Ce mercredi-là, je suis arrivée à l'école sans cartable. Je me sentais extrêmement légère et plutôt stressée.
Je ne savais nullement la raison pour laquelle nous avions à nous rassembler dans le réfectoire pendant quatre heures mais Monsieur Lefebvre avait présenté cela avec tant de suspens que ça avait réussi à me mettre en garde.
Je n'ai jamais été l'élève de ce professeur de géographie mais ma meilleure amie m'a prévenue quant à sa folie et ses idées farfelues.
Lorsque je suis arrivée à l'école, il restait une vingtaine de minutes avant la sonnerie du début des cours et déjà une bonne centaine de personnes se trouvait dans la cafétéria. J'ai retrouvé Paul, mon ami.
Ce dernier était plutôt excité et s'impatientait d'être mis au courant quant à ce nous aurions à faire mais c'était bien le seul. Nos autres amis étaient tout aussi méfiants que moi.
À huit heures vingt, l'énorme sonnerie a retenti. Les années inférieures se sont dirigées vers leur salle de classe tandis que nous, les deux dernières années, nous sommes tus, impatients de connaître le but de cette histoire.
Durant quelques minutes, rien ne s'est passé avant que le géographe et une jeune professeur de mathématiques, que je ne supportais absolument pas, n'aient demandé le silence complet.
Plus aucun son n'a été émis à partir de ce moment et le stresse est subitement monté en moi.
Ça faisait deux ans que j'étais dans ce lycée et jamais rien de tel ne semblait s'être produit auparavant.
-Bonjour à tous, a commencé le quarantenaire.
Certains élèves, dont Paul lui ont répondu en le saluant à leur tour. Après cela, il a ouvert les festivités en créant des groupes de six personnes.
Je me suis retrouvée assise en face de deux filles et trois garçons. Dans ceux-là, se trouvait mon ex petit ami, Evan.
Nous n'avions encore aucune information mais être dans le même groupe que lui signifiait que ça allait être une activité catastrophique. Ça ne pouvait que mal se passer avec un groupe pareil.
L'homme a attendu que tout le monde soit correctement installé et que le silence soit rétabli avant de s'éclaircir la voix et d'expliquer plus concrètement les choses.
-Il y a deux ans, j'ai eu la bonne idée de créer une sorte d'atelier dans lequel les élèves devaient se lancer pour parler. J'avais un peu fait cela à la dernière minute mais cette année, les choses fonctionneront mieux, a-t-il commencé. En effet, les deuxièmes expérience ont toujours plus de succès.
Il me tenait en haleine. Je voulais connaître la raison pour laquelle j'étais là plutôt qu'au cours de mathématiques du beau Monsieur Van Arslen.
En vérité, ça commençait à me déranger de plus en plus d'être là et le regard d'Evan n'aidait en rien. J'espérais que les explications m'aideraient à apprécier le moment.
-Je vais vous demander, le temps d'une matinée, d'oser raconter votre plus grand secret aux quelques personnes autour de vous, a-t-il terminé. J'ai essayé de créer des groupes dans lesquels personne ne se connaissait vraiment, bien que deux ou trois personnes soient tombées sur d'autres qu'ils connaissent.
Et malheureusement, je faisais partie de ces quelques personnes qui n'ont pas eu la chance de se retrouver avec uniquement des inconnus.
-Mademoiselle Kaling va distribuer à chaque groupe une feuille sur laquelle un ordre de passage se trouve. Cette année, j'ai décidé de l'imposer moi-même, afin d'éviter les longs moments de silence comme lors de la première année.
La détestable mathématicienne est rapidement arrivée à la table autour de laquelle je me trouvais et a presque lancé une feuille blanche. Sur celle-ci, six prénoms étaient écrits à la main sous le titre souligné qu'était Table numéro 8.
Evan a été le plus rapide pour attraper la feuille et j'ai remarqué un air de soulagement traverser son visage angélique après avoir parcouru les prénoms. Il passait sans aucun doute le dernier.
-C'est le tour d'Adélaïde, a lu un jeune garçon plutôt large d'épaules et à la mâchoire carrée, prénommé Andreï.
Évidemment, il a fallu que j'aie cette chance d'ouvrir les festivités et bizarrement, cette idée ne me réjouissait nullement. Je ne me sentais pas prête de révéler la chose à laquelle je pensais et ne savais même pas si j'étais autorisée à raconter une chose pareille sous le toit de l'école.
Cela porterait préjudice à la personne concernée car j'étais certaine que ce jeu créerait d'énormes fuites et donc des bruits de couloir dont même les plus jeunes profiteraient.
-On pourrait peut-être tricher et changer cet ordre de passage sans prévenir personne?, ai-je tenté, sûre de rien.
Évidemment, tout le monde redoutait le fait de commencer donc aucun d'eux cinq n'a accepté ma proposition. J'ai alors dû me rendre à l'évidence et approuver cela.
Je ne suis pas du genre à jouer à la timide, bien au contraire. Habituellement, on me qualifie de grande gueule mais ce jour-là, révéler ce secret m'allait loin. J'aurais pu mentir et inventer autre chose mais la vérité était que j'ai toujours été incapable d'essayer de faire croire une chose fausse.
J'avais cru, jusqu'à ce mercredi du mois de février, que je garderais cela pour moi et rien que pour moi mais il fallait croire que les événements en avaient décidé autrement.
-À ce que j'ai compris, tu es Adélaïde, a constaté un garçon étrange et renfermé en s'adressant à moi.
J'ai affirmé d'un hochement de tête et ai dû prendre sur moi pour être capable de quitter son regard bleu.
Ses yeux brillait d'une manière que je n'avais jamais vue auparavant et semblaient éteints par la même occasion. C'était étrange et tellement beau à la fois.
Dès cet instant, j'avais une folle envie d'entendre parler ce garçon, qui, je le devinais, se prénommait Rupert vu que je connaissais les deux autres.
-Les gars, je ne sais vraiment pas ce que je dois faire, ai-je bêtement dit.
-Tu ne dois rien faire, Adélaïde, tu dois parler et nous raconter ton secret, a méchamment répliqué Evan, qui m'en voulait encore.
En effet, nous avions échangé une relation de presque quatorze mois avant que les choses ne dérapent et que je ne mette fin à notre couple.
De plus, le secret que j'avais à révéler était une grande partie de la raison de notre rupture et je ne voulais sincèrement pas qu'Evan en soit mis au courant.
Tout le monde a déjà fait une connerie mais quand celle-ci vous plaît au point de tout arrêter pour pouvoir la répéter sans problème, les choses pouvaient devenir très embarrassantes au moment d'en parler.
-Écoutez, je vais me lancer car plus vite je le fais, plus vite je suis tranquille mais vous devez jurer sur la personne qui vous est la plus chère de tout garder pour vous et ce pour chaque secret.
Une petite brune dont les cheveux étaient attachés par des barrettes a soulevé le bras droit pour jurer comme dans les procès judiciaires. C'était ridicule mais sérieux. Ce geste semblait plus sincère que n'importe quelle parole donc j'ai accepté de prendre la parole après que tous les autres aient répété ce geste.
-Avez-vous déjà tous dévoré une personne plus âgée que vous des yeux?, ai-je essayé d'introduire la conversation.
Ils ont été quatre à affirmer tandis qu'Evan m'observait avec tant de haine qu'on aurait dit qu'il était capable de me tuer. Il comprenait très bien où je voulais en venir et c'était exactement cela le problème.
Pourtant, j'ai pris sur moi pour faire abstraction à la réaction de ce dernier et me suis totalement concentrée sur les quatre autres qui avaient tous l'air plus agréables.
La troisième jeune fille avec laquelle je n'avais encore échangé aucun mot a confirmé avec énormément d'enthousiasme et devait probablement penser à quelqu'un.
-Ça me rassure car moi aussi. Je dévore un prof depuis pas mal de temps. Je ne vais pas vous dire lequel car je n'ai aucune envie qu'il ait de problèmes..., ai-je quand même pensé à sa réputation.
Jacques Warkwoski, le professeur de chimie était absolument capable de se défendre tout seul et n'avait pas besoin d'une gamine dans mon genre mais s'attendait aussi que je ne révéle pas ce que je m'apprêtais à dire à ces cinq personnes, m'étant presque toutes inconnues.
-En sciences, me suis-je permise de dire vu le nombre de profs dans cette matière, j'ai toujours eu d'énormes difficultés mais c'est mon option depuis l'an dernier, je n'ai donc aucun intérêt à avoir des points en-dessous de la moyenne. Mon amie savait que j'avais besoin de meilleures notes et que mon travail n'était pas correct, alors elle m'a donné une idée.
-Coucher avec, pardi, a dit Evan avec mépris.
J'aurais pu me lever et lui en retourner une, j'en mourrais même d'envie mais ça ne faisait que trente minutes que nous étions autour de la même table. Je ne pouvais pas me le permettre aussi vite.
-Evan, je sais que tu me détestes mais ferme-la car quand bien même tu passes le dernier, je pourrai quand même gâcher ton secret, ai-je agressivement lancé.
Il s'est légèrement calmé tandis que l'une des deux jeunes filles, Nyl ou Cassandre, m'a envoyé un regard interrogatif. Je n'y ai pas répondu, préférant éviter d'envenimer les choses. Autant passé quatre heures désagréables plutôt que catastrophiques.
-Continue, s'est impatienté Rupert.
J'aurais pu refuser mais j'ai eu la mauvaise idée de poser mes yeux dans les siens. Ceux-là m'ont presque faite rentrer en transe et m'ont empêché de me taire.
-Donc, comme l'a très bien deviné le cher Evan, j'ai couché une première fois avec un professeur de sciences, ai-je révélé aux inconnus. Mon amie avait très bien deviné car j'ai gagné quelques points au deuxième trimestre.
-C'est quand même dégueulasse que certaines personnes réussissent par le travail et d'autres grâce à des fellations, a continué mon ex petit copain pour m'enrager.
J'ai eu la folle envie de me lever et de quitter la table mais bizarrement, juste à ce moment-là, Mademoiselle Kaling est passée par là. Je n'avais pas envie d'avoir de problèmes et qu'Evan en profite pour lui raconter mon secret donc j'ai pris sur moi et n'ai pas réagi.
-J'ai réussi mon année dans son cours, ai-je repris en faisant semblant de rien. Puis, cette année-ci, j'ai décidé d'arrêter ces conneries mais il a continué à me charmer.
-Tu as accepté le fait de recommencer avec lui?, m'a demandé une fille habillée d'un pull rose.
-Oui mais dis-moi quel est ton prénom, ai-je voulu éclaircir mes pensées.
-Je me prénomme Cassandre, a-t-elle d'abord répondu à ma question. C'est étrange que le professeur t'ait proposé de continuer. Enfin, je veux dire que dans tous les profs de sciences auxquels je pense, je n'en aurais imaginé aucun entretenir une relation avec une élève.
-Moi, ça ne m'étonne pas vraiment, a déclaré Andreï. L'an dernier, un bruit courait comme quoi un professeur de chimie se tapait une fille de cinquième(*).
J'étais effrayée. Il avait l'air bien trop au courant et devait certainement savoir qu'il s'agissait de Monsieur Warkwoski. J'avais peur qu'il n'aille le répéter et que le chimiste n'ait d'énormes problèmes à cause de cela. Je me promettais donc d'avoir une petite discussion à ce sujet avec Andreï après l'activité.
-Le pire n'est pas le fait que je couche avec un trentenaire qui m'a donné cours, ai-je avoué après quelques instants.
-C'est quoi le pire?, a curieusement demandé Evan.
-C'est que je sois tombée amoureuse de cet homme.
J'ai senti cinq regards se poser sur moi. J'ai évité celui d'Evan qui a directement lancé que j'étais une salope. C'était assez violent mais je n'ai pas répliqué, souhaitant éviter les problèmes.
Nyl a directement demandé au jeune homme de se calmer. Elle semblait si timide que j'ai été étonnée de l'entendre oser dire une chose pareille.
Ce dernier a accepté l'ordre donné par la jeune fille et n'a plus rien répliqué.
-Il est marié?, m'a questionnée Cassandre.
-Non, je ne pense pas. L'an dernier, il fréquentait une trentenaire mais ça s'est très rapidement terminé donc en soi, je ne fais rien de mal.
-Autant voir les choses de cette manière, a souri Rupert.
Ce dernier me rendait dingue, sincèrement. Je ne parvenais pas à dire s'il m'énervait ou si, au contraire, je commençais à l'adorer.
J'ai confirmé ses paroles qui se voulaient certainement rassurantes.
-Les enfants, a retenti la voix de Lefebvre dans un micro, pensez à passer à la seconde personne. Ça fait déjà une petite heure que vous êtes ici.
J'ai entendu quelques gémissements de soulagement aux tables voisines. Je n'étais donc pas la seule à vouloir terminer de parler. Bien que tout le monde ne devait pas avoir de secrets horribles ou inavouables, personne n'appréciait le fait d'en parler à des inconnus.
Evan a tourné la tête vers moi et m'a longuement observée tandis que Nyl attrapait la feuille sur laquelle l'ordre de passage était inscrit.
Elle a révélé que Rupert devait maintenant parler. Ce dernier ne semblait pas vraiment partant tandis que je n'attendais que cela.
J'ai très rapidement baissé les yeux pour montrer à mon ancien copain que sa façon d'essayer de me déstabiliser ne fonctionnait pas.
Très rapidement, je me suis tournée vers Rupert et me suis perdue dans son magnifique regard.
🔵A D É L A Ï D E🔵
(*) je suis belge donc cinquième est l'équivalent de la première (genre l'année avant la terminale)