La théorie des cactus

By Imaxgine

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Logan, c'est le grand brun aux yeux bridés qui aime les drames, ceux qui se terminent par de longs dialogues... More

Avant-propos.
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Épilogue.
Mot de la fin.

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By Imaxgine


— J'ai une tâche de naissance sur la fesse droite.

J'ai dévisagé Sacha, sans pouvoir cacher ma surprise. Dès qu'elle avait posé les pieds chez moi, elle s'était glissée dans ma chambre et s'était calée dans le fauteuil le plus proche. Depuis, Sacha avait l'air aussi à l'aise qu'un poisson dans l'eau. Il ne lui en fallait pas beaucoup pour s'adapter à un environnement. À vrai dire, c'était loin d'être la première fois qu'elle venait chez moi. Au fil des semaines, elle m'avait rendu de nombreuses visites et pas seulement pour me prêter des bouquins.

Un long silence avait suivi son arrivée, avant que je ne me décide à lui proposer une partie de carte. J'étais à deux doigts de gagner lorsqu'elle a sorti ça, aussi banalement que si elle m'annonçait que le facteur était passé ce matin. Je n'avais pas pu cacher mon étonnement, au grand bonheur de mon amie. Ça n'aurait pas dû m'étonner. Après tout, il s'agissait de Sacha Macleod, la fille qui n'avait pas froid aux yeux. Et puis, plus je passais de temps avec cette fille, plus je prenais conscience qu'elle prenait un malin plaisir à déstabiliser les gens. La plupart du temps, elle le faisait exprès.

— Tu cherches à me déstabiliser, ai-je lancé.

Elle a souri.

— Pas du tout, a-t-elle menti.

— De toute manière, tu vas perdre.

— Ah oui ?

— Regarde-moi bien.

Seulement, Sacha était bien plus maligne que moi. Sa révélation m'avait bel et bien troublé, si bien qu'en une fraction de secondes, ma stratégie s'était envolée. Naïf comme je l'étais, je m'étais bercé dans l'illusion que je pouvais détourner les pièges que me tendaient Sacha. Conclusion : je n'évitais pas ses pièges, je m'y jetais.

— Le temps s'écoule...

J'ai jeté un coup d'oeil à ses cartes, puis aux miennes. Je n'arrivais pas à penser clairement et ça m'embêtait. Incapable d'établir une stratégie, je devais me rendre à l'évidence : j'étais foutu. J'allais perdre et mon orgueil masculin allait en prendre un sacré coup. En me la jouant frustré, j'ai posé mes cartes sur la table, dévoilant mon jeu. Sacha a poussé un cri de joie.

— Il faut croire que j'ai gagné ! s'est-elle exclamée.

— Oh, ça va.

— Es-tu mauvais perdant, Logan ?

Je n'ai pas répondu, faisant mine de bouder. Sacha s'est esclaffée, bien fière de sa victoire.

— Tu as triché ! ai-je protesté.

— Bien sûr que non.

— J'ai une tâche de naissance sur la fesse droite, l'ai-je imité.

— Hé ! Je ne parle pas comme ça !

Ça m'a arraché un sourire.

— Et puis, j'ignorais que mes fesses te faisaient autant d'effet.

J'ai levé les yeux vers Sacha, écarlate.

— Ce n'est pas... Je ne...

Sacha a souri, preuve qu'elle se moquait ouvertement de moi.

— T'es mignon quand tu rougis.

— Arrête de te foutre de ma gueule ! ai-je lancé.

— D'accord, d'accord.

Néanmoins, elle a continué de rire. J'ai soupiré, sachant qu'elle en avait encore pour longtemps. Mes parents devaient se demander ce qui se passait dans ma chambre, ce qui pouvait être suffisamment drôle pour faire rire Sacha pendant des heures. Ceux-ci m'avaient clairement spécifié que je n'avais en aucun cas le droit de fermer la porte de ma chambre. C'était la preuve qu'il me fallait pour comprendre qu'ils s'imaginaient des choses. Il n'y avait qu'à voir le regard d'avertissement que ma mère m'avait lancé quand Sacha avait pénétré dans ma chambre. Comme quoi mes géniteurs s'imaginaient que j'allais coucher avec une fille avec eux dans la pièce d'à côté. Quand c'était Olivia qui venait à la maison, ils n'avaient aucun problème à ce que je ferme ma porte. Encore là, c'était peut-être parce qu'ils connaissaient cette fille depuis qu'elle était gamine et que de toute manière, ils savaient qu'elle était lesbienne.

Sacha s'est enfoncée dans le fauteuil. Elle a jeté un coup d'oeil aux papiers d'université qui traînaient sur mon bureau. Ils devaient y reposer depuis plusieurs semaines, sans que je n'y touche alors que la date limite pour les candidatures approchaient à grand pas.

— Tu ne les as pas encore envoyés ? m'a demandé mon amie.

— Non, mais je devrais m'y mettre cette semaine.

Son expression a changé immédiatement.

— Tu n'as pas songé à laisser tomber l'université ?

J'ai jeté un coup d'oeil à la porte de ma chambre, comme si je m'attendais à ce que ma mère débarque et surprenne cette conversation.

— Je te l'ai déjà dit : je ne peux pas faire ça.

— Alors, quoi ? Tu vas passer quatre années de ta vie à étudier dans un domaine qui ne t'intéresse pas simplement pour satisfaire les attentes de tes parents ?

— Oui, ai-je admis.

Dit comme ça, ça m'a paru un peu stupide.

— Je vais postuler à l'Université de Toronto et à York, juste au cas où.

— Déprimant, a-t-elle commenté.

Ça m'a arraché un sourire.

— Tu sais, Sacha, la plupart des gens ont besoin d'aller à l'université pour se trouver un travail. Toi-même, tu comptes aller à l'université. À McGill, en plus !

— Oui, mais c'est ce que je veux. J'ai toujours rêvé d'aller étudier là-bas. Ton rêve à toi c'est de te promener de ville en ville, ton appareil photo à la main.

— D'accord, d'accord ! ai-je dis. Si je décidais de laisser tomber l'université...

— Là, tu parles ! s'est exclamée Sacha.

— Il me resterait tout de même un problème majeur : l'argent. Je ne peux pas voyager sans le moindre sous.

— Trouves-toi un travail.

— Facile à dire !

— On est au mois de février, Logan. Si tu comptes partir en septembre prochain, tu as tout le temps qu'il te faut pour te trouver un emploi et récolter l'argent nécessaire.

J'ai réfléchi à ce qu'elle disait. Plus elle s'exprimait, plus je me disais que cette fille était brillante. Par simple plaisir, j'aurais pu la contredire pendant des heures, mais dans ce cas-ci, j'aurais eu bien de la difficulté à l'emporter. Elle avait raison sur toute la ligne.

— Je déteste parler de trucs d'adulte, ai-je dit.

— T'as peur de vieillir, Peter Pan ?

— Oui ?

— C'est une question ou une affirmation ?

J'ai haussé les épaules.

— Va savoir. Je n'arrive toujours pas à assimiler le fait que dans six mois, on sera lâché dans le monde des grands. Les responsabilités, les incertitudes... Ça fait peur, tu ne trouves pas ?

— Je crois que tu es déjà une personne suffisamment responsable, Logan.

Elle m'a souri.

— Tu vois ce que je veux dire, lui ai-je lancé.

Un silence s'en est suivi. Sacha me scrutait du regard, ses magnifiques yeux bleus analysant chaque parcelle de mon visage.

Je n'étais plus autant surpris de sa présence, comme je l'avais été lorsque nous commencions tout juste à nous fréquenter. À vrai dire, ces deux dernières semaines, j'avais plus souvent vu Sacha que je n'avais vu mes propres parents. Après les cours, nous traînions dans le parc d'amusement et même s'il me foutait toujours autant la chienne, j'y passais de bons moments. Le vendredi soir, je me rendais chez elle. Nos soirées consistaient à discuter, à Sacha m'éduquant sur les romans classique (conclusion : j'étais un cas désespéré à ses yeux), puis nous nous empiffrions de petits gâteaux. Le samedi matin, elle se pointait chez moi vers dix heures, alors que je dormais encore. Ses habitudes de lève-tôt avaient tendance à irriter mes parents qui tenaient fortement à leur samedi matin tranquille.

Je voyais régulièrement Sacha depuis quelques temps, mais je cachais cette habitude aux yeux de mes amis. Lawrence nous avait aperçu quelques fois ensemble, mais il n'avait rien dit. Il se contentait de me lancer un regard d'avertissement, comme si j'étais un garçon naïf qui risquait de tomber dans la gueule du loup. Ce qui m'effrayait le plus, c'était qu'Olivia le découvre. Même s'il était évident qu'elle suspectait quelque chose, je craignais sa réaction. J'étais mauvais en matière de confrontation. Olivia entrerait probablement dans une colère noire, si elle voyait à quel point j'étais devenu proche de Sacha. Seulement, une partie de moi espérait qu'elle le découvre. J'étais convaincu qu'Olivia avait tort au sujet de Sacha Macleod. Elle ne contrôlait pas ma vie et encore moins mes fréquentations.

— Tu veux parler d'un sujet plus enfantin ? a demandé Sacha.

J'ai dévisagé mon amie.

— La Saint-Valentin !

Elle a ri en apercevant l'expression horrifiée qui se lisait sur mon visage.

— Tu plaisantes, pas vrai ? ai-je demandé.

— Non, je suis sérieuse.

— Sacha Macleod me parle de la fête de l'amour, j'y crois pas ! Où est donc passé cette fille sensée, passionnée par les maths et qui lit des classiques ?

— Tu ne voulais pas parler de trucs d'adultes. C'est la première chose qui m'est venue à l'esprit.

— L'amour n'est donc pas un truc de grandes personnes ?

Sacha a grimacé.

— Honnêtement, j'en sais rien.

— T'as jamais été amoureuse ? ai-je demandé.

— Non. Enfin, pas à ce que je sache.

— Les papillons dans le ventre, le sourire niais qui te colle aux lèvres quand tu vois cette personne... Non, t'as jamais connu ça ?

Elle a secoué la tête.

— Mais si c'est ça l'amour, alors je passe mon tour, a-t-elle plaisanté.

— Tu ne peux pas dire ça, Sacha. On tombe au moins tous une fois amoureux, non ?

— C'est qui ?

J'ai froncé les sourcils, dérouté par sa question.

— De quoi parles-tu ?

— C'est qui cette fille qui t'a brisé le coeur ?

— Alors là, je ne vois pas de quoi tu parles.

— Joue pas à ce jeu, Logan. Tes grands discours sur l'amour, ça ne vient pas de nulle part.

Soudainement, j'ai jeté un coup d'oeil à la porte de ma chambre, comme si mes parents allaient débarquer à tout moment. Je n'avais pas envie qu'ils entendent cette conversation. Peut-être était-ce de la paranoïa, mais je ne pouvais m'empêcher de regarder la porte, prêt à les voir surgir.

Sacha s'est enfoncée dans mon fauteuil, ses yeux rivés contre les miens. Je me suis dit que maintenant que le sujet était abordé, il était impossible de faire marche arrière.

— Est-ce que je la connais ?

— Non ! ai-je mentis. Non, tu ne la connais pas.

Mon amie a plissé les yeux, peu convaincue par ma réponse. Elle n'était pas stupide et moi, je faisais un bien piètre menteur. Tous les deux, nous étions un très mauvais duo. Et puis, comment lui dire que sa meilleure amie était secrètement mon ex-petite amie ? Je me voyais mal lui révéler que Pénélope Brown avait été ma copine pendant sept mois jusqu'à ce qu'elle me laisse tomber pour devenir populaire. Elle n'avait probablement jamais parlé de moi à ses nouveaux amis, y compris à Sacha. En vérité, je n'étais qu'un bagage embarrassant que Pénélope s'efforçait de dissimuler.

— Tu étais amoureux d'elle ? m'a interrogé Sacha.

— Oui.

— Que s'est-il passé ?

— Il semblerait qu'elle ne ressentait pas la même chose que moi. C'était un amour à sens unique, tu vois ? Tu sais, les gens se plaignent des triangles amoureux. Moi, je trouve ça pas mal. Après tout, il y a des liens. C'est réciproque, un triangle amoureux. L'un l'est plus que l'autre, mais tu vois ce que je veux dire, pas vrai ?

— On va dire, a plaisanté mon amie.

J'ai souri.

— Un amour à sens unique, c'est triste. C'est triste parce que c'est comme une longue route incertaine dans laquelle on s'engage, sans y voir la fin. Pourtant, on est pas con. On sait tous qu'on va finir par manquer de gaz et qu'on va se planter. Néanmoins, on s'y engage tout en sachant que la route ne mène nulle part.

Sacha est restée silencieuse. Dehors, le ciel avait pris une jolie teinte de bleu clair. Les yeux de mon amie semblait imiter cette couleur, comme s'ils changeaient en fonction du climat. Il faisait bon, en ce moment. Comme Sacha semblait l'être, le temps affichait une quiétude étonnante. Alors que nous étions en plein hiver et que l'est du pays subissait des rafales de neige à en couper le souffle, nous avions droit à des temps plus doux.

— Et même après t'être fait briser le coeur, tu crois toujours à l'amour ?

J'ai acquiescé. Sacha ne semblait pas en croire ses yeux. En vérité, elle me dévisageait comme si j'étais un être venu d'une autre planète.

— Je crois qu'on tombe amoureux plus d'une fois dans sa vie. Contrairement à toi, je suis loin d'être une personne cynique en amour.

— Je ne suis pas cynique ! a-t-elle protesté.

— Bien sûr que si ! T'es le genre de fille qui n'a jamais connu le grand amour, celui qui te donne un véritable insectarium dans le ventre et qui te mène à faire plein de choses stupides. T'arrives pas à saisir comment une personne peut tout bêtement plaquer tout le reste simplement parce qu'elle est amoureuse. Tu te dis que ta vie est mieux sans, mais un jour, ça va te frapper et tu auras l'impression d'avoir passé à côté de quelque chose. Je ne suis pas d'accord avec les gens qui disent que l'amour c'est un but. Ça ne l'est pas ! Certaines personnes vont préférer se centrer sur leur carrière, leur famille ou sur leurs rêves. Seulement, je crois que l'amour est l'un des plus beaux sentiments au monde. Lorsque ça te frappe, ça ne mérite pas d'être pris à la légère. On ne vit pas pour aimer, on aime pour vivre.

J'ai marqué une pause. Sacha me fixaient de ses deux beaux iris tantôt bleu ciel, tantôt bleu cyan. Je sentais que j'allais me perdre dans mon discours, que j'allais allez trop loin. J'avais un tourbillon de sentiments et de réflexions qui m'habitaient en même temps, si bien que j'avais peur de ne plus m'y retrouver. Cependant, j'étais déjà sur ma lancée. Impossible d'arrêter.

— Ma théorie à moi c'est que l'amour, ça tombe n'importe quand. Parfois, un rien peut te faire complètement tomber amoureux. Tu bois tranquillement ton café et hop ! tu réalises que t'es amoureux. On a beau lutter contre ses sentiments, ils finissent toujours par l'emporter sur le reste. Un sourire, un geste, une pensée... Sans s'en rendre compte, on peut tomber petit à petit amoureux de quelqu'un. Il n'y a rien qui peut repousser ce sentiment. C'est dans notre nature.

Je n'ai jamais eu autant l'impression de me dévoiler devant Sacha. C'était comme si je me mettais à nu devant elle, sans penser à rien. Mon amie m'observait, l'air attentive. Au final, elle a souri et j'ai senti mon coeur s'emballer.

— C'était beau ça, John Green !

Ses yeux brillaient de malice.

— Laisse tomber ta carrière de photographe et deviens écrivain. Tu saurais charmer les adolescentes avec tes phrases dignes d'un grand romantique.

— Je ne suis pas si romantique que ça, ai-je répondu.

Sacha a levé les yeux au ciel, peu convaincue.

— Bien sûr que si. Toi, Logan Campbell, t'es le gars qui achète des fleurs au premier rendez-vous et qui est toujours là pour sa petite amie. Je parie que tu n'oublies jamais un anniversaire et que tu es prêt à faire n'importe quoi pour faire sourire ta copine. T'es du genre à aimer beaucoup, voire trop. Je parie que c'est pour ça que t'as le coeur brisé. Tu aimes plus que ce qu'une personne mérite.

— Dit la fille qui n'aime pas les étiquettes.

La jolie blonde a souri, ne pouvant nier l'ironie de la situation. Je plaisantais, mais en vérité, mon esprit était en ébullition. Je ne prenais pas autant à la légère ce qu'elle me disait que ce que j'en laissais paraître. En vérité, ça me tourmentait. Décrit comme Sacha l'avait fait, j'avais l'air ringard et cliché. En réfléchissant bien, je ne pouvais la contredire. J'étais un espèce de cliché ambulant du garçon banal et romantique qui s'attache trop facilement aux gens. Quiconque me connaissant bien aurait pu être d'accord avec cette affirmation.

J'ai décidé de détourner le sens dans lequel s'orientait cette conversation, histoire de penser à autre chose.

— Et puis, l'écriture c'est pas pour moi, ai-je dit.

— C'est ce que tu disais à propos de la lecture !

J'ai souri, incapable de résister.

Gatsby le magnifique est une exception. Ce roman est vraiment génial.

— Ah ! Je savais bien que tu allais finir par l'aimer. Tiens, j'ai quelque chose pour toi !

Sacha a bondi hors du fauteuil et s'est approché de son sac.

— Ça va devenir une habitude, ton truc de m'envoyer des livres. Je me sens mal, je ne te donne rien en retour.

— Achète-moi des fleurs.

Elle m'a adressé un clin d'oeil. Je me souviendrais toujours de ce moment précis où j'ai tout bêtement compris qu'elle flirtait avec moi. Depuis qu'elle avait posé les pieds dans ma chambre, elle n'avait cessé de jouer à ce jeu. Je me sentais un peu stupide de ne pas l'avoir remarqué plus tôt. Cependant, ma confusion a été très vite remplacée par le doute. Je ne pouvais m'empêcher de penser à ce que Lawrence m'avait dit quelques semaines auparavant. Malgré le temps qui me séparait de cet évènement, ça n'avait jamais quitté mon esprit. Et si Sacha Macleod se fichait de moi ? Sacha était maligne et elle aimait les jeux où elle était certaine de gagner. Le truc c'était que je n'avais pas envie de lui servir de divertissement, encore moins d'être son secret.

J'ai chassé cette pensée de mon esprit, n'ayant pas la force de douter de l'honnêteté de mon amie. Je n'avais pas envie de me questionner. Tout bêtement, j'ai décidé de me la jouer naïf. Peut-être se fichait-elle de moi, mais je n'avais pas envie d'y prêter attention. J'étais bien là, seul avec elle, si bien que je me fichais complètement du reste.

Sacha m'a changé les idées lorsqu'elle m'a tendu un livre. Les coins de la couverture étaient légèrement abîmés et les pages affichaient une teinte jaunâtre, signe de son passage dans le temps. Je l'ai pris à deux mains, mon attention rivé sur le titre.

— Tu m'as déjà parlé de ce roman, ai-je fait remarquer.

— C'est mon roman préféré.

Des souris et des hommes de John Steinbeck.

Sacha m'a observé, comme si elle s'attendait à une réaction de ma part.

— Le titre est original.

Elle m'a jeté un regard incrédule. J'ai souri.

— Tu peux me promettre de le lire ?

— Si c'est un truc super philosophique dans lequel l'auteur semble délirer parce qu'il a abusé de la marijuana... Euh, je ne peux rien te promettre.

— C'est loin d'être le cas, m'a-t-elle promis.

J'ai feuilleté le roman. Sacha semblait me supplier du regard.

— Logan...

— D'accord, je vais tenter de le lire.

Mon amie m'a fait les gros yeux.

— Je le lirai, c'est promis, ai-je capitulé.

Elle semblait satisfaite de ma réponse. D'un simple geste, elle s'est laissé tomber sur mon lit. Ses yeux étaient rivés sur mon plafond où se trouvait une mince couche de peinture bleue. J'ai pivoté sur moi-même pour lui faire face. Un sourire flottait sur mes lèvres pour aucune raison évidente. J'ai penché ma tête vers l'arrière, m'appuyant ainsi contre mon dossier.

— Alors, ai-je réussi à te convaincre de t'ouvrir à l'amour ?

Sacha s'est redressée. Elle avait soudainement l'air plus réveillée, bien moins intéressée par le vieux plafond aux allures mornes de ma chambre.

— Non ! s'est-elle exclamée. Bien sûr que non, Logan.

J'ai levé les yeux au ciel, découragé. Ça l'a fait sourire, évidement. Allez savoir pourquoi, mon exaspération avait l'habitude de l'amuser.

— Qu'est-ce qu'il te faut de plus ? ai-je demandé.

— Une tragédie.

— Pardon ?

— Ce qu'il me faut de plus, a-t-elle expliqué. Pour tomber en amour, ce qu'il me faut c'est une tragédie.

— C'est dangereux d'affirmer un truc pareil.

— Ah bon ?

— Les tragédies arrivent bien plus souvent qu'on ne le pense.

Le regard de la blonde s'est assombri. Le mien aussi, lorsque j'ai pris conscience que ce que je disais était déprimant. J'ai rassemblé les cartes posées sur la table dans l'espoir de ramener la gaieté qui émanait quelques minutes auparavant de ma chambre. Je me suis tourné vers Sacha en lui désignant les cinquante deux cartes que j'avais entre les mains.

— T'as envie de rejouer ? lui ai-je proposé.

— Ne me dis pas que t'as envie de perdre de nouveau ? Ton orgueil va en prendre un sacré coup !

Elle a souri. Moi aussi, j'ai souri.

— Cette fois, je vais gagner.

— C'est bien de rêver, s'est-elle moqué.

— Nouvelle règle : on ne parle pas de ses fesses pendant la partie.

— Après, alors ?

— Merde, Sacha !

— Quoi ?

Mon amie s'est esclaffée comme si ma réaction était hilarante. Bon, je devais admettre qu'avec ma teinte rouge tomate et mon air d'exaspération, mon expression ne devait pas vraiment m'aider. J'ai poussé un soupir. Sacha n'a pas cessé de rigoler pour autant. J'aimais bien comment une conversation déprimante avec cette fille pouvait immédiatement tourner en une conversation de fesses. Nos conversations allaient de légères à lourdes, sans transition.

C'est ainsi qu'un samedi matin, entre deux partis cartes, j'ai réussi à valider ma théorie. En croisant le regard d'une fille aux yeux aussi bleu que le ciel, j'ai compris que je tombais peu à peu amoureux.

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