Le Pacte

By jcgautier

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Quelle part de votre existence seriez-vous prêt à sacrifier pour sauver celle que vous aimez ? More

Prologue
Un mariage presque parfait
Le contrat
Révélations
Descente aux enfers
Espoir ?
Le piège
Huang Fu
L'étau
Scandale
Poursuite au T2

Traquenard

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By jcgautier


23 heures 40

Les choses ne se déroulaient pas du tout selon le plan prévu.

Depuis deux semaines, Ricardo observait et analysait minutieusement chaque fait et geste de la cible. Il connaissait à peu près tout à son sujet. En dehors des informations basiques transmises par Pierre Noriac, il savait par exemple qu'elle suivait des cours particuliers de violon deux fois par semaine, le mardi et le vendredi de 20 heures à 22 heures, rue de Bellechasse, dans le 7e arrondissement. La cible avait une formation de comptable et enchaînait les contrats à durée déterminée. Actuellement, elle était en recherche d'emploi. Côté cœur, le tableau n'était pas plus reluisant. D'ailleurs, en dehors de ses cours de violon, elle ne sortait pratiquement pas et à l'exception de deux ou trois amis, toujours les mêmes, ne fréquentait personne. Elle dînait rarement à l'extérieur et à l'occasion choisissait de préférence un bistrot typique, rue de Lille, où elle commandait invariablement le ris de veau accompagné d'un verre de Bourgogne. Elle ne fumait pas, ne buvait sans doute pas d'alcool et se parfumait chez Armani.

D'ordinaire, Ricardo ne s'embarrassait pas de tous ces détails. Il exécutait au plus vite le contrat, souvent sans scrupule quant à la méthode employée. Chez lui, au Guatemala, on procédait ainsi, malgré les vains efforts du gouvernement et de la communauté internationale pour enrayer la violence et la corruption.

Mais, cette fois, c'était différent.

La cible avait un lien direct avec Pierre Noriac. Ce lien, censé être un secret pour tous, Ricardo le connaissait. Ce que, de son côté, le PDG de Metaspace ignorait. Un avantage dont Ricardo comptait bien profiter. Et qui justifiait de recueillir le maximum d'informations pouvant servir par la suite. Un moment, il avait même pensé entrer directement en contact avec la cible. Mais, après réflexion, la stratégie s'avérait beaucoup trop hasardeuse. Tout bien considéré, la cible n'avait guère plus d'intérêt pour lui vivante que morte. Il s'en était donc tenu au plan initial. Plus simple. Plus radical.

Son exécution était programmée pour le soir même. Après le cours de violon. Sur le chemin du retour, la cible serait victime d'une agression. Un banal « vol à la tire » ayant mal tourné. Dans quelques semaines, faute de témoin et d'autre mobile, la victime viendrait allonger la liste des homicides non élucidés, représentant pas moins de 10 pour cent des crimes commis. Un plan somme toute classique, mais efficace.

Mais, cela ne s'était pas déroulé ainsi.

Peu après 22 heures, la cible était sortie par la porte cochère du 13 rue de Bellechasse. Cependant, au lieu de tourner dans la prochaine rue à droite comme d'habitude pour regagner son domicile, elle avait poursuivi tout droit. Surpris, Ricardo l'avait prise en filature. Elle marchait d'un bon pas, aussi il devait faire attention à ne pas la perdre tout en gardant une distance de sécurité pour ne pas se faire repérer.

Par ailleurs, son comportement était des plus étranges. Au lieu de suivre un trajet précis, elle s'arrêtait de temps à autre à seule fin apparente d'observer ce qui l'entourait. Une première fois, elle était restée une bonne dizaine de minutes devant le musée d'Orsay, sous la grosse horloge de l'ancienne gare. Ensuite, un peu plus loin, sur la passerelle de Solférino, elle s'était attardée parmi d'autres personnes pour regarder passer une péniche sur la Seine, illuminée comme un sapin de Noël. À cette heure, il y avait encore beaucoup de monde dehors, surtout des touristes, profitant de la fraîcheur nocturne et des lumières de la ville. Ce qui augmentait les chances que Ricardo perde la cible de vue. Il le savait, mais avait décidé de poursuivre. Après tout, un autre endroit se présenterait peut-être où accomplir le travail. Ce qui en définitive n'était pas plus mal. Ainsi, loin du domicile de la cible, l'agression semblerait plus fortuite et écarterait d'autant la possibilité de la préméditation.

Du pont, la cible avait ensuite emprunté le passage donnant l'accès en contrebas aux quais de la rive droite.

Sur une distance longue d'un kilomètre ou presque, ils avaient descendu les berges du fleuve où étaient amarrées toutes sortes d'embarcations en enfilade comme les voitures le long d'un trottoir.

Finalement, une question avait émergé dans l'esprit de Ricardo : et si la cible avait réussi à le repérer ?

Cela semblait improbable. Il avait pris toutes les précautions nécessaires. Changeant d'habits d'un jour à l'autre et allant jusqu'à se grimer. Malgré tout, la possibilité n'était pas à écarter. Et dans son activité, pour être le meilleur ou tout simplement survivre, ce qui revenait souvent au même, toutes les possibilités se devaient d'être envisagées.

Ce qui lui avait mis la puce à l'oreille venait de ce brusque changement de comportement. Soudain fugueur et fantaisiste. Cela ne collait pas avec le profil conformiste et un peu sauvage de la cible. Et Ricardo avait appris à se méfier des individus aux comportements changeants.

Mais si c'était le cas, si la cible l'avait vraiment repérée, à quoi jouait-elle ? Quelle était la finalité de ce jeu du chat et de la souris ?

La meilleure solution aurait peut-être été de la laisser filer et de remettre à plus tard l'exécution du contrat.

Mais la vérité, c'était que la situation excitait Ricardo.

À présent, il se trouvait en haut du pont Alexandre III, à côté d'un gigantesque pylône surmonté d'une sculpture dorée.

Il y a quelques minutes, la cible venait de pénétrer au pied du même pylône par une grande porte en fer forgé peinte en blanc, décorée de cinq coquilles Saint-Jacques. Devant la porte s'étalait un long tapis rouge et deux vigiles en costume en contrôlaient sévèrement l'entrée. La file des jeunes qui attendait pour pénétrer dans le night-club d'où s'échappaient des échos de musique techno était impressionnante. Cependant, la cible n'avait pas eu besoin de faire la queue. Un simple mot adressé à l'un des vigiles lui avait permis d'entrer. Ce qui n'avait pas manqué de piquer encore plus la curiosité de Ricardo.

En passant sous le pont, formé d'une structure complexe d'arches et d'arceaux en acier, il avait pu vérifier que la boîte disposait d'un autre accès, sous l'autre pylône, en aval. Celle-ci semblait néanmoins close.

Il était donc remonté afin de trouver le meilleur emplacement pour surveiller les entrées et les sorties du club.

Il espérait seulement que l'attente ne serait pas trop longue.

Il alluma une cigarette et jeta un regard circulaire sur la ville illuminée. Paris ne lui était pas complètement inconnue même si c'était la première fois qu'il y mettait les pieds. Il savait par exemple que le pont sur lequel il se trouvait avait été inauguré lors de l'exposition universelle de 1900. Censé symboliser la récente alliance franco-russe, le tsar Alexandre III en personne en avait posé la première pierre en compagnie du président français de l'époque. Richement décoré, le pont comptait entre autres trente-deux candélabres en bronze. En suivant la voie tracée par les dizaines d'ampoules dorées, on tombait sur un autre monument symbolique, situé dans le prolongement : l'hôtel des Invalides. Destiné à l'origine à accueillir les soldats victimes des guerres de Louis XVI et abritant depuis 1840 le corps de Napoléon 1er, rapatrié en grande cérémonie depuis Sainte-Hélène sous le dôme de la chapelle royale. Napoléon, dont il admirait l'audace et le courage, était l'un des personnages préférés de Ricardo. Avec l'ancien président du Guatemala, Jacobo Árbenz Guzmán, et Ernesto « Che » Guevara. Ricardo se retourna. Derrière lui, l'immense verrière du Grand Palais baignait dans une clarté bleutée. Décidément, la Ville lumière portait bien son nom.

Il n'avait pas quitté des yeux la porte du club plus d'une dizaine de secondes.

C'était à peine croyable.

Pourtant, côté rive gauche, la cible était en train de gravir les marches de l'escalier permettant de remonter à la hauteur des deux autres pylônes du pont.

Un instant, Ricardo douta que ce soit bien elle.

Mais, une fois sur le pont, elle se retourna dans sa direction.

Il l'identifia alors clairement.

Ils se faisaient face, séparés par un peu plus d'une centaine de mètres.

À cette distance, Ricardo ne pouvait être assuré que c'était bien lui que la cible regardait fixement. Pourtant, il en avait l'intime conviction.

Son intuition ne l'avait pas trompé.

Non seulement la cible l'avait repéré, mais en plus, elle le défiait.

Comment s'y était-elle prise pour rejoindre l'autre rive ?

Ricardo l'ignorait.

La réponse devrait pourtant attendre.

L'urgence était à présent d'exécuter le contrat sans délai. La cible avait vraisemblablement vu son visage. Sa couverture était compromise. Il n'était donc plus question de report.

Comme si elle avait deviné ses pensées, la cible disparut soudain derrière le socle d'une imposante sculpture de lion.

Ricardo se mit à courir.

À trente-cinq ans, il était en parfaite condition physique, grâce notamment à un entraînement quotidien et à un régime strict. Il estima qu'il lui faudrait moins de vingt secondes pour franchir la distance jusqu'à l'autre bout du pont. Par ailleurs, la route longeant les quais était encore passablement encombrée, rendant toute traversée hasardeuse, voire périlleuse. Ce qui laissait une bonne chance de rattraper la cible rapidement.

Le feu venait de passer au rouge pour les voitures quand il atteignit l'autre bord.

Un peu plus bas sur la gauche, il repéra aisément la cible qui avait profité du ralentissement de la circulation pour traverser.

Il traversa à son tour entre les véhicules arrêtés, se réjouissant d'avoir réduit l'écart aussi facilement. Trop facilement peut-être. À l'évidence, la cible ne faisait aucun effort pour le distancer. Elle marchait à allure normale et n'avait jeté qu'un seul regard en arrière. Pour quelqu'un se sachant poursuivi, cette attitude était pour le moins étonnante. Encore une invraisemblance que Ricardo décida d'ignorer au profit de sa résolution.

La cible parcourut encore une centaine de mètres avant d'emprunter une rampe d'accès au métro Invalides.

Ricardo se précipita à sa suite.

Pendant tout le trajet, comptant quatre stations pour deux changements de lignes, Ricardo s'appliqua à respecter une distance précautionneuse tout en ne perdant pas son objectif de vue. Même si à ce stade, la question de son repérage était passée au second plan. Il était concentré sur sa mission et confiant dans son issue. Il serait toujours temps, après, de s'interroger sur les raisons profondes qui l'avaient poussé à faire preuve d'un tel acharnement au mépris de certaines règles de prudence élémentaires. Par la même occasion, il lui faudrait contacter Pierre Noriac pour lui demander ce que ce dernier avait omis de lui dire lors de leur entrevue à Sophia-Antipolis. Car, de toute évidence, le vieux renard n'avait pas joué franc-jeu avec lui.

Un freinage brusque et strident rappela Ricardo à l'ordre. Le métro approchait de la station Victor Hugo, dernier arrêt avant le terminus de la ligne.

Il restait peu de monde dans la rame et personne ne se leva pour descendre.

Au moment où le signal sonore annonçait l'imminence du départ, il vit alors la cible se précipiter vers la porte.

S'y attendant plus ou moins, il réagit vivement en saisissant la poignée à proximité et tira avec force sur celle-ci pour la maintenir ouverte une fraction de seconde supplémentaire.

L'instant d'après, il se retrouvait sur le quai.

Seul.

Le train s'ébranla derrière lui et s'enfonça dans l'obscurité du tunnel, ne laissant plus voir que ses deux feux de signalisation, rouges comme des yeux de braise.

Au bout du quai, une série de petites marches descendaient directement sur le ballast. Juste après, sur la droite, une porte de service métallique était entrouverte.

Ricardo réfléchit à toute vitesse.

La cible se trouvait dans la voiture de tête. Lui même avait pris place dans la seconde. Il avait vu, sans doute possible, la cible descendre et l'avait suivie de très prêt : pas plus de quelques secondes. Or, la station ne comportait qu'une seule sortie. Celle-ci se trouvait au bout opposé. Si la cible avait emprunté cette issue, elle serait inévitablement passée devant lui. Donc...

Sans hésiter, Ricardo se dirigea vers la porte à l'entrée du tunnel.

Les événements prenaient une tournure de plus en plus insolite. Loin d'être découragé, Il ressentait au contraire une espèce de jubilation qu'il n'avait pas éprouvée depuis très longtemps.

Derrière la porte, un couloir étroit d'une cinquantaine de mètres s'engageait en ligne droite dans les entrailles souterraines du métro. De chaque côté, un réseau de gros câbles courait sur toute la longueur. Tous les dix mètres environs, de vieilles lampes à incandescence diffusaient une lumière spectrale.

Ricardo constata qu'à l'extrémité du couloir, celui-ci se poursuivait sur la gauche en effectuant un virage aveugle à angle droit.

Il courut sur les cinquante premiers mètres puis ralentit prudemment. D'instinct, il prit en main le Beretta qu'il portait dans le holster dissimulé sous son pantalon au niveau du mollet.

L'arme en main, il s'apprêtait à bifurquer à gauche quand une silhouette surgit devant lui.

Ensuite, un coup de feu claqua dans un coin du cerveau de Ricardo, suivi d'un silence brutal et de profondes ténèbres.


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