La théorie des cactus

By Imaxgine

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Logan, c'est le grand brun aux yeux bridés qui aime les drames, ceux qui se terminent par de longs dialogues... More

Avant-propos.
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Épilogue.
Mot de la fin.

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By Imaxgine


J'étais allongé sur mon lit, l'ordinateur posé sur les cuisses. Je n'avais pas beaucoup dormi cette nuit, tant cette histoire m'obsédait. Je voulais comprendre. J'avais quitté la maison de Sacha quelques jours auparavant avec cette vision de mon amie, recroquevillée, en pleurs, démolie. J'étais chamboulé, ça n'allait pas. Combien y avait-il de risque que Sacha tombe malade ? Pas beaucoup décidément, mais les statistiques s'étaient bien fichues d'elle.

J'ai appelé Sacha. Elle n'a pas répondu.

Sur internet, la rétinite pigmentaire était considéré comme une maladie causant la destruction progressives de certaines cellules de la rétine, amenant alors la cécité. Une personne sur quatre mille en était atteinte. Et cette personne se trouvait être Sacha Macleod. Pour quelle raison au juste ? Selon Google, il n'y en avait pas. Peut-être l'hérédité, peut-être le hasard. On ne le savait pas. Sacha était malade comme ça, parce que le destin l'avait voulu ainsi. C'était injuste comme ça.

Je l'ai appelée un seconde fois. Elle n'a pas répondu, une fois de plus.

Les rétinites pigmentaires impliquaient les photorécepteurs, soit les cônes et les bâtonnets de l'oeil, ainsi que l'épithélium pigmentaire. Allez savoir ce que ça voulait dire, moi, je n'avais jamais vraiment porté attention à mes cours de sciences. Tout ce que j'arrivais à saisir c'était que cette fichue maladie touchait les yeux et amenait la cécité complète.

J'ai rappelé Sacha. Elle a décroché à la troisième sonnerie.

— Logan ? Qu'est-ce que tu veux ?

— Des explications, peut-être ?

Sacha a soupiré.

— Tu veux jouer à un jeu ? ai-je demandé.

— Pardon ?

— Je te dis trois choses sur moi et tu me dis trois choses sur toi.

Je l'ai senti sourire à l'autre bout du fil.

— Logan...

— Et pas question que tu évites le sujet, Sacha.

Elle n'a pas répondu. J'ai décidé de prendre les devants.

— Première chose à mon sujet : je suis claustrophobe. J'ai horreur des petits espaces.

— T'as peur de tout, en fait.

— Hé ! ai-je protesté. Ce n'est pas vrai.

Sacha a ri.

— Un jour, j'ai piqué une crise à mes parents au supermarché parce que je leur en voulais de m'avoir appelé Logan, ai-je continué. J'avais six ans. Tout le monde nous regardait. C'était gênant.

— T'aurais voulu t'appeler comment ?

— Je sais pas. Daniel ?

— Daniel ? Comme Daniel Radcliffe ? s'est-elle étonnée. C'est un prénom de merde, ça.

— Plus que Logan ?

— Plus que Logan, oui.

Il y a eu un silence. Je me suis raclé la gorge.

— L'autre jour, il y a une fille, tu sais, du genre très jolie, qui m'a brisé le coeur.

Nouveau silence.

— J'ai pleuré comme un gamin pendant une heure. Je suis fragile, tu vois. Enfin, c'est ce que je pense. Ma soeur, elle, croit que je suis dramatique. Moi, dramatique ? Elle est bonne celle-là !

— Logan...

— Dans un excès de colère, j'ai même brisé le livre de la fille en question. Je m'en suis voulu après, alors j'ai tenté de le réparer avec du papier adhésif. C'est pathétique, je sais.

Sacha est restée silencieuse.

— Si tu veux savoir, ça n'a pas marché. Alors si tu croises cette fille, dis-lui que j'ai fait de mon mieux et que je suis désolé.

J'ai marqué une pause.

— C'est à ton tour, je crois.

— De quoi tu parles ?

— C'est à toi de me dire trois choses que je ne sais pas à ton sujet.

— Logan, j'ai pas la tête à ça.

— Vas-y... juste vas-y.

Elle a inspiré profondément.

— J'ai une rétinite pigmentaire.

— Ça, je le sais déjà.

— C'est incurable.

Mon coeur s'est serré.

— Je vais perdre peu à peu la vue. Jusqu'à... tu sais, devenir complètement aveugle.

— Sacha...

— Écoute, ta pitié j'en veux pas.

Le silence. Encore et toujours ce fichu silence.

— Je veux qu'on mette les choses au clair, Logan : ce n'est pas parce que tu es au courant que ça changera quoi que ce soit.

— C'est-à-dire ?

— L'autre soir, ce que j'ai dit, ça tient toujours.

J'ai arrêté de respirer l'espace de quelques secondes.

— Tu veux dire que tu aimes manipuler les gens ? ai-je demandé.

— Logan.

— Ou bien, tu persistes à voir tout ça comme un jeu ?

— Je...

— Peut-être qu'en fait, tu continues de croire que je suis le dernier des imbéciles parce que j'ai osé tomber amoureux de toi.

Silence.

— T'es amoureux de moi ? a-t-elle demandé d'une petite voix.

J'ai soupiré.

— J'aurais préféré ne pas te le dire au téléphone.

— Oh, Logan...

— Il me semblait que c'était évident !

— T'as... T'as cru que c'était réciproque ?

— Je suis pas idiot au point de croire que t'aurais pu tomber pour un gars comme moi, d'accord ? Mais j'ai vraiment cru qu'il y avait quelque chose. Et je sais qu'il y a quelque chose.

— Tu te fais des idées !

— Non, c'est toi qui t'acharne à me repousser.

— Il n'y aura jamais rien entre nous, Logan. Ouvre-les yeux, Logan, on est trop différent !

— Différent ? Différent ?

J'ai ricané.

— C'est tout ce que t'as trouvé ? Dis-la, la vraie raison ! Allez, vas-y, Sacha.

— Je suis malade !

— Et alors ? Moi aussi, parfois je suis malade. Tu vois, en ce moment, j'ai le rhume. J'ai beau avoir de la morve plein le nez, ça m'empêche pas d'avoir des sentiments.

Étonnement, ça l'a fait rire.

— C'est une très mauvais exemple, Logan.

J'ai ri à mon tour. C'était un peu hystérique, comme un cri de désespoir, mais je m'en fichais.

— D'accord, je l'admets. C'était nul.

— Une rétinite et un rhume, ça n'a rien à voir.

— Au moins, je t'ai fait rire.

— Tu ne dois pas être très joli à voir, en ce moment.

— Pas vraiment, ai-je admis. J'ai le nez qui coule comme un robinet et le visage tout bouffi.

— Oh, pauvre de toi.

Il y a eu un court silence.

— On n'était pas en train de se disputer là ? ai-je demandé.

— Euh, ouais.

J'ai ri. Elle a ri aussi.

— J'ai pas envie que tu t'éloignes de moi, Sacha, ai-je murmuré.

— À quoi bon ? Je veux pas t'embarquer dans mes problèmes.

— Alors quoi ? Tu vas t'éloigner de tous les gens qui tiennent à toi simplement parce t'as peur ?

— Parce que je suis malade, m'a-t-elle contredit.

— C'est ce que je dis : tu vas laisser la maladie prendre le dessus parce que t'as peur.

— Tu ne peux pas comprendre, Logan.

Elle marquait un point. Je ne pouvais pas comprendre ce qu'elle vivait, ni ce qu'elle ressentait. Peut-être que moi aussi, si j'apprenais du jour au lendemain que j'étais destiné à perdre la vue je chercherais à m'éloigner des gens pour qui je comptais. Je ne pouvais pas savoir, mais ça me frustrait tout autant.

— T'as rompu avec Cole parce que tu ne voulais pas non plus l'impliquer, pas vrai ?

— En partie.

— En partie ? ai-je répété. Qu'est-ce que ça veut dire ?

— Laisse tomber, Logan.

J'ai soupiré.

— Il faut que tu comprennes que je n'ai pas envie d'être le fardeau de qui que ce soit.

— T'es pas un fardeau, Sacha !

— Ah oui ? Quand je serai aveugle, tu crois que je ne dépendrai de personne ? Que je pourrai vivre comme tout le reste du monde ?

— Tu ne perdras pas la vue immédiatement.

— Oui, mais ça viendra ! Que ce soit demain ou dans dix ans, ce jour viendra. Et lorsqu'il se pointera, j'ai pas envie d'impliquer tous les gens à qui je tiens. Je ne veux pas être un fardeau, tu comprends ?

Auparavant, j'admirais cette manie qu'elle avait de ne dépendre de personne, de n'agir que selon ses désirs. Maintenant que j'en étais victime, j'avais davantage de ressentiment pour cette partie de sa personnalité. Sacha, l'éternelle indépendante, qui ne souhaitait pas devenir le boulet de qui que ce soit. Pouvait-elle seulement accepté qu'on ne pouvait pas toujours vivre de la sorte ? Il y aurait toujours des moments dans la vie où on se sentirait vulnérable. C'était inévitable. Pourtant, Sacha s'acharnait à fuir l'inévitable. Ça n'aurait pas dû me surprendre.

— J'ai brisé ton livre, désolé.

— Ça va.

— Je ne pensais pas ce que je t'ai dit, l'autre soir, tu sais.

Elle a soupiré.

— Moi non plus, Logan.

— On s'est fait du mal pour rien tu ne trouves pas ?

— La vie, ça fait mal pour rien.

J'ai fermé les yeux.

— Tu ne mérites pas de vivre ça, Sacha.

— Ou peut-être que je l'ai cherché. Le karma, tu connais ?

— Ça n'existe pas.

— Peut-être bien, on n'en sait rien.

— Ah bon ? Tu vas me dire que tu crois à ces conneries ?

Elle n'a pas répondu.

— Tu peux me faire une promesse ?

— Je déteste les promesses.

— Tiens-toi loin de moi, d'accord ? Ne le prends pas personnel, c'est juste que...

— T'es malade, c'est bon j'ai compris.

— Je suis désolée, Logan.

— Non, c'est moi qui suis désolé.

Après avoir raccroché, je me suis mis à faire les cent pas dans ma chambre, le coeur tambourinant. Alors c'était terminé ? Ces trois derniers mois d'amitié, partis en fumé. Comme ça, par une simple conversation téléphonique.

J'ai fait quelques allers-retours entre mon lit et mon bureau, songeur. Mon regard s'est alors posé sur un livre qui traînait dans le coin de la pièce. Ce fichu Des souris et des hommes. Je l'ai ouvert là où j'étais rendu et je l'ai lu jusqu'à la dernière page. Je n'avais rien à perdre, après tout, sinon de mon temps. Mais du temps, j'en avais déjà assez.

Au fil de ma lecture, mon empathie pour les personnages principaux a grandi. Lennie et ses lapins. George dont l'amitié pour Lennie était si forte, presque sans limite - presque. Le désagréable Curley, dont la main gauche reposait sans cesse dans un gant de travail. Candy et son fidèle toutou. La sagesse de Slim. La femme de Curley, actrice déchue, et tous les problèmes qu'elle amenait avec elle sur son passage. Puis, vint la fin. Le triste sort de Lennie, la solitude de George. La mort d'une amitié. J'étais bouleversé. Je n'avais jamais aimé la lecture, mais voilà que je découvrais deux romans attachants, autant que troublants. Alors c'est ce que j'avais manqué tout ce temps ? Un univers entier enfermé en quelques pages. Je me suis senti stupide et ignorant. Toutes ces années où je m'étais refusé l'accès à la lecture... Pourquoi, au juste ?

Le roman finissait sans véritable fin heureuse, que des personnages troublés et marqués dans un quotidien platonique du début du vingtième siècle. Le récit terminait sur une triste note, marquant la fin d'une longue amitié entre George et Lennie. Je ne pouvais pas comparer cette relation avec celle que j'entretenais avec Sacha, mais je me suis senti affreusement mal. Des souris et des hommes me rappelait que j'avais une amitié à sauver et que je n'allais pas la laisser tomber comme George l'avait fait, à la fin du récit. Je ne pouvais pas laisser les choses se terminer ainsi. J'allais le regretter, si je ne faisais rien.

J'ai attrapé mon téléphone portable.

— Je suis désolé, Sacha.

— Logan ?

— Je suis désolé, mais je ne pourrai pas tenir ma promesse.

J'ai marqué une pause.

— Je ne peux pas rester là, les bras croisés, à te regarder souffrir.

— Ça va aller, Logan, a-t-elle murmuré. Je t'ai déjà dit...

— Je m'en fiche de ce que tu as dit, Sacha. Tu ne pourras pas m'éloigner de toi.

J'ai jeté un coup d'oeil à l'horloge.

— Prépare-toi, j'arrive dans quinze minutes.

— Logan, je crois que t'as pas compris.

— Si, justement, j'ai tout compris, me suis-je exclamé. Quinze minutes, dans ton entrée.

Elle a soupiré.

— D'accord. Je t'y attends.

J'ai souri.

Ça n'allait certainement pas se terminer comme ça. J'avais tant de choses à lui dire, tant de moments à partager, tant d'affection pour elle. Je n'allais pas baisser les bras parce qu'elle était malade. Contrairement à Lennie et George, notre amitié n'était pas destinée à se détruire. J'en avais la certitude.

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