Vers le coup des dix heures, je sors à nouveau Happy. Bien emmitouflée dans mon gros manteau, je donne une fois de plus un coup d'œil vers la porte de Jales et je trouve toujours porte close et aucun signe de vie.
Sur le chemin menant au plus grand parc du village, je croise Christopher, mon voisin d'en face. Même si je n'ai pas oublié la fois où ses invités se sont garés chez moi et ont causé indirectement l'accident de ma voiture, je ne peux pas lui en vouloir. Car cet homme est tout simplement adorable.
Celui-ci promène sa chienne rottweiler et nous discutons une bonne demi-heure tandis que nos amis à quatre pattes s'amusent en poussant parfois des grognements plus dignes d'ours que de chiens.
Quand je rentre à la maison, il doit être aux alentours des onze heures trente. Revigorée, malgré la situation, j'ai le cœur un peu plus léger. Enfin, il l'était, jusqu'à ce que j'aperçoive Jales et que pour une raison qui m'échappe, je repense à Alexander.
Le brun bâille et regarde des documents qu'il tient dans les mains. Il ne m'a, à première vue, pas remarquée. Je me dirige vers ma porte, fais rentrer Happy et décide d'aller prendre de ses nouvelles, telle une bonne voisine. Après tout, ce n'est pas parce que j'ai raté les premières présentations que tout est perdu. La preuve avec hier soir.
— Bonjour ! m'écrié-je joyeusement en arrivant à sa hauteur.
Je regrette aussitôt la tonalité de ma voix, car s'il a la même gueule de bois que Maxime, je lui aurais causé un mal de tête affreux.
— Vous allez bien ?
Je m'adosse contre sa voiture et Jales semble surpris que je sois si libre d'agir. Il fait un pas en arrière, comme si j'étais une méchante bête s'apprêtant à le croquer tout cru. Moi qui pensais que nous avions franchi un cap tous les deux hier soir. Ben oui, je pensais que nous étions « potes » désormais.
— Je vais bien, répond finalement le brun.
— Très bien, lancé-je après quelques secondes de silence, alors si tout va bien, c'est super.
Je remue la tête pour accompagner mes dires.
C'est gênant ce silence. Je n'ai jamais trouvé une conversation aussi nulle.
Après m'être mordu les lèvres, car aucune réplique pouvant faire perdurer l'instant ne me vient à l'esprit, je décide de quitter les lieux comme si de rien n'était. Je fourre mes mains dans les poches de mon manteau puis je m'avance pour rejoindre ma maison quand le bruit d'un moteur me fait tourner la tête. Je reconnais aussitôt la voiture s'engageant dans le quartier.
La panique s'empare de moi tandis que je vois la Honda Civic de mon père se garer devant ma maison et instinctivement, j'attrape le poignet de Jales pour qu'il vienne se cacher derrière son véhicule.
— Oh Seigneur ! Ce sont mes parents, soufflé-je horrifiée.
Je pense tout de suite à Maxime dans mon salon. J'espère qu'il n'a pas fait de conneries du genre allumer une playlist bien nulle pour danser avec ma brosse à WC en caleçon. Si j'y songe, c'est parce que c'est du vécu. Cela remonte à plusieurs mois désormais. Debout sur la table de ma cuisine, il m'a accueillie avec la fameuse chanson du Moulin rouge, uniquement vêtu d'un caleçon à carreaux bleus et blancs.
Après ce bref flash-back, qui me fait pouffer de rire intérieurement, je me rappelle que je suis à côté de Jales.
— Rentrez chez vous.
Comme il me regarde en haussant un sourcil, je lui donne une tape pour lui faire comprendre qu'il faut qu'il s'en aille. Je ne sais pas ce que j'ai aujourd'hui à taper tous les hommes qui m'entourent, mais il faut peut-être que je me calme un peu.
Décidé à faire son rebelle, Jales résiste. Bon, tout compte fait, il n'a peut-être pas tort. Si jamais il retournait chez lui, à moitié plié en deux, mes parents se demanderaient ce qu'il a et s'ils finissaient par m'apercevoir, mon père s'inventerait un scénario tordu.
C'est que monsieur Stewart a pas mal d'imagination et qu'il ne s'en sert pas que pour son métier.
— Mais qu'est-ce qu'il vous arrive ? demande Jales ne comprenant pas dans quelle situation je me trouve actuellement.
Je regarde ma mère sortir de la voiture et grimace. Je ne m'attendais pas à les revoir si rapidement. Je pensais avoir encore le temps de chercher Alexander. Est-ce que je continue ma comédie ou est-ce que je leur annonce que leur fille est une grosse menteuse ?
C'est la panique. La panique complète ! Nash qui me lâche, mes parents qui débarquent... C'est quoi la prochaine étape de la journée ?
— Dîtes-moi Jales, vous êtes célibataire. Enfin non, je n'ai pas mis le bon ton. Je veux dire, est-ce que vous l'êtes ? Parce que...
Les yeux perdus qu'il m'offre me font réaliser qu'Annabelle la boulette vient de récidiver.
Pourtant, même si une part de moi est en train de me dire que j'ai pété un câble, l'autre semble étrangement heureuse.
— Vous voyez les gens là-bas ? Ce sont mes parents.
Je l'ai déjà dit, je crois.
— En fait, il s'avère que je me retrouve dans une drôle de galère. Tout ça, c'est à cause de Julia. En fait, c'est une véritable sorcière et je...
Court Annabelle, fais court !
— Et merde ! Bon, venez avec moi alors, soufflé-je en le poussant pour que l'on sorte de derrière son auto comme si on venait de se promener.
Bien droite, un sourire niais collé aux lèvres, je fais quelques pas puis me rends malheureusement compte que je suis seule à avancer. Mon voisin ne m'a pas suivie ! Cette honte.
Je retourne en arrière aussi vite que possible, lui attrape l'avant-bras et le tire avec moi ce coup-ci. Il me suit difficilement, ne cessant pas de me demander ce que je fais. Je resserre un peu plus ma poigne et lui souris en donnant un coup d'œil vers ma mère qui nous regarde arriver. Je ne peux pas lui expliquer la situation désormais qu'elle nous fixe. Elle serait capable de lire sur mes lèvres.
— Qu'est-ce que vous faites ?
— Jouez-là naturel ! lui ordonné-je en tournant complètement la tête vers lui.
Je lui lâche le bras et me dirige vers mes parents.
— Papa, maman. Mais quelle surprise !
Je n'avais pas pensé à la possibilité qu'ils passent. Pourtant, s'il y a bien quelque chose qu'ils adorent faire tous les deux, c'est passer à l'improviste. Pas de temps de préparation, ils sont certains de tomber sur quelque chose de croustillant à chaque fois. Quels fourbes !
Ma mère me prend dans les bras puis je me dirige vers mon père. Salutations faites, je me retourne vers Jales. Le pauvre se tient tout droit et doit sûrement se demander ce qu'il fait là.
Allez, je peux le faire. Oui, ce n'est pas une mauvaise idée. Je n'ai pas le choix de toute façon. Je prends une grande inspiration. Ça va le faire...
— Je vous présente Alexander, mon petit ami ! déclaré-je en rejoignant mon voisin.
Je sens le bras de celui-ci tenter de m'échapper. Peut-être est-ce mon imagination, mais il me semblerait aussi avoir entendu un « quoi ? » étouffé et totalement paniqué.
— Eh bien ! Quel plaisir d'enfin vous rencontrer ! se réjouit maman.
Je croise le regard de mon père. Il semble satisfait de l'apparence de mon « petit ami ». Quant à maman, je sais qu'elle se retient de lui poser une horde de questions. Ils paraissent si heureux.
Bon, je ne tiendrais pas le même discours pour Jales, mais il y a prescription. J'ai paniqué. Puis Nash m'a abandonnée. Et mon voisin a été sympa la veille en ne me contredisant pas les compliments de mon cousin me concernant.
Oui, c'est ça. C'est sa faute, tout à fait !
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NOTE AUTEUR
Les parents qui arrivent à l'improviste... Qui a déjà connu ça ? J'ai de la chance, les miens me préviennent toujours.
Vous l'aviez vu venir la petite Annabelle se reportant sur Jales pour sauver son repas de Noël ? Oui ? Non ?
Vous la sentez comment la suite ?