Le 21 décembre
Ayant eu mon lundi comme jour de repos, j'enchaîne la semaine.
— J'ai eu quelques contractions il y a deux jours, m'avoue ma patiente tandis que je l'ausculte.
Je relève la tête, alertée par ses dires.
— Il y a deux jours, vous dîtes. Aviez-vous fait des efforts ? Les contractions étaient-elles fortes ?
La maman me regarde, inquiète. J'essaie de la détendre en lui souriant gentiment. Enceinte de seulement cinq mois, elle laisse transparaître du stress et je devine qu'elle ne se repose pas malgré son état de santé.
— Les contractions n'étaient pas très fortes, je... je m'occupais du ménage quand c'est arrivé.
— D'accord. Bon, nous allons devoir vous faire passer quelques examens afin de vérifier que tout aille bien. Le mieux serait que vous passiez la nuit ici, l'informé-je après quelques minutes.
Avec ce genre de patiente, il est préférable d'employer les grands moyens. Au moins, nous pourrons l'ausculter comme il se doit et elle sera au repos.
— Il faut que vous stoppiez toute activité physique, pour votre bien, mais surtout celui du bébé. Ce qui veut dire que vous allez devoir trouver quelqu'un pour faire le ménage à votre place. Il faut vous ménager.
Elle semble embêtée par ce que je viens d'annoncer. Il faudra que j'en touche deux mots à notre gynécologue, car bien que ce que je viens de déceler ne soit pas spécialement dangereux pour le moment, le mode de vie de la jeune femme peut cependant entraîner des complications dans le futur.
Après le départ de la jeune femme pour une chambre, je n'ai même pas le temps de me poser une petite minute, car une autre patiente m'attend déjà.
Au final, c'est quelque peu fatiguée que je pars déjeuner. Zoey ne travaille pas en même temps que moi cette semaine. Elle fait deux gardes de nuit, ce qui fait qu'elle est moins présente de jour. Même Irina n'est pas au service de restauration lorsque j'arrive dans la grande pièce.
Mon plateau à la main, j'aperçois Madison, assise à table avec d'autres sages-femmes ainsi que Lola. Maddie me salue et me fait signe de les rejoindre. Je me souviens que mes premiers jours de travail ont été difficiles. À l'époque, j'étais encore une gamine et arriver dans un monde où la plupart des sages-femmes avaient presque le double de mon âge a été compliqué pour moi. J'étais impressionnée par le déroulement du travail hospitalier ainsi que les employés. Désormais, cela fait quelque temps que je travaille ici, je me sens plus à ma place, bien qu'il m'arrive parfois de devoir faire face à des moments difficiles, tels que celui-ci.
Une fois arrivée devant Madison, je salue Lola, Chloé et Sophia. Elles sont de l'âge de Maddie et leur conversation, bien qu'intéressante, n'est pas ma tasse de thé. Comment pourrais-je discuter avec elles d'enfants et petits-enfants alors que je ne suis même pas en couple et n'ai pas encore de nièces ou neveux ?
Mon repas se fait dans le silence, mais cela ne semble pas déranger mes collègues qui parlent pendant un bon quart d'heure. Lorsque je me lève de table, je les salue d'un signe de tête et quitte le réfectoire aussi vite que possible.
Je finis ma pause en arpentant le couloir d'obstétrique tel un lion en cage. Je ne sais pas si Jales travaille. Je ne connais pas ses horaires du mercredi. Hier, il n'avait pas les mêmes que moi, il me semble. Je sais cependant où se trouve son bureau étant donné qu'il m'y a fait rentrer la fois où j'ai cassé son portable. Seulement, que pourrais-je lui dire si je le croise ?
C'est lui qui m'a embrassée, c'est lui qui est parti sans rien dire ou presque. Si quelqu'un doit prendre les initiatives, c'est bien lui ! Je n'ai pas à me creuser les méninges pour cela. Alors pourquoi ne puis-je pas m'empêcher de penser à lui à tout-va ?
***
— Seigneur, déjà ! m'exclamé-je en regardant mon calendrier une fois rentrée chez moi.
Comment pouvons-nous être déjà le 21 décembre ?
Dans trois jours, je serai sûrement en train de courir partout pour préparer le repas du réveillon de Noël. Il va falloir que je pense à aller faire quelques courses.
Pire encore, dans quatre jours, il y aura le repas chez mes parents. Est-ce que Jales sera présent ? Ou bien devrais-je rappeler Nash ?
Non, non, non Annabelle ! crie la petite voix dans ma tête.
C'est vrai qu'après réflexion, je me suis rendu compte que j'étais encore en colère contre le blond et surtout contre moi-même. Après tout, à cause de ce stupide mensonge au mariage de mon cousin, je n'ai pas arrêté de jouer sur plusieurs tableaux et dernièrement, j'ai surtout alterné entre deux : Jales et Nash. Et ce n'est franchement pas mon genre de collectionner les hommes.
Puis en y réfléchissant bien, en plus du fait que je n'ai pas répondu aux SMS de Nash et qu'il doit sûrement m'en vouloir à son tour de l'avoir ignoré, je n'aurais pas pu rattraper le coup pour le repas. En effet, désormais mes parents voient Alexander avec le physique de Jales, alors si je présentais Nash à ma famille comme étant mon petit ami, ça ne collerait pas. Sauf si je décidais de mettre ma mère et mon père dans la confidence et que je leur demandais de mentir à leur tour. Et c'est justement une chose que je refuse de faire. Il est hors de question qu'ils deviennent les complices de mes mensonges. Déjà que Max, Alice et Roxanne le sont... Finalement, ça commence à faire pas mal de monde dans la confidence, si on rajoute Jales, Nash et Nigel.
De toute façon, tout cela est la faute de Jales ! Enfin la mienne aussi, mais je préfère dire que c'est mon voisin qui est en tort. C'est moins douloureux pour ma conscience.
— Ah, tout m'échappe mon pauvre Happy ! Tout m'échappe, soupiré-je.
Dix minutes plus tard, je suis en pleine conversation téléphonique avec Maxime.
Et tandis que j'essaie d'enfoncer la cuillère dans mon pot de glace Vanilla Pecan Blondie de Ben and Jerry's, je grimace. Quelle bataille ! Je sais que je devrais attendre que ça décongèle, mais ensuite je serais obligée de tout manger et bien que cela ne me dérange pas, je sais que mon estomac ne sera pas du même avis.
Après un soupir, je retente une nouvelle fois l'expérience en me crispant sur mon couvert et sursaute en sentant ce dernier me rester dans la main, à moitié pliée.
— Anna ? Qu'est-ce qu'il se passe ? demande mon cousin tandis que je m'énerve toute seule.
— Ma glace a tué ma cuillère.
Ce n'est pas tout à fait ce qui vient de se passer, mais je décide de résumer l'événement ainsi. Au moins, mon résumé fait rire Maxime.
— Si tu bouffais moins de glaces aussi, tu aurais plus d'argent sur ton compte, quelques kilos en moins, tu pourrais courir sans être tout le temps essoufflée, et surtout, tu trouverais encore des cuillères dans ton placard ma chère !
Je soupire bruyamment en m'avouant vaincue. Maxime a raison sur toute la ligne. Quelques petits kilos en moins ne seraient pas de refus. Je ne suis pas grosse, mais les tailles de pantalons ne cessant de diminuer dans les magasins, tomber à la taille US28 serait plus avantageux.
— Si Jales daignait montrer le bout de son nez, peut-être que je n'essaierais pas de dévorer cette fichue glace hypercalorique qui ne va pas seulement assouvir ma gourmandise, mais aussi accentuer mes poignées d'amour ! m'emporté-je.
Maxime met quelques secondes avant de me répondre et j'ignore si c'est parce que je lui arrache les mots de la bouche ou si c'est parce qu'il ne veut pas me froisser. J'attrape mon pot de glace ainsi que ce qui me reste de ma cuillère et vais les poser sur la table de la cuisine. Je jette ensuite un coup d'œil vers ma fenêtre.
D'ici, je peux voir le trottoir ainsi que l'emplacement vide de la voiture de Jales. Il est sûrement encore au boulot. À moins qu'il soit en ville, ou avec une autre femme.
Mince alors, mais qu'est-ce qu'il m'arrive ? C'est de pire en pire.
— Rah, il va finir par me rendre folle, soupiré-je.
— J'avais dit exactement la même chose pour Alice, tu te rappelles ?
Alice avec qui il s'est réconcilié dès samedi soir à son retour. D'après les dires de Max, elle a reconnu qu'il n'avait pas à se montrer violent mais qu'elle comprenait qu'il ait voulu la défendre. Elle lui a d'ailleurs avoué que ce n'était pas la première fois que son patron avait un geste déplacé et que l'action de son mari lui avait fait réaliser qu'elle aurait dû réagir plus tôt et ne pas se laisser victimiser par peur de perdre son boulot.
Tout en me maudissant de le jalouser, je me remémore les débuts de leur couple et cela me remonte un peu le moral.
Maxime a rencontré Alice alors qu'il était encore à la fac. À cette époque, elle enchaînait plusieurs petits boulots, dont celui de serveuse au même bar-restaurant que Max. Je me souviens que dès son premier soir de service mon cousin m'a appelée en pleine nuit pour me dire qu'il avait eu un coup de foudre. Elle était souriante et Maxime adorait sa voix douce et posée. Il était littéralement fou d'elle alors qu'ils ne s'étaient même pas encore parlé, si ce n'était pour rentrer dans les vestiaires.
Chaque fois qu'il la voyait, il avait l'impression d'être en apesanteur.
Max demandait toutes les semaines à son patron la possibilité de faire des heures supplémentaires. Ses supplications ont duré deux mois. Il se motivait à chaque fois pour aller lui parler, mais elle semblait inaccessible.
Puis un jour, il s'est dit qu'il était temps de se lancer et l'a suivie dans la cave à vins. Seulement en voyant qu'elle ne lui répondait pas parce qu'elle lisait quelque chose, il s'est avancé vers elle et l'a poussée involontairement sur une barrique. La jeune femme est tombée les fesses sur le tonneau, les bouteilles qui étaient rangées derrière elle se sont cassées et Alice s'est tenu le dos en grimaçant durant tout son service.
Après ce soir-là, elle a interdit à Maxime de l'approcher à nouveau. Ce dernier a tenu à rembourser toutes les bouteilles de vin qui avaient été brisées bien que cela ne lui ait pas évité le renvoi.
Suite à cet événement, mon cousin était si déprimé qu'il n'avait même pas envie de se rendre à ses examens et aurait probablement raté son année si je ne l'avais pas obligé à terminer ce qu'il avait commencé.
Puis trois mois plus tard, Alice et lui se sont recroisés dans la rue. Elle tenait le bras d'un homme et Maxime a bien cru mourir sur place d'un arrêt cardiaque en pensant qu'il s'agissait de son copain. Mais lorsque celui-ci s'est évanoui au beau milieu de la rue, mon cousin a été le premier à le secourir. C'est ainsi qu'il a appris qu'il s'agissait du père d'Alice et qu'elle s'occupait de lui depuis que ses parents avaient divorcé.
C'est sur le banc du couloir de l'hôpital que Maxime et la jolie brune, qui avait autrefois les cheveux longs, ont véritablement parlé pour la première fois. Il était tellement stressé qu'il ne cessait de bégayer et Alice a trouvé sa maladresse charmante.
Max m'a ensuite annoncé qu'ils devaient se voir rien que tous les deux pour une séance cinéma. Puis ils ont renouvelé les sorties et au bout de trois mois, mon cousin m'a annoncé qu'elle avait fini par tomber sous son charme indéniable et qu'ils sortaient désormais ensemble.
Je dois reconnaître que me remémorer ce récit me fait toujours plaisir. Leur histoire est tellement adorable.
— Ouais Max, réponds-je après une éternité en continuant à fixer dehors, mais toi tu as fini par sortir avec Alice.
— À ce que je sache, Jales ne déménage pas ! réplique-t-il, alors on ne peut pas dire que votre histoire soit terminée. Laisse-lui du temps Anna. Tout le monde n'avance pas à trois cents kilomètre-heure, tu sais.
Sauf que ce n'est pas moi qui l'ai embrassé. Enfin si, c'est vrai que je l'ai fait devant mes parents, mais c'était dans un autre contexte. Si Jales voulait tant prendre son temps, pourquoi m'a-t-il embrassée alors ?
Je reste plantée derrière ma fenêtre durant tout le reste de l'appel et lorsque je vois le 4x4 de mon voisin passer devant chez moi, mon cœur accélère. Il continue sa route jusqu'à son trottoir puis je suppose qu'il rentre sa voiture dans le garage puisque l'angle ne me permet plus de voir quoi que ce soit.
Je ne sais même pas s'il accorde un regard vers ma maison, mais je me doute que ce n'est pas le cas. Après tout, ça fait deux jours qu'il m'ignore, alors je ne vois pas pourquoi ça changerait ce soir.
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NOTE AUTEUR
Est-ce que vous aussi, vous seriez perdu(e) si vous étiez à la place d'Annabelle ?
On apprend quelques détails concernant l'histoire de Maxime et Alice... J'avoue que j'aime bien comment leurs débuts se sont déroulés. Et vous, comment avez-vous rencontré votre moitié(e) ?
Personnellement, c'était au boulot ! Et désormais, on vit le parfait amour dans notre appartement avec nos deux chiens.