Je rentre du travail dégommé par cette journée de merde, à cause de ce travail de merde, avec un salaire de merde. Je suis grincheux, ça je ne peux pas le nier, mais faut voir à quoi je suis réduit dans cette boite.
Quand je vois autour de moi mes potes s'en sortir en restant les bras croisés, bien sûr que ça me donne envie de tout quitter et de vendre moi aussi. Vous croyez quoi ? Que l'argent facile ne m'attire pas ? J'aimerai bien moi aussi me faire entre deux milles et cinq milles au mois en restant en bas de chez moi, mais j'peux pas.
J'peux pas pour plusieurs raisons. D'un côté il y a ma daronne, j'ose pas prendre le risque de lui faire du mal et la faire pleurer, c'est pas envisageable. D'un autre côté il y a mon daron, si j'y touche et qu'il me grille, je sais que j'vais le décevoir et le dégoûter à fond. Puis après il y a elle. C'est aussi pour elle que je travaille et que je lâche rien. Elle a été claire, si je touche à la mort, notre couple aussi sera mort. Et sans vouloir passer pour un « canard » ou autre, elle passe avant tout le matériel. Je peux pas risquer de la perdre pour quelques milliers d'euros, pas elle.
Je vais être honnête, j'étais pas tout blanc avant elle et en la rencontrant, j'étais pas prêt de changer. Je comptais pas changer, pour moi ma vie était tracée. Je me disais pourquoi me prendre la tête, pourquoi aller à l'argent, alors qu'avec les stups, c'est l'argent qui vient à moi. Mais pour son sourire, son regard plein de larmes, j'ai arrêté, parce-que ouais, j'suis un homme et un vrai homme finit toujours par se poser pour sa femme.
Il n'y a pas un jour où j'ai envie de rejoindre mes potes et de reprendre, mais chaque fois que je la vois, que j'entend sa voix, ou que je la touche, l'envie me quitte. Parce-que l'argent ça ne fait pas forcément le bonheur. Bon si un peu quand même, mais l'argent ne vaut pas la femme.
En tout cas pour résumer l'effet qu'elle a sur moi, c'est pire qu'une foutue drogue. J'ai tout essayé à un moment donné. Je voulais pas arrêter de bicrave, alors j'ai essayé d'autres meufs, rien. J'ai essayé les joints, rien. J'ai essayé la sniffe, toujours rien. Et j'en suis venu à déduire que seule elle avait cet effet sur moi, qu'elle était ma drogue personnelle, sur mesure.
Mon téléphone sonne et me sort de mon moment de réflexion.
- Ouais ?
Assad - Tes clefs de maison elles sont où ?
- Pourquoi ?
Assad - J'veux juste voir la boîte aux lettres, j'attend un colis.
- Vas-y elle sont sous mes t-shirt, mais perds les pas, y'a aussi les clefs de chez Nihed.
Assad - C'est qui elle ?
- Combien de fois j'vais te l'répéter Assad, c'est ma meuf.
Assad - Ah ouais c'est vrai, vas-y bien vu Hakim.
Je travaille, je me déchire à la tâche. Vers dix neuf heure trente je ramasse mes affaires et monte dans ma voiture pour rentrer chez moi, après avoir fait une heure supp, comme un chien.
Avant de démarrer, je prend mon téléphone pour l'appeler. Je suis pas bien et quand c'est le cas, j'ai envie que d'une chose, qu'elle s'occupe de moi. Mais elle répond pas, comme d'habitude depuis quelques temps.
J'essaie de me faire une raison pas trop sombre, mais je sais au fond de moi que c'est parce-que notre relation ne la convient plus. Et je pense souvent à ça, elle mérite pas que je la fasse patienter comme ça. Si elle est distante, c'est parce-qu'elle attend de moi que je passe la vitesse supérieur, bague au doigt, maison, bébé et j'y pense de plus en plus. Ça me hante carrément, j'aurais pas pu trouver une femme aussi adaptée à moi, elle est peut être pas parfaite pour un autre, mais c'est elle qu'il faut que je mari, j'attend seulement le moment idéal.
Arrivé chez moi, je passe sous la douche avant de manger, parce-que je sais que je pue le mort, j'ai transpiré comme un sanglier aujourd'hui.
Mama - Viens manger weldi, tu veux de la harira ?
- Mmh ça fait longtemps, comment ça se fait que tu nous mette bien comme ça hors ramadan ?
Mama - J'avais envie de vous faire plaisir, de temps en temps ça fait pas d'mal.
- Merci tu gères mama. Avec les petites bricks en plus.
Je mange dans la cuisine avec ma mère, mon petit frère et ma petite sœur. Mon père mange souvent seul dans le salon, devant la télé, le foot ou les chaînes arabes en général.
Mama - J'ai besoin que quelqu'un m'emmène au Leroy Merlin pour acheter des étagères, mes épices prennent trop de place sur le plan de travail.
- Je t'emmène samedi à mon jour de repos.
Mama - InshaAllah si t'es pas fatigué.
- Sinon Assad il t'emmène demain, il fou rien de ses journées ce p'tit clochard, toute la journée en bas du bâtiment.
Mama - J'préfère encore y aller en bus, il conduit trop vite, ça me fait peur.
- Bon bah tu patientes jusqu'à Samedi, je t'emmène sans problème.
Kawtar - Oh tu pourra me déposer au centre commercial, c'est sur la route du magasin de bricolage.
- Tant qu'on fait pas de détour.
Kawtar - Trop bien, le tram est toujours blindé en plus.
Yassine - J'ai pas envie d'en rajouter une couche, mais j'ai match amical et j'aurais mon gros sac à porter.
- Nan là t'abuses, j'suis pas Uber moi.
Mama - Il travaille toute la semaine et nous on l'embête même le week-end.
- Tranquille mama, c'est moi le grand frère, c'est à moi de m'occuper de mes petits frères et sœurs. Mais prenez pas la confiance aussi, c'est seulement ce week-end.
Yassine - Ouais t'inquiètes. De toute façon l'année prochaine j'ai dix-huit piges, j'vais pouvoir m'assumer, faire du sale tout ça.
- Yassine commence même pas à parler comme ça, tu vas t'en manger une dans tes dents.
Yassine - Tu veux que j'parle comme un babtou ?
- Nan parles juste correctement.
Yassine - Tu m'fais la morale, mais t'es le premier à parler le langage de la street.
- Ouais mais ça s'est amélioré, tu peux pas dire le contraire. Et ça commence comme ça, ça fini par fumer et vendre en bas.
Yassine - T'inquiètes !
Kawtar - T'as finis, je peux débarrasser ?
- Ouais vas-y.
Yassine bouge dans sa chambre et Kawtar aussi. Je me retrouve seul dans la cuisine avec ma mère, moi sur mon téléphone, elle sur le sien pour parler avec sa famille sur WhatsApp.
Je compose le numéro de Nihed, dans l'espoir de lui parler, mais pas moyen de l'avoir. C'est comme si elle était morte, aucune nouvelle. Je sais que je traine, mais c'est pas une raison pour me laisser sans nouvelles comme ça.
Je sais pas quoi faire, si je vais chez elle et qu'elle me fait la gueule, on va se prendre la tête et ça va éclater. Mais si j'y vais pas, elle va se sentir mise de côté, elle va croire que je m'en bat les reins d'elle, alors que je fais que d'y penser.
Mama - Tu penses à quoi comme ça ?
Je lève les yeux vers elle et rabat mes mains sur la table, qui étaient posées sur mon crâne.
- J'sais pas si c'est raisonnable de t'en parler.
Mama - Dis-moi Hakim, j'suis là pour te conseiller.
- C'est cette fille. Celle avec qui tu m'avais vu à Auchan.
Elle sourit et verrouille son téléphone pour le poser sur le plan de travail.
Mama - Enfin tu décides de m'en parler.
- J'ai envie de la marier, mais y'a pleins de barrières. J'ai pas encore un bon salaire, j'ai pas encore d'appartement, elle a pas terminé ses études, on peut rien construire de solide là.
Mama - Tu te trompes. En quoi ton salaire est une barrière ? Tu touches presque deux milles euros, c'est vrai qu'un salaire pour deux c'est pas évident, mais je t'assures que tu peux faire les choses bien.
- Et l'appartement ? Ses études ?
Mama - Sérieux Hakim, autant tu peux être mature et responsable, autant tu peux être incapable.
- T'es sérieuse là ? -Rire-
Mama - Oui, un appartement c'est pas sorcier hein. Au pire tu prends dans le privé en attendant de trouver mieux, un T2 vous suffit amplement pour commencer une vie de couple, en plus ceux à l'entrée de la ville sont moderne et cosy. Et puis ses études elle peut les terminer tout en étant mariée, tant qu'elle ne tombe pas enceinte avant. Il lui reste combien d'années avant de les terminer ?
- J'sais pas, trois, quatre ou cinq ans, j'suis pas trop informé.
Mama - Écoutes un peu quand on te parle, elle a du te le dire des centaines de fois.
- Sûrement, mais j'm'en fous. -Rire- J'écoute pas ma mère, pourquoi je l'écouterai parler elle ?
Mama - Arrêtes t'es bêtises. -Rire- Tu l'aimes Hakim ?
Je la regarde avec un petit sourire en coin. Comment lui dire que juste après elle, c'est Nihed la femme de ma vie. C'est gênant, mais c'est un fait, je suis fou amoureux de cette petite cinglée.
- On va dire que je la déteste pas du tout.
Ma mère rigole et tourne la tête de gauche à droite, de manière désespérée. Ça me fait sourire de la voir réagir comme ça, elle est belle ma mère.
Je prend mes clefs de voitures et enfile ma veste pour aller chez Nihed, c'est pas bon de faire la sourde oreille.
Je toque vite fait, avant de tourner la clef dans la serrure et de rentrer. Je la surprend en train de sécher ses larmes rapidement.