Chapitre 1 : Cirnial
Lucie sentit un liquide froid perler le long de son front. Quelqu'un venait de lui appliquer un linge mouillé. Lucie essaya d'ouvrir les yeux mais la lumière l'aveugla trop alors elle les referma.
- Elle n'est toujours pas réveillée ? Demanda une voix masculine.
Soudain, son rêve lui revint. Ce n'était pas un rêve ordinaire. Elle avait retrouvé la mémoire.
- Malheureusement non. Répondit une voix féminine.
Elle ouvrit un œil. Une jeune fille se pencha sur elle. Elle avait de jolis et longs cheveux d'une blancheur éclatante. Ses yeux bleus étaient rassurants et doux.
Elle était dans une pièce aux murs en terre cuite avec un unique lit et une unique table sur la quelle était étalé des herbes médicinales. L'infirmerie de Cirnial.
- Comment vas-tu ? lui demanda-t-elle.
Lucie se redressa.
- Petite Lune ? Demanda-t-elle, incrédule.
Sendal, dans l'encadrement de la porte écarquilla les yeux.
- Lucie... Tu t'en rappelle ?!
Celle-ci se tourna vers lui.
- Pourquoi tu ne m'as jamais rien dit ?! Tu me connaissais, tu savais que Cirnial existait, toi ! Tu aurais dû venir me voir quand j'ai commencé à devenir connu et tout m'expliquer ! On aurait pu venir les sauver !
- Quelle était la probabilité pour que tu me croies alors que tu ne me connaissais pas ? Proche de zéro. Et même ensuite, une fois que nous étions redevenus amis... Si je t'avais prévenu, tu aurais prévenu le Roi, il t'aurait demandé ou était ce fameux camp avec des esclaves. Tu n'aurais pas su quoi lui répondre, personne ne sait où nous sommes actuellement. Alors il t'aurait demandé tes sources et là encore, pourquoi le Roi croirait un adolescent venu de nulle part, qui sort avec sa fille en secret qui plus est, et dépenserait des tonnes d'argent pour trouver un potentiel camp d'esclaves juste sur la parole de ce garçon ?
Lucie baissa les yeux. Sendal avait raison.
- Tu aurais quand même pu me le dire... Pour que je sache, pour moi-même !
- Quand bien même tu m'aurais cru, quel aurait été l'intérêt ? Tu t'en serais voulu d'avoir abandonné Luna et Œil de Loup alors que nous n'y sommes pour rien là-dedans. Désolé Lucie mais je considérais que pour ton bien ton enfance était bien mieux oubliée.
- Et tu as pensé à mon intérêt ?! S'énerva-t-elle. A la douleur que peut causer le fait de ne pas savoir d'où l'on vient ni qui on est ?! J'étais perdue Sendal et toutes les informations que tu aurais pu me donner auraient pu m'aider !
Sendal passa sa main dans ses cheveux.
- Je ne voulais pas prendre le risque que même en te racontant cette histoire qui est la tienne tes souvenirs ne reviennent pas et que tout ça reste justement... une histoire, sans image, avec mon seul point de vue et ma seule affirmation que tout cela est vrai. Tu aurais fini par douter de moi, douter de toi, douter de ce que je te racontais et de qui tu étais vraiment.
Il marqua une pause.
- Peut-être un jour je te l'aurais dit mais plus le temps passait et moins les chances que tu me crois étaient grandes. Tu te serais demandé pourquoi je ne t'avais rien dit au départ, tu aurais cru à une blague. Et quand tu me racontais tes cauchemars et qu'il n'y avait pas de trace de la mort de tes parents ou de Cirnial... J'ai préféré t'épargner ça. Peut-être que tu désapprouves mon choix, et tu as le droit de m'en vouloir mais...
- Je t'en veux. Le coupa-t-elle avec véhémence.
Ses yeux commençaient à être humides. Elle ne s'attendait clairement pas à ça. Quand elle essayait autrefois d'imaginer son passé elle avait l'image d'une vie normale avec Peter et Laila, ses deux seuls parents qui refaisaient surface dans son ancien cauchemar. Quelques attaques de Sindels peut-être ? Mais une vie normale avec des parents aimants. Pas... ça.
- Il faut que tu ailles travailler, je crois. Dit froidement Lucie en se levant.
Un éclair de tristesse traversa les yeux de Sendal.
- Je suis désolé. Dit-il.
Et il passa la porte, rejoignant les autres bâtisseurs qui allaient au travail.
Lucie se plaça derrière Luna et inspecta les plantes étalées sur la table.
- Il nous manque du Kola pour calmer les douleurs. Dit-elle en tentant de se calmer.
Luna se tourna vers elle.
- Tu es dur avec lui, la situation n'a pas dû être facile à gérer.
- Ta situation à toi non plus. Luna, ça fait... onze années que tu es là !
Luna continua à trier ses herbes.
- On s'y habitue je suppose. Dit-elle calmement. Et qu'est-ce que tu voudrais que je fasse dans le monde réel maintenant ? Je n'y connais plus rien Lucie, je n'ai vécu que cinq ans là-bas et je n'étais qu'une enfant.
Lucie inspira un grand coup.
- Je suis désolé de vous avoir laissé ici Luna...
- Tu peux m'appeler Petite Lune tu sais. Dit-elle en souriant.
Lucie baissa les yeux, réalisant la gravité de la situation.
- Je suis désolé, Petite Lune.
Cette dernière ne répondit pas.
- Je vais chercher du Kola, tu as besoin d'autre chose ? Finit par demander la fotialis.
- Des pousses de vigeroles, s'il te plait.
Lucie acquiesça avant de quitter l'infirmerie. Elle avait beau avoir retrouvé la mémoire et deux de ses amis, elle se sentait plus seule que jamais.
*****
Lorsqu'elle rentra dans leur dortoir Sendal et Œil de Loup y étaient déjà. Elle discuta quelques temps avec Œil de Loup. Mais l'atmosphère était tendue. Sendal la scrutait du haut de son lit, sans rien dire. Une fois leur ration de nourriture distribuée Lucie s'empressa de l'engloutir puis alla se coucher. Elle ne voulait pas lui parler. Il aurait pu l'aider, ils auraient pu faire quelque chose pour retrouver Cirnial. Et il ne l'avait pas fait. Elle ne réussit pas à fermer l'œil.
Quand elle fut sure que tous furent endormis elle sortit s'asseoir dehors pour contempler les étoiles, comme elle en avait parfois l'habitude. Les constellations n'étaient pas les mêmes sur Syntaxe, preuve évidente qu'ils étaient bien loin de chez eux. Alors qu'elle essayait de se souvenir des constellations qu'elle avait créées autrefois, quelqu'un vint briser son repos.
- Laisse-moi te raconter ma version des faits.
Lucie planta son regard de celui de Sendal. Il était empli de tristesse et le sien de colère.
- Si ça t'amuses... Dit-elle avec nonchalance. Je ne garantis pas de t'écouter.
Sendal soupira. Il vint s'asseoir à côté d'elle.
- J'étais amoureux de toi.
Lucie le regarda avec étonnement.
- Comment ça ?
- Quand nous étions petits, et même après. Tu faisais preuve d'une telle force face aux événements et d'une telle détermination. J'admirais ton courage. Enfin... Tu connais tout ça. Reprenons là ou notre histoire a cessé d'être commune. Un samedi après-midi je suis venu te voir comme toutes les semaines. Et ta maison était brûlée. Je t'ai cherché partout sans te trouver... Les Sindels avaient dû t'emporter. Je te croyais déjà morte. J'ai enterré tes parents et je ne suis plus jamais revenu là-bas. J'ai essayé de t'oublier mais... Comment t'oublier ? Tu étais mon seul repère, je n'avais plus de vraie famille. Mamie était très gentille mais elle travaillait beaucoup. Tu étais tout ce que j'avais, et tu n'étais plus. J'avais juré de te protéger. Et tu étais morte. Mes notes ont chutées, je suis tombé en dépression. Des gens ont essayés de m'aider mais je ne pouvais pas leur expliquer ce qui nous reliait. Je ne pouvais pas leur expliquer Cirnial, je ne pouvais pas leur expliquer comment nos parents étaient morts, tout ce que nous avions traversé ensemble. Je ne pouvais pas leur dire que tu étais la fotialis élu. J'étais le seul à savoir que les fotialis n'avaient aucun espoir. Et je ne pouvais pas le leur dire... Alors je suis resté seul. De temps à autres on me disait que la fotialis élue avait été trouvée. Cela ravivait les plaies. Jusqu'au jour où ça a été vrai. J'ai vu les images de toi, tournoyant dans tes flammes. Rencontrant le Roi... Je les aie regardées en boucle. Et je t'aimais toujours, qu'est-ce que je t'aimais... J'aurais voulu aller te retrouver, te serrer dans mes bras et peut-être même t'embrasser ! Mais je ne pouvais pas... Tu ne m'aurais jamais cru et le fait que toi, tu ne te souviendrais pas de moi... ça m'aurait achevé. Sans oublier qu'il y avait Alex... Je le jalousais, tellement, il ne connaissait rien de toi ! Mais la réalité c'est que tu ne connaissais rien de toi non plus et que même moi, je ne connaissais plus celle que tu étais devenue. Je t'ai croisé deux fois dans les couloirs du château. Je t'ai détaillé sous toutes les coutures. Tu étais magnifique. Tu ne m'as même pas adressé un regard.
Il fit une pause dans son discours, lui souriant. Mais Lucie ne souriait pas. Sa colère avait été remplacée par de la tristesse.
- Et vint le jour de la rentrée à Staleya-Stojeya. J'ignore par quel miracle tu es venu à côté de moi et par quel miracle tu m'as parlé. J'ai cru pendant un instant que tu m'avais reconnu, que tes souvenirs allaient revenir. J'ai espéré ça pendant quelques semaines... mais rien ne se passait.
Il soupira.
- Alors j'ai abandonné. J'ai décidé de ne rien te dire. Tu avais une bonne image de moi, nous allions probablement redevenir amis. Je ne voulais pas tout gâcher. C'est égoïste mais je ne voulais pas que tu me rejettes alors que je t'avais dit la vérité. Je ne voulais pas que tu m'en veuilles de connaitre ton passé alors que toi non. Je ne voulais pas que tu m'en veuilles de ne pas être capable de faire revenir tes souvenirs. Je ne voulais pas que tu m'en veuilles de ne pas t'avoir cherché quand je t'ai cru morte. Je ne voulais pas que tu m'en veuilles de ne pas te l'avoir dit plus tôt, de ne pas savoir où était Cirnial, de mal raconter ton histoire... Il y avait tellement de possibilités, je ne savais pas comment te le dire, j'avais... peur. Tellement peur. Et au final je me sentais encore plus seul. C'était stupide mais j'ai même commencé à t'en vouloir, car tu ne te souvenais plus de rien et que tu me faisais vivre ce calvaire et ce dilemme, alors que toi tu étais globalement heureuse avec Alex tandis que moi... moi j'étais le nouvel ami sympa que l'on découvre. Je souffrais et tu ignorais ma souffrance et ça me mettais hors de moi. Ça n'a pas duré longtemps, quelques semaines tout au plus, j'ai vites refoulés ces sentiments malsains, mais ça a été suffisant pour que je ne sois plus amoureux de toi. J'ai pris la décision de ne jamais t'en parler, j'ai arrêté de faire des allusions à ton passé, j'ai moi-même essayé de l'oublier et d'aller de l'avant. J'ai fini par remarquer Dewi et tomber pour elle, panser mes plaies et tout allait enfin mieux. Jusqu'à aujourd'hui...
Le silence retomba. Lucie ne dit rien. Elle ressassait toutes les informations qu'elle avait eues. Après de nombreuses minutes elle se décida à parler.
- Désolé... Moi aussi j'ai été égoïste. Je n'ai pas pensé à tout ce que tu avais pu endurer. J'étais seule pendant toutes ces années et je pensais que retrouver ma mémoire serait... Je ne sais pas, une libération. Alors savoir que tu aurais peut-être pu accélérer les choses et que tu ne l'as pas fait... ça m'a mise hors de moi. Mais la réalité c'est que ce n'est pas une libération, et que tu as probablement raison, j'aurais mal réagi. Je m'excuse profondément.
Elle laissa sa tête glisser sur l'épaule de son ami. Sendal sourit.
- Fait gaffe je vais finir par croire que tu regrettes d'être resté avec Alex alors que tu aurais pu m'avoir moi... dit-il, taquin.
- Comment oses-tu ?! S'exclama Lucie en se détachant de lui. Je t'ai toujours considéré comme un frère ! Continua-t-elle en s'esclaffant.
Elle le frappa gentiment sur l'épaule.
- Je sais, je rigole ! Moi aussi je te considère comme une sœur maintenant. A la fin je crois que je n'étais même plus amoureux de toi, juste jaloux qu'Alex ait réussi là où j'avais échoué... Enfin, j'ai Dewi maintenant et je ne changerais ça pour rien au monde.
Lucie lui sourit en retour.
- Bon, du coup cette fois on fait comment pour s'échapper ?
Sendal s'esclaffa.
- Tu ne perds pas une minute toi !
- Je ne sais pas toi mais j'aimerais éviter de passer ma vie ici... Enfin, si tu n'as pas envie de retrouver Dewi, c'est ton problème !
Il leva les yeux au ciel en souriant.
- On en parlera demain soir avec les autres. Allons dormir, tu sais aussi bien que moi que le rythme de Cirnial est épuisant et nous aurons besoin d'énergie si nous voulons survivre.