Le soleil se couchait à présent et peignait le ciel de superbes couleurs alors que le ventre d'Ellynn criait famine. Plusieurs heures étaient passées depuis qu'ils avaient rejoint l'école et elle n'avait pas mangé depuis le matin. Amos et Aurélius n'étaient toujours pas revenus et l'impatience commençait à la gagner. Dès leur départ, un silence gênant s'était installé entre elle et Timolas, qui s'était appuyé sur le rebord d'une des tables et qui lui avait tourné le dos tout l'après-midi.
Pour tuer le temps, Ellynn avait observé l'école plus attentivement. Vu d'en bas, elle ne parvenait pas à voir chacune des habitations de manière distincte. Le feuillage de l'arbre était tellement dense qu'elle pouvait à peine voir les premières. Elle était pourtant persuadée qu'il devait y en avoir bien plus au vu de la taille de l'arbuste.
Cet environnement ne cessait de l'émerveiller. Les elfes semblaient vivre en parfaite harmonie avec la nature, la respectant et la choyant comme si c'était leur joyau le plus précieux.
- Tu penses qu'ils en ont encore pour longtemps ? demanda Ellynn à Timolas, n'en pouvant plus d'attendre dans ce silence embarrassant.
Il ne se fit même pas la peine de lui répondre et continua à mâchouiller une herbe sans prêter attention à ce qu'elle venait de lui demander.
- Super, marmonna-t-elle entre ses dents.
Ellynn venait de se lever pour se dégourdir les jambes quand elle entendit des voix dans son dos. Se retournant, elle vit Amos descendre les escaliers et entretenir une discussion apparemment houleuse avec un elfe bien plus âgé que lui à l'allure sévère. Cet elfe portait une longue cape gris vert qui virevoltait autour de lui et laissait entrapercevoir sa maigreur. Aurélius et un autre inconnu les suivaient de quelques pas et prenaient bien soin de ne pas intervenir dans leur conversation.
- Tout cela est ridicule ! statua d'un ton sévère le vieil elfe. Vous perdez la tête Amos ! Elle ne tiendra pas deux jours dans cette école.
- HA ! Laissons-là choisir pour elle-même, répliqua sèchement Amos alors qu'ils n'étaient plus qu'à quelques pas d'elle et Timolas.
- Ce n'est pas ainsi que cela fonctionne ! Il y a des règles et elles sont faites pour être respectées !
- À chaque règle, il y a des exceptions !HA ! Et elle en fait partie !
Amos finit sa phrase au moment où il s'arrêtait devant elle. Timolas l'avait rejointe et se tenait à présent à ses côtés. Bien qu'elle ait souvent des difficultés à le supporter, Ellynn était soulagée de l'avoir à ses côtés pour faire face au vieil elfe qui la toisait d'un air mauvais.
- Ellynn, dit Amos en contrôlant difficilement son énervement, je te présente le directeur de l'école militaire d'Aeolus Tann'ynn : Tibérius Blaise Confucius, Elfe du Feu. HA ! Et voici, dit-il en montrant de sa main l'autre elfe, Attilius Nicolas Tadius, Elfe du Feu et chef de la Garde Elfique.
Un silence pesant suivit les présentations d'Amos. Le directeur de l'école se tenait raide devant elle et l'observait attentivement avec ses yeux gris perçants. Sa bouche était déformée par ses lèvres qu'il pinçait violemment.
- Bienvenue à Aeolus Tann'ynn mademoiselle Morgan, commença lentement le directeur d'une voix froidement polie tandis que le chef de la Garde lui fit un léger sourire et un signe de tête. Monsieur Arius, finit-il sa phrase en lui jetant à peine un regard, comme s'ils se connaissaient déjà.
- Monsieur, le salua Timolas pas plus aimablement.
- Il semblerait, continua le directeur (il choisissait prudemment ses mots en la fixant durement), qu'Amos estime nécessaire que vous poursuiviez votre éducation au sein de notre école. Bien que nos règles expriment explicitement – il détacha chaque syllabe de son dernier mot en lançant un regard appuyé vers Amos – que seuls les elfes peuvent suivre les formations militaires, l'école est prête à faire une exception avec vous au vu des relations exceptionnelles qu'elle a entretenues avec votre père et au vu du pouvoir élémentaire de la Terre que vous semblez posséder. Dès lors, si vous le souhaitez, vous commencerez votre formation dès la fin de la moisson.
Il n'avait pas réellement formulé une question, provoquant un nouveau silence gênant entre eux. Ellynn ne s'attendait pas du tout à sa proposition et fut prise au dépourvu. Dans sa tête, venir sur l'île était son seul espoir pour pouvoir contacter son père et elle n'avait jamais pensé suivre une formation quelconque.
- Je... Je ne sais pas, croassa Ellynn un peu perdue, quand elle se rendit compte que le directeur attendait une réponse de sa part. Je... Je dois d'abord contacter mon père... Le...
- On s'occupera d'entrer en contact avec ton père dès demain matin, la coupa Amos. HA ! Ce que l'on veut savoir – il prit appui sur son bâton et se pencha légèrement en avant – c'est si tu souhaites ou non suivre la formation militaire à Aeolus Tann'ynn ?
- Oui, oui, répondit Ellynn précipitamment, bien sûr que j'en ai envie !
Contrairement à Aurélius qui parut ravi de sa réponse, Ellynn vit le visage du directeur se figer. Il devait être en proie à un violent combat interne car il se mordait la lèvre inférieure, apparemment frustré de la voir accepter son offre. Amos s'éclaircit alors la gorge, attendant manifestement qu'il continue sur sa lancée.
- Amos – le directeur lui lança un regard furibond cette fois – a également insisté pour que vous, monsieur Arius, participiez à notre éducation bien que vous appartenez à l'Ordre des Assassins. En conséquence, vous poursuivrez votre formation en même temps que mademoiselle Morgan. Bien, ceci étant à présent réglé – il grimaça plus qu'il ne sourit – je vous laisse avec Attilius qui va vous montrer vos chambres. Bonsoir.
Puis il renifla bruyamment et prit congé de leur compagnie, ses habits virevoltant derrière lui.
- Cela aurait pu être pire, dit Attilius avec un léger sourire dès que le directeur fut suffisamment éloigné pour qu'il ne puisse plus l'entendre.
C'était la première fois qu'elle l'entendait parler. Son ton était chaleureux et il semblait soulagé de la tournure des événements.
- HA ! Il devient de plus en plus têtu !
- J'en connais un autre qui est aussi têtu qu'une manticore, lui lança gentiment Attilius qui s'assit sur un des bancs. Tu le connais, il aime suivre les règles. Ça passera, tu verras.
Amos grommela quelques mots inaudibles et s'assit en face de lui sans le contredire alors qu'Ellynn resta debout, pantoise, ne parvenant pas à croire qu'elle allait enfin pouvoir aller à l'école et suivre un écolage comme les jeunes de son âge. Elle avait à présent un large sourire sur ses lèvres et avait du mal à ne pas sautiller de joie.
- C'est un honneur de te rencontrer, lui dit Attilius en l'observant d'un œil bienveillant. Cela fait des années que John me parle de toi. J'espère que tu te plairas parmi nous.
Ellynn ne fut pas étonnée que le chef de la Garde connaisse également son père et lui fit un bref signe de tête, ne sachant pas trop quoi lui répondre.
- Je suis également content de te revoir, s'adressa-t-il cette fois à Timolas. Cela fait longtemps que l'on ne t'a pas vu ici.
- Ce n'est pas de gaité de cœur que je suis ici. Il ne m'a pas laissé le choix.
- Tout le monde a le choix, lui répondit Attilius énigmatiquement en ne se détachant pas de son sourire. Tu ressembles de plus en plus à ton père. Mais je suppose que je ne suis pas le premier à te dire ça.
- Non.
- HA !
- Bien. Vous ne voulez pas vous assoir ? demanda Attilius étonné en leur désignant les places vides qui se trouvaient à côté de lui et Amos. C'est bien plus agréable de parler quand on est assis. Voilà qui est mieux ! s'exclama-t-il enjoué dès qu'Ellynn et Timolas furent installés. C'est un peu rudimentaire pour l'instant car l'école vient de fermer pour la moisson mais dès le retour des élèves, vous verrez que cet endroit est bien plus accueillant qu'il n'y paraît.
Ellynn avait tellement de questions à poser qu'elle avait l'impression que sa tête allait exploser.
- Vous serez momentanément seuls dans vos dortoirs en attendant l'arrivée des autres élèves, continua Attilius sur sa lancée. Vos professeurs seront prévenus de votre arrivée. Aurélius – il se retourna vers l'intéressé qui était toujours debout, sa main gauche posée sur le pommeau de son épée – peux-tu demander à Isis de nous ramener de quoi manger pour quatre personnes ? Elle doit commencer à s'inquiéter de ne pas me voir revenir pour le souper. Et – il haussa un peu le ton car Aurélius s'éloignait déjà pour rejoindre son cheval – si je ne me trompe pas, ton tour de garde est déjà fini depuis longtemps. Dès que tu as remis le message à Isis, rentre chez toi. Ta femme doit aussi s'inquiéter.
Aurélius le remercia puis prit congé après les avoir salué.
- HA ! Désolé de te retenir aussi tard.
- Ne sois pas ridicule, le réprimanda gentiment Attilius. Aurélius va rapidement prévenir Isis donc tout va bien. Cela lui fera plaisir de te revoir.
- HA !
- Tu vas réfléchir à la proposition de Tibérius ?
- Ce vieux dragon ne sait pas dans quoi il se lance !
- Je pense qu'au contraire, il le sait très bien. Les professeurs seraient heureux de t'accueillir parmi eux.
- Vous allez enseigner à l'école ? s'exclama Ellynn ahurie.
Elle se mordit immédiatement la langue et se maudit d'être intervenue dans la conversation alors qu'elle s'était faite discrète jusqu'à présent.
- Ne t'excuse pas, rit Attilius. Tu as eu la même réaction qu'Amos lorsque le directeur lui a proposé une place dans l'école. Tu devrais accepter son offre Amos. Tu as toutes les qualités requises pour être un excellent professeur.
- HA ! Comme je te l'ai déjà dit, je vais y réfléchir.
Le chef de la Garde eut l'intelligence de ne pas poursuivre le débat.
- Je me doute que tu es fatiguée et je suis désolé de te demander ça de manière aussi directe, dit Attilius en s'adressant directement à Ellynn et en changeant complètement de sujet, mais peux-tu me dire de quand date le dernier contact que tu as eu avec ton père ?
La question la prit de court.
- Euh... Je... Le dernier message date du début du printemps.
- Et que disait-il ?
Tous la fixaient en attendant sa réponse qui ne venait pas. Elle réfléchissait à toute allure et essayait de se remémorer ce que Nanny Mi lui avait dit.
- Nanny Mi ne me l'a pas fait lire, tenta-t-elle de se justifier, sentant ses joues rougir devant leurs regards inquisiteurs.
- Ce n'est pas grave, dit Attilius d'un ton rassurant. De quoi te souviens-tu ?
- Il... Il disait être sur le chemin du retour. Quand nous sommes parties à Bruxellae, il était question qu'il nous rejoigne moins d'une semaine plus tard à la maison. Depuis, nous n'avons plus eu de nouvelles. Mais c'est normal car il ne savait pas qu'on allait aller à Bruxellae...
- Et as-tu vu quelque chose sur le parchemin qui te semblait peu habituel ?
Ellynn regarda Amos et Attilius tour à tour et sentit un peu la panique la gagner. Ils ne l'oppressaient pas mais elle pouvait sentir que cette information leur était capitale.
- Je... commença-t-elle hésitante. Je... Non... Je ne pense pas.
Attilius l'observa un moment, la laissant encore un peu réfléchir.
- Je suis désolé d'insister mais es-tu sûre de ne rien avoir remarqué d'anormal ? Cela peut-être un simple détail, quelque chose qui t'a légèrement heurté.
- Non... Il y avait sa chevalière apposée sur le sceau.
- Et le parchemin, est-ce qu'il était abîmé ?
- Non... Je ne crois pas...
- HA !
- Ce n'est pas grave, la rassura Attilius qui voyait qu'elle s'en voulait de ne pas avoir fait plus attention à certains détails.
Timolas qui était assis en face d'elle la fixait et s'était enfermé dans son silence, écoutant attentivement la discussion.
- Bucks... Bucks ! dit-elle soudainement, sa voix montant perceptiblement dans les aigus. Bucks était légèrement blessé quand il est arrivé. Sa patte était foulée et Nanny Mi lui a mis un bandage avant qu'il ne reparte avec son message à elle.
Ellynn avait son regard dans le vide et essayait de se remémorer le moindre souvenir.
- Je... Je me rappelle juste... Avant que Nanny Mi ne referme la lettre, j'ai brièvement vu que mon père avait inscrit « Code : Pirate » en bas de la lettre mais je n'ai aucune idée de ce qu'il a voulu dire en écrivant cela...
Ellynn reporta son attention sur Attilius et vit qu'il fixait Amos avec un regard sous-entendu.
- HA ! Est-ce que... ?
- Oui, ça concorde avec ses derniers messages.
- Comment ça ? Quels derniers messages ? Vous avez des nouvelles de mon père ? Où est-il ? Comment va-t-il ? Je peux le joindre ? Que...
- Du calme Ellynn, dit Attilius en levant ses mains en signe d'apaisement. Du calme. Ton père va bien. Tu ne dois pas...
- Comment le savez-vous ?
Ellynn ne voulait pas lui manquer de respect mais elle ne parvenait pas à gommer une certaine hargne qu'elle maintenait en elle depuis trop longtemps à l'égard de toutes ces personnes qui ne partageaient pas d'informations avec elle.
- Tu n'es pas la seule à correspondre avec lui.
- Il...
- Calme toi et laisse-moi le temps de t'expliquer certaines choses.
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A la hauteur de vos attentes??? :)