Je me plaçai devant lui, coupant sa contemplation. J'étais plus petite que lui – bon, en même temps, j'étais plus petite que beaucoup de gens. Je lui agitai mes mains devant ses yeux, qu'il posa sur moi. Je découvris avec horreur le personnage qui me faisait face.
Comme cette fois, dans la forêt, quand il m'avait trouvé et aidé, si gentil.
« Il était caché sous une capuche, mais je distinguais son visage, aussi flou que le paysage. Il m'aida à me relever.
- Qui êtes-vous ? demandai-je.
- Julian. Julian Atkins. »
Comme cette fois, où Daniel m'avait avoué qui faisait tant souffrir Laura.
« ... je n'arrivais toujours pas à détacher mon attention de lui. De celui qui avait fait souffrir Laura, ma meilleure amie, et qui la faisait souffrir encore après plusieurs siècles.
- Comment il s'appelait ? demandai-je alors. Qui est lui ? Parce que je te jure que si je le retrouve, je lui ferais la peau.
Daniel hésita un instant, me dévisageant de ses intenses – et magnifiques – yeux gris/violets.
- Julian. C'est Julian Atkins. »
Et j'étais là, devant lui, sans savoir quelle attitude adopter. Laura se raidit, sur la piste de danse, se retourna. Je manipulai son esprit pour nous faire disparaître, avec un pincement au cœur. Ses sourcils se froncèrent et elle se pencha vers Kelly. Je sentis Julian flancher derrière moi. Il tomba à genoux dans un petit bruit, ce qui rendit Laura bien plus suspicieuse. Je l'entendis murmurer un « T'as vu Aria ? Ça fait un moment qu'elle a disparu pour chercher quelqu'un... ». Elle ne reçut qu'un vague non de Kelly et partit à ma recherche. Je me tournai alors vers Julian, qui paraissait presque effondré.
- Toi, tu me suis. Fais le moindre mouvement qui indiquerait que tu comptes t'enfuir et je te tue.
Il hocha la tête, se leva et me suivit. Nous montâmes les escaliers pour entrer dans une chambre vide et refermer la porte. Il s'assit sur le lit en tailleur, le regard vide.
- OK, Julian. Je n'ai aucune idée de ce qu'il a pu se passer entre Laura et toi, mais je sais qu'elle a souffert et souffre encore, par ta faute. Alors...
- Est-ce qu'elle va bien ?
Il me dévisageait.
- Le gars avec qui elle dansait, c'est son copain ? Parce qu'il avait l'air sympa, ce serait dommage de le tuer.
Mes yeux s'écarquillèrent.
- Non, ce n'est pas son petit-ami. Mais... c'est moi qui pose les questions ! Qu'est-ce que tu fais là ?
- Je traque les deux Mutants – vous aussi, par la même occasion.
J'opérai dans sa tête pour qu'il dise toute la vérité. C'était compliqué et demandait beaucoup d'énergie, mais ça en valait la peine. Un éclat de surprise traversa ses yeux.
- Quel est ton but ? Tu es seul ?
- Je dois ramener les deux Mutants, assommés. Je suis ici avec mon coéquipier.
- Tu contais droguer Kelly et son frère ce soir, pas vrai ?
Il acquiesça.
- Nous savions qu'un groupe d'anges et démons allaient se déplacer, alors on pensait les capturer par la même occasion. Cependant...
Il ne continua, pourtant je pouvais savoir la suite.
- Cependant tu as vu Laura. Et tu ne peux pas lui faire de mal, tu ne veux pas.
Il détourna le regard.
- J'en suis incapable. Surtout depuis ce qu'il s'est passé. Je m'en voudrais toute ma vie, et même sans doute après.
- Qu'est-ce... (Mon filtre de vérité s'envola, faute d'énergie magique.) Qu'est-ce qui s'est passé ?
- Je ne peux pas te dire. (Il me sourit.) Enfin. Je me demandais combien de temps ta manipulation allait marcher. Mais je ne peux pas te dire. Ou ce n'est pas à moi de le faire.
Il se leva et s'approcha de moi. Je retins un mouvement de recul.
- Tu n'as pas intérêt à approcher Kelly ou son frère. Encore moins mes amis.
Il soupira.
- Je ne peux pas, Aria. Je suis désolé.
- Oh non, tu ne l'es pas, dis-je, amère.
Il sourit, se pencha vers moi pour me murmurer à l'oreille :
- Non, tu as raison. Je ne les connais pas, Laura si. Et je ne veux pas qu'on lui fasse du mal. J'ai déjà fait mon choix.
Il pinça mon cou – bizarre... – puis disparut en laissant la porte entrouverte.
Je méditais sur ses paroles quand mon téléphone vibra. J'avais six appels en absence de Laura, et c'était de nouveau elle. Je décrochai.
- Al...
- Aria ! Enfin tu décroches ! ça fait au moins dix minutes que j'essaie de te joindre !
Elle était vraiment en panique. Elle se mit à débiter tout un flot de paroles.
- J'ai eu un très mauvais pressentiment, Aria. Et même là, je le ressens encore. Un truc bizarre, très familier, comme si mon esprit essayait de me prévenir de quelque chose. J'ai eu peur, alors je t'ai cherché en vain, j'ai même demandé de l'aide à Daniel et crois-moi, après les dix tours qu'il a fait, il a pété un câble. Je pleins sérieusement celui qui a cherché Daniel à ce moment là – il a au moins le nez et le bras cassé. Sans doute les côtes aussi. D'ailleurs, je crois qu'il est en train d'ouvrir toutes les portes du haut une par une.
Je ricanai.
- Tu dé...
La porte s'ouvrit en grand sur un Daniel essoufflé, terrifié et visiblement aussi en colère.
- Oh, Aria...
Je raccrochai sans un mot, mais Laura savait que Daniel venait d'entrer. J'en étais certaine.
Daniel commença à avancer vers moi. Je ne voyais pas très bien son visage, et mon esprit était trop troublé pour avoir la moindre pensée cohérente. Alors percevoir ses émotions ? Déjà qu'en général j'avais du mal avec lui, alors là... Il était pratiquement à mon niveau. Je me sentais mal. Etais-ce vraiment juste à cause de sa présence ?
- Daniel, je...
Alors que je craignais qu'il explose, qu'il se mette à crier ou à défoncer des choses, je sentis ses bras se refermer autour de mon corps, et me serrer contre son torse. Mon corps entier s'embrasa sous ce contact. Mes yeux se plissèrent légèrement au moment où Daniel enfouit sa tête dans mes cheveux.
- Tu es là, dit-il d'une voix où perçait le soulagement. Tu es là.
Une larme perla au coin de mon œil pour s'écouler sur ma joue. Je ne savais pas vraiment si c'était à cause de Julian ou du fait que depuis des mois, depuis que j'avais appris que j'étais enceinte, Daniel ne m'avait parlé qu'en cas d'extrême nécessité – alors pour ce qui était de me toucher...
Il s'écarta doucement, une lueur d'inquiétude dans le regard. Il essuya ma larme de son pouce et fronça légèrement, très légèrement, les sourcils.
- Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Je sais très bien que l'intuition de Laura ne se trompe jamais. Réponds-moi, Ariana.
C'était le seul à dire mon prénom complet, à le dire de cette manière. Devant mon mutisme, il se mit à me secouer. Qu'est-ce que j'avais ?
Mon cerveau semblait tout embrumé, mes lèvres cousues et aucuns muscles ne me répondaient. J'allais m'effondrer. Mon regard dériva, mais je me forçai à le fixer sur Daniel. Pourtant, je me sentais partir.
- Qu'est-ce qu'on t'a fait ? Ce sont des gars, qui t'ont fait ça ? Je vais les tuer...
Sa mâchoire se crispa. Mes jambes se mirent à trembler.
- Pro... blème...
- Quoi ? (Visiblement, c'était seulement un son bizarre qui était sortit de ma bouche.) Tu préférerais qu'on parle par esprits ? Parce que...
Je ne tins plus sur mes jambes, et m'écroulai. Daniel me rattrapa de justesse.
- Ariana ?! Ça va ?
Il prit mon menton entre ses doigts, me mit sur le lit.
- Tu ne peux pas me parler par l'esprit, présuma-t-il. On va fonctionner autrement. Tu arrives à hocher la tête ?
Je tentai de le faire, avec succès, mais lentement.
- OK. Ils t'ont fait du mal ? Ils t'ont frappé ?
Je secouai négativement la tête. Sa mâchoire se crispa, et je vis qu'il se forçait pour la suite. Il était très, très énervé d'y penser.
- Est-ce qu'il y en a un qui t'a... violé ?
Mes yeux s'arrondirent et je répétai le même geste qu'à la première question, mais beaucoup trop vite. Je commençai à tourner de l'œil.
- Aria. Reste avec moi.
Il passa sa main sur mon cou et je gémis quand il toucha un point sensible. Il l'examina, se raidit.
- Oh non... Tu as été droguée. Il faut que tu me dises qui t'a fait ça. Je suis sûr que tu savais de qui il s'agissait.
Le pincement que j'avais senti était en fait une seringue remplie de drogue. Super... Pourquoi ne m'étais-je pas méfiée ? Il faut dire qu'il m'avait paru si perdu !
- On s'en va, déclara-t-il en me soulevant dans ses bras. On prévient Kelly et...
Je grognai. C'était exactement ce que Julian voulait. Je me forçai à articuler.
- N... on... Aide... Méli... na...
C'était un bon début. Daniel me reposa sur le lit, se passa une main dans les cheveux.
- Euh... Ouais. Le seul problème, c'est que Mélina est complètement ivre.
Nouvelle série de grognement. Mon téléphone vibra, Daniel répondit.
- Laura ? C'est Daniel.
Une conversation s'en suivit, ponctuée de oui ou de non de l'ange. Mes pouvoirs étaient vraiment au plus bas, pour que je n'arrive pas à entendre. Daniel finit par expliquer que j'avais été droguée, mais que je refusais de partir. Ça dura encore quelques instants, puis il raccrocha.
- Tout le monde arrive. Brad reste avec les humains, mais Kelly vient.
Je hochai la tête. En à peine deux minutes, tout le monde était là. Mélina, complètement saoule, était soutenue par Cam, un verre d'eau à la main. Elle s'assit à côté de moi –affalée dans je-ne-sais-quelle position et incapable de se relever.
- Bois ça, ordonna Cam à Mélina en lui tendant deux cachets d'aspirine et un verre d'eau.
Pourtant, elle peinant visiblement à garder son sérieux. Cam jura.
- Je t'étripe la prochaine fois que tu donnes deux verres d'alcool fort à Mélina avec pour seule consigne de s'éclater, Aria. Surtout qu'elle n'avait jamais bu et résiste très mal à l'alcool.
Je le vis alors prendre un vase de fleurs, les enlever. Il demanda à Mélina de se lever, ce qu'elle fit. Puis il lui versa toute l'eau sur la tête. Son visage perdit ses couleurs, se décomposa, reprit des couleurs avec de devenir totalement rouge. Elle frissonna et sembla retrouver un peu de lucidité. Elle tituba vers moi, dans sa combi short transparente.
- Qu'est-ce que je dois faaaaiire ? demanda-t-elle.
- Aria a été droguée, expliqua Daniel. Une drogue magique qui faire perdre pouvoir et connaissance. Il faut que tu la soignes, ou au moins accélérer la guérison. C'est possible ?
- En temps normal, ouiiii. Je vais faire de mon mieux.
On m'allongea sur le dos, et Mélina s'installa à côté de moi. Elle se mit à chantonner, tout bas, plaçant ses mains au dessus de mon corps. Une lumière bleue les éclaira et son chant gagna en puissance.
Après une trentaine de secondes, je sentis les effets de la drogue refluer légèrement. Elle s'arrêta.
- Je ne vais pas pouvoir faire plus. Tes pouvoirs vont mettre du temps à revenir, ainsi que tes forces. Mais tu vas pouvoir parler et bouger, un peu comme si tu étais... défoncée.
Elle gloussa, et Daniel m'aida à me redresser, une main au creux de mon dos.
- Bon, je vais y retourner, s'écria Mélina. Un petit verre ne me fera pas de mal.
Cam lui bloqua la route.
- Il est hors de question que tu quittes la salle comme ça.
Elle leva les yeux au ciel.
- C'est ça.
Elle se décala, lui aussi. Elle en profita pour passer entre son corps et la porte pour partir. Cam jura.
- Je vais la surveiller. Elle est incapable de se battre, en plus d'être trempée et en tenue transparente. Vous m'expliquerez plus tard.
Il descendit, et Daniel le suivit pour aller chercher de l'eau. Quand sa main quitta mon dos, je retombai sur le lit en gloussant. Bon, j'étais totalement défoncée.
- Aria, soupira Laura. Il faut que tu nous expliques.
Je me remis droite en tentant de garder mon sérieux. Ma tête me tournait, mais j'ouvris la bouche, pâteuse et sèche. Aucun son ne sortit, alors je la refermai. Ma meilleure amie se plaça à côté de moi, Liam de mon autre côté. Laura me prit la main en murmurant des paroles de réconfort. Daniel revint avec un grand verre d'eau qu'il me mit entre les mains. Le liquide apaisa ma gorge, et je pus enfin parler.
- Ça va, confirmai-je d'une voix un peu rauque.
- Je vais y aller, annonça Kelly. Rejoindre mon frère.
- Au moindre geste ou personne louche, vous frappez ici, prévint Laura. Deux coups, tu attends, et encore un coup. On sera vite de retour.
Kelly acquiesça et sortit de la salle, que Daniel verrouilla.
- Ariana, tu vas maintenant nous dire ce que tu faisais dans une chambre, avec qui tu étais et ce qu'il s'est passé. Mélina nous a dit que tu cherchais quelqu'un.
Au moins, il était direct. Mais qu'est-ce que j'étais sensée faire ? Julian ne nous voulait pas de mal.
...
Euh... Peut-être que si, en fait. Au moins indirectement. On avait à faire à un Surnaturel meurtrier, un tueur. Pourtant, il avait été tellement gentil avec moi, et quand il s'agissait de Laura...
Je soupirai.
- J'ai vu un Surnaturel. Quelques secondes seulement, puis il s'est volatilisé. Comme s'il avait une vitesse phénoménale. Il dégageait une force et une aura très étrange, alors je l'ai cherché.
- Attends. Quand tu parles d'une vitesse phénoménale...
Il disparut dans un coup de vent, pour se retrouver derrière moi, puis refit son tour pour revenir devant moi.
- ... Tu parles de ça ?
Je hochai la tête.
- Donc, quand je l'ai trouvé, je l'ai amené ici, pour qu'on puisse parler.
- Et pourquoi ici ? Tu te mettais plus en danger qu'autre chose...
Laura fronça les sourcils. « Pour l'éloigner de toi », eus-je envie de répondre. Cependant, je me contentai de hausser les épaules.
- Pour qu'on soit tranquille, et éviter qu'il y ait des problèmes si tout dégénérait.
- Pour qu'il puisse mieux te faire du mal sans qu'on le sache, railla Daniel.
Je le fusillai du regard. Je n'étais pas vraiment crédible, mais Laura me serra la main – il y a-t-il au moins un rapport entre mes deux parties de phrase ?
- Tu ne pouvais pas savoir. (Elle me sourit.) Donc, maintenant, on retourne à la fête et on fait comme si de rien n'était ?
- Ouais. Mais on reste sur nos gardes tout en faisant croire qu'on s'amuse.
Elle me lâcha et se leva, vite suivie par Liam, qui m'évitait. Je sentis mon cœur se serrer en pensant à lui. En pensant à...
Quelques semaines plus tôt...
C'était notre deuxième semaine d'entraînement. C'était dur, mais presque amusant, avec ses amis. Bon, Daniel était toujours aussi distant, Cam borné et ronchon, et Liam... Il tentait par tous les moyens de se rapprocher de moi, mais je ne pouvais pas. C'était trop tôt, trop proche de la naissance de mes deux petits anges. Alors j'avais demandé à le voir, pour lui dire. J'aperçus ses cheveux châtains ébouriffés, sa silhouette adossée à un arbre. Il me sourit, puis un pli d'inquiétude barra son front quand il constata la tête que je tirais.
- J'imagine que tu n'es pas venu là pour m'annoncer une bonne nouvelle, soupira-t-il.
Je secouai la tête négativement. J'ouvris la bouche, la refermai. Par où commencer ? Comment ?
- Liam, je...
- En fait, je sais déjà ce que tu vas me dire, Aria. J'espérais ne jamais avoir cette discussion avec toi, mais bon... Je sens pratiquement toute la tension électrique dans l'air. Tu ne veux pas de moi.
- Liam... Ce n'est pas... Je ne peux pas... Et puis Shana, et Keith...
- Ne cherche pas à te justifier, ni à me rassurer. J'ai compris.
Il commença à partir, mais je ne le rattrapai. En voyant sa mine triste, j'eus presque envie de pleurer.
- Laisse-moi du temps, Liam. Je t'en supplie.
Il m'observa les lèvres pincées.
- Je ne sais pas.
Cette fois, je le laissai partir.
Retour au présent
Depuis, il m'évitait, et j'en étais presque soulagée.
- Allez-y, ordonna Daniel, méfiant. J'aide Aria, et je vous rejoins.
Je grognai. J'entendais d'ici ses pensées – pas besoin de mes pouvoirs pour les deviner. Il avait compris que je savais à qui j'avais eu à faire. Il me connaissait assez – trop – pour penser que j'avais pu me laisser entraîner seule ici. Lorsque Laura et Liam eurent disparus, il s'approcha de moi, m'aida à me lever et passa mon bras autour de ses épaules.
- Pourquoi tu ne l'as pas dit ?
- Parce que Laura était là, soufflai-je. Il ne faut pas qu'elle sache qu'il est ici, il ne faut pas qu'elle le voit.
- Dis-moi qui c'est, insista-t-il.
Je hochai la tête, me sentais vaciller même avec l'aide de Daniel.
- Tu te souviens de cette fois où tu m'avais retrouvé, en forêt, après mon... pétage de plomb ? Dans une cabane ? Je t'avais dit que c'était vide et qu'il n'y avait personne.
Il acquiesça, mais n'avait pas l'air de comprendre.
- Quel est le rapport ?
- Ça n'était pas vide. J'ai rencontré quelqu'un, mais je ne savais pas qui c'était. Plus tard, je l'ai su, j'ai su qu'il avait fait souffrir Laura. Et ce soir, je l'ai recroisé. Et j'ai été incapable de tenir la promesse que je t'avais faite.
A mesure que je parlais, son visage se décomposait. Il perdit de ses couleurs, et ses yeux virèrent au violet.
- Julian, grogna-t-il.