Amour adolescent

By ShannonRaven

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Une jeune fille revient dans sa ville natale après six ans d'absence. Elle en a désormais dix-sept et doit re... More

Prologue
Chapitre 1 : 6 ans plus tard
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20

Chapitre 15

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By ShannonRaven

Une semaine plus tard...

On était de nouveau vendredi, et à la veille des vacances, l'ambiance n'était pas aussi studieuse que d'habitude. Les premières avaient beau savoir que le bac de français les attendait à la fin de l'année, même les plus sérieux commençaient à donner des signes de lassitude, notamment un certain jeune homme aux cheveux blancs...

Il faut dire que la présence dans sa classe d'une certaine brunette aux cheveux bouclés avait tendance à le déconcentrer. Lysandre était ainsi : la moindre émotion qui sortait de l'ordinaire, le moindre sentiment auquel il attachait de l'importance prenait soudain une place énorme en lui. L'amour de cette jeune fille lui avait complètement retourné la tête, à un point tel qu'il ne se souvenait pas avoir déjà éprouvé la même chose auparavant.

Castiel demeurait d'humeur sombre. Depuis une semaine, il ne parlait pratiquement plus, même à son ami aux yeux vairons : il avait recommencé à boire, comme en témoignait son haleine du matin, et à fréquenter des bars miteux, comme en témoignait le joli bleu qu'il arborait sur la pommette. Il n'était pas encore revenu en boitant, mais Shannon était tellement captivée par sa relation avec le victorien qu'elle ne s'apercevait de rien, d'autant plus qu'il faisait tout pour l'éviter. Lysandre le voyait, mais chaque fois qu'il faisait mine d'aborder le sujet, le rouquin devenait évasif et pressé d'abréger la conversation, si bien qu'ils ne se parlaient que pendant les heures du club musique – qui ne se limitaient pas au seul mercredi après-midi, contrairement aux autres clubs – et encore, seulement pour parler de leur prochain morceau.

Enfin, midi sonna, et les élèves s'activèrent tout d'un coup, rangeant rapidement leurs affaires tandis que le prof tentait de dicter les devoirs. Shannon sortit à toute vitesse ; le cours d'histoire lui avait donné mal à la tête tant le prof les bombardait de dates et de chiffres de toutes sortes. Tout en se massant la tempe, elle se dirigea lentement vers les casiers. A sa grande surprise, un jeune homme aux cheveux flamboyants l'y attendait.

Alors qu'elle s'approchait, il tourna la tête, et elle retint un hoquet de surprise. Le bleu sur sa pommette s'était transformé en coquard, si bien que son œil était à demi fermé, et sa lèvre était fendue, formant une croûte à peine sèche.

- Qu'est-ce qui t'es arrivé ? se retint-elle de crier, horrifiée.

- Je me suis battu. Si ça peut te rassurer, l'autre mec est à l'hosto.

Son ton n'avait rien de rassurant. Narquois comme à son habitude, mais dénué de cette petite lueur d'amusement, dans l'œil gris fumée, qui démentirait la brutalité de ses propos. Il se détacha de la porte de casier contre laquelle il s'était adossé et se rapprocha d'elle, un sourire sinistre sur les lèvres.

- Tiens, tu t'inquiètes pour moi ? C'est bizarre, vu que tu m'adresses plus la parole depuis que tu embrasses Lys'. Est-ce que lui aussi, tu le fais espérer ? Ou es-tu sincère ?

Son haleine puait l'alcool. Shannon ne put s'empêcher de reculer, retenant un haut-le-cœur. Son sourire s'étira, dévoilant ses canines.

- Oh, mais tu as peur ? Il ne faut pas, voyons. Je suis doux comme un agneau... avec les gens en qui je peux avoir confiance. D'ailleurs, continua-t-il sur un ton paisible, mais sous lequel perçait une pointe de menace, tu sais ce que je fais aux gens qui me trahissent ?

Il sortit quelque chose de sa poche et Shannon sentit son cœur s'arrêter sous le choc.

- Et bien, on ne dit plus rien ? railla-t-il, jouant avec le cran d'arrêt de son couteau.

Nerveuse, la jeune fille jeta un coup d'œil derrière elle. Il n'y avait plus personne dans le couloir : ils étaient tous partis manger. Elle pria pour qu'un prof ou un employé quelconque passe par là et remarque le manège du rebelle. Heureusement pour elle, les anges devaient être à l'écoute, car une voix déterminée se fit entendre :

- Laisse-la, Castiel.

Lysandre avait rarement pris un ton aussi dur avec lui, ce qui surprit le rouquin. Un instant seulement. Il se reprit aussitôt, crachant son venin comme une vipère :

- Te mêle pas de ça, Lysandre. C'est entre moi et ma « meilleure amie », dit-il avec froideur en appuyant sur ces mots.

Le victorien s'approcha, s'interposant entre les deux.

- C'est aussi ma petite amie, désormais, annonça-t-il, aussi froid que son ami. Cela me regarde donc autant que vous.

Rassurée au début par sa présence, Shannon se mit rapidement à craindre pour sa santé. Castiel était instable, et si Lysandre le provoquait, elle ne pouvait prédire ce qui arriverait... Soudain, à l'image du couteau dans la main de Castiel se superposa une autre image semblable, à un détail près : les cheveux du propriétaire de l'arme n'étaient plus rouges, mais blonds. Elle sentit la morsure de la lame sous sa gorge et soudain, tout se brouilla autour d'elle tandis qu'elle luttait pour respirer. Elle sentit le choc de son corps sur le sol, entendit le sifflement de sa pénible respiration, puis, au loin, une voix affolée, un bruit de pas. Elle se sentit soulevée, serrée contre une poitrine à la douce odeur de parchemin, dont elle entendait le cœur battre à un rythme effréné. Rassurée par l'étreinte de ces bras puissants, elle parvint à se calmer : sa vision s'éclaircit et son souffle se calma.

Le regard alarmé de Lysandre valait tous les discours du monde. Elle ouvrit la bouche pour parler, mais s'aperçut vite qu'elle en était encore incapable. Au lieu de ça, elle lui fit un sourire qu'elle espérait rassurant. Son expression s'adoucit, mais avant qu'il ait pu dire quoi que ce soit – si telle était son intention – ils arrivèrent à l'infirmerie. La jeune femme qui s'en occupait les regarda arriver avec des yeux ronds comme des soucoupes, jusqu'à ce qu'elle reconnaisse Shannon.

- Qu'est-ce qui t'est arrivé, ma belle ? s'inquiéta-t-elle aussitôt. Tu nous fais une rechute ?

Elle avait été mise au courant par le Dr Fernandez de la cure que la jeune fille avait subie, et avait passé beaucoup de temps au téléphone avec elle pour lui apporter un soutien psychologique différent de celui que ses amis ou sa famille pouvaient lui procurer.

Lysandre la déposa sur un lit, et ce fut à ce moment-là que Shannon se rendit compte que non seulement Mr Faraize, le prof d'histoire, était présent, mais aussi Rosalya, Leigh, Iris et Violette. Pas de trace de Castiel ; elle pensa confusément qu'il allait falloir qu'elle en parle avec le victorien. Voire avec tous ses amis. Voire avec son père. Nan, mauvaise idée. Il allait en parler au père de Castiel et ça lui apporterait plus d'ennuis qu'autre chose. Non, ce qu'il faudrait, c'était en parler à...

Elle se saisit la tête à deux mains, soudain saisie d'une migraine atroce. Inquiet, Lysandre voulut s'approcher, mais l'infirmière, remise de sa surprise, lui barra la route.

- Il faut lui laisser de l'air ! Allez, ouste ! les poussa-t-elle dehors.

Shannon allait protester, mais encore une fois sa voix ne lui obéit pas. La jeune femme lui apporta un verre d'eau avec un doliprane, qu'elle accepta avec reconnaissance. Une fois le médicament pris, elle se sentit un peu mieux, même si c'était sans doute plus dû à la fraîcheur de l'eau qu'au paracétamol. L'infirmière la jugea suffisamment en forme pour s'asseoir et elle s'installa à côté d'elle en lui prenant la main.

- Est-ce que ça va ? Y a-t-il quelque chose dont tu aimerais parler ? s'enquit-elle avec douceur.

L'ex-rouquine ouvrit la bouche puis la referma, indécise.

- Prends ton temps, la conseilla la jeune femme. Ne te force pas si tu n'en as pas envie : tu peux venir me voir quand tu veux, et de toute façon tu as mon numéro si besoin.

Elle lui serra la main affectueusement, souriant avec gentillesse, avant de la relâcher. La jeune fille avait à peine passé le seuil de l'infirmerie qu'une comète blanche lui fonça dessus, manquant de la faire tomber.

- Sha'! s'écria Rosa, au bord des larmes. On a eu tellement peur !

Iris et Violette les rejoignirent, les yeux brillants elles aussi. Elles s'apprêtaient à l'enlacer à leur tour quand Lysandre s'immisça entre elles. Il l'entoura de ses bras, la serrant contre lui de toutes ses forces. Courbé en deux, le nez dans le cou de sa bien-aimée, il pleurait.

- J'ai eu tellement peur, murmura-t-il à son oreille. J'ai cru que tu refaisais une crise, comme... comme avant...

Bouleversée par l'intensité du soulagement qu'elle ressentait chez le victorien, Shannon lui rendit son étreinte, inspirant à pleins poumons son parfum si rassurant. Par-dessus son épaule, elle vit Leigh et Rosalya échanger un regard entendu : chacun d'eux saisit une des filles par le bras et ils les emmenèrent plus loin, laissant le couple seul.

Elle essaya sa voix : celle-ci ressemblait pour l'instant plus à un croassement qu'à autre chose, mais elle allait devoir s'en contenter.

- C'est fini, dit-elle avec difficulté. Ne t'inquiète pas, c'était une simple crise d'angoisse...

- Tu t'es écroulée si vite, l'interrompit le jeune homme. Je n'ai pas eu le temps de te rattraper...

De si près, elle vit que ses lèvres tremblaient. Pour le calmer, elle l'embrassa tendrement.

- Je suis là, maintenant, dit-elle doucement, en plantant son regard dans le sien. Je vais mieux.

Ses muscles se relâchèrent lentement tandis que la tension le quittait petit à petit. Il ne desserra pas son étreinte pour autant.

Leurs amis revinrent peu de temps après, pour les trouver assis par terre, Lysandre contre le mur et Shannon appuyée contre son torse. Le jeune homme enlaçait sa bien-aimée dans un geste de protection, déposant des baisers légers le long de son cou, jusqu'à l'omoplate. Leigh tenait deux sachets en papier dans les mains, d'où s'échappait un délicieux parfum de frites.

En relevant brusquement la tête, la jeune fille faillit assommer Lysandre.

- Des frites, prononça-t-elle sur un ton affamé, les yeux brillants de convoitise.

- Du calme, s'imposa Rosalya. Vous allez pas manger dans le couloir, la directrice va nous tuer. Venez !

Tout en disant cela, elle tira Shannon par le bras, réussissant presque à la lever à la seule force de sa poigne : Lysandre bondit sur ses pieds à leur suite, sans lâcher l'ex-rouquine d'une semelle.

POV Lysandre

Je l'observai tandis que Rosa la tirait en avant. Elle ne semblait pas se rende compte de l'intensité de l'inquiétude qui m'avait saisi quand je l'avais vue tomber, ses genoux cédant soudain, sa tête basculant en avant... J'avais à peine réussi à empêcher que son crâne heurte le sol, ce qui aurait très certainement eu des conséquences dramatiques, mais malgré tout je n'étais pas satisfait. En la prenant dans mes bras, tout à l'heure, je n'avais que trop senti sa fragilité.

La bravoure dont elle s'efforçait de faire preuve en se montrant à nous en bonne forme et souriante ne me trompait pas. Pas maintenant que je l'avais tenue contre moi et ressenti les pulsations rapides de son cœur, comme les battements d'ailes d'un oiseau affolé retenu prisonnier dans sa cage thoracique.

Je me hâtai à leur suite, bien décidé à ne pas la lâcher, prêt à la rattraper si elle tombait de nouveau. La pensée de Castiel, ivre de violence et plein de haine, me rembrunit. Je serai plus vigilant, désormais.

POV Narrateur

Après le doliprane, les frites avaient goût d'ambroisie pour Shannon, qui les avalait presque sans les mâcher. En effet, trop secouée par sa crise, elle n'avait pas fait attention, mais son estomac s'était vite chargé de lui rappeler son besoin pressant d'être rempli. Les menus du MacDo ramenés par Leigh avaient donc été accueillis avec joie, tant par elle que par son petit ami.

Cela lui faisait bizarre de l'appeler ainsi, même après une semaine. Lysandre avait toujours été un de ses meilleurs amis, et ils s'étaient beaucoup rapprochés à son retour, mais elle ne s'était pas encore faite à l'idée qu'ils étaient désormais encore plus proches.

Tout en attaquant son Wrap au poulet, elle lui jeta un coup d'œil à la dérobée. Assis à côté d'elle, il prêtait une oreille attentive à ce que lui racontait son frère, mais son visage semblait plus tourmenté qu'à l'ordinaire, lui qui était toujours d'un calme olympien. Les deux s'étant assis en tailleur, son genou touchait celui de Shannon, et il semblait vouloir garder ce contact, si frêle fut-il. D'ailleurs, la jeune fille l'acceptait volontiers : ce point de contact, même ténu, la reliait physiquement à Lysandre, à défaut de pouvoir lui faire un câlin.

L'un comme l'autre, ils étaient assez pudiques, hésitant à faire autre chose que se tenir la main devant les autres, même leurs amis. Ils s'arrangeaient pour se retrouver dans un coin de la cour, dans le sous-sol des bâtiments quand le club ne répétait pas, sur le toit quand Castiel n'y était pas, derrière un arbre... Ils ne se voyaient pas très souvent en dehors du lycée, mais Shannon justifiait ça par sa propre répugnance à mettre son père dans la confidence – même si elle doutait bien qu'il s'en était plus ou moins rendu compte.

Ils avaient à peine fini de manger que la sonnerie retentit, annonçant la reprise des cours. Ils avaient chimie : c'était la prof qui avait fait les binômes, et par chance, Shannon était tombée sur Rosalya.

Mme Delanay était une femme stricte, élevée à la militaire, avec des idées bien arrêtées sur la discipline requise de la part d'une classe de premières ainsi que sur la tenue exigée en cours de chimie – idée qu'elle partageait avec les autres profs de sciences, au contraire de la première. Le petit groupe se précipita aux casiers pour y chercher leurs blouses, lunettes et gants de protection puis ils coururent vers le deuxième étage, consacré aux TP.

Mme Delanay n'avait pas une très haute opinion des retardataires.

Ils arrivèrent avec soulagement juste avant la deuxième sonnerie indiquant le début des cours. La prof leur fit signe de se dépêcher, puis ferma la porte derrière eux. Elle revint alors à son bureau tandis qu'ils découvraient les instruments et la verrerie du TP du jour.

- Au programme d'aujourd'hui, annonça-t-elle, la synthèse de l'aspirine. Vous avez les trois premières étapes au tableau : je compte sur vous pour les exécuter dans le calme pendant que je m'entretiens avec Mme la directrice.

Celle-ci attendait à la porte, un épais dossier sous le bras. Dès que la porte se fut refermée sur elles, le silence vola en éclats.

- Mais qu'est-ce que tu fous, siffla Ambre, que la prof avait mise avec Kentin.

Le pauvre, en plus de ne pas la supporter, était nul en sciences. Avec la meilleure volonté du monde, chacune de ses préparations finissait invariablement par atterrir dans un bidon, sous la hotte de sécurité, lorsqu'elles ne provoquaient pas une petite explosion – sans gravité, heureusement – qui lui noircissait la figure.

- Bah je suis le protocole, protesta-t-il. Ils disent : « écraser le comprimé et l'introduire dans un bécher »...

- Le bécher, c'est le pot là, tu l'as mis dans l'erlenmeyer, imbécile ! fulmina la blonde.

S'il y avait un truc qu'on pouvait reconnaître à Ambre, ces derniers temps, c'était qu'elle avait fait des efforts au niveau de ses études. Ses notes avaient grimpé et son comportement, s'il ne s'était pas amélioré, au moins restait supportable. Les appréciations des professeurs s'en étaient ressenties et elle n'en avait tiré qu'une fierté plus grande encore.

Tous les profs, à part Mme Delanay. Elle reconnaissait les efforts de la blonde dans son domaine, sans pour autant les juger acceptables : il faut dire qu'avec elle, la moyenne de la classe stagnait aux alentours de 10, voire 9 lorsqu'elle était de mauvaise humeur, alors que leurs profs s'accordaient à dire qu'ils représentaient la meilleure classe de première, avec une moyenne générale de 14 (sciences exceptées).

Cela tenait aussi à sa manière d'enseigner : pour les TP, elle mettait la verrerie et les instruments à utiliser, mais elle plaçait aussi sur leurs paillasses des échantillons de tous les produits se trouvant au laboratoire, sans leur indiquer lesquels ils devaient utiliser. Ils devaient donc se débrouiller avec les inscriptions tracées au feutre, à demi effacées et pratiquement illisibles indiquant le contenu des flacons.

Shannon et Rosalya tentaient tant bien que mal de suivre les consignes écrites au tableau. Chance ou pas, leurs flacons semblaient plus récents, et de fait leurs inscriptions aussi : elles parvinrent sans trop de mal à la deuxième étape, puis cela se corsa.

- Distiller la solution ? répéta stupidement Rosa, les yeux fixés sur le bécher qui contenait leur production.

L'ex-rouquine était tout aussi perplexe. Heureusement, la porte s'ouvrit à ce moment sur Mme Delanay, ayant terminé son entrevue avec la directrice. Les deux filles levèrent la main en même temps.

- Oui, mesdemoiselles ?

- Excusez-nous, madame, tenta la blanche, mais nous ne comprenons pas l'étape trois. Comment pouvons-nous « distiller ».. ça ?

La prof s'approcha de leur paillasse afin d'observer leur préparation. Elle fit la moue, ce qui équivalait chez elle à un sourire.

- C'est correct, commenta-t-elle, avant de leur expliquer le déroulement d'une distillation.

Lorsqu'elle partit voir un autre groupe, les deux amies se regardèrent, aussi perdues l'une que l'autre.

- T'as compris quelque chose ? Murmura Shannon.

- Rien du tout, affirma Rosalya sur le même ton.

Un bruit d'explosion retentit à ce moment-là. Tous se retournèrent vers Ambre et Kentin, dont la paillasse fumait. Beaucoup.

- Qu'est-ce qui s'est passé ? J'attends des explications, exigea la prof, furieuse.

- On ne sait pas, madame ! se défendit Kentin.

- Moi je sais, déclara Ambre d'un ton péremptoire. Il a voulu mettre un produit dans votre satanée mixture, là, sauf qu'il a pas vérifié ce que c'était...

D'un geste de la main, elle désigna ce qui restait de la substance, balayant l'air au-dessus pour en faire partir la fumée.

- Aïe ! S'écria-t-elle soudain. Ça brûle !

Loin de se dissiper, la fumée grise se répandait de plus en plus dans la salle. Quelques élèves commencèrent à tousser, dont Shannon et Rosalya, qui étaient juste derrière. Mme Delanay éleva la voix pour se faire entendre :

- Que tout le monde sorte : laissez tout ici, je vais activer l'alarme incendie. En rang, s'il vous plaît, et surtout ne courez pas ! Les délégués, s'il vous plaît, prenez la tête.

Nathaniel et Melody se placèrent aussitôt de part et d'autre de l'unique porte et firent passer deux par deux les élèves en les comptant. Les deux jeunes gens tentaient de juguler la peur de leurs camarades, en vain : tout le monde se ruait vers la sortie.

La fumée devenait très dense, c'était très dur d'y voir clair. Dans la confusion, Shannon perdit Rosalya. Elle étouffait, un pan de sa blouse devant la bouche pour se protéger un tant soit peu de la fumée sûrement toxique. D'instinct, elle se pencha : bingo ! La fumée, chaude, montait et stagnait au plafond, laissant un espace étroit près du sol où l'air n'était pas encore vicié. Mais les fenêtres étaient fermées et la fumée se concentrait dans la pièce, occultant aussi bien les yeux que les sinus de la jeune fille, désormais totalement perdue.

Elle rampa vers ce qui lui sembla être la direction de la sortie, ses appels à l'aide étouffés par sa blouse et la fumée : ses poumons commençaient déjà à la faire souffrir, tant elle avait avalé de gaz toxique. Enfin, après ce qui lui sembla une éternité, l'air sembla plus léger, plus pur : elle approchait de la sortie. Au même moment, elle sentit quelque chose de mouillé lui tomber dessus : le système anti-incendie s'était enclenché. Une ombre se dressa devant elle, et Nathaniel l'aida à se redresser et à sortir clopin-clopant de la salle enfumée, fermant soigneusement la porte coupe-feu derrière eux.

Au bord de l'inconscience, elle parvint à marcher, soutenue par Nathaniel, jusqu'aux escaliers, puis à descendre ceux-ci jusque dans la cour. Des voix lui parvenaient, comme étouffées, mais elle arrivait à comprendre ce qu'elles disaient : la fumée s'était étendue, on avait évacué le bâtiment, appelé les pompiers, l'ambulance... Nathaniel l'amena près d'un banc où il la fit asseoir en compagnie d'autres personnes, dont Iris, qui se trouvait derrière Shannon au moment de l'accident et qui avait elle aussi respiré beaucoup de fumée. Leurs binômes respectifs, à savoir Rosalya et Castiel, n'avaient pas trop souffert, l'une parce qu'elle avait immédiatement eu le réflexe de se couvrir la bouche et de courir vers la sortie, et l'autre parce qu'il n'était tout simplement pas venu.

La question surgit alors dans son esprit, dévorante, porteuse d'inquiétude et de malheur. Elle s'agrippa à Nathaniel qui s'apprêtait à repartir :

- Lys... Lysandre, croassa-t-elle, enrouée par la fumée.

- Il va bien, la rassura-t-il. Je l'ai vu quelque part dans la cour : c'est lui qui m'a dit que tu n'étais pas sortie.

Soulagée, elle le relâcha et il s'en fut en direction de la directrice, qui avait une conversation visiblement animée avec Mme Delanay. Il les interrompit poliment et la désigna du doigt : Shannon se sentait faible, nauséeuse, et ses poumons lui faisaient mal à chaque respiration, ce qui n'arrangeait pas son état. Iris lui adressa un pauvre sourire, à peine mieux lotie à voir les grimaces qui contractaient son visage à chaque inspiration.

Les pompiers ne tardèrent pas à arriver, directement suivis du SAMU, qui les embarqua toutes les deux ainsi que quelques autres tandis que les profs appelaient les parents de chacun. Parmi les blessés, Shannon eut la surprise de voir Violette, qui monta dans le même véhicule qu'elle : on les plaça sous respiration artificielle et le reste du trajet se déroula dans un silence comateux.

* * *

Lorsqu'elle reprit conscience, Shannon ne savait pas où elle était. Lorsqu'elle tenta d'ouvrir les yeux, la lumière, trop vive, la força à les refermer aussitôt. Elle essaya de bouger, mais son corps était lourd, comme engourdi. Une aiguille était plantée dans son bras, reliée à une poche elle-même suspendue au-dessus de la jeune fille.

- On lui a administré un antidote sous perfusion, entendit-elle de très loin. Il va nous permettre de neutraliser les cyanures éventuellement présents dans le corps de votre fille. L'échographie Doppler a permis de déterminer que son flux vasculaire – l'écoulement de son sang, si vous préférez – était perturbé, probablement à cause de ces gaz.

- Pas la peine de me sortir votre charabia d'expert, l'interrompit une autre voix, familière. Est-ce qu'elle va s'en remettre ? C'est tout ce que je demande.

La tension dans cette voix aimée la fit réagir ; elle réessaya d'ouvrir les yeux, et les referma aussitôt. Renonçant, elle essaya de se souvenir de ce qu'il s'était passé. L'accident en TP lui revint aussitôt, ainsi que l'ordre d'évacuation, sa frayeur lorsqu'elle s'était rendue compte qu'elle ne voyait plus Rosalya... puis plus rien. Enfin, si, elle se souvenait de Nathaniel, d'avoir été dans la cour, mais entre ces deux moments, rien du tout.... et encore moins après... Le vide complet.

L'ex-rouquine fut soudain prise de vertiges, alors qu'elle ne bougeait pas. Elle se sentit partir au moment où une machine quelconque émettait un signal aigu.

* * *

Lorsqu'elle revint à elle, Shannon put ouvrir les yeux sans que la lumière ne la gêne : en effet, la chambre avait des rideaux, qu'on avait fermés. Redressant la tête malgré des élancements dans le cou, elle put distinguer une forme sombre, avachie sur une chaise à côté du lit qu'elle occupait. Son corps répondait mieux : elle parvint à s'asseoir, ce qui lui éclaircit un peu le cerveau. Alertée par son mouvement, la forme remua elle aussi : stupéfaite, la jeune fille reconnut son père, les traits tirés, une barbe de trois jours lui mangeant le visage.

- Que... Qu'est-ce que tu fais là ? bredouilla-t-elle.

A peine Shannon avait-elle posé la question qu'elle se rendit compte d'où elle se trouvait. Son père la regardait, sans expression, comme s'il ne croyait plus à son réveil, ou comme s'il s'interdisait d'espérer, qu'à tout instant elle pouvait replonger dans la léthargie. Elle tenta de reprendre contenance.

- Ça va ? commença-t-elle par demander, avec autant de douceur que lui permettait sa gorge qui – elle s'en rendait compte maintenant – était atrocement sèche.

C'est à ce moment qu'une lueur d'espoir illumina le visage de Wilhem.

- Je pourrais aller mieux, je suppose, confia-t-il avec un sourire crispé. Et toi ?

La question, banale, avait été posée sur un ton prudent. Attentive, Shannon « sonda » son corps – contractant légèrement les muscles, inspirant, expirant, portant son attention sur tel ou tel membre – avant de répondre :

- J'ai super soif. Mais à part ça, ça va plutôt bien...

Prise de vertiges, elle se rallongea, ce qui démentit ses paroles. Heureusement, cette fois, elle ne s'évanouit pas, et put rassurer son père d'un geste de la main quand il se leva avec une expression inquiète.

Il lui servit un verre d'eau et sortit appeler un médecin tandis qu'elle buvait à petites gorgées. Un homme arriva bientôt, les cheveux grisonnants, en blouse réglementaire, et se présenta rapidement à elle avant de se tourner vers son père pour lui parler. Shannon se fichait de la misogynie évidente du médecin : elle n'avait de toute façon pas écouté ce qu'il avait dit. La douleur dans ses poumons avait été réveillée par le passage de l'eau dans son œsophage, et elle devait respirer lentement, par à-coups, afin de faire entrer l'oxygène dans son corps intoxiqué.

Lorsque son père revint, son expression inquiète ne l'avait pas quitté. Il lui en dévoila la cause lorsqu'elle l'interrogea du regard, incapable de rassembler une quantité suffisante d'oxygène pour prononcer plus de deux mots d'affilée.

- Il dit que tu n'as pas de suie dans tes poumons, mais que tu as ingéré une certaine quantité de gaz toxiques. D'après le témoignage du jeune homme qui t'a trouvée, tu étais par terre, c'est sans doute ce qui t'a sauvée. Ils t'ont mise sous antidote, mais tu risques une chute de tension, comme celle que tu nous as faite il y a trois jours...

Il s'interrompit. Visiblement, le souvenir était encore vivace.

- J'ai cru que nous allions te perdre, souffla-t-il, les yeux brillants de larmes.

Shannon se souvenait vaguement du bruit de la machine, mais rien d'autre. Somme toute, cela n'était pas important, parce qu'elle voyait bien que quelque chose tourmentait son géniteur. Elle tenta de lui demander, mais sa voix s'essouffla au bout de trois mots :

- A quoi tu p...

Heureusement, il l'avait comprise. Détournant le regard, il sembla soudain très intéressé par les rideaux, d'une couleur grise, morne et uniforme.

- Je me suis fait la remarque, ces derniers temps, commença-t-il, qu'il t'était arrivé un certain nombre de choses. Choses qui étaient absolument inenvisageables lorsque tu étais au collège, là où nous habitions avant que tu n'exprimes le désir de revenir ici.

Elle haussa un sourcil, ne voyant pas où il voulait en venir. Il tâcha d'être plus clair.

- Peut-être devrait-on... y revenir.

Tout son corps rejetait cette idée. Quitter encore une fois ses amis, après s'en être fait de nouveaux, après tout ce qu'elle avait traversé pour eux, avec eux ? Quitter Lysandre, avant même d'avoir pu ne serait-ce qu'essayer d'être un couple ? Quitter la tombe de sa mère, dont l'absence lui avait cruellement manqué pendant six ans, et se retrouver de nouveau sans symbole, sans lieu de pèlerinage... ?

La jeune fille secoua vigoureusement la tête, manquant de s'évanouir encore une fois. Son père la sonda, en une question silencieuse. Était-ce vraiment ce qu'elle désirait ? « Oui » répondit-elle intérieurement, se raccrochant à sa volonté comme à une bouée de sauvetage. Il soupira, résigné.

- C'est pas comme si je m'y attendais, après tout. Je les avais prévenus, mais ils ont insisté pour que je te demande quand même.

Shannon n'entendit pas la fin de sa phrase. Épuisée par ses efforts, elle s'était endormie.

* * *

Le médecin l'avait déclarée apte à revenir chez elle, après presque une semaine d'hospitalisation. S'il l'avait gardée si longtemps, au contraire d'Iris et Violette, c'était à cause de sa chute de tension et de la faiblesse évidente qu'elle ressentait. La jeune fille apprit par la suite qu'il avait refusé qu'elle reçoive des visites, et que seul Wilhem avait réussi à se glisser entre les mailles du filet, en sa qualité de père et d'assistant social, arguant qu'un soutien psychologique serait nécessaire. En ce beau jeudi de février, Shannon sortait enfin de l'hôpital, en fauteuil roulant certes, mais de nouveau capable de respirer toute seule. Arrivés sur le parking, elle chercha la voiture de son père en plissant les yeux, éblouie par le reflet du soleil sur les véhicules chromés.

Elle ne se doutait pas de ce qu'elle y découvrirait.

Ce fut une tache bleu électrique, à la périphérie de son champ de vision, qui lui mit la puce à l'oreille. Elle ne put empêcher son cœur d'accélérer, malgré les mises en garde du médecin quant à une éventuelle chute de tension et ses symptômes. Cela faisait tellement longtemps qu'elle ne les avait pas vus...

Une exclamation joyeuse confirma ses doutes.

- Beau temps pour sortir, hein, Choupinette ! s'écria Alexy en se campant devant elle, ses mèches bleues dansant dans la brise légère. Dès qu'on est pas là, t'en profites pour te fourrer dans toutes les embrouilles, non ? C'est pas possible autrement !

Ses yeux roses – il mettait des lentilles – la regardaient avec affection. Il était habillé comme à son habitude, en Arlequin – c'est à dire, tout en couleurs vives, et de préférence flashy. Derrière lui, Shannon aperçut un jeune homme brun qui venait dans leur direction, avec nettement moins d'enthousiasme que son frère pour le beau temps.

- Salut, fit-il simplement.

Ses yeux bleus pétillants exprimaient à eux seuls sa joie de la revoir. Il se baissa pour lui faire la bise, doublant Alexy, auquel il tira la langue comme un gamin. Celui-ci haussa un sourcil faussement dédaigneux, avant de se tourner vers Shannon, contrit :

- Je te ferais bien un câlin, mais...

Il effectua une petite pirouette sur lui-même, comme un lutin qui aurait trouvé une idée de farce.

- ... Il faudra attendre !

Il lui dédia un grand sourire, que l'ex-rousse ne put s'empêcher de lui rendre, tant sa bonne humeur, même bête, était communicative.

- Tu t'es teint les sourcils aussi ! s'exclama-t-il d'un coup, scrutant attentivement son visage. Bien, très bien !

Il avait le même ton que Rosalya quand elle leur faisait essayer de nouveaux costumes, remarqua Shannon. Ils devraient bien s'entendre...

- Mais, réagit-elle, un peu tard, qu'est-ce que vous faites là ?

Alexy claqua des doigts sous son nez, l'air malicieux.

- Hé, réveille-toi ! C'est les vacances chérie, alors on en a profité pour venir te rendre visite ! Ça va bientôt faire un an qu'on s'est pas vus, s'affligea-t-il, en véritable comédien. Mais je maintiens que ton roux naturel te va mieux, insista-t-il, passant du coq à l'âne sans transition.

- Bon, les garçons, intervint Wilhem d'un ton fatigué. Vous voulez bien l'aider à monter dans la voiture, au lieu de jacasser ?

- A vos ordres, monsieur ! s'écria Alexy, endossant aussitôt le rôle du prince charmant.

Il la saisit délicatement sous les genoux et les aisselles, la portant en princesse pendant les quelques mètres qui les séparaient du véhicule avant de la déposer avec tout autant d'attentions. Elle eut l'occasion pendant ce trajet d'apprécier à leur juste valeur les nouveaux muscles de son ami.

- T'as fini par accepter d'aller à la salle, à ce que je vois, le taquina-t-elle. Où est passé ton corps de lâche ?

- Enterré, noyé, disparu corps et biens, déclama-t-il le plus sérieusement du monde tandis qu'il s'installait à côté d'elle.

Armin prit sa place à l'avant, où il engagea directement la conversation sur la série des The Witcher, dont le père de Shannon était un joueur invétéré. Son jumeau préféra interroger la jeune fille, prenant un air sournois tellement exagéré qu'elle éclata de rire.

- Alors alors, miss... Comment ça se passe avec le beau victorien ? attaqua-t-il sur un ton malicieux.

Elle pouvait presque le voir se lécher les babines à l'idée d'une info croustillante.

La jeune fille leva les yeux au ciel.

- Écoute, Alex, je viens de passer une semaine à l'hôpital, toutes visites interdites ou presque, à alterner entre dormir, manger, m'évanouir, dormir, souffrir, m'évanouir. Tu crois vraiment que j'ai eu le temps de batifoler ?

Il eut la bonne idée de paraître contrit. Un instant seulement.

- Tu vas pas me dire qu'il s'est rien passé au lycée !

Pour Alexy, le pro des histoires de drague et autre chafouinage, une semaine d'amour platonique n'était rien de moins qu'un sacrilège, comme en témoignait son expression outragée.

- Choupinette... Va falloir remédier à ça ! s'enflamma-t-il, les yeux brillants de fougue. Dis-moi que tu as au moins un ensemble de dentelle, si possible noir.

Shannon se sentit gênée.

- En fait...

Il devina immédiatement ce qu'elle tentait de lui cacher.

- Tu n'as absolument aucune dentelle dans tes sous-vêtements ?! Mais où sont passés ceux que je t'ai offerts ? se lamenta-t-il.

Rouge pivoine, la jeune fille n'osa pas lui avouer qu'elle avait pris au moins deux bonnets depuis qu'il les lui avait offerts, et que les strings qu'il voulait lui faire porter avaient rapidement été remplacés par des tangas. Il la connaissait trop bien pour se laisser abuser : usant de sa force de persuasion prodigieuse, il parvint à lui faire cracher le morceau en moins de cinq minutes.

- Mais si c'était que ça ! s'exclama-t-il, dépité. T'avais qu'à me dire que tu voulais pas de strings, je t'aurais offert des tangas !

Shannon menaçait de prendre feu, s'il la faisait rougir encore plus : parler de lingerie devant son père la rendait extrêmement mal à l'aise – tout comme Wilhem, au vu de la coloration qu'avaient prise ses pommettes.

La maison n'avait jamais autant ressemblé à un refuge. Ils y parvinrent un quart d'heure plus tard, le temps pour Alexy de faire la liste des boutiques où il emmènerait Shannon, ainsi que celle des accessoires « in-dis-pen-sa-bles » qu'il lui fallait – et dont elle s'était très bien dispensée jusqu'à présent. La jeune fille se serait volontiers précipitée dans sa chambre si ses jambes avaient pu la porter. Au lieu de ça, Alexy la reprit dans ses bras et ils sortirent ainsi de la voiture.

La tête dirigée vers l'épaule de son ami, Shannon ne comprit d'abord pas pourquoi il s'arrêtait. Il murmura d'un ton espiègle :

- On a de la visite, Choupinette...

Tournant la tête avec difficulté, elle aperçut une chevelure blanche près de la porte d'entrée. Son ami la déposa à terre pour qu'elle puisse marcher, faisant fi de l'avis du médecin, mais resta près d'elle pour la soutenir.

Lysandre était affalé contre la porte, les yeux fermés : il dormait. Même ainsi, son expression demeurait inquiète, et le petit pli sur son front n'avait pas disparu : d'une main, il tenait un crayon, et de l'autre son carnet ouvert. Par discrétion, Shannon le referma : elle savait à quel point il y tenait, et les personnes ayant déjà vu l'intérieur de son carnet se comptaient sur les doigts d'une main. Ce léger mouvement suffit à réveiller le victorien.

Son regard tomba d'abord sur Alexy. Il eut l'air perplexe. Puis Shannon lui prit le visage pour l'embrasser, et il ferma les yeux pour mieux en savourer l'intensité, tandis que ses traits se relâchaient, l'inquiétude laissant la place à l'extase du moment.

- Dites-le si je dérange, railla Alexy au bout d'un moment.

- Oui, tu déranges, répondit la jeune fille. Tu veux pas t'en aller ?

Son ton était tout aussi ironique que celui de jeune homme aux cheveux bleus. Leur tirant un chapeau imaginaire, il partit rejoindre Wilhem et son frère, qui galéraient à sortir le fauteuil roulant de la voiture. Elle reporta son attention sur Lysandre, qui la dévorait du regard.

- Tu es là, dit-il enfin, la voix vibrante d'une émotion contenue à grand-peine.

Elle lui dédia un léger sourire, incertaine de la conduite à tenir. Il lui prit la main et la porta à ses lèvres, délicatement, comme si elle était de cristal.

- Depuis combien de temps es-tu là ?

- Je suis arrivé à l'aurore, lui répondit-il. Je comptais demander à ton père de m'emmener, mais il était absent, alors je l'ai attendu.

Une sonnerie retentit, étouffée : le victorien sortit son portable de sa poche et, après avoir identifié la personne qui l'appelait, mit le haut parleur pour que Shannon entende la conversation.

- Enfin ! grésilla la voix stridente, reconnaissable entre mille, de Rosalya. Ça fait 27 fois qu'on t'appelle ! On avait peur qu'il te soit arrivé un truc...

Une voix plus grave se fit entendre.

- Où es-tu passé ? Tu as disparu depuis hier soir, tu n'as pas idée de partir comme ça, sans prévenir personne !

Shannon dévisagea le victorien.

- Comment ça, « depuis hier soir » ?

Son intervention coupa Rosa dans son élan.

- Sha', c'est toi ? Mon Dieu ! Est-ce que ça va ? Ça fait une semaine qu'on a plus de nouvelles, depuis l'accident du labo ! On était tous morts d'inquiétude !

La blanche fit une pause, pour repartir de plus belle :

- Tu te rends compte que même Nathaniel est venu chez nous pour nous demander si on savait quelque chose ! Nathaniel, quoi ! Cela dit, je ne savais pas que tu le connaissais si bien. Il était bouleversé, le pauvre, tu l'aurais vu... Cela dit, sa sœur doit pas l'aider, et ses parents... bref.

- Rose, tu diverges, la prévint Leigh, amusé. On est contents que vous alliez bien, résuma-t-il par-dessus les récriminations de la blanche, qui ne l'avait pas écouté. On passera sûrement te rendre visite un de ces jours, Shannon, alors remets-toi bien, d'accord ?

La jeune fille promit de se reposer et le victorien raccrocha. Ses yeux s'étaient assombris. Elle ne put s'empêcher de remarquer qu'ils partageaient cette caractéristique : elle ne s'en sentit que plus proche de lui. Cependant, ce qu'avait dit Rosa l'intriguait.

- Où étais-tu, hier soir.. ?

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