L'odeur de tabac est insoutenable dans cet endroit bondé de monde. La soirée ne fait que commencer et il y a déjà quelques ivrognes qui titubent entre les tables. L'ambiance musicale ne dénote pas avec le reste. Je n'arrive pas à identifier un seul mot des paroles confuses que débite les hauts-parleurs. Ce bar est tout aussi sordide que l'appartement de Patrick. Je ne serais pas étonné d'apprendre qu'il y passait le plus clair de son temps.
Barry se faufile comme il peut au milieu de cette foule compacte pour rejoindre le comptoir pris d'assaut. Je reste dans son sillage pour ne pas le perdre de vue. Je me sens oppressé et je fais tout mon possible pour calmer ma respiration qui s'emballe.
Il regarde par-dessus son épaule pour me dire quelque chose.
Je suis incapable de l'entendre. Cette bouillie musicale résonne dans mes oreilles et me vrille le cerveau.
Après un combat acharné, nous atteignons le comptoir. Barry présente son insigne aux derniers clients qui se trouvent en travers de son chemin, et ils s'écartent rapidement. Je crois entendre une ou deux insultes, mais je n'en tiens pas compte. Nous ne sommes pas là pour ça. L'un des serveurs nous regarde avec mépris. Je pense qu'il essaie de nous faire comprendre que notre présence n'est pas tolérée. Je me sens de plus en plus mal à l'aise.
– Barry Glinger, commissaire à la police de Chicago. J'aurais quelques questions à vous poser.
Il présente son badge et le remet dans la poche intérieure de sa veste. Son interlocuteur ne montre aucune réaction. Il continue d'essuyer un verre avec un chiffon à la propreté plus que douteuse, une cigarette pendant à la commissure de ses lèvres.
– Vous pouvez vous les foutre au cul, commissaire. Vous n'êtes pas le bienvenu ici.
– Ah oui ? Et que diriez-vous d'un petit rappel à la loi ? Je pense que votre mémoire vous fait défaut. Il est strictement interdit de fumer dans les espaces non réservés. Je vous colle une forte amende pour ce manque de vigilance, ou vous vous décidez à coopérer ?
L'homme soupire et écrase sa cigarette dans un cendrier qui déborde de mégots. Il range le verre sur une étagère avant de caler ce qui lui sert de torchon sur son épaule.
– Soyez brefs...
Barry pose la photographie de Patrick sur le comptoir. Le commerçant se penche pour la regarder en fronçant ses sourcils broussailleux.
– Connaissez-vous cet homme ?
Sa tête mime un mouvement de négation.
– Jamais vu.
– En êtes-vous sûr ? Regardez-le bien.
Il soupire une nouvelle fois, observe le visage de la victime avec nonchalance, puis sa tête reprend le même trajet.
– Certain. Maintenant fichez-moi le camp d'ici !
Mon coéquipier n'insiste pas. Il fait glisser la photographie sur le comptoir.
– Merci pour votre coopération. Je vous laisse un sursis pour bannir la cigarette de votre établissement. Je vous conseille d'arranger les choses dans les plus brefs délais.
Il tourne les talons et je ne me fais pas prier pour le suivre. J'ai eu ma dose d'endroits glauques. Je ne suis pourtant pas au bout de mes surprises...