L'ombre d'une rose [Tome 1] [...

By DeliciaPioggia

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Elle n'a pas d'argent. Il a le monde à ses pieds. Elle est réservée. Et il est arrogant. Rien ne les prédesti... More

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Concernant "L'ombre d'une rose" : tome 1 & tome 2

Chapitre 1 - Partie 1

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By DeliciaPioggia

Parfois on attend que les choses changent sans se rendre compte que les choses ont déjà changé. On implore un miracle, véhiculant l'idée que si notre vie changeait, notre esprit en serait pleinement satisfait. Mais il arrive des moments dans la vie où les changements ne sont pas ceux qu'on attend. Ils arrivent, ne crient pas gare et tambourinent à votre fenêtre cherchant en vain à vous annoncer que ça y est, rien ne sera jamais plus comme avant. Tout est différent. Et quand vous croyez que rien ne peut être pire que l'instant présent, l'instant présent se hâte de vous dire que le pire est à venir.

- Une lettre de votre gendre, Madame Inamoro.

George était le facteur du village. Ici, tout le monde le connaissait, ma famille y compris.

- Merci, George. Vous désirez rentrer boire quelque chose ?

Et je ne sais pas si c'est parce que George avait un double sens ou parce qu'il n'avait vraiment pas soif, mais il refusa poliment et poursuivit son chemin. En temps normal, George ne refusait jamais un verre à boire. Il était plutôt du genre à accepter n'importe quoi venant de n'importe qui.

- Frédéric qui envoie une lettre, c'est rare, fis-je remarquer à ma mère.

Elle acquiesça et ne se fit pas prier pour ouvrir l'enveloppe. Alors qu'elle était sur le point de lire la lettre, son sourire disparut soudain.

- Quelque chose ne va pas ?

Quand le regard bleu-gris de maman vint rencontrer le mien, mes mains se mirent subitement à trembler. Je lui arrachai la lettre des mains et la lus à mon tour.

« Patricia, je m'inquiète pour votre fille. Cela fait maintenant un mois que la nouvelle est tombée et même si Hélène voulait le garder pour elle, je me dois de vous dire la vérité.

Hélène a un cancer.

Cancer. Ça y est, le mot était lancé. Je me laissai tomber sur la chaise d'à côté et poursuivis ma lecture, un nœud à la gorge.

Il semblerait que son cancer soit assez bien avancé. Les médecins sont peu confiants sur son rétablissement.

Je pense que ça lui ferait du bien de vous voir, vous et Florélina. Elle n'arrête pas de dire ô combien vous lui manquez. Ses yeux ne font que briller lorsqu'elle vient à vous évoquer.

Une larme coula le long de ma joue. J'essayai d'empêcher les autres de couler, mais ce fut peine perdu. Mon chagrin était plus fort que ma fierté.

Sachez que je prends soin d'elle et qu'elle est entre de bonnes mains.

Si vous ne savez pas financer le voyage jusqu'à New York, je peux bien évidemment vous aider.

En attendant de vos nouvelles, prenez soin de vous.

Frédéric. »

Le changement peut se montrer cruel. Vraiment cruel. La vie, en fin de compte, ne cessait de nous défier. Que l'on pleure ou gémisse, que l'on crie ou supplie, j'avais l'impression que personne ne nous entendait. Le Dieu là-haut existait-t-il réellement ? Fervente catholique de par ma mère, je commençais à en avoir marre de croire en une bonté divine et salvatrice qui finalement ne semblait jamais pointer le bout de son nez. J'avais de plus en plus l'impression que nous étions bel et bien seuls et que personne en ce monde ne pourrait jamais nous aider.

- Que Dieu la protège, murmura maman en sanglotant.

J'eus envie de la secouer. Que dieu la protège ? Dieu ? Je ne la comprenais pas. Comment pouvait-elle simplement prier ? Comment pouvait-elle être aveugle au point de ne jamais remarquer le soutien que je pourrais lui apporter ? Savait-elle au moins que j'étais là ? Savait-elle que j'avais aussi mal qu'elle à l'annonce de cette terrible nouvelle ? Dieu pouvait-il apaiser tous nos maux ? Son mutisme me désemparait, mais comment en vouloir à la femme qui m'avait porté neuf mois ?

- Je vais aller la voir, dis-je subitement, perçant le silence.

Ma mère posa ses yeux sur moi, étonnée certainement par cette déclaration si soudaine.

- Avec quel argent ?

Celui de Frédéric. Bien évidemment, je savais que ce n'était pas la réponse qu'elle attendait, alors je mentis.

- L'argent de mes économies.

Je pris l'énorme tirelire sur le muret de la cheminée et, avec une force et une détermination dont je ne me soupçonnais même pas, je la cassai à terre. Maman sursauta.

- Tu as économisé pendant si longtemps cet argent. C'était pour préparer la fac de médecine.

Je mis une main sur son épaule et lui adressai un petit sourire complaisant. Maman, tout ça n'a plus d'importance. Si on me demandait de choisir entre ma sœur et mes études, il était évident que le choix était vite fait. Et puis, j'avais envie d'aller là-bas ; à New York. Je voulais voir Hélène et lui dire à quel point ça m'avait manqué de lui parler face à face. À quel point c'était dur toutes ces années de ne pas pouvoir la serrer dans mes bras. Quitte à abandonner mes rêves de grandeur, quitte à oublier la fac de médecine et à passer encore quelques années à travailler dans les cuisines du resto du coin. Ça valait le coup. Ma sœur en valait le coup. Après tout, Hélène était mon double. Elle était la personne avec qui j'avais passé toute mon enfance. J'aimais Hélène. Elle était tout pour moi. Elle était mon pilier, mon rock, ma bonne humeur et surtout, mon modèle depuis toujours. Quand j'étais petite, c'était elle qui veillait sur moi, mais aujourd'hui, j'avais grandi. Je n'étais plus la petite fille qui se cachait derrière sa grande sœur pour fuir ses conneries. Maintenant, c'était à mon tour de veiller sur elle. De la protéger.

J'avais vingt ans. J'avais fini le lycée depuis deux ans et il était peut-être temps aujourd'hui que je fasse quelque chose de ma vie. Après tout, je n'étais pas bête. J'avais toujours eu d'excellentes notes au bahut et bon nombre de mes professeurs m'avaient encouragé à rentrer à l'université. Mais comment leur dire, à l'époque, que je devais avant tout aider ma mère à sortir la tête de l'eau ? Comment leur dire qu'on était criblé de dettes à cause de mon père ? Plus jeune, je n'avais que ça à faire : être la meilleure. Les professeurs voyaient en mes notes un don inné pour les études et moi je ne voyais là qu'un moyen d'attirer l'attention de mon père. Mais jamais il ne m'avait félicité. Jamais il ne m'avait prise dans ses bras pour me dire ô combien il était fier de moi. Des claques, ah ça oui il savait en donner ! De l'amour ? Il ne connaissait pas. Me terrifier était la seule chose qu'il savait faire. Maman, Hélène et moi étions battues. Maman avait commis l'erreur d'aimer la mauvaise personne. Au début, elle pensait bêtement qu'il allait changer, mais au fil des années, la triste réalité s'était transformée en un véritable cauchemar. De ce que je savais, mon père avait rencontré ma mère à une foire du village. Papa aurait invité maman à manger une barbe à papa et ils auraient eu littéralement le coup de foudre. Ce coup foudre qui fait tant polémique ! Malheureusement, mon « père » a toujours eu une prédisposition à la violence. Déjà jeune, il se bagarrait sans cesse. Avoir Hélène l'avait alors soi-disant changé. J'ai encore du mal avec cette version des faits. Il avait été si salaud... Pourtant, je ne peux pas nier qu'à l'époque il semblait différent. Pendant un long moment, j'avais vécu comme une vraie petite princesse, aimée par mon père et par ma mère. Je ne sais pas ce qui a fait qu'un beau jour il est devenu un monstre, mais c'est arrivé, sans crier gare.

En ce temps-là, je croyais ma vie vouée à vivre un enfer. Mais un jour, alors que mon père revenait bourré de son travail, il a tabassé ma mère si fort qu'elle est restée plusieurs jours dans le coma. Les forces de l'ordre n'eurent alors pas le choix d'intervenir. C'était à croire qu'il fallait frôler la mort pour susciter un vif intérêt. Injonction d'éloignement. Suivi psychologique. Amendes. Dans l'ensemble, cela résume assez bien la peine de mon père pour n'avoir pas rempli son rôle de mari. Il n'a jamais plus pu nous approcher, ni ma sœur, ni ma mère, ni même moi. C'était un soulagement, suivi d'une tristesse infinie.

Après tout ce qu'on a vécu, je ne me voyais pas délaisser ma sœur. Certes, je l'aimais, mais il n'y avait pas que ça. Je la soutenais, en souvenir de tout ce qu'on avait déjà pu endurer.

- Je ne suis plus une petite fille, maman. J'irai, un point c'est tout.

Ma mère ne riposta pas. Elle s'assit dans le fauteuil et resta inerte un moment, le regard dans le vide. Je savais qu'elle avait peur. Peur pour ma sœur. Peur pour moi. Je n'avais jamais voyagé et elle croyait sans doute que j'étais encore trop jeune pour réussir à me débrouiller. Mais elle avait tort de croire ça. J'étais plus débrouillarde que j'en avais l'air.

- Je vais chercher un petit boulot là-bas. Je gagnerai de l'argent et je ferai en sorte que tu me rejoignes assez rapidement, je lui assurai gentiment.

- Quel travail penses-tu trouver ? Si ta sœur habite aux États-Unis, c'est uniquement parce que son fiancé en a les moyens. Comment peux-tu envisager d'y aller sans même avoir de plan ?

Elle s'interrompit un instant, déboussolée.

- Qui plus est, tu as pensé à la barrière des langues ?

Je souris. Cette question ne m'aurait pas étonnée.

- J'ai eu une mention excellente en anglais et puis, ce n'est pas comme si on était peu familier avec cette langue, répliquai-je avec un large sourire.

Dans la famille, l'anglais n'avait jamais été une langue si étrangère que ça. Tante Cassidy avait vécu les trois quarts de son temps en Angleterre. En revenant en Belgique, elle s'était chargée de m'apprendre à parler couramment la langue de Shakespeare.

- Arrête de t'inquiéter. Je n'ai plus dix ans, maman.

Elle m'adressa un regard trahissant sa tristesse et je ne pus que la comprendre. Je ne savais pas comment m'y prendre avec elle. Elle était toujours si renfermée sur elle-même. À force, j'avais appris à prendre son silence comme réponse. Par le passé, elle avait tellement dû la fermer. Elle avait tant dû fermer les yeux sur les frasques de mon père. Je comprenais son mutisme. Et, d'une certaine façon, elle comprenait le mien. C'était notre façon à nous d'être ce que nous sommes. Aujourd'hui, plus qu'un autre jour, je savais que je devais être là pour elle. Je savais que je devais lui tenir compagnie. Je le savais et pourtant, une petite voix en moi ne cessait de me dire qu'il était grand temps de m'en aller. Il était temps pour moi de prendre des décisions. L'instant fatidique était arrivé. Ma mère le savait. Elle savait que tôt ou tard j'allais quitter le petit cocon familial, mais je suppose qu'elle ne se doutait pas des circonstances de mon départ. Après deux ans de dur labeur, à travailler à droite et à gauche, j'allais enfin partir. Prendre mon envol. Malheureusement, pas pour les raisons que je souhaitais réellement.

- Je vais réserver un billet d'avion. Je partirai dans le courant de la semaine prochaine, informai-je ma mère tandis qu'elle relisait une énième fois la lettre.

Je la lui arrachai des mains. Elle sembla surprise de ce geste si prompt.

- Arrête de lire ça ! criai-je. Tu te fais du mal pour rien.

- Pour rien, répéta-t-elle à voix basse comme si c'était une moquerie à son intention.

Je fis mine d'être confiance et lui dis :

- Hélène se rétablira.

La vérité, c'est que je n'en savais rien. Bien évidemment, qu'elle se rétablisse était la seule chose que je voulais, mais entre ce que je voulais et ce qui allait réellement se passer, il y avait un monde. Pour l'instant, je ne voulais qu'une chose : rassurer ma mère, et par la même occasion, me rassurer aussi. Je savais que je me mentais à moi-même en disant que tout allait bien, mais je ne pouvais me résoudre à penser au pire. Si Hélène venait à mourir... Si elle venait à nous laisser tomber... jamais je ne lui pardonnerais.

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