Elle sentit le souffle de Tobby dans son oreille, c'est ce chatouillement qui la réveilla.
-Réveille-toi Nessa, on va devoir y aller, chuchota-t-il.
« ça y est, nous y sommes» pensa-t-elle. Elle redoutait tellement cet instant, elle espérait que la nuit durerait éternellement. Hélas, elle fut brève.
Nessa s'assit dans son lit.
-Quelle heure il est ? Demanda-t-elle, sombre.
-Cinq heures du matin, le temps de faire nos affaire et de partir.
Nessa fit un grand soupir.
-Nous ne partons pas, finit-elle par dire.
-Nessa, ne perd pas courage à la dernière seconde. Tu verras que tout se passera bien.
-Je ne me dégonfle pas, Tobby, j'ai pris cette décision hier.
Le garçon fronça les sourcils.
-Pourquoi tu m'as dit le contraire alors ?
-Pour te convaincre de rentrer.
-Nessa, je peux comprendre que tu aies peur, mais tu verras, c'est la seule solution...
-Non Tobby. Si je faisais ça, ça serait purement égoïste. Nous devons terminer nos études, surtout toi. Et là seulement, on pourra parler d'avenir.
-Nessa, est-ce que tu prends conscience qu'on ne se verra plus !
-Oui, j'en ai conscience, finit-elle par répondre en pleurant, mais je préfère souffrir que de te faire encore plus de mal que ce que je t'ai déjà fait subir toutes ces années. Tu en as assez fait pour moi, je te remercie pour tout. Maintenant, j'aimerais que tu réussisses, que je puisse être fière de toi pour pouvoir continuer à me regarder en face !
Tobby ne dit rien. Il regardait Nessa pleurer. Ses propres yeux commencèrent à briller. Il se les frotta avec le rebord de sa manche.
-Je peux encore te convaincre...
-Non, Tobby ! Ma décision est prise ! Je pars tout-à-l'heure, dit-elle sèchement en reniflant.
Elle se leva, mit un jean, un t-shirt blanc en dentelle et ses baskets blanches.
-Je vais à la messe, je ne sais pas si tu souhaites encore m'accompagner après ça.
Tobby était assis sur le bord du lit, sa tête dans ses mains.
-Vas-y seule, finit-il par dire.
Nessa retint ses larmes, leva fièrement la tête et parti dans se retourner. De l'autre coté de la porte, elle s'effondra. Elle s'accroupit et pleura, son visage contre les genoux et ses mains délicates dans ses brillants cheveux blonds.
Elle finit par se reprendre et marcha en direction de la chapelle. Enfin arrivée, elle s'assit sur une chaise tout à l'arrière, et se mit à penser.
Se séparer de son ami serait une déchirure atroce. Comment allait-elle se débrouiller au centre, avec tous ces délinquants ? Et si Tobby finissait par l'oublier ? Il réussirait sa vie et n'aurait plus rien à faire avec une petite délinquante de bas étage.
« Qu'on me vienne en aide ! » finit-elle par dire en pleurant. « Aidez-moi! Je n'en peux plus de cette vie ! Que l'on m'aide ! »
Elle sursauta, car une main se posa sur son épaule. Sœur Magalie lui sourit tristement.
-Je prierai pour vous chaque jour.
-Merci ma sœur.
-Venez, nous allons déjeuner.
-A cette heure-ci ? Mais la cafétéria n'est pas encore ouverte...
-Suivez-moi, dit la sœur en souriant.
Nessa se leva et suivit la sœur jusqu'à la cuisine. Il faisait encore nuit noire à l'extérieur. Dans la pièce, quelques cuisinières fatiguées préparaient le petit déjeuner.
-Asseyons-nous ici, dit la sœur.
Nessa ne discuta pas. La sœur mis sur la table des fruits, des céréales, du pain, du fromage et de la charcuterie.
-J'ai droit à plus que d'habitude, dis-donc, s'exclama la blonde.
-Heureusement que de passer son dernier jour ici comporte encore un avantage, répondit la sœur avec le sourire.
Nessa mangeait avec bon cœur. La cuisine avait beau être plus petite, plus sombre, plus sale que la cafétéria, l'orpheline l'a trouvait plus conviviale et agréable. Ici, les cuisinières lui parlaient, la sœur aussi. Elle passa un très bon moment avec ces femmes. Le petit-déjeuner terminé, la sœur raccompagna Nessa jusqu'à sa chambre. Celle-ci avait peur de la réaction de sa supérieure hiérarchique en voyant Tobby dans sa chambre, s'il y était toujours. Elle ouvrit la porte, son cœur battait fort, mais se calma tout aussi vite : Tobby n'était plus là.
-Il est déjà parti ? questionna sœur Magalie, qui avait l'air bien au courant.
Nessa fit de grands yeux ronds à ces mots.
« Elle savait ?!? »
Les deux femmes finirent par entrer dans la chambre et faire les valises de l'orpheline.
Nessa n'avait en tout et pour tout qu'un sac remplit de vêtements, de ses cours, quelques produits de maquillage, son doudou lapin qu'elle avait reçue par son premier orphelinat lorsqu'elle était arrivée. Sa boite de Pandore et ses cigarettes. La sœur se retourna vers l'élève.
-Ah oui ! Avant que nous ne quittions cette chambre, tenez.
Elle lui tendit une barquette de chocolat au lait et aux noisettes.
-Je sais que les élèves n'y ont jamais droit, mais vous n'êtes plus vraiment une élève à présent. Ça vous fera du bien.
-Merci beaucoup sœur Magalie.
-Bon, je vais devoir vous conduire à sœur Biddle.
-Oui, dit Nessa, une boule dans la gorge.
Le chemin jusqu'à la porte semblait trop court. Le bâtiment était encore endormi, et à son réveil, elle ne sera plus là.
Elles arrivèrent à l'entrée. Sœur Biddle était là, avec sa posture bien droite, ses mains jointes et le menton en l'air.
-Bonjour Mlle Elizabeth. J'espère que vous avez suffisamment déjeuné, c'est un long voyage qui vous attend.
-Bonjour sœur Biddle, répondit doucement Nessa.
-La voiture ne devrait pas tarder à arriver.
Son odeur de pain d'épice piquait les narines de l'orpheline. Elle ne regrettera pas cette vieille folle, c'est certain.
Nessa regardait autour d'elle.
« Pourquoi Tobby n'était-il pas là ? Avait-il décidé de ne pas lui dire au revoir ? ».
Les larmes montaient aux yeux de la jeune fille et son nez devint rosâtre et picota.
« Non, pas encore » se dit-elle. Elle essuya ses larmes du revers de sa manche. Il allait arriver. C'était obligé.
Quel ne fut pas le désespoir de Nessa lorsqu'elle vit la voiture arriver au loin.
-J'espère que vous ferez bon voyage, Mlle, dit sœur Biddle.
Soudainement la porte de l'orphelinat s'ouvrit à la volée. Nessa se retourna, pleine d'espoir. Mlle Turner arriva avec un grand sourire.
Celui de Nessa, en revanche, s'évanouit aussitôt. Ce n'était que cette vieille coincée venue pour la narguer.
-Adieu Mlle, je suis certaine que vous allez très bien vous plaire, dit-elle avec son sourire de sorcière.
La voiture s'arrêta. Un homme en sorti. Il était à moitié chauve, le reste de ses cheveux était noir. Il portait un chapeau melon beige et le costume assorti. Il avait une cravate noire et des chaussures cirées. Malgré son élégance,il n 'était pas fort plaisant : il était petit et grassouillet. Il salua sœur Biddle en enlevant son chapeau.
Puis il sortit un carnet de sa poche et l'ouvrit. Il mit ses lunettes au bout de son nez et procéda à l'appel :
-Mlle Nessa Maria Elizabeth ?
Nessa trouva cette appel affreusement ridicule. Elle était la seule élève présente, l'appeler lui semblait inutile, puisqu'il n'y avait qu'elle pour répondre. Elle regarda autour d'elle, puis dit sur un ton moqueur :
-Je crois bien que c'est moi.
Le petit bonhomme la regarda sans même avoir remarqué qu'elle se moquait de lui.
-Vous pouvez entrer.
Il ouvrit la porte arrière de la voiture. Deux jeunes s'y trouvaient déjà : une jeune fille aux cheveux noirs et au teint pâle et un garçon au cheveux bruns plutôt bronzé.
« Ce devait être d'autres nouveaux élèves ». se dit-elle.
Elle s'avança vers la voiture, puis regarda une dernière fois derrière elle. Les jeux étaient faits, Tobby ne viendrait pas, il était trop tard à présent.
Elle allait partir pour toujours, et la seule personne qui comptait dans sa vie n'était pas venue lui dire adieu. La vie avait parfois un goût si amer...
Elle entra dans la voiture. Elle vit sœur Magalie lui faire au revoir avec un sourire qui trahissait sa peine. Nessa ne prit pas la peine de regarder les deux autres vipères.
Le monsieur au chapeau dit au revoir aux trois femmes et entra à son tour dans la voiture.
-Allez, c'est pas tout ça, il nous reste une dernière personne à aller chercher.
Le moteur se mit en marche, et la voiture quitta l'allée. Ça y était, cette-fois-ci, il était bel et bien trop tard. Nessa ne reverrait sans doute plus jamais son meilleur ami. Les larmes montaient à nouveau dans ses yeux. Elle regardait désespérément à travers la vitre arrière de la voiture jusqu'au bout, espérant voir son meilleur ami arriver.
Soudainement, une silhouette apparut et courut vers la voiture. C'était bien lui !
-Arrêtez la voiture !!! hurla Nessa. Tout-de-suite !!!
Le monsieur n'avait pas l'air de freiner.
-Mais pourquoi faire ? Nous ne sommes déjà pas en avance...
-Arrêtez cette voiture, MAINTENANT !!! cria-t-elle de plus belle.
Le petit bonhomme, surpris, freina sec. Nessa sorti de la voiture et couru le plus vite possible vers son ami. Elle lui sauta dans les bras et celui-ci la serra si fort qu'elle eut du mal à respirer.
Quand il relâcha son étreinte, il mit le visage de la jeune fille entre ses mains, ses yeux étaient remplis de larmes.
-Pardon ! Pardon, j'ai failli ne plus jamais te revoir !
-Pourquoi tu n'es pas venu avant ? dit-elle en pleurant.
-Je pensais que ça te ferait changer d'avis, que tu viendrais avec moi, mais j'ai été idiot, j'ai failli te perdre !
Il mit son front contre celui de son amie.
-Je reviendrai te chercher, je te le promets. Je penserai à toi à chaque seconde qui passera sans que tu sois près de moi, je souffrirai sans toi, je te le promets.
-Réussi tes études, Tobby. Réussi, ne m'oublie jamais et viens me chercher.
-J'en fais le serment.
Il lui prit les mains, la regarda avec un grand sourire qui venait contredire ses larmes.
-Ceux qui s'aiment ne se quittent jamais, dit-il.
Nessa voulut que cet instant dure éternellement, mais soudain, une voiture surgit à toute allure, venue de nulle part. Elle fit un énorme dérapage juste devant Tobby et Nessa et s'arrêta net.
-Waouh, une BMW série 6 cabriolet ! S'extasia Tobby devant la voiture.
-Euh, oui, c'est une jolie voiture. répondit Nessa, conscience de son incompétence en matière d'automobiles.
Le conducteur ouvrit la portière du coté passager de l'intérieur et tendit sa main vers Tobby et son amie.
-Rentrez, dit-il.
A qui s'adressait-il ? Tobby et Nessa s'adressèrent un regard interrogateur.
Nessa le regarda avec plus d'attention : Il avait le teint assez pâle, les cheveux blonds, presque blancs avec... des pointes vertes !
Nessa ouvrit grands ses yeux verts. Il avait des pointes colorées...
La jeune fille se ressaisit, c'était peut-être tout bonnement une teinture de mauvais goût.
Il portait une fine veste en cuir noir et des lunettes de soleil comme dans la série Chips. Cela troublait Nessa car il n'y avait pas de soleil, et puis, elle aimait voir les yeux des gens, elle se sentait désarmée quand elle ne percevait pas leur regard.
Le garçon répéta :
-Alors princesse, vous attendez le dégel ?
« Princesse ? Quelle surnom ringard ! » pensa-t-elle. Mais il s'adressait bien à Nessa. Le soleil se levait derrière lui, Nessa plissa les yeux.
-Qui êtes-vous ?
-Nous aurons tout le loisir de bavarder sur la route, en attendant, j'aurai grand plaisir à ce que vous rentriez dans la voiture.
-Et pour aller où ? Demanda-t-elle, méfiante.
-Nous rentrons chez vous.
Le monde s'arrêta. « Chez moi ? Il y a un chez moi? Ce garçon doit forcément mentir ».
-Je suis orpheline au cas où vous ne le saviez pas, je n'ai pas de « chez moi », dit Nessa avec un ton amer.
Le garçon esquissa un sourire narquois.
-Venez, et vous verrez.
Il lui tendit la main.
Le petit monsieur au chapeau arriva, hors d'haleine.
-Que se passe-t-il ici ? Mlle, je vais vous demander de bien vouloir me suivre.
Nessa ne lui adressa pas-même un regard. Elle était trop occupée à regarder le jeune garçon mystérieux.
-Je ne vous connais pas. Vous me croyez idiote au point de vous suivre ? C'en est vexant !
-Vous n'avez rien à faire ici, nous sommes pareils vous et moi. Je vais vous ramener chez vous, ou plutôt chez nous.
-Je ne vois pas ce que nous pouvons avoir en commun. dit-elle sur un ton relativement méprisant.
-Nessa, On devrait s'éloigner de ce type... dit Tobby en lui agrippant le bras.
Nessa ne l'entendit même pas, elle attendait ce que le garçon aurait à répliquer. Le garçon finit par mettre le frein à main, couper le moteur et sorti de sa voiture. Il s'approcha de Nessa, se posa à quelques centimètres d'elle seulement, avec une indécence qui lui paraissait naturelle. Tobby fronça ses sourcils et lui jetait un regard noir. Le garçon enleva ses lunettes.
Nessa ouvrit grand les yeux. Elle voyait à présent, elle voyait deux grands yeux émeraudes, un regard si profond qu'elle se perdit immédiatement dedans. Elle n'avait pas remarqué à quel point il était beau : les traits de son visage étaient fins, purs, parfaits. Il la regardait d'une manière nouvelle ; profonde, douce, dangereuse. Elle s'enivrait de ce regard ardent qui lui transperça le cœur. Elle ne savait pas ce que c'était que de voir jusqu'à aujourd'hui. Il était l'âme sœur ayant traversé le temps pour venir jusqu'à elle. Tous ses sens se mirent en éveil. C'était comme si le ciel et la terre fusionnaient, tels deux rivaux se considérant à présent comme des égaux. Le temps d'un instant, la lumière et les ténèbres ne formaient plus qu'une seule et unique union, comme le sang qui se glaçait dans les veines de Nessa pour dégager en elle cette chaleur si douce.
Nessa pouvait presque sentir son souffle sur son visage, il suffirait qu'elle se rapproche encore un peu, juste un peu...
Le garçon pris des airs plus distants.
-Nous venons du même endroit, nous avons les mêmes facultés. Je vous ai cherchée des mois durant, maintenant que je vous ai enfin retrouvée, j'aimerai vous emmener avec moi.
« Les mêmes facultés ? Il ne peut pas savoir pour... pour mon don » pensa Nessa, apeurée.
-Qu'entends-tu par facultés ? se risqua-t-elle, inquiète de se trahir.
Le garçon tendit sa main et mit sa paume face au ciel, puis une minuscule tornade apparut dans sa main. Nessa ouvrit ses grands yeux ronds.
-Tu as aussi un don ! S'exclama-t-elle.
Tobby fit de grands yeux abasourdis. Le garçon reprit.
-ça n'est rien d'extraordinaire. D'où vous venez, c'est quelque chose de banal.
-Tu veux dire...que nous ne sommes pas les seuls ?
-Mlle Elizabeth !!!
Nessa se retourna : sœur Biddle courrait vers elle suivie de Mlle Turner.
-Que diable se passe-t-il ? Vous allez retourner à la voiture !
Le garçon prit le visage de Nessa entre ses mains.
-Rien ne vous retiens ici. Venez avec moi, et vivez enfin votre vie, lui dit-il, son regard plongé dans celui de Nessa. Jamais il ne lui serait venue à l'esprit de ne pas le suivre.
-Très bien, mais Tobby vient avec nous, répliqua Nessa.
Le garçon recula pour mieux voir Tobby. Ce dernier se gonflait pour paraître plus menaçant et le regardait méchamment.
-Impossible, il n'est pas comme nous.
-Alors je reste, dit-elle en croisant les bras et l'air sûre d'elle, mais déchirée de l'intérieure par le contenu ses propos.
-Mlle Elizabeth !
Les deux femmes gagnaient du terrain et allaient arriver.
-Oubliez toutes ces personnes et venez avec moi. Nous partons ensemble, chez nous.
Il avait le regard tellement sincère. Nessa savait reconnaître un regard honnête.
Elle se tourna vers Tobby.
-Je pars avec lui, Tobby. Je te recontacte dès que possible.
-Non, Nessa ! Tu ne vas quand-même pas partir avec cet inconnu ? Tu vaux mieux que ça !
-Rien de bien ne m'attend ici. Rien ne peut être pire qu'ici. On se retrouvera très vite, je te le promets.
-Je ne te laisserai pas partir ! Et tous nos projets ?
-On les réalisera nos projets, Tobby. Je reviendrai te chercher, je te le promets.
Le garçon lui ouvrit la porte et Nessa entra.
Sœur Biddle courait le plus vite possible.
-Arrêtez-la !!!
Le garçon sauta au-dessus de sa portière et démarra au quart de tour. La voiture fonça. Tobby courrait derrière la voiture.
-Nessa ! Nessa ! Hurlait-il..
Nessa se retourna, il était déjà loin derrière. Elle l'entendit crier.
-Je t'aime !