à vrai dire.

— Goldman, vous savez ce qu'achètent des lecteurs mécontents? C'est exact, rien du tout! Or, j'ai misé pas mal de pognon pour la promotion de votre bouquin, j'en ai fait tirer des millions d'exemplaires un peu partout à travers le pays. Que se passera-t-il si je me mets soudainement à perdre de l'argent à cause de vous?

Marcus haussa les épaules, de plus en plus las de cette réunion.

— Un livre, ce n'est pas un produit de consommation, murmura-t-il. Un livre, c'est de l'art. Respectez l'art, Barnaski.

Évidemment, c'était la mauvaise réponse. Son éditeur éclata d'un rire sans joie, et une grosse veine — chenille hyperactive — frétilla sur sa tempe gauche.

— Un livre, c'est de l'art, respectez l'art, Barnaski, le singea-t-il d'une voix aiguë. Non mais, dans quel monde vivez-vous, Goldman? Un livre est un produit de consommation pur et dur, au même titre qu'un film. L'art tel que vous le concevez avec votre âme de poète maudit n'existe plus au XXIe siècle, enfoncez-vous-le dans le crâne une bonne fois pour toutes. Cessez de croire les conneries que Quebert vous a inculquées, vous n'êtes plus un gosse.

Marcus releva brusquement la tête et posa ses mains à plat sur le bureau devant lui. Il se leva à moitié et grogna :

— Je vous interdis de me parler de Harry sur ce ton!

Barnaski, un sourire mauvais sur les lèvres, s'adossa au large dossier de son fauteuil en cuir.

— Qu'est-ce que ça peut vous faire? rétorqua-t-il. Vu votre dispute de l'autre soir, je pensais que c'était fini, vous et lui.

Alors que les choses s'envenimaient, Douglas se leva à son tour et posa la main sur l'épaule de son ami pour l'inciter à se rasseoir.

— Et c'est moi que vous accusiez il n'y a pas cinq minutes d'être un collégien boutonneux, Barnaski? On est ici pour trouver une solution à notre problème commun, pas se disputer comme des adolescents prépubères.

L'éditeur leva les mains, paume ouvertes.

— À la bonne heure! Moi, je n'attends que ça depuis que vous êtes arrivés, les nargua-t-il.

Marcus serra les poings. Si Douglas ne le retenait pas, ça ferait longtemps qu'il se serait jeté sur son « patron » pour donner la raclée de sa vie. Il le méritait, lui et son sourire plein d'arrogance et de mesquinerie. Pourquoi Harry ne l'avait-il pas averti, à l'époque où il était son étudiant, que la littérature contemporaine était régie non plus par le talent mais par le potentiel de vente uniquement? Il fronça les sourcils. Pourquoi? Mais parce que Harry aimait garder ses petits secrets pour lui. Parce que Harry était une imposture sur pattes.

À cette pensée, il sentit une nouvelle vague de fatigue le submerger. Il se laissa tomber sur sa chaise sans plus de cérémonie, le regard triste. Douglas lui jeta un regard de pitié qu'il se fit un plaisir d'ignorer.

— Écoutez, les filles, ironisa le châtain. La solution est simple, il me semble : organisons une grande séance de dédicaces pour que les gens cessent d'associer Marcus au stéréotype de l'auteur trop snob pour rencontrer ses lecteurs.

Barnaski roula les yeux.

— C'est bien beau, mais qui se déplacera pour rencontrer Marcus Goldman, hum?

— Plein de gens, répliqua Douglas, sûr de lui. Il suffit de préciser dans le communiqué de presse qu'il est désolé de la façon grossière dont il s'est comporté ce soir-là. Qu'il ne se sentait pas bien et qu'il a préféré reporter les dédicaces à un autre jour, tout simplement.

Marcus haussa les épaules, désinvolte.

— Mouais, pourquoi pas? Ce n'est pas comme si on avait le choix, après tout.

— Très bien, faisons cela, bougonna Barnaski, lui non plus peu convaincu. Ça a intérêt à marcher ou on se retrouvera tous en cour pour que vous me remboursiez tous les dollars investis dans votre bouquin, Goldman.

L'affaire conclue, Marcus et Douglas prirent congé de Barnaski et s'engouffrèrent en silence dans la cage d'ascenseur. Pendant qu'elle les menait au rez-de-chaussée, Marcus sortit son portable de sa poche et soupira bruyamment. Au regard interrogatif de Douglas, il expliqua :

— Daisy essaie de m'appeler depuis hier.

— La petite rouquine?

Marcus opina de la tête pendant qu'il éteignait son portable.

— Tu ne veux pas lui parler? s'étonna Douglas.

— Non.

Au même moment, ils s'arrêtèrent au onzième étage, et les portes coulissantes s'ouvrirent sur trois employés de bureau en train d'essayer de capter du réseau. Les yeux embrouillés par la fatigue, ils remarquèrent à peine la présence de Marcus et Douglas, qui se collèrent aux parois de la cage d'ascenseur pour leur faire de la place, avant qu'elle ne se remette en branle d'un coup sec.

Maintenant qu'ils n'étaient plus seuls, Douglas n'osa plus le questionner sur Daisy, et c'était tant mieux. Sa décision était prise, il n'avait pas envie de tourner le couteau dans la plaie. Hélas, son répit ne dura pas. Dès qu'ils débouchèrent sur Broadway, parmi la foule imposante de touristes, son ami revint à la charge :

— Alors, qu'est-ce qui se passe avec cette Daisy?

Bien qu'il ne soit qu'onze heures passées, le soleil combiné à la foule compacte le faisaient transpirer. Il s'épongea le front du revers de sa main.

— Il ne se passe rien du tout. Fiche-moi la paix avec ça, Doug, tu veux?

Sur ce, il lui tourna le dos et se dirigea d'un pas leste vers sa voiture stationnée pas très loin. Il vivait au Village, alors en trente minutes, il arriverait à son appartement, où ses bagages l'attendaient.

En arrivant hier à New York, il les avait tous balancés dans sa chambre sans y toucher, après quoi il avait envoyé un sms à Douglas pour lui intimer de passer chez lui quand il le pourrait; il voulait vider son sac par rapport à sa récente rupture et n'avait personne d'autre à qui se confier.

Quelques heures plus tard, Douglas était arrivé chez lui et l'avait découvert en train de sangloter, assis en tailleur à même le sol, une bouteille de vodka vide dans les mains. Il se souvenait avoir gémi qu'il s'ennuyait de Winston avant que Douglas ne lui enlève la bouteille vide des mains et soupire :

— Ce n'est pas de Winston dont tu t'ennuies, gros con.

Par la suite, il avait dû s'endormir comme un bébé, car il s'était réveillé le lendemain matin, roulé en boule dans son lit. Sur sa table de nuit l'attendait un verre d'eau et deux cachets, qu'il avait tout de suite avalés, reconnaissant mais intrigué.

Il était sorti de sa chambre pour savoir qui était son bienfaiteur et avait trouvé Douglas assis sur le canapé, un livre à la main. Ça ne pouvait que signifier qu'une seule chose : c'était lui qui l'avait mené jusqu'à son lit. Il était ensuite resté dans son appartement pour veiller sur lui. Devant sa mine stupéfaite, Douglas avait haussé les épaules.

— Il faut bien que quelqu'un s'occupe de toi, tu es incapable de le faire toi-même.

Il leur avait ensuite préparé des œufs et du bacon, qu'il était parvenu à faire cramer (et qu'ils avaient tout de même mangés), puis l'avait traîné de force aux bureaux de Schmid & Hanson pour leur rendez-vous avec Barnaski.

Résultat, ses bagages attendaient encore d'être défaits. Comme il n'avait rien de prévu pour le reste de la journée, autant s'en occuper tout de suite plutôt que de ressasser ses idées noires.

Il marchait d'un pas rapide vers sa voiture, et son ami courrait pour le rattraper, bien trop curieux pour abandonner son interrogatoire sur Daisy. Moins sportif que lui, cependant, le pauvre commençait à haleter comme un chien.

— Mais si, il se passe quelque chose, insista-t-il à bout de souffle. Tu t'es disputé avec elle aussi?

Marcus soupira bruyamment et fit volte-face. Comme l'imbécile ne le laisserait pas tranquille jusqu'à ce que sa curiosité soit rassasiée, autant tout lui révéler. Douglas, tout essoufflé, replaça sa paire de lunettes qui avait glissé sur son nez pendant qu'il courait.

— Tu veux savoir ce qui se passe? C'est très simple. Je n'ai pas l'intention de retourner à Aurora.

Le binoclard fronça les sourcils.

— Et la petite? Attends, tu comptes garder contact avec elle?

Marcus grimaça et secoua la tête.

— Pour ça, je devrais continuer à vivre à Aurora... et c'est impossible, maintenant.

— Vous pourriez vous envoyer des mails?

Marcus haussa les épaules.

— Ce ne serait pas pareil.

— Je parie que tu n'as pas eu les couilles de lui en parler, le fronda le châtain. Tu as préféré foutre le camp comme un lâche, n'est-ce pas?

— Elle est assez grande pour comprendre par elle-même qu'après ce qui s'est passé, j'ai besoin de m'éloigner d'Aurora, se défendit Marcus. Ouais, je pourrais lui rendre visite de temps en temps, mais au fond, ça nous ferait plus de mal que de bien. Et puis, retourner là-bas alors que je risque de tomber sur Harry? Non merci.

Douglas leva les yeux au ciel.

— Tu n'avais qu'à entamer des procédures judiciaires contre lui, les flics l'auraient foutu en prison et tu aurais eu la paix pendant un an ou deux. Il n'est peut-être pas trop tard pour le faire...

— Doug, laisse tomber, je t'ai dit.

Marcus se remit en route de fort mauvaise humeur, Douglas sur les talons. Un vrai pot de colle, celui-là.

— Fais pas le con, Marcus. Pourquoi tu veux foutre en l'air ton amitié avec la rouquine? Qu'est-ce qui a bien pu se passer avec Harry pour que tu en arrives là?

Marcus serra les poings et continua son chemin sans même lui répondre. Encore quelques mètres et il déboucherait sur le stationnement où il avait garé sa voiture tout à l'heure. Quant à Douglas, il se débrouillerait pour rentrer chez lui par ses propres moyens, pas question de l'inviter à bord ou l'interrogatoire ne prendrait jamais fin.

Il était conscient de blesser Douglas, qui ne voulait que son bien au final, mais comment pourrait-il lui expliquer ce qui s'était passé sans lui révéler du même coup le terrible secret des Origines du mal? Comment pourrait-il soutenir par la suite le regard choqué et déçu de son ami chaque fois que le nom de Harry Quebert serait prononcé?

Que les choses soient claires : il ne lui pardonnerait sans doute jamais d'avoir volé un manuscrit, mais pour une raison qu'il ignorait, l'idée que l'homme qu'il avait aimé — qu'il aimait? — soit traîné dans la boue pour ses erreurs passées lui était intolérable.

— Marcus, je veux juste essayer de comprendre.

— Bah, je n'ai pas envie de t'expliquer, s'irrita Marcus. Alors arrête de m'emmerder avec ça, okay?

— Wow, belle façon de traiter tes amis. Tu...

Douglas s'interrompit soudain et chuchota :

— Oh, merde. Marcus, ne regarde surtout pas à ta gauche.

Évidemment, Marcus regarda à sa gauche. Comme Douglas avant lui, il s'arrêta de marcher d'un coup sec, les yeux si exorbités qu'ils menaçaient de sortir de leurs orbites.

Lydia et Lionel Gloor, facilement reconnaissables à leur haute stature et leur chevelure blonde, sortaient d'une boutique de disques vinyles et tentaient de se frayer un chemin parmi la fourmilière de touristes. Derrière eux venaient deux journalistes armés de micros et d'appareils photo.

— On se barre, Marcus. Si les journalistes te voient, ils vont venir t'embêter, parce que c'est clair qu'à cause de la vidéo, ils sont au courant que Harry et toi vous êtes disputés.

— Trop tard, Doug.

Les jumeaux Gloor, sentant qu'on les observait, avaient tourné la tête vers eux. S'ils ne s'attardèrent pas sur Douglas, ils fixèrent longuement Marcus du regard. Ils l'avaient reconnu. Contre toute attente, Lydia leur envoya la main. Sans surprise, les journalistes tournèrent eux aussi la tête vers eux. Ça y était, ils étaient fichus.

— Merde, ils viennent par ici, grinça Marcus.

Il avait complètement oublié sa querelle avec Douglas tandis qu'il observait avec angoisse son ex et son frère se diriger vers eux, avec dans leur sillon les deux rapaces de journalistes qui brandissaient déjà leurs appareils photo pour ne rien manquer de leurs retrouvailles.

Pendant que les jumeaux s'approchaient d'eux, Marcus et Douglas comprirent bien vite que les jumeaux se disputaient. Leurs échos de voix leur parvenaient :

— Tu es folle! criait Lionel. Ne va pas lui parler!

— Tu n'as pas à me dire ce que je peux ou ne peux pas faire! De toute façon, tout est de ta faute.

Ils ne se trouvaient plus qu'à quelques mètres de Marcus et Douglas.

— Ha! C'était peut-être mon idée, mais tu étais d'accord pour le faire, tu en étais même ravie!

Cette fois, Lydia se retourna vers lui, les poings serrés, et hurla :

— Tu m'as manipulée! Je souffrais et tu en as profité!

Plusieurs têtes se tournèrent vers les jumeaux. On ne tarda pas à reconnaître l'actrice Lydia Gloor en train de s'égosiller comme une folle, elle semblait même sur le point de frapper son frère. C'est là que Marcus se décida à intervenir. La pauvre était en train de s'humilier publiquement. Malgré la façon dont il s'était joué d'elle, il ne l'avait jamais détestée. Il n'avait rien contre elle. Elle n'avait été qu'une victime collatérale dans cette histoire.

Alors il s'avança vers les jumeaux, et tant pis pour les journalistes.

— Lydia, calme-toi, tout le monde te regarde.

Au son de sa voix, la jeune femme se retourna. Un faible sourire naquit sur ses lèvres barbouillées de rouge.

— Oh, salut Marcus! C'est vraiment extraordinaire que tu sois de retour à New York. Hem, si ça ne te dérange pas, est-ce qu'on pourrait se parler deux minutes?

Avant qu'il n'ait pu lui répondre, Douglas, qui venait de rejoindre le petit groupe, leur souffla :

— Attention, les journalistes...

Depuis qu'il les avait aperçus, il n'avait pas quitté le regard des deux bonshommes, qui se tenaient à l'écart mais qui n'avaient aucune intention de s'en aller, leurs appareils photo dégainés. Lionel se passa la main dans les cheveux, son regard exaspéré.

— D'accord Lydia, tu as gagné. Dis-lui tout, puisque c'est ce que tu veux. Moi, je m'occupe de ces messieurs.

Sa sœur lui sourit en guise de remerciement, puis il marcha d'un pas assuré vers les journalistes qui, penauds, baissèrent aussitôt leurs appareils photo. Il s'exclama d'une voix trop enjouée pour être sincère :

— Bonjour messieurs! Belle journée, n'est-ce pas?

Pendant qu'il les distrayait, Lydia se tourna vers Marcus et Douglas qui la regardaient, médusés.

— Lionel s'occupe de ces deux-là, soupira-t-elle en jetant un œil à son frère, mais il en arrivera d'autres si on reste ici. Ma voiture n'est pas très loin, on y sera mieux pour discuter.

Marcus fronça les sourcils.

— Euh, d'accord.

Sans s'assurer qu'il la suivait, elle tourna les talons. Douglas pencha la tête sur le côté.

— Je suppose que je ne suis pas invité?

Marcus tapota son épaule.

— Désolé, Doug. Tiens-moi au courant de la séance de dédicaces, d'accord?

Sans un mot de plus, il courut pour rejoindre Lydia qui venait d'emprunter une petite rue adjacente à un restaurant et une boutique de souvenirs, rue qui menait tout droit à un stationnement payant.

Ils gardèrent le silence pendant qu'ils marchaient, Lydia devant, Marcus à sa suite. Ce n'est que lorsqu'ils s'installèrent dans la Mini Cooper rouge de la jeune femme que la conversation reprit :

— Alors, qu'est-ce qui t'amène à New York? lui demanda Lydia en mettant le moteur en marche.

Il répondit à sa question par une autre question :

— Tu m'emmènes où?

— Nulle part. On va se promener au hasard dans les rues de notre charmante ville, si ça ne te dérange pas.

Elle lui sourit et déclara d'une voix robotique :

— Mesdames et messieurs, merci d'avoir choisi le New York Tour. À la fin de la journée, vous connaîtrez la « Grosse Pomme » comme le fond de votre poche. Ici Lydia Gloor, votre sympathique guide touristique.

Il lui jeta un regard incrédule avant d'éclater de rire malgré lui. Un ange passa pendant qu'ils roulaient en silence. Derrière les vitres de la voiture, les nombreux passants agglutinés sur les trottoirs devenaient de lointaines formes floues qu'il ne parvenait à discerner les unes des autres.

— Pourquoi tu es si sympa avec moi? s'enquit-il brusquement. Tu n'as aucune raison de l'être.

Elle balaya l'air de la main, les yeux rivés sur la route.

— Écoute, Marcus, ça fait déjà plus d'un an... Une fois le choc passé, j'ai compris que ça ne servirait à rien de t'en vouloir jusqu'à ma mort, d'autant plus que notre relation avait duré... quoi? Quatre ou cinq semaines? C'est infime, dans une vie humaine.

— Tu ne m'en veux plus de t'avoir trompée?

Il n'arrivait pas à croire que la Lydia qui était assise à côté de lui était la même qui l'avait découvert dans les bras d'Alistair, dit Alice, voilà plus d'un an. Ça lui paraissait impossible. Et pourtant...

— Bien sûr que non, sourit-elle. Oh, je t'en ai longtemps voulu, je ne peux pas le nier. Je t'ai même haï. Tu m'avais utilisée comme couverture pour que personne ne découvre qui tu étais vraiment; je veux dire, tu aurais pu choisir n'importe quelle femme, mais c'était tombé sur moi. Je me sentais tellement... remplaçable.

— Désolé, murmura-t-il, sincère.

C'était facile de s'excuser, douze mois après après l'avoir poignardée dans le dos — façon de parler —, mais il ne voyait pas que répondre d'autre à sa tirade.

— L'important, je suppose, c'est que tu t'assumes enfin, pas vrai? J'ai eu vent de ta relation avec Harry Quebert.

Il l'observa un moment. Pas la moindre trace de moquerie sur son visage. Elle ne souriait pas, elle se contentait d'attendre une réponse de sa part, une main sur le volant, l'autre posée contre sa joue et son avant-bras sur la portière.

Il grimaça. Elle ne semblait pas encore au courant de sa récente rupture avec Harry, et tout sympathique puisse-t-elle être, il ne se sentait pas d'humeur à se confier à elle. Il haussa les épaules et répliqua, presque joyeux :

— Comme tout le monde, pas vrai?

— Ouais, j'imagine.

Le silence retourna jusqu'à ce qu'il s'enquisse à brûle-pourpoint :

— De quoi tu voulais me parler, Lydia?

Elle eut un sourire en coin. Sa voix lui paraissait triste, tout à coup :

— De ta relation avec Quebert, justement. À la base, ce n'était que des rumeurs, puis à la surprise générale, les rumeurs sont devenues réalité, à la seule différence que tu as l'air de l'aimer non pas pour son argent, mais pour sa personne. Ne te méprends pas, je suis contente pour toi, vraiment. Mais...

Elle s'interrompit, il fronça les sourcils. Avec une telle entrée en matière, il ne fallait pas être un génie pour deviner où elle voulait en venir. Seulement, il ne voulait pas l'envisager pour de vrai. Car ça ne pouvait pas être vrai. Elle ne pouvait pas avoir eu le culot de faire ça.

— Mais? releva-t-il, les yeux plissés.

— Mais devine qui les a lancées, ces rumeurs? chuchota-t-elle, les mains crispées sur le volant.

Elle n'osait même pas le regarder. Il lâcha d'un grand rire nerveux avant de l'applaudir, sarcastique.

— Eh bien, c'est du joli! D'un côté, Alice révèle aux journalistes que je suis homosexuel et de l'autre, tu répands des rumeurs selon lesquelles je me tape mon ancien prof de fac pour profiter de son compte en banque. Juste... wow.

Elle s'empressa de déballer d'une seule traite :

— C'était une idée de Lionel, je te le jure! Vu le caractère hautement improbable d'une relation entre Quebert et toi, il pensait qu'en plus d'être drôles, ces rumeurs te donneraient une bonne leçon. Tu comprends, tu pourrais facilement être son fils, Marcus.

Il porta son poing crispé à sa bouche; il se retenait fort de le balancer sur la boîte à gants devant lui, juste pour se défouler. Là, en ce moment, il réalisait que la seule personne qui aurait pu lui remonter le moral ou tout au moins le calmer, était Harry. Il lui sourirait de ce sourire serein et rassurant qui avait le don de l'apaiser, le serrerait contre lui et lui soufflerait à l'oreille qu'il ne fallait pas s'en faire, que tout irait bien.

Mais à l'heure actuelle, Harry était loin, et ce n'était pas vraiment le Harry qu'il connaissait, c'était un Harry lâche et manipulateur qui avait laissé ses ambitions le corrompre jusqu'à la moelle. Sans même s'en rendre compte, il mordit sa phalange repliée contre sa bouche; la douleur, d'une manière étrange, l'apaisa et lui permit de se concentrer sur le moment présent.

— Marcus, dis-moi quelque chose, le supplia Lydia. Tu commences à me faire peur.

Il cligna des yeux, lâcha sa pauvre phalange tatouée de la marque de ses dents. Il réalisa que la voiture ne bougeait plus; ils venaient d'arriver à un feu rouge.

Il prit une grande respiration et lui demanda d'une voix glaciale :

— Tu voulais me dire autre chose, Lydia?

La jeune femme ouvrit la bouche, prise au dépourvu.

— Euh, non?

Il lui lança un grand sourire forcé.

— Dans ce cas, ravi de t'avoir connue.

Sans plus de cérémonie, il sortit de la voiture — elle avait oublié de la verrouiller tout à l'heure — et claqua la portière. Aussitôt, les automobilistes tournèrent la tête vers lui, intrigués, pendant que Lydia s'époumonait :

— Marcus, reviens dans la voiture! Tu vas te faire tuer, merde!

Pour toute réponse, il lui brandit son majeur avec un sourire satisfait et juvénile et tourna les talons. Il regarda le feu de circulation : toujours rouge. Bien qu'il puisse verdir à tout moment, il marcha jusqu'au trottoir sans se presser, devant la parade de voitures qui attendaient de repartir. Il s'en moqua. Il aurait pu marcher devant le Pape ou le Dalaï-lama qu'il aurait fait preuve de la même apathie, de la même indifférence.

Quelques secondes après que son pied eut touché le béton du trottoir, le feu passa du rouge au vert, et la circulation reprit de plus belle. Il ignora les passants qui lui jetèrent de drôles de regards; un vieillard eut même le toupet de demander à sa femme s'il devait appeler la police.

Marcus dégaina son portable de sa poche non pas pour retrouver son chemin, mais pour se rendre au bar le plus près. Après toutes ces mésaventures, et bien qu'il soit midi passé, il avait sacrément besoin d'un verre. Ou de dix. 

Eh, plus que quatre chapitres avant la fin de cette histoire... (snif, snif) Juste comme ça, l'idée de Béatrice pour que Harry se rabiboche avec Marcus ainsi que le secret d'Aldous seront révélés au prochain chapitre, so stay tuned ;)

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