Georges Lefebvre, l'un des professeurs de géographie du lycée Blaise Cendrars, a décidé d'organiser une petite soirée pour remercier les deux dernières années de l'école d'avoir participé à son activité en février.
Lorsqu'il les a mis au courant à ce sujet, tous les élèves étaient étrangement heureux d'avoir été obligés de raconter leur secret à cinq inconnus.
C'était une joie pour les étudiants de seize à dix-huit ans de participer à une fête après les examens financiée aussi facilement. Habituellement, c'est à eux de se débrouiller pour organiser des activités qui aideraient à rapporter de l'argent alors, lorsqu'ils ont su que le fait d'avoir gentiment parlé à des inconnus leur avait offert une petite fête, ils étaient tous rayonnants.
Quand le jour J a sonné, tout le monde semblait impatient. La période d'examens était terminée depuis au moins cinq jours et certains étaient sûrs de ne plus jamais être obligés à remettre les pieds dans ce lycée, si ce n'est pour aller chercher leur diplôme alors l'atmosphère était réellement plus détendue.
Quelques lycéens invités à cette soirée étaient déjà partis en vacances avec les autres membres de leur famille ou des amis ne faisant pas partie de la même école et étaient donc déçus de ne pas avoir la possibilité de participer à cette petite soirée organisée en récompense. Ils étaient dégoûtés de louper cette chance unique.
Dans les six membres de la Table numéro 8 qui avait été créée en février, Nyl était bien évidemment la plus motivée alors que Rupert n'avait aucune envie de mettre les pieds dans le réfectoire de l'école où se passera la fête. Il trouvait cela emmerdant et rébarbatif mais sa mère avait réussi à utiliser les bons mots pour le convaincre à sortir de son lit et à s'habiller correctement pour y être présentable.
Vers dix-neuf heurs trente, les festivités ont commencé et dans la foule se mélangeaient des lycéens surexcités, des nerveux et des rabat-joies.
Andreï Currentzis faisait partie des garçons les plus attirants de ce début de soirée. Il portait un costume bleu marine surmonté d'une cravate et de bretelles ainsi que de chaussures vernies très classes. Il devait certainement être considéré comme étant l'un des garçons les plus sexy et attirants dans cette tenue par de nombreuses filles. Il avait l'habitude d'être au centre des attentions mais portait ce genre de vêtements pour la première fois au sein du lycée; il était plutôt fier de l'effet que cela faisait.
Adélaïde aussi était magnifique mais elle n'avait pas réellement eu de problème à l'être ce soir-là, étant déjà très belle naturellement. Elle avait vu les choses en grand en se faisant maquiller par sa cousine qui étudiait l'esthétique. Elle avait également réussi à convaincre son Papa adoré pour lui acheter la robe au prix exorbitant qui lui faisait de l'oeil depuis début mai. Elle attendait à trouver un prétexte pour l'avoir depuis la première fois où elle l'avait vue dans la vitrine d'un magasin prestigieux.
Les autres membres de cette même table avaient été plus modestes, et n'avaient presque tous l'unique but de s'amuser et de fêter la fin de l'année à plusieurs.
Lorsque tous les élèves étaient rassemblés, le grand micro a crépité à travers l'énorme cafétéria que détenait le vieux lycée Blaise Cendrars. Évidemment, les deux cent élèves ont simultanément tourné le regard vers le bruit, se rendant bien compte que l'heure du discours était arrivée.
-Chers élèves, bonsoir, s'est exprimé Lefebvre de sa voix rauque. J'espère que vous êtes heureux de vous trouver ici à l'heure actuelle.
Tout le monde savait qu'il allait faire de son mieux pour se considérer comme le justicier de l'histoire mais pour le coup, personne ne lui en voulait vraiment car il avait peut-être raison, pour une fois.
Il avait fait de son mieux pour convaincre la direction de faire une soirée pour les deux dernières années qui ne s'étaient pas toujours tenues à carreaux dans le courant de cette année et ça, c'était génial!
Et rien que pour cette raison, il avait réussi à capter l'attention de plus de huit classe en seulement un claquement de doigts.
-Si j'ai organisé cette soirée, c'est pour vous remercier de la bonne volonté dont vous avez fait preuve lorsque je vous ai proposés mon activité spéciale. Cette année-ci, aucun problème n'est subvenu alors, je ne sais pas si c'est parce que j'ai mieux organisé ou si vous êtes des adolescents plus calmes mais en tout cas, ça m'a fait énormément plaisir de vous voir si participatifs.
Le quadragénaire avait réellement l'air enjoué et sincère dans ce qu'il disait donc tous les adolescents présents, même les quelques-uns qui n'ont jamais su le voir en peinture, restaient silencieux, accrochés à ses lèvres.
Cassandre ne disait rien mais sur six ans dans cette école, c'était la première fois que les élèves étaient autant félicités et bien que ça ne soit pour rien de bien extraordinaire, ça faisait plaisir à entendre. C'était équivalent à une poignée de courage pour la suite de la vie. Comme si la direction et les enseignants avaient tenté de faire quelque chose pour rendre la vie future de leurs élèves plus facile, plus agréable, moins dangereuse, mais seul Monsieur Lefebvre en était l'auteur.
Quand ce dernier a terminé son discours et déposé le micro noir qu'il avait fermement tenu dans sa main des milliers de fois, une vieille musique des années soixante a retenti. Rien ne s'est passé jusqu'à ce qu'une fille aux cheveux bouclés s'est lancée, osant aller jusqu'à la piste de danse en se déhanchant. Ça a été comme un signal pour que la fête ne démarre.
Une centaine d'autres élèves se sont alors dirigés à leur tour au centre de la pièce en dansant et chantant fort.
Adélaïde faisait partie du groupe de filles qui bougeaient doucement leurs hanches, non pas pour attirer les garçons car elles n'avaient pas besoin de ça, mais pour que tout le monde voit à quel point elles savaient bien danser.
Rupert, assis dans un coin de la salle, les regardait et les trouvait pathétiques. Il n'a jamais apprécié toutes ces filles qui aiment se faire remarquer. C'était probablement cela qui l'avait attiré chez Lisie, la jeune fille dont il avait été amoureux à l'âge de quinze ans: elle était simple, authentique et n'essayait aucunement d'attirer le regard.
Evan, lui, adorait la façon d'être d'Adélaïde et c'était bien cela le problème: son obsession pour cette fille le bouffait de l'intérieur, le rendait excessivement faible. Il avait tant de fois essayé de faire un travail sur lui, pendant toute une année, pour l'oublier ou du moins passer à autre chose mais chaque matin, lorsqu'il la voyait, c'était la même rengaine: il se rappelait du temps où tous les deux, ils formaient un couple qui fonctionnait, qui lui donnait le sourire.
Et ce soir-là, en l'apercevant dans sa robe de bal rose pâle, son coeur avait battu un peu plus fort, ses mains étaient devenues moites et ses jambes se sont mises à doucement flageller.
Andreï était le garçon, s'étant assis à la table numéro 8 en février, qui s'amusait le plus. Certainement parce que le fait d'être populaire rend souvent les choses plus faciles à être vécues, meilleures.
Cassandre, elle, ne cessait de sourire, heureuse que ses amies et elles soient une dernière fois rassemblées au sein de cette école avant de la quitter pour aller à l'université. Elle se sentait bien dans sa robe orangée et encore mieux dans sa tête.
Nyl, pour sa part, riait de bon coeur aussi. Jade, sa meilleure amie, s'amusait à la faire tournoyer de sa chaise roulante. Depuis l'accident de cette dernière, Nyl aimait davantage passer du temps avec son amie inséparable et le fait de la voir aussi souriante rendait les événements vraiment appréciables, vraiment beaux.
Pourtant, après quelques minutes, Jade a prétendu une envie d'aller aux toilettes. Avant, elle se faisait toujours accompagnée par quelqu'un mais depuis qu'elle était assise dans ce fauteuil, elle voulait aller toute seule, pour éviter que les gens croient qu'elle était incapable de se débrouiller seule pour pisser. Nyl le savait et l'a donc laissée partir.
Durant deux minutes, la jeune fille de maintenant dix-sept ne s'est pas arrêtée de danser parce qu'elle était toute seule au milieu de tous ces groupes d'adolescents. Elle se sentait vivante et s'en foutait royalement du fait d'être l'unique personne sans personne avec qui s'amuser. Cependant, au moment où la dernière note de la musique a retenti, elle n'a plus bougé et remarqué Rupert assis de l'autre côté de la salle. Il était seul et avait l'air de n'avoir qu'une envie: rentrer chez lui.
Après réflexion, elle s'en est approchée et l'a salué d'un signe maladroit de la main.
-Tu es tout seul?, a-t-elle tenté.
Suite à cela est né une réelle conversation entre les deux adolescents.
Ils ne s'étaient pas vraiment reparlé depuis l'activité mais une chose était sûre: ils étaient tous les deux intrigués par l'autre depuis ce mercredi de février durant lequel ils avaient été assis à côté.
Après dix minutes de discussion, une vieille musique sur laquelle on pouvait danser en couple a émis sa première note. Rupert l'a directement reconnue et a invité la jeune fille à danser avec lui.
Nyl était mal à l'aise face à une proposition pareille mais ne pouvait pas refuser cette invitation: elle adorait cette chanson et avait envie de danser dessus accompagnée de Rupert.
La musique était belle et Nyl avait la tête posée contre l'épaule du garçon aux grands yeux clairs.
-Merci de m'avoir écoutée en février, a commencé l'adolescente. Je sais que tu n'avais pas vraiment le choix mais tu as été très réceptif, chose que j'ai énormément appréciée.
Rupert a premièrement répondu d'un simple sourire sincère et radieux, avant de la remercier à son tour. Il ne l'a pas uniquement remerciée de l'avoir écouté mais d'avoir été à la même table que lui et d'avoir posé ses doigts, ce jour-là manicurés de vernis foncé, sur les hématomes qu'il avait sur l'avant-bras. Elle ne se souvenait pas de ces détails, était-il persuadé, mais ça l'avait marqué, ça ne lui quittait plus l'esprit.
Pendant que ces deux-là se chuchotaient des remerciements maladroits à propos de choses qu'ils avaient faites sans le vouloir ou dont ils avaient oublié l'existence, Cassandre s'était subitement mise à pleurer dans les bras de son amie, Tamara. Elle regrettait déjà les six ans passé au lycée Blaise Cendrars et n'avait pas envie de partir, de perdre toutes les amitiés qu'elle s'y était faites. Elle se rendait compte que rien n'était éternel, ni même le bonheur d'avoir de bons amis car peu importe tous les efforts qu'elle pourrait faire, elle ne serait plus amie avec aucune de ces personnes deux ans plus tard.
Tamara lui répétait qu'elle était pessimiste, qu'il ne fallait pas croire à des choses pareilles, avoir de telles pensées. Cassandre le savait mais ne pouvait s'en empêcher.
-Ce n'est pas la fin, a prononcé Tamara, comme si elle avait déjà réfléchi à la question, ce n'est que le début de tout. Ta vie ne va faire que commencer et certes, tu vas t'éloigner de nombreuses personnes qui te sont maintenant indispensables mais tu t'habitues rapidement à la nouveauté. Ça ne te posera aucun problème, je ne me fais pas de souci à ce sujet.
La grande brune habillée d'une robe couleur abricot s'est légèrement calmée, trouvant les mots de son amie vraiment justes, réfléchis, intelligents. Elle s'est essuyée les yeux sans vraiment se rappeler qu'elle portait un peu de maquillage sur le visage mais ça ne posait de problème à personne.
-Maintenant, profite de cette soirée, a continué la gentille blonde.
Cassandre a remercié une dernière fois la jeune fille en tentant tant bien que mal de reprendre ses esprits et de se remettre à danser.
Pourtant, elle a remarqué, de loin, qu'Evan et Adélaïde parlaient ensemble. Elle n'a pas voulu gâcher ce moment certainement intéressant pour tous les deux mais une merveilleuse idée lui est venue à l'esprit. Elle s'est donc excusée auprès de ses amies et a couru aux quatre coins de l'énorme salle.
Une fois son travail terminé, elle est allée attendre près du vestiaire. Elle n'a pas dû patienter longtemps avant que le bel Andreï n'arrive. Il était radieux dans son costume de soirée et un joli sourire ne semblait pas quitter son visage.
Très rapidement, les quatre autres membres de la huitième table sont arrivés à leur tour.
Adélaïde avait les joues rouges et les cheveux emmêlés. Evan, lui, souriait bêtement, heureux d'être là ce soir, auprès de ses amis proches et de la jolie Adélaïde.
Rupert et Nyl, eux, avaient l'air d'avoir des choses à se raconter l'un l'autre uniquement dans la façon dont leurs épaules se touchaient délicatement et distraitement à chaque pas qu'ils faisaient.
Cinq regards étaient posés sur Cassandre, qui leur avait demandé de se rassembler durant quelques minutes seulement.
-Je tiens à vous remercier de m'avoir écoutée et de n'avoir lancé aucune rumeur à mon sujet, a commencé la jeune fille aux cheveux épais. Je ne vous considère pas comme des amis et ne connais rien de vous mais je suis contente que vous ayez été si adorables.
Nyl est instantanément allée la prendre dans ses petits bras, touchée par les mots de la jeune fille avec qui elle s'entendait bien. C'était quelqu'un de sincère et de spontanée; elle faisait ce dont elle avait envie sans jamais véritablement réfléchir alors elle a directement étreint les quatre autres lycéens.
-C'était spécial, ce jour-là et je n'en ai pas un souvenir exceptionnel mais vous avez été respectueux et n'avez jamais été dire à personne des conneries comme quoi je me tapais mon frère, a repris la jeune fille habillée d'une robe à volants oranges.
Cassandre aussi était vraie dans ce qu'elle disait et pensait sincèrement chaque mot qu'elle prononçait avec réflexion.
Aucun d'eux ne lui répondait vraiment mais elle s'en foutait. Elle avait juste eu besoin de leur dire ce qu'elle avait sur le coeur et maintenant que c'était fait, elle se sentait plus sereine.
-C'était probablement la pire matinée de mon année de terminale, a avancé Andreï, mais j'avoue que ça m'a permis d'oser dire tout haut ce qui me tracassait depuis trop longtemps.
Tout le monde s'est instantanément souvenu de l'histoire de son grand père aux valeurs antisémites et quelques-uns ont de nouveau eu des frissons dans le dos.
-J'ai mis fin à la liaison spéciale que j'échangeais avec le professeur de chimie et je me sens moins étrange, moins troublée par le monde extérieur, a dit Adélaïde de but en blanc. Je ne pense pas que vous soyez les auteurs de cette décision mais vos regards exorbités et les insultes que vous avez pensées m'ont ouvert les yeux.
Evan ne quittait pas des yeux la grande blonde lorsqu'elle disait cela, peut-être un peu trop heureux d'entendre ces paroles sortir de la bouche de la fille qu'il aimait encore secrètement.
Rupert n'a rien dit mais a levé la manche de sa veste de costume, afin de montrer aux lycéens ses bras. Cette fois-ci, ils étaient presqu'intacts; seul un hématome trônait au milieu de tout.
-Ton frère a arrêté de te frapper?, a demandé Andreï, se rappelant du secret qu'il avait raconté.
-Il a rencontré une jeune femme en mars qui a réussi à l'assagir.
Un sourire est apparu sur le visage de Nyl, aimant la conclusion cette histoire.
Avant même que l'une centième question ne se pose, une vieille musique des Beatles a démarré. Un énorme silence s'est fait entendre entre les six adolescents avant que Cassandre n'attrape la main de Nyl pour l'emmener sur la piste de danse.
Après peu d'hésitation, les autres sont allés les rejoindre et alors, ils ont dansé à six, le sourire aux lèvres, remerciant presque Monsieur Lefebvre de les avoir placés à la même table.
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Il reste un chapitre au compteur.
J'espère que ce dernier vous a plu