Quelques heures plus tard, tandis que mes parents et ma sœur actuellement à mes côtés discutent avec l'oncle Warren, je me concentre pour savoir si mon chignon brouillon est toujours présentable. Parce qu'être remuée comme un prunier par ses petits neveux, ça décoiffe !
N'ayant pas suivi l'échange avec ma famille, je fais office de statue. Pour tout dire, cela fait quasiment dix minutes que je souris aux personnes qui passent à côté de moi et qui demandent des nouvelles. Et surtout, dix minutes que mes yeux ne peuvent pas s'empêcher de s'arrêter sur les couples qui m'entourent.
Si j'étais une vraie pipelette surexcitée devant l'église, ce n'est plus du tout le cas désormais. Oubliée la magie de l'amour du beau couple que forment mon cousin et sa dulcinée, je suis actuellement en train de me faire ensevelir par de mauvaises ondes. C'est dingue que même sans dire un mot, les gens arrivent à me faire culpabiliser de m'être pointée non accompagnée au mariage de Maxime et Alice.
Pourtant je ne suis pas la seule ! OK, c'est vrai que les célibataires du coin sont tous plus jeunes que moi, mais tout de même...
Bien sûr, j'ai bien pensé à faire venir une de mes amies. Mais Zoey m'a dit qu'elle souhaitait profiter de son week-end libre pour partir avec Luke pour un séjour en amoureux. Madison quant à elle, n'avait pas envie de se pointer à un mariage. Enfin, je sais que c'est ce qu'elle m'aurait dit si je lui avais proposé de m'accompagner. Il ne restait donc qu'Irina, seulement la connaissant, je me doute que cette dernière aurait passé l'après-midi à draguer tous les célibataires, ce qui fait que j'aurais fini à nouveau seule.
C'est vrai que l'idéal aurait été que je sois avec un homme et malheureusement, même si David (notre jeune interne) aurait sûrement accepté l'offre, il était hors de question que je l'amène ici. Je ne voulais pas que l'on me montre du doigt en me traitant de femme cougar, car je sais que les rumeurs vont bon train. Et en ce qui concerne le reste des hommes travaillant avec moi, soit ces derniers sont mariés, soit pris, soit peu fêtards, soit incompatibles avec ma famille quelque peu excentrique.
Dans un soupir las, je porte mon verre à mes lèvres tout en écoutant le morceau de Michael Bublé et c'est cet instant que choisit ma cousine adorée pour rappliquer.
Le visage rayonnant, Carolina s'arrête à quelques mètres de moi. Durant de longues secondes, son ventre rond de femme enceinte mis en avant, elle me détaille de la tête aux pieds. Puis elle hausse un sourcil et feint l'ignorance en balançant d'un coup de main superbement manucurée sa chevelure princière faussement blonde par-dessus son épaule.
Comme à chaque repas de famille, ma cousine, de cinq ans ma cadette, ne manque pas une occasion de m'irriter et me donne follement envie de lui demander si elle a des tocs pour passer autant de fois ses doigts dans ses cheveux. Mais au lieu de céder à la tentation, je préfère prendre sagement (sauf pour mes futurs bourrelets) le chemin vers le buffet.
Malheureusement pour moi, à peine trente secondes après mon arrivée devant les apéritifs, je vois ma tante avancer vers ma personne, les yeux brillants. Même regard de vipère, même allure de sorcière, même cœur de pierre que sa fille. Ça en donne froid dans le dos.
— Alors Annabelle, quand vas-tu enfin trouver quelqu'un ? Regarde, ma sublime Carolina attend un bébé et Maxime se marie ! Il serait temps que tu trouves toi aussi quelqu'un. Tu as tout de même trente ans ! Je ne vais pas t'apprendre ton métier, mais tu sais bien que ton taux de fertilité est déjà en diminution. Ce serait tout de même bien triste que tu finisses vieille fille.
Premièrement, je n'ai même pas encore vingt-neuf ans. Deuxièmement, de quoi se mêle-t-elle ?
Certes, dans la famille, beaucoup de couples se sont créés avant ou pendant la vingtaine et tandis que je me promène tous les jours avec mon chien, eux se trimballent avec leur poussette de jumeaux. Mais qu'est-ce que ça peut bien lui faire ? C'est ma vie après tout !
— Je te remercie de t'inquiéter pour mon avenir, mais tout va bien. J'ai une famille que j'aime, un bon boulot, une adorable maison et des amis sur qui je peux compter. Et pour ton info, sache que c'est à partir de trente-cinq ans que notre taux de fertilité diminue. Quand bien même, les chances de tomber enceinte restent tout de même bonnes. Je sais que nous avons tendance à être en avance sur quasiment tout dans cette famille, mais la société a évolué de nos jours. Nous ne sommes plus à marier à tout juste quinze ans et encore moins des mères porteuses. C'est ton époque tout ça.
J'aurais pu m'écraser, seulement il m'arrive parfois de vouloir un peu me rebeller, même si c'est plutôt rare. OK, je suis venue seule au mariage de mon cousin alors que la plupart des gens ici sont en couple. OK, j'ai également parlé de mères porteuses alors que ce n'était absolument pas le terme que je voulais employer, mais ce n'est pas grave. Disons que j'ai déjà fait pire dans ma vie. Oh oui, bien pire.
— Je t'en prie Annabelle, ne prends pas la mouche. Je disais simplement cela pour ton bien. Tu ne parais plus toute jeune désormais que tu as trente ans et ton visage s'en ressent. Tu sais, plus le temps avancera et moins tu auras de chance de trouver un homme qui voudra de toi. Sans compter qu'il faudrait que ce soit le bon, donc qu'il ne te quitte pas sans préavis comme les autres ont fait jusqu'à maintenant, pour que vous parveniez à construire quelque chose. Puis il faudrait ensuite que vous vous mariiez et enfin que vous pensiez à fonder une famille. Et si par chance, cela arrive, tu réaliseras enfin à ce moment-là à quel point le temps passe vite et il sera certainement trop tard pour « procréer » comme tu dis si bien.
Julia est une véritable sorcière et cela ne m'étonne pas que William l'ait quittée trois ans plus tôt. Je m'étonne même qu'il soit resté si longtemps avec elle. C'est vrai, qui voudrait rester à côté d'une femme aussi hautaine ? En fait, je crois qu'au final, je préférais Carolina et son observation silencieuse face au discours horripilant de sa mère.
Parce que je décide de ré-adopter ma technique de l'évitement, après avoir englouti un gâteau d'apéritif pris au hasard, j'offre mon plus beau sourire à l'attention de ma tante puis me tourne vers mon deuxième oncle qui, un verre à la main, discute avec quelques personnes que je connais de vue.
— À moins évidemment que tu nous aies caché l'existence d'un homme, ce dont je doute fortement, soyons honnêtes ! siffle ma tante dans mon dos.
Quelle vipère.
— Oh bah tiens Jack, comment se déroulent les travaux de ton cabinet ?
« Telle mère telle fille » ce dicton leur va vraiment à ravir, songé-je en entendant Julia continuer à me parler. Elle n'en démord pas. Quand elle trouve sa proie de la journée, elle ne la lâche plus, jusqu'à ce que cette dernière fonde en larmes. Seulement, je ne lui ferai pas ce plaisir. J'ai vingt-huit ans et contrairement à ma tante, j'ai passé l'âge des gamineries.
Une chance pour moi, Jacob me répond avec entrain. C'est bien connu, mon oncle adore parler des travaux de son cabinet d'avocat. Nous rentrons rapidement dans une conversation à propos de l'importance de la première impression que se fait le client du professionnel et de son environnement. Peu de temps après, j'entends le soupir de Julia, signe qu'elle m'abandonne pour aller à la recherche d'une nouvelle proie. C'est tellement rare qu'elle lâche l'affaire aussi tôt que j'ai presque envie de me retourner. Mais je ne le fais pas, car je ne veux pas la faire revenir.
— C'est bon, bibiche. Elle est partie, m'informe Jacob avec un clin d'œil.
Je mime un « merci » avant de lui offrir un sourire reconnaissant.
— Alors, dis-moi, comment ça se passe à ton travail ? demande-t-il en me passant un verre de vin.
Aussitôt a-t-il fini de poser sa question que mes épaules s'affaissent. Quand un problème disparaît, de nouveaux arrivent à la pelle. Après les questions concernant ma vie de couple inexistante, nous passons au travail et ses difficultés en tout genre.
— Eh bien, soupiré-je, ils ont encore licencié. Alors je me demande quand mon tour viendra.
— Oh, tu es bien trop compétente pour qu'ils te virent !
J'ai envie de me dire qu'il a raison, mais contrairement à mon oncle je sais que certains de mes collègues, qui ont connu une fin de contrat brutale, étaient très compétents. Alors pourquoi eux et pas moi ? Il est probable que mon temps au service obstétrique de l'hôpital soit encore plus compté que je ne crois et cette pensée m'attriste.
Fort heureusement, le petit coup de cuillère que donne Maxime sur son verre pour signaler le début du repas m'empêche de songer plus longtemps à mon boulot.
Tous les invités prennent docilement place à table et les conversations mêlées au bruit de pied de chaises glissant sur le carrelage font mal aux oreilles. Tout en grimaçant à cause du vacarme, je rejoins mes parents et ma sœur. Nous sommes bien évidemment tous les quatre placés à côté de Max étant donné que nous sommes sa famille la plus proche. Ses parents, divorcés, n'ont jamais vraiment réussi à s'occuper de lui, surtout sa mère. D'ailleurs, cette dernière n'est pas présente aujourd'hui, car elle avait mieux à faire d'après ses dires.
Après m'être assise, je décide de me pencher vers mon cousin :
— Félicitations la grue.
Je l'ai toujours appelé « la grue », car il est grand comparé à moi. Ses petits yeux foncés (un critère physique plutôt commun chez les Stewart et qui me différencie de la famille) cachés par ses paupières tombantes ont cependant un air de détresse qui a charmé la jolie Alice. Sa bonté, ainsi que d'autres belles qualités humaines sont également la raison pour laquelle la brune l'a choisi.
Je suis vraiment contente pour eux ainsi que pour cette peste de Carolina, car j'ai toujours considéré une naissance comme étant un véritable don du ciel.
— Alors, à quand ton mariage la naine ? me provoque Maxime et c'est plus fort que moi, il faut que je lui donne un coup de pied sous la table.
Max adore me surnommer « la naine » lorsqu'il veut me taquiner, probablement parce que même avec des talonnettes ou des talons, je ne peux pas cacher mon mètre cinquante-cinq.
- - - - -
NOTE AUTEUR
Ça y est, l'histoire commence vraiment. Alors, vous le sentez ce mariage ? Que pensez-vous de la famille d'Annabelle ? Que ce soit les parents, la sœur, le cousin...