La théorie des cactus

By Imaxgine

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Logan, c'est le grand brun aux yeux bridés qui aime les drames, ceux qui se terminent par de longs dialogues... More

Avant-propos.
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Épilogue.
Mot de la fin.

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By Imaxgine


La maison de Sacha était située à quelques rues seulement de la mienne, dans un quartier aisé. Il n'y avait pas de doute : les parents de ma nouvelle amie se trouvaient suffisamment fortunés pour se payer une maison à l'allure victorienne, comportant trois étages et deux garages. J'avais un peu de difficulté à croire que Sacha avait grandi dans un milieu comme celui-ci. Il fallait dire que mon opinion était uniquement basé sur l'idée stéréotypée que j'avais d'une gosse de riche. Il était difficile d'imaginer que Sacha Macleod, l'enfant rebelle, venait d'une famille aussi fortunée. Je me suis juré de ne pas lui faire la remarque, sous peur de me faire gifler.

Ma mère a garé l'automobile devant l'allée, impressionnée par la maison qui lui faisait face. Le désavantage à ne pas avoir de permis, c'était que j'étais obligé de demander à mes parents de me mener partout où j'allais. Sans grande surprise, j'avais eu droit à quelques regards inquisiteurs de ma génitrice lorsque je lui avais demandé d'aller me porter chez Sacha. C'était ça le truc avec les mères : elles se faisaient toujours des idées.

— Est-ce que ton amie est la cousine de Paris Hilton ?

J'ai levé les yeux au ciel.

— Je ne crois pas, non, ai-je répondu. Si c'était le cas, elle aurait tout le quartier rien que pour elle.

Ma mère est resté muette, fixant avec envie la maison qui nous faisait face. J'ai détaché ma ceinture de sécurité, le coeur battant à mille à l'heure. Ça me rendait légèrement nerveux d'être chez Sacha, dans un repaire beaucoup plus personnel que le parc d'attraction.

— Le couvre-feu est à vingt-trois heures.

— D'accord.

— N'oublie pas tes bonnes manières. Sois poli et dis merci.

— Maman...

— Amuse-toi bien ! s'est exclamée ma génitrice. Je t'aime.

J'ai grommelé une réponse, puis j'ai ouvert la portière de l'automobile. J'ai posé le pied sur le pavé uni qui composait l'allée et je me suis tranquillement dirigé vers la maison des Macleod. J'ai frappé à la porte et une femme m'a ouvert presque instantanément. Un sourire s'est glissé sur ses lèvres lorsqu'elle m'a aperçu. Elle ressemblait beaucoup à Sacha, de par ses cheveux blonds et par la forme de son visage. J'en suis donc venu à la conclusion qu'il devait s'agir de sa mère.

— Tu dois être Logan ! m'a salué la dame. Allez, entre.

Je me suis exécuté. L'intérieur de la maison avait raison de l'extérieur. Il y avait quelque chose de chaleureux dans cette maison qui reflétait bien le style victorien. Certes, il y avait quelques éléments plus modernes qui contrastaient avec le style de l'endroit, comme l'immense télévision à écran plat et les luxueux électroménagers de la cuisine. Ce qui m'a le plus frappé c'était que l'endroit était immense, aussi immense que l'extérieur en donnait l'impression. J'aurais rêvé de grandir dans une maison pareille, où les parties de cache-cache devaient être interminables.

J'ai retiré mon manteau et l'ai posé sur un crochet, suivant les instructions de la mère de Sacha.

— Au fait, je m'appelle Denise, s'est-elle présentée. Je suis la mère de Sacha.

— Ravi de vous rencontrer.

— Sacha devrait descendre d'une minute à l'autre. Elle revient tout juste de son cours de piano.

Encore une chose que j'ignorais au sujet de Sacha Macleod : elle prenait des cours de piano. Ça m'a alors frappé de plein fouet : il y avait tellement de choses que j'ignorais au sujet de cette fille. C'était à croire que Sacha aimait jouer la mystérieuse, en ne fournissant que des informations au compte-goutte.

— Sacha joue du piano ? ai-je demandé, curieux.

— Oui, depuis qu'elle a six ans. Elle ne t'en a jamais parlé ?

— Non.

— Eh bien, elle doit être timide. Quand elle était plus jeune, nous devions presque la forcer pour qu'elle monte sur scène. Sacha avait horreur d'être sous le feu des projecteurs. Pourtant, elle était très douée.

Je n'ai rien dit. J'avais tout simplement du mal à croire que Sacha Macleod, la fille qui n'avait pas froid dans le dos, avait déjà eu peur de performer devant un public. Elle n'avait rien d'une fille timide. À vrai dire, lors d'un exposé oral, elle démontrait beaucoup d'aisance et de facilité. C'était comme si rien n'arrivait à la gêner. Elle m'était toujours apparue comme la fille qui n'avait peur de rien, pas même de l'opinion des autres. Encore une fois, peu-être s'agissait-il simplement d'une idée préconçue que j'avais à son sujet.

Du coin de l'oeil, j'ai aperçu un homme à la barbe grisonnante et à la calvitie avancée qui s'affairait dans la cuisine. Il devait s'agir du père de Sacha, même si je ne leur voyais pas grandes ressemblances. L'homme dans la quarantaine m'a remarqué. Il m'a souri et m'a salué d'un simple geste de la main.

— Tu peux attendre ici, m'a suggéré Denise. Sacha devrait descendre sous peu.

J'ai hoché la tête et elle est repartie. Il fallait croire que cette dame avait de nombreuses occupations. Je suis donc resté immobile dans le vestibule, mal à l'aise. Je n'avais pas l'impression d'être à ma place, ici. Heureusement, Sacha est venue à la rescousse quelques minutes plus tard. Elle a descendu le grand escalier qui me faisait face, vêtue d'un jeans et d'un chemisier. J'ai souri, soulagé de la voir débarquer.

— Tu es pile à l'heure. Ça ne m'étonne pas trop de ta part.

— Serais-tu en train de me coller une étiquette ? lui ai-je demandé, amusé.

— Non, c'est loin d'être mon genre.

Sacha a souri.

— Je me contente des faits, a-t-elle ajouté.

Elle s'est approchée de moi tranquillement. Ça me faisait tout drôle de me tenir dans le vestibule de sa maison, entouré de ses parents et de son quotidien. J'avais l'impression de percer une part de son intimité. Peut-être que si je m'aventurais davantage sur ce genre de terrain, j'aurais plus de chance de percer le mystère qu'était Sacha Macleod.

— Allez, suis-moi, a-t-elle dit en m'agrippant par le bras.

J'ai suivi Sacha dans l'escalier, le coeur battant. Sous nos pieds, les marches en bois craquaient. Il y avait quelque chose de particulier à cette maison : un mélange de vieux et de moderne. Derrière l'allure parfaite de chaque élément se cachait un défaut. Le moderne cachait toujours une partie plus ancienne de la maison, comme si les propriétaires actuels avaient voulu camoufler la nature du lieu, mais qu'ils n'y arrivaient tout simplement pas. Autant dire que ça me plaisait bien.

Nous nous sommes arrêtés à l'étage. Sacha m'a lâché le bras, mais m'a tout de même invité à la suivre.

— J'ignorais que tu jouais du piano, ai-je dit.

La jolie blonde a froncé les sourcils, mais ne s'est pas retournée.

— Je n'en joue plus depuis deux ans et demi.

— Ah bon ? me suis-je étonné. Pourtant ta mère...

— C'est l'excuse que je lui donne pour expliquer mon retard. En fait, je vais au parc d'attraction.

— Ta mère n'a toujours rien remarqué ?

— Non, elle est beaucoup trop occupée pour ça.

Nous nous sommes engagés dans un corridor. Enfin, Sacha s'est engagée. Moi, je n'ai fait que la suivre. J'avais dans l'idée que si je perdais Sacha de vue, j'allais complètement me perdre dans cette maison et ça, ce serait une catastrophe.

Sur les murs qui nous entouraient, on y retrouvait de nombreuses photos de famille. Certaines étaient de Sacha étant plus jeunes, parfois bébé, et d'autres présentaient les parents de celle-ci, affalés sur le bord de la plage, probablement prisent au cours d'un voyage. Je me suis attardé sur chaque cliché, fasciné par ce que ça laissait paraître. Plus je m'enfonçais dans sa maison, plus j'avais dans l'idée que Sacha était l'exemple même de la petite fille modèle à la famille parfaite, jouant les rebelles de temps en temps pour se divertir. Seulement, je n'étais pas complètement con. Sacha n'était pas rien que ça. Elle avait une certaine profondeur, entourée de tous ses mystères. Les photos cachaient des choses et il était impossible d'en dire autrement. Un sourire devant la caméra, et hop ! tu aurais l'air d'être une personne heureuse qui ne connaissait pas les problèmes.

Sacha a dû remarquer que j'étais bien absorbé par mes pensées, car elle s'est arrêtée de marcher.

— À quoi tu penses ?

— À rien, ai-je répondu.

— Tu sais bien que c'est impossible.

— Tu as raison. Il n'y a que Cole Stevens pour accomplir cet exploit.

Elle m'a donné une tape sur le bras, mais n'a pas été capable de camoufler son sourire.

— Je croyais que tu étais un bon gars, celui qui est trop gentil pour insulter qui que ce soit.

— Je suis un bon gars ! me suis-je défendu. La preuve, j'ai réussi à te faire sourire.

Sacha n'a rien répondu, mais son sourire s'est agrandi. J'ai souri à mon tour, fier de ma repartie. Un moment de silence s'est installé par la suite, durant lequel nous nous sommes remis en marche. J'ai observé de nouveau quelques photos, essayant d'analyser chacune d'entre elles. Malheureusement le rythme de Sacha était beaucoup plus rapide que le mien et je devais me concentrer pour ne pas la perdre de vue.

— En fait, je pensais à toutes ces photos, ai-je admis. Elles sont jolies.

— C'est ce genre de truc que tu aimes photographier ?

— Non, pas vraiment. Je préfère le véritable.

Elle a arqué un sourcil dans ma direction.

— C'est-à-dire ?

— J'ai toujours trouvé que les photos de famille cachaient des trucs.

— La vérité, peut-être ?

J'ai souri.

— C'est vrai, a-t-elle ajouté. Ça empeste l'hypocrisie.

— Alors, pourquoi poursuit-on la tradition ?

— Parce que maman a envie d'avoir fière allure devant sa bande de copines qui viennent le jeudi soir pour déguster un bon verre de chardonnay. Comme ça, elle peut prétendre qu'elle a réussi dans la vie et qu'elle n'est pas simplement bonne à faire l'arbre au yoga.

— Ça sent le vécu, ai-je fait remarquer. C'est comme ça que tu perçois ta mère ?

— Non, ma mère est une personne géniale. Elle fait des brownies le samedi.

J'ai ri.

Nous nous sommes avancés devant une porte. Sans tarder, Sacha l'a ouverte pour me faire découvrir un espace modeste qui devait être sa chambre. J'ai été surpris de constater que c'était bien petit comparé à l'immensité de sa maison. C'était un peu comme si Sacha avait volontairement choisi d'avoir cette chambre, malgré toutes les pièces spacieuses qu'il devait y avoir dans cette demeure. Je n'ai pas fait de commentaires à ce sujet, me contentant de détailler la pièce. J'ai posé le pied à l'intérieur, sous le regard attentif de Sacha. La chambre était peinte d'un doux vert olive et d'un peu de blanc. La première chose qui m'a frappé était la quantité impressionnante de cactus qui décorait la pièce. Ils avaient tous une forme différente et étaient entreposés un peu partout sur les étagères et sur les meubles. De petites lumières blanches pendaient autour de son lit et une carte du monde se dressait sur l'un des murs. Sur l'une des façades était appuyée une immense bibliothèque contenant des dizaines et des dizaines de livres. Quand Sacha avait avoué aimer lire, je ne me doutais pas que c'était à ce point. Et pourtant, sa bibliothèque dominait la pièce en remplissant un mur complet. Si l'espace était quelque peu restreint, la bibliothèque ne semblait pourtant pas gêner l'endroit.

— Est-ce que tu as lu tous ces livres ? ai-je demandé, fasciné.

— Non, mais la plupart.

Sacha s'est laisser tomber sur son lit, tandis que je me suis dirigé vers sa bibliothèque. J'ai pris le premier livre qui m'est tombé dans les mains. J'ai jeté un coup d'oeil à sa couverture. Les coins étaient légèrement abîmés. J'ai levé les yeux vers Sacha.

— C'est un classique, je suppose ?

Elle a levé les yeux au ciel.

— Logan, tu me désespères, a-t-elle dit. C'est Les Hauts de Hurle-Vent écrit par Emily Brontë.

— J'imagine que je devrais connaître cette personne.

— Son nom ne te dit rien ? Les soeurs Brontë, non ?

J'ai secoué la tête.

— Il faut vraiment que je te donne un cours sur la littérature classique.

J'ai ouvert le bouquin, guidé par ma curiosité. Sur la première page se trouvait une fine écriture à l'encre noire qui ne semblait pas appartenir à Sacha. J'ai lu le message attentivement.

Pour Sacha. Passe un merveilleux anniversaire.
P.S.- Tu me manques.

J'ai dévisagé Sacha. Elle a semblé comprendre que je venais de tomber sur cette page et, décidément, elle n'avait pas envie que je découvre ça. Elle s'est empressée de me retirer le livre des mains et de la ranger à sa place dans la bibliothèque.

— C'est quoi ? ai-je demandé.

J'aurais peut-être dû me taire et changer de sujet, mais ma curiosité avait pris le dessus. Je n'avais pas envie de laisser planer un nouveau mystère entre nous. Étonnement, Sacha m'a répondu.

— C'est simplement mon père. Il croit qu'en m'envoyant des bouquins il peut effacer son absence.

— Je croyais que ton père était l'homme au rez-de-chaussée, ai-je dit.

— Non, ça c'est le mari de ma mère. Ils se sont fiancés quand j'avais neuf ans.

— Où est ton père, alors ?

— Il vit à Montréal, a-t-elle avoué. Je lui rends visite une ou deux fois par année.

Je suis resté muet. À vrai dire, j'ignorais comment réagir à de telles révélations. Sacha devait en avoir gros sur le coeur, car elle semblait prête à se révéler de plus en plus. Moi qui croyais que cette fille était une vraie forteresse, je commençais à comprendre qu'elle avait quelques failles.

— Ça ne te fait rien ? Ton père ne te manque pas ? ai-je demandé au bout d'un moment.

— Mon père n'a jamais été fait pour être parent. Crois-moi, c'est bien mieux ainsi.

Un silence s'est installé entre nous. Je ne pouvais pas m'imaginer à la place de Sacha, ça c'était certain. Mon père avait toujours été présent au même titre que ma mère et même s'il m'arrivait de me fâcher contre lui pour des raisons stupides, je n'imaginais pas grandir sans lui.

Sacha est retournée s'asseoir sur son lit et je l'ai suivi du regard.

— Parle-moi de toi, a-t-elle dit. Tu aimes autre chose que la photographie ?

— Je persiste à me demander pourquoi tu cherches autant à me connaître.

— T'as l'air d'être une personne intéressante.

Ça m'a fait rire.

— Non, c'est vrai ! a protesté Sacha. Ta vie n'est peut-être pas comme un film hollywoodien, mais ça ne veut pas dire qu'elle ne vaut pas la peine d'être entendue.

Je l'ai regardée pendant un moment, sans rien dire. Puis, j'ai convenu que je n'avais rien à perdre et qu'il valait mieux me lancer.

— Je suis l'archétype du gars de dix-sept ans qui n'a rien foutu de sa vie. Je suis né à Yellowknife, la ville natale de mon père, et mes parents ont emménagé à Toronto quelques semaines seulement après ma naissance. J'ai toujours été un élève modèle et ma moyenne a toujours été au-dessus de quatre-vingt. Les rares fois où j'ai tenté de me rebeller, ça a chié. Je n'ai jamais fumé et je ne me suis jamais soûlé. J'ai déjà eu une copine et ça a mal fini. Je ne crois pas en Dieu, je préfère baser mes connaissances sur la science. Pour m'occuper durant la journée, j'aime bien jouer au jeu vidéo et me lamenter sur les papiers d'université.

J'ai marqué une pause, à bout de souffle. Sacha m'a regardé, les yeux écarquillés, et pendant un instant, je me suis demandé si je n'avais pas fait une gaffe. Puis, elle s'est mise à rire. Je l'ai dévisagé, extrêmement confus.

— Quoi ?

— Laisse-moi deviner, t'es toujours puceau ?

J'ai levé les yeux au ciel, alors qu'elle s'est mise à rire de plus belle. J'ai agrippé un coussin qui se trouvait à mes pieds et je lui ai lancé.

— C'est ça, moque-toi ! me suis-je exclamé. Ça t'apprendra à vouloir connaître la vie d'un gars bien ordinaire.

Elle n'a pas cessé de rigoler pour autant. Malheureusement, son rire avait quelque chose de contagieux. Je me suis bien vite retrouver à l'accompagner dans sa symphonie. Il n'y avait rien de bien drôle, et pourtant, c'était impossible d'arrêter. Nous nous sommes seulement arrêtés lorsque nos ventres ont commencé à nous faire souffrir. Je me suis assis aux côtés de Sacha sur le lit, à bout de souffle.

— J'ai réussi à te convaincre que j'étais quelqu'un d'ennuyeux ? lui ai-je demandé.

— Tu ne l'es pas. Tu manques simplement d'expérience.

— Parfois, je regrette de ne pas avoir fait les choses autrement. Si j'avais pris une autre direction, si je m'étais davantage impliqué... Je serais peut-être quelqu'un d'entièrement différent.

— Je ne crois pas que tu aies besoin d'être quelqu'un de différent, Logan.

Sacha m'a regardé, le regard chargé d'émotions différentes. Son visage était magnifique et à la fois, tellement complexe. J'avais l'impression d'être un adolescent sans secret, aussi mystérieux qu'un livre ouvert. Sacha, elle, m'inspirait tout le contraire. C'était un journal intime, fermé et verrouillé par un cadenas dont peu de gens - pour ne pas dire aucun - n'avait la clé. Il y avait une certaine beauté à ça.

— T'es quelqu'un de bien, m'a-t-elle dit.

Je ne voyais pas très bien ce que je pouvais répondre à ça. Un merci m'aurait paru trop faible pour ce genre de phrase. Alors, j'ai souri.

— Tu ne me connais pas tant que ça, tu sais.

— Peut-être bien, mais je suis plutôt douée pour voir les gens comme ils sont vraiment.

— C'est peut-être bien parce qu'eux ne voient pas véritablement la personne que tu es, ai-je dit.

Sacha n'a rien répondu, mais elle a souri. Ma déclaration a donc plané dans l'air pendant un moment, sans que personne ne rompe le silence.

— T'es vraiment quelqu'un de dramatique, Logan.

J'ai ri.

— Tout le monde s'acharne à me dire ça, ai-je fait remarquer.

— C'est parce que tout le monde a raison.

Sacha s'est levée du lit. Elle s'est excusée, m'informant qu'elle allait revenir dans quelques minutes. Je suis donc resté assis sur son lit, seul dans une chambre qui n'était pas la mienne. Mon regard a défilé sur les nombreux cactus qui décoraient l'endroit. Pour moi, il ne s'agissait que de plantes sans importance que les gens aimaient bien afficher sur leur profil Tumblr. Pourtant, il semblait avoir une toute autre signification aux yeux de Sacha.

— J'ai une théorie.

J'ai sursauté. Sacha venait d'apparaître dans le cadre de la porte, sans que je ne m'en aperçoive. Dans ses mains se trouvaient une boîte de gâteau. Sacha s'est approchée de moi, un sourire sur les lèvres.

— Tu avais oublié de me préciser que tu étais nerveux.

J'ai pris la boîte de gâteau qu'elle me tendait.

— C'est pourquoi ?

— Pour manger, idiot !

J'ai levé les yeux au ciel.

— Ouais, ça je m'en doute.

Sacha a ouvert la boîte et en a sorti deux gâteaux au chocolat. J'en ai pris un que je me suis empressé de sortir de l'emballage.

— Je mangeais ça quand j'étais gamine et maintenant, j'en ai créé une dépendance, m'a-t-elle expliqué. Si je deviens grosse, ce sera à cause de ceux-là.

— Tu disais que tu avais une théorie.

— Oui.

— À propos ?

— À propos des cactus, s'est-elle exclamée.

J'ai dévisagé mon amie. Visiblement, elle s'était aperçue que je portais une attention particulière à ses cactus. Même si ce qu'elle disait portait à curiosité, elle ne semblait pas bien pressée de m'en dire davantage, car elle a pris une bouchée de son gâteau.

— Tu sais, Sacha, je commence à me dire que tu as une véritable obsession pour les cactus.

— Je suis sérieuse ! a-t-elle protesté.

— D'accord, d'accord.

J'ai marqué une pause pour déguster ma pâtisserie au chocolat. Sacha avait raison : il y avait de quoi en créer une dépendance. C'était délicieux !

— Alors, de quoi parle cette théorie ?

— Je pense que les gens sont comme des cactus, a-t-elle avoué.

— C'est tout ?

— C'est tout.

Je suis resté muet. Sacha a dû remarquer que j'étais sceptique, car elle s'est empressée de développer :

— Je travaille encore sur cette théorie.

— Ce n'est pas vraiment une théorie si tu n'as pas d'explications, l'ai-je informé. Ce n'est même pas une affirmation. Ce n'est rien de moins qu'une supposition.

— Si, ça l'est.

— Tu es incorrigible, Sacha.

— Et toi, tu es dramatique.

J'ai souri.

— Tu marques un point, ai-je admis.

— Sans surprise.

Je me suis penché sur ce qu'elle avait dit à propos de sa « théorie ». Plus j'y pensais, plus je me disais que ça n'avait pas de sens. Il n'y a aucun lien entre un être humain et une... une plante. Ça n'avait tout simplement aucune logique.

— Ça n'est... Ça n'a...

— Logan, ta gueule et mange.

J'ai obéi, tandis que Sacha a éclaté de rire. Nous avons mangé en silence pendant un moment. Lorsque j'ai eu fini mon petit gâteau, j'ai levé les yeux dans sa direction. Je venais de repenser en un truc et ça me titillait l'esprit.

— J'aimerais t'entendre jouer du piano un jour.

Sacha s'est figée.

— Je ne suis pas tellement douée, tu sais.

— Ça m'est égal.

Elle a souri.

— Un jour, peut-être.

— Un jour, peut-être, ai-je répété.

Nous nous sommes levés du lit et nous sommes approchés de l'immense baie vitrée qui donnait une vue incroyable sur tout le quartier. Sacha s'est assise sur la banquette et s'est mise à observer le ciel assombrit où seuls les étoiles et la lune étincelaient. Je me suis dit qu'en ce moment, il n'y avait rien de plus beau au monde. J'aurais tout donné pour avoir une vue pareille de ma chambre. Hélas, je n'avais droit qu'à une petite fenêtre donnant vue sur un quartier résidentiel plutôt démodé, où les gamins les plus rebelles s'immisçaient dans le décor une fois la tombée de la nuit. Sacha, elle, avait droit à une pluie d'étoiles à tous les soirs.

Certains admiraient le crépuscule, moi c'était le ciel étoilé.

— T'as déjà rêvé de partir loin d'ici ? De tout laisser tomber, de t'enfuir ? m'a demandé Sacha.

J'ai attendu un moment avant de répondre.

— Oui.

Puis, j'ai répété plus fort.

— Oui, je rêve de faire le tour du monde.

— Je l'ignorais, a-t-elle murmuré. Où irais-tu, si tu le pouvais ?

— Vancouver, Paris, San Francisco, Berlin, Venise... Tu sais, toutes ces villes que l'on a envie de photographier ? Toronto c'est bien, mais ce n'est pas suffisant.

— Oh, alors c'est une question de photo. Tu comptes quitter le coin, une fois l'année terminée ?

— Nan, je ne pourrais pas.

Sacha a froncé les sourcils.

— Comment ça ?

— Mes parents comptent sur moi pour intégrer l'Université de Toronto. La photo, pour eux, ce n'est qu'un hobbie. Ça ne m'apportera rien dans la vie.

— Tu comptes les écouter ?

— Bah si. Je n'ai pas envie de les décevoir.

J'ai bien vite pris conscience que mon argument était pitoyable. Je me suis donc empressé de reprendre.

— Mes parents ont tous les deux été à cette université. C'est d'ailleurs là qu'ils se sont rencontrés, ai-je dit. L'aînée de la famille, Harper, y a été diplômée il y a de ça quelques années. Mon autre soeur, Candice, devrait l'être d'ici deux ans. Si je n'intègre pas cette université, je n'imagine même pas comment mes parents vont réagir.

— Mais c'est ta vie !

— Je le sais, mais ça ne suffit pas. Je ne peux pas tout plaquer pour la photographie. Ce serait dingue.

— Par dingue, tu veux dire génial ! Tu pourrais faire le tour du monde, voyager, rencontrer un tas de gens, photographier tout ce qui te plaît !

Un sourire s'est glissé sur mes lèvres. J'enviais le positivisme de Sacha, mais je doutais que mes parents le prendraient de la même manière si je leur annonçais que je laissais tomber les projets d'université pour la photographie. Ils m'y voyaient déjà admis, ils m'imaginaient déjà à la cérémonie de diplôme, portant fièrement la toge qu'on m'aurait repassée la veille.

— Et toi, tu comptes aller où ? ai-je demandé.

— Je veux intégrer McGill.

J'ai froncé les sourcils.

— La plus prestigieuse université du pays ?

— Ouais, j'en rêve depuis toujours.

— Madame insiste pour que je laisse tomber les études universitaires, mais son rêve est d'intégrer McGill. Je dois admettre que je ne suis plus.

Sacha a souri.

— T'as les notes pour ? lui ai-je demandé.

— Oui. J'ai une moyenne de quatre-vingt-quatorze.

J'ai manqué de m'étouffer avec ma propre salive. Hébété, j'ai jeté un coup d'oeil en direction de Sacha, croyant qu'elle me faisait marcher. Cependant, son expression m'a suffit pour comprendre qu'elle ne plaisantait pas. J'avais bel et bien un génie devant moi.

— Pardon ? T'as une meilleure moyenne que Toby Williams, le petit génie de l'école ?

— Il faut croire qu'il n'est pas le seul génie, a-t-elle répondu de tac au tac.

— C'est quoi tes matières fortes ?

— Je suis plutôt douée en mathématiques et en langues.

— Je l'ignorais, ai-je dit.

— Bien sûr, après tout je ne suis qu'une petite snobinarde qui traîne avec des gens irresponsables n'ayant qu'un seul objectif dans la vie : faire la fête. Évidemment, mon côté intellectuel ne devrait pas surpasser celui d'un poisson rouge.

— Non, ce n'est pas... Enfin, je n'ai jamais dit ça, ai-je protesté.

— Ça va, Logan. Tout le monde pense ça.

— Pas moi.

— C'est bien pour ça que je t'apprécie bien.

Nous sommes restés silencieux pendant un certain temps, nos regards rivés sur la baie vitrée devant nous qui nous donnait une magnifique vue du quartier et des étoiles. Au loin, on pouvait apercevoir la ville de Toronto et sa tour du CN. Sa maison devait être l'une des mieux placées en hauteur pour avoir une aussi belle vue.

Je n'osais pas dire grand chose, de peur de briser le moment. Sacha a semblé s'entendre silencieusement avec cette décision jusqu'à ce qu'elle se tourne vers moi, un sourire sur les lèvres et une faveur en vue.

— Tu veux bien me passer un second gâteau ?



Lorsque vingt-deux heures trente est arrivé, j'ai salué Sacha et me suis dirigé vers l'extérieur. Denise insistait pour me reconduire, sous prétexte qu'il se faisait tard, mais j'ai poliment décliné. À vrai dire, j'avais omis de lui dire que je n'avais qu'à envoyer un bref message à ma mère pour qu'elle vienne me chercher. Seulement, je n'avais pas envie de voir ma génitrice. J'avais simplement envie d'être seul un instant, même si cela impliquait de geler sous la température hivernale. Je me suis engagé sur le trottoir de cette rue de banlieue aisée, l'esprit en marche. J'avais plein de trucs en tête et un bol d'air frais n'allait certainement pas me nuire. J'ai repensé à ce que m'avait dit Sacha au sujet des universités. Je pourrais tout plaquer pour m'aventurer dans le monde, un sac à dos et un appareil photo comme seuls bagages. J'aurais la possibilité de quitter ce coin de pays et découvrir de nouvelles terres, de nouveaux endroits à photographier. Malheureusement, les choses n'étaient pas aussi simples. Mes parents comptaient sur moi pour aller à l'université, ils m'y voyaient déjà, comme si c'était destiné à arriver. Je n'avais pas envie de les décevoir, de m'enfuir loin d'eux sous prétexte que je pouvais faire de la photographie un métier.

Je me suis enfoncé, l'air penaud, dans les rues de Toronto. Ma mère allait me passer un savon si je ne rentrais pas d'ici vingt-trois heure, alors j'ai accéléré le pas. Plus j'avançais, plus mon esprit semblait être en ébullition. Je me sentais coincé, comme si j'avais laissé ma passion pour la photographie prendre le contrôle sur le reste de ma vie. Comme si tous les plans d'avenir qui m'étaient destinés se contrecarraient et me poussaient au dilemme. Je me suis dit que la vie d'adulte menaçait de se pointer bien trop tôt et que, malgré les nombreux avertissements de mon entourage auxquels j'avais fait la sourde oreille, j'avais l'impression que le temps me glissait d'entre les mains et que j'avais tout fait pour le gaspiller. Et puis, j'ai pensé à la théorie des cactus de Sacha et je me suis dit qu'au fond, c'était bizarre. Ce n'était rien de moins qu'une supposition et ça n'allait pas au-delà. Alors, pourquoi avais-je l'impression que Sacha avait trouver une certaine logique à sa théorie ? J'ai secoué la tête, comme pour chasser toutes les conneries qui m'embrouillaient l'esprit. Je commençais à dérailler, et ce n'était pas bon signe.

À vingt-deux heures trente, si vous habitiez une chic banlieue de Toronto, vous auriez pu apercevoir, en vous penchant sur le bord de votre fenêtre, un jeune adolescent errer dans la rue, l'air perdu. Cet adolescent c'était moi.

Ce soir-là, je me sentais à la fois joyeux, triste et nostalgique.

Et je me suis demandé si ce n'était pas ça, être adulte.

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