Le 23 décembre
Vendredi, heureusement, je ne bosse pas de nuit. Mais au lieu de dormir telle une marmotte jusqu'à dix-huit heures, je décide d'aller voir mes parents en fin de matinée.
— L'opération l'a fatigué, m'informe ma mère quand je rentre dans la chambre d'hôpital de mon père.
Dès qu'elle aperçoit mes cernes, elle se dirige vers moi, inquiète. Maman me pose une panoplie de questions et m'assomme avec ces dernières. Je n'ai pas pris soin de cacher les marques que la souffrance émotionnelle et psychique ont causé sur mon visage.
Comme si mon moral à sec n'avait pas suffi, c'est en voulant partir de chez moi que je me suis rappelé que c'était Jales qui m'avait ramenée la veille. Au final, j'ai dû appeler un taxi pour me déplacer.
— Mais merci, mon Dieu, cette opération lui a également sauvé la vie ! continue ma mère après s'être rendu compte que je ne répondrai pas à ses interrogations précédentes.
Je remarque qu'elle aussi est fatiguée. Je me doute qu'elle a dormi ici, aux côtés de mon père et mon cœur déjà fragilisé par tous les événements passés se comprime encore plus lorsque je pose mon regard sur mon paternel qui dort.
— Je vais devoir contacter tout le monde pour annuler le repas de Noël à la maison, soupire ma mère.
Évidemment, avec toute cette histoire, il pourra se considérer chanceux si les médecins le laissent sortir avant la fin du mois.
Il n'empêche que quand je repense à toutes les épreuves que j'ai traversées pour un repas qui va finalement être annulé, j'ai un peu l'impression que le destin me fait un pied de nez. Enfin bon, mon père va bien, c'est tout ce qui compte.
— Est-ce que tu crois que l'on pourra tout de même faire le repas du Nouvel An ? demande ma mère et je lui fais un signe négatif de la tête. Évidemment, Trevor sera encore convalescent, quelle mauvaise épouse je fais à penser au repas plutôt qu'à son rétablissement ! lance-t-elle en colère contre elle-même.
— Veux-tu que je téléphone à ta place ? proposé-je en sentant qu'elle est sur le point de craquer.
Elle hoche la tête et m'offre un sourire reconnaissant. Je connais la liste des invités, car c'est toujours la même chaque année. Il y a Maxime et Alice évidemment, puis les oncles Warren et Jacob, ensuite deux amies de ma mère : Lydia et Charlene puis les collègues de travail de mon père. Je me demande si Ben est invité cette année ? Si ce n'est pas le cas, il a sûrement l'intention de se ramener à la fête avec son frère Tommy.
Je soupire puis grimace. Tout compte fait, ça fait du monde à appeler.
Ma mère me fait signe d'attendre et va chercher sa petite liste dans son sac. Et tout ce que je peux dire, c'est que lorsque je la découvre, je réalise que j'étais bien loin du compte. Mon père et ma mère avaient décidé de fêter Noël avec toute la famille ma parole !
Je comprends soudainement la raison de ce grand regroupement. Ils souhaitaient montrer à tout le monde le petit ami de leur fille.
— Oui, on avait rajouté quelques noms avec ton père, avoue ma mère comme s'il n'y avait que deux invités supplémentaires et non pas une trentaine.
Je regarde le papier puis secoue la tête. Avec tous ces gens à appeler, il faut que je demande le portable à ma mère sinon je vais me retrouver à sec question forfait. Eh oui, je suis toujours autant adepte des forfaits rechargeables. Malgré l'incident de la panne de voiture, je n'ai pas opté pour un forfait mensuel et je n'ai pas énormément d'heures de communication devant moi. Je veux bien progresser sur certaines choses, mais il faut me laisser le temps, surtout en ce qui concerne la technologie.
— Je te le passe oui ! sourit celle qui lit dans mes pensées.
D'ici deux jours, mon père quittera sa chambre de soins intensifs pour une nouvelle. J'espère que la cicatrisation de sa paroi thoracique ne sera pas trop douloureuse. Ce n'est pas parce que c'est un véritable héros que la vie peut s'acharner à ce point sur lui.
Quand j'ai enfin fini mon travail de secrétaire et rentre dans la chambre, je découvre ma mère endormie, la tête posée sur le lit. Elle tient la main de mon père et l'émotion me gagne en les voyant ainsi.
Je ressors de la chambre le plus silencieusement possible puis une fois dans le couloir, m'adosse contre le mur. Ils ont fêté leurs vingt-sept ans de mariage il y a tout juste deux mois et on dirait parfois un jeune couple, amoureux comme lors des premiers mois de découverte. Je les ai toujours admirés sur ce point, mais malgré leur amour enviable, je ne peux pas m'empêcher de penser au fait que mon père sera convalescent durant un bon moment.
Le délai peut aller de six à douze semaines pour qu'il reprenne. D'après ce que j'ai cru comprendre sur sa fiche de soin, il doit adopter un certain régime alimentaire et un nouveau mode de vie donc je me doute que cela va apporter de nombreuses modifications à la maison parentale ainsi que quelques complications pour tout un chacun. Il faudra vraiment limiter les activités, lui faire entendre qu'il ne peut pas reprendre tout de suite la voiture et que ses promenades devront être limitées, de même que certains aliments pour faire chuter son cholestérol.
Je décide de penser à autre chose : je vais pouvoir récupérer ma voiture, rentrer chez moi pour sortir Happy et être à l'heure pour ma garde nocturne. Ces informations-là sont bien moins dangereuses pour mon moral.
Malheureusement aussitôt ai-je songé à la maison que le visage de Jales s'impose dans mon esprit. Je ne l'ai pas croisé aujourd'hui. Je ne sais pas s'il travaille de jour ou de nuit comme moi. Une panoplie de questions m'assaille. Comment va-t-il se comporter avec moi désormais ? Qu'est-ce que sa déclaration voulait dire exactement : qu'il pourrait m'aimer, qu'il ne peut pas être avec moi, qu'il peut l'être, qu'il veut l'être ?
***
Lorsque je sors de chez moi avec Happy, je remarque que le ciel est étonnamment clair. Les mains emmitouflées dans mes gants, le bonnet bien dressé sur la tête, je donne un coup d'œil vers le manteau de mon chien qui commence un peu à le serrer depuis quelque temps.
— Il va falloir se calmer sur les croquettes mon bébé ! lui lancé-je, mais mon chien m'ignore ou ne comprend pas que je lui parle tout simplement.
Ce n'est pas la première fois que je le lui dis, mais malgré mes efforts, il ne maigrit pas. Je vais peut-être être obligée de me tourner vers les croquettes du vétérinaire tout compte fait.
Tout en soupirant, je hausse les épaules. Mon souffle fait de la buée et je chasse cette dernière de la main. Je suis certaine que l'on dirait une petite fille qui voit un nuage pour la première fois, mais je n'y peux rien si je trouve cela beau.
Durant la promenade, je croise Christopher avec sa chienne Galya. Bien qu'elle soit de taille moyenne puisqu'elle c'est un rottweiler, elle porte aussi un manteau. Après quelques caresses pour la demoiselle, je relève la tête et souris à mon voisin. Celui-ci ne travaille plus depuis plusieurs semaines car il est en arrêt maladie. Il m'a d'ailleurs avoué qu'il avait promis à ses proches d'engager quelqu'un pour s'occuper de la maison et de sa vieille fifille qui va bientôt fêter ses dix ans (je fais référence à Galya évidemment puisque Christopher est célibataire et sans enfant), mais je sais qu'il n'engagera personne.
Tout en boitant, il me salue et mon cœur se serre en pensant à sa vie en solitaire. Je devrais être une bonne voisine et l'inviter quelques fois à dîner à la maison. Je me promets de le faire prochainement. D'ailleurs, si ma mémoire ne flanche pas trop, il y a trois autres personnes que je devrais aller voir, en plus de mes trois amies. Évidemment, je parle de Lucy, Andrew et Charles.
Tout en silence, je me promets d'aller les voir avant le Nouvel An. Oui, c'est bien comme date.
— Alors Happy, on est de sortie ?
Christopher habite ici depuis plus de douze ans, ce qui fait que quand je quittais tout juste l'adolescence, il était déjà mon voisin.
Celui-ci me regarde et ses fameuses rides qui font tout son charme s'accentuent. Je suis certaine qu'il pourrait rendre une femme heureuse. Je me souviens qu'il y a quelques années, il avait fréquenté une jolie dame. Puis du jour au lendemain, elle a arrêté de venir. Je devais avoir vingt-quatre ou vingt-cinq ans. C'était la période durant laquelle on discutait souvent et Christopher m'avait avoué qu'elle s'était servie de lui pendant deux ans et qu'elle l'avait quitté sans véritable explication.
Je soupire en regardant mon voisin refermer son manteau noir. Il lui faudrait quelqu'un qui soit à ses petits soins et qui aime les animaux. Une femme vers la quarantaine. À fort caractère pour être en mesure de reprendre sa vie en main et l'obliger à prendre soin de sa santé.
Après cette brève énumération, une personne me vient à l'esprit. Je sais que Madison est divorcée depuis maintenant cinq ans. Christopher et Maddie seraient parfaits ensemble !
Je secoue aussitôt la tête. Depuis quand je forme les couples ? Ce n'est pas parce que je les vois bien ensemble qu'ils se plairont et surtout s'entendront. Je m'oblige à oublier mon projet Cupidon.
— Bonne fin de journée Christopher, lancé-je et il me répond gaiement.
Bah, peu importe ! Tant que je ne les présente pas je ne peux pas savoir s'ils sont compatibles et eux non plus. Ce serait bête qu'ils passent à côté d'une belle histoire, non ? Il faudra que je pense à inviter Madison en même temps que Christopher.
— N'est-ce pas la meilleure période pour trouver l'amour mon bébé ? soupiré-je en souriant à mon chien.
Tandis que ce dernier continue sa route comme si je n'avais rien dit, je songe à Jales et mon sourire se fane. Oh Jales... Mon corps tout entier pleure pour lui. Qu'y a-t-il de pire que perdre un être aimé ?
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NOTE AUTEUR
On a quelques nouvelles du père d'Annabelle. Quelle frayeur ! Il revient de loin le pauvre...
Notre protagoniste compte jouer à Cupidon. On le sent ou on ne le sent pas ?