Pétales de Rose et rameau d'O...

By Susi-Petruchka

19.9K 3.1K 361

« Jamais Rose Phorbe-Nascorie n'avait connu situation plus insolite que celle dans laquelle elle se retrouva... More

I. Damoiselle Rose, sur un muret perchée
II. Damoiselle Rose, au bal égarée
III. Damoiselle Rose, en un saule incarnée
IV. Damoiselle Rose, en pirogue embarquée
V. Damoiselle Rose, par les remous malmenée
VI. Damoiselle Rose, dans les combles réfugiée
VII. Damoiselle Rose, dans des plans très foireux impliquée
VIII. Damoiselle Rose, plusieurs fois abusée
IX. Damoiselle Rose, par la chaleur incommodée
X. Damoiselle Rose, en territoire ennemi infiltrée
XI. Damoiselle Rose, abondamment frustrée
XII. Damoiselle Rose, en un duel engagée
XIII. Damoiselle Rose, par la vérité assomée
XIV. Damoiselle Rose, à la franchise résignée
XV. Damoiselle Rose, en contre-attaque avancée
XVII. Damoiselle Rose, par la réalité - et le manque de sommeil - rattrapée
XVIII. Damoiselle Rose, à de très légers problèmes relationnels confrontée
XIX. Damoiselle Rose, en un si sacré sanctuaire emmenée
XX. Damoiselle Rose, à bien des périls exposée
XXI. Damoiselle Rose, par les événements dépassée
XXII. Damoiselle Rose, entre des feux croisés piégée
XXIII. Damoiselle Rose, par de menus détails intriguée
XXIV. Damoiselle Rose, par une licorne secourue
XXV. Damoiselle Rose, sacrifiée
Épilogue : Juste Rose

XVI. Damoiselle Rose, b(a)isouillant dans les bois

665 108 20
By Susi-Petruchka

La cohabitation de Chardon et Valerian s'avéra difficile, et d'une discrétion discutable. Ils vrillèrent les oreilles de leurs compagnons de voyage durant une bonne demi-heure, avant de changer de stratégie pour préférer s'insulter à voix basse. Mais leurs éternelles disputes n'importèrent guère durant les premières heures de leur voyage, étant donné que les alligators se faisaient absents – de même que les licornes du bayou, au regret de Rose qui aurait tant aimé qu'Olivier puisse admirer la féérie de leur ballet splendide dans les eaux vertes et pures de la rivière.

Les trois pirogues de leur ambitieuse expédition progressèrent efficacement durant trois heures, se repérant à la lueur du croissant de lune qui se reflétait sur la rivière, tandis que le léger courant les entraînait en silence, leur évitant de se fatiguer les bras à trop pagayer. Rose profitait de l'occasion pour échanger quelques mots avec son compagnon de bord, malgré la légère frustration induite par le fait de ne pouvoir le regarder en face. Les reflets argentés de l'astre du soir dessinaient une ambiance unique sur les méandres aqueux – une ambiance que Rose aurait estimée des plus romantiques, n'étaient les disputes conjugales qui leur provenaient depuis la pirogue voisine.

– Ils n'arrêtent jamais ? murmura Olivier à l'oreille de la jeune femme, impressionné.

– Nope, soupira Rose. Sauf la fois où Cha a souffert d'une extinction de voix. Là, ils en sont finalement venus aux mains.

Elle entendit Olivier ricaner dans son dos, et se sentit heureuse qu'il surmonte les traumatismes de la journée pour simplement apprécier la magie de l'instant. Il méritait ce bonheur simple, et elle se sentait euphorique à la seule idée d'en représenter une toute petite part.

– Tout ceci est tellement irréel, décréta-t-il soudain. Si vous m'aviez dit, il y a une semaine, que je me retrouverais à voguer en pleine nuit en compagnie d'une personne capable de faire s'emballer mon cœur par un simple regard... Merci Rose. Vous amenez tant de désordre dans ma vie ! Mais vous la rendez également digne d'être vécue.

La jeune femme ne s'attendait nullement à une telle déclaration. Elle demeura immobile une seconde ou deux, choquée et émerveillée en même temps, puis se retourna brusquement pour se jeter au cou du si charmant Olivier. Arriva ce qui devait arriver : la pirogue chavira.

Fort heureusement, Rose n'était pas vêtue d'une lourde robe aux nombreux volants cette fois-ci ; aucune chute d'eau ne la tirait vers le fond ; et les alligators ne sommeillaient pas dans les parages. Et il en allait de même pour Olivier – nope, pas de robe à signaler. Tous deux parvinrent donc à regagner la surface sans suffoquer ni craindre la noyade. Ils s'enquirent de leurs états respectifs, paniqués.

– Je vais bien, je vais bien, s'exclama Olivier pour tenter de calmer Rose, légèrement affolée malgré tout.

– Terra mater, je suis tellement désolée ! s'exclama la jeune femme tandis qu'il refermait une main se voulant rassurante sur la sienne. Vraiment, vraiment navrée ! Quelle idiote je fais...

Aux alentours, passé le choc initial, Edelweiss, Chardon et Valerian se moquaient copieusement des naufragés. Ils acceptèrent cependant de les aider à récupérer la pirogue – cependant, la chasse dura quelques minutes, car le courant entraînait leur proie sans se soucier qu'elle fût ou non pourvue de passagers. Olivier en profita pour nager vers la berge avec Rose, et parvint facilement à recouvrer pieds.

– Oh, c'est injuste ! grommela Rose qui nageait à sa suite. Je suis trop petite, je ne touche pas le fond !

– Venez par ici.

Le jeune homme la saisit par la taille et l'attira à lui sans attendre son avis, lui permettant de prendre appui sur ses épaules. Décontenancée par le contact, comme à chaque fois qu'elle se retrouvait dans les bras d'Olivier, Rose, se sentit rougir et remercia la pénombre de dissimuler ses changements de couleur faciaux.

– Merci, murmura-t-elle.

Son sauveur lui répondit par un léger sourire, qui étira ses lèvres en cette expression que la rouquine aimait tant admirer sur ses traits. Elle se détendit, et se laissa aller à penser qu'elle aurait pu passer l'éternité dans ces bras-là, même si cette éternité devait se révéler passablement humide – rivière oblige – et fournie en alligators et autres bestioles peu ragoûtantes. Elle appréciait de se trouver là, avec lui, proche de lui. Au loin, les voix de Chardon, Valerian et Edelweiss s'éteignaient peu à peu, à mesure que leur poursuite de la pirogue fuyarde les entraînait plus loin.

Rose étouffa un rire, s'efforçant de refouler la vague de bonheur que la submergeait malgré elle. Elle détacha l'une de ses mains de la nuque d'Olivier, pour s'en aller taquiner ses mèches brunes du bout des doigts, écartant doucement celles qui masquaient son regard. Comme s'il avait pressenti la tournure que prendraient les évènements, le jeune homme resserra sa prise sur sa taille, réduisant d'autant le mince espace qui subsistait entre eux. Rose ne se laissa cependant pas immédiatement engloutir par ses pulsions, continuant à écarter les mèches rebelles, avant de descendre gentiment, ses doigts suivant la ligne de la mâchoire de son compagnon, caressant ses lèvres fines du bout de l'index, appréciant le souffle léger qu'elle sentait sur le dos de sa main. Ils étaient seuls. Seuls tous les deux, abandonnés au milieu de nulle part, s'appréciant trop pour résister à la tentation.

– Comptez-vous me torturer, Rose ?

La jeune femme approcha son visage du sien, sensuelle.

– Peut-être bien, lui susurra-t-elle à l'oreille, en profitant pour en mordiller le lobe, avant d'oser parsemer de baisers la ligne de sa mâchoire.

– Je dois avouer être tenté de vous laisser faire, laissa échapper Olivier dans un soupir, tandis que l'une de ses mains abandonnait la taille de Rose pour remonter le long de son dos, plaquant plus encore le chemisier détrempé de la jeune femme contre sa peau brûlante.

Rose sourit, s'écarta un peu afin de pouvoir plonger ses yeux droit dans ses prunelles si chaleureuses. Elle sentait son cœur battre la chamade dans sa poitrine, comme dans une représentation rythmique du Boléro de Ravel.

– Olivier... chuchota-t-elle.

– Rose ? sourit-il, répétant leur manège de la veille, dans la voiture.

– Je vais vous embrasser maintenant. Vraiment.

Elle voulut s'avancer doucement, mais il la prit de vitesse, rivant ses lèvres aux siennes dans un baiser passionné. Une seconde durant, ils demeurèrent tous deux immobiles, trop émerveillés pour briser la magie de l'instant – et attendant sans doute de voir si aucune calamité ne leur tombait sur la tête pour interrompre ce moment-là comme cela avait été le cas les fois précédentes. Le miracle eut lieu : le silence demeura. Rose ferma les yeux et se laissa fondre au sein des bras d'Olivier.

Elle pressa plus encore ses lèvres contre les siennes, crispa sa main sur sa nuque tandis qu'il la maintenait toujours serrée contre lui, et se laissa aller à profiter du baiser. Celui-ci débordait d'un désir trop ardemment contenu, mais n'avait rien à voir avec la violence de celui qui avait uni Rose et Aguaje. C'était un baiser doux et alangui, quoique pas chaste pour un sou.

Ce fut Olivier qui rompit le baiser, pour mieux serrer la jeune femme dans ses bras. Il semblait ému, décontenancé et submergé d'émotions à la fois.

– Depuis le début, Rose, murmura-t-il. Depuis que je t'ai vue, ce courage, cette passion qui brûlait dans tes yeux m'ont brûlé d'un feu ardent. Tu portes si bien ton nom ! Tes épines ne cessent de m'écorcher, mais je ne peux me détourner de toi... de ta beauté, de ta force.

Rose ne put que le serrer plus fort dans ses bras, incapable d'égaler une telle déclaration.

– Je crois que j'en veux plus, conclut-elle simplement.

Il fallut évidemment qu'Edelweiss choisisse ce moment-là pour réapparaître. Elle cria plusieurs fois les prénoms de Rose et d'Olivier, incapable de les repérer dans la pénombre. Les amoureux finirent par se manifester, non sans avoir mis un bon mètre de distance entre eux – en plein milieu d'un voyage crucial pour le destin de leur Île, ni l'un ni l'autre ne souhaitait compliquer la situation en divulguant leur relation naissante.

– Ouf, quel soulagement de voir que vous êtes encore là ! soupira Edelweiss en les retrouvant sur les abords de la rivière. Durant un moment, j'ai eu peur que vous ne vous soyez fait entraîner sous l'eau par un anaconda du bayou. Il y en a plein par ici – c'est pour ça que les alligators ne viennent pas.

Il est inutile de signaler que Rose grimpa précipitamment dans sa pirogue en hurlant, insultant copieusement sa charmante demi-sœur. Olivier l'imita sans trop traîner, et tout inquiets qu'ils étaient, ils n'entendirent pas Edel marmonner :

– Vous allez réveiller les ornithorynques du bayou.

La rouquine finit fort heureusement par se calmer – elle y fut bien obligée si elle ne voulait pas provoquer un nouveau naufrage, l'embarcation qu'elle partageait avec Olivier tanguant dangereusement sous ses accès de colère.

– Où sont Valerian et Cha... rlotte ? demanda alors le jeune homme – qui n'avait effectivement jamais entendu le prénom complet de la cousine de Rose et Edel vu que ces dernières évitaient soigneusement de le prononcer, et s'efforçait de le deviner au mieux.

– Chardon, elle s'appelle Chardon, le corrigea doucement sa partenaire nautique.

– Mais elle risque fortement de frapper là où ça fait mal aux hommes si tu as l'audace de prononcer son prénom complet, ajouta Edelweiss. Tant que tu n'auras pas développé les fabuleux réflexes de Val, tiens t'en à Cha. Quant à nos deux tourtereaux hystériques, je les ai laissés un peu plus bas. On a trouvé une berge tout à fait acceptable pour le camping. On va passer le reste de la nuit là-bas, puisque la lune se couche bientôt...

Quelques coups de pagaie plus tard, ils rejoignaient Chardon et Valerian, qui se disputaient alors sur le meilleur emplacement pour passer la nuit, la première arguant qu'il était hors de question qu'elle s'amuse à dormir dans un arbre, le second lui rappelant qu'elle risquait fortement de devenir le repas de l'une des charmantes bestioles rampantes qui traînait dans les environs si elle restait au sol.

– Tu as tout à fait raison, Val, intervint Edelweiss dès qu'elle eut mis pied à terre. Mais d'un autre côté, les anacondas grimpent aussi dans les arbres, alors ça revient un peu au même.

Elle entreprit de tirer les affaires de chacun de sa pirogue, éparpillant les sacs sur le sable de la petite crique dans laquelle ils avaient accosté. Rose vint récupérer le sien, puis jeta un coup d'œil dubitatif autour d'elle, cherchant à déterminer s'il existait un seul endroit où elle ne risquait pas de trépasser dans son sommeil. Peut-être préférait-elle ne pas dormir du tout, à bien y réfléchir.

Elle finit toutefois par trouver un petit coin susceptible de la satisfaire, au creux des racines d'un arbre immense. Elle y arrangea ses quelques affaires, dépliant sa couverture et arrangeant le sac à dos au mieux pour qu'il lui tienne lieu d'oreiller – un peu dur, certes, mais il ferait l'affaire. Les courbatures feraient sans doute partie de l'aventure.

Puis, Rose se retourna et put constater, dans un éclair d'incrédulité stupéfait, qu'Edelweiss entreprenait de monter un campement largement plus luxueux que le sien. Agrippée à une branche, l'adolescente s'affairait à accrocher un hamac entre deux arbres, le tout sans perdre l'équilibre et se retrouver par terre – pas une mince affaire. À ses pieds s'entassait un impossible fatras – fatras qu'elle avait visiblement tiré de son minuscule sac à dos. Comment avait-elle bien pu y entasser un tel volume ? Les lois de la physique venaient de subir un viol collectif.

Affichant les mêmes yeux ronds qu'Olivier, Chardon et Valerian, Rose dénombra une boîte de biscuits secs, deux oreillers, une famille entière de canards en plastique, un tube de mayonnaise, des stylos à paillette et le calepin rose vif qui allait avec, un tuba, une tasse en porcelaine, un couteau de poche, des boules quies « parfumées à l'odeur de fraise », un aspiratout, du dentifrice, un chou et deux bananes, des gants en caoutchouc pervenche, une carte du ciel nocturne, un harmonica, des chaussettes en laine, un mousqueton à vis, une boîte d'aspirine, une photo de yack à poil long dans un cadre en bambou, un tournevis cruciforme, et finalement, un livre de chevet – Le petit guide des sept cent quarante-trois créatures mortelles qui peuplent le bayou.

– Comment a-t-elle pu faire tenir tout ça (Olivier écarta les bras avec emphase) dans rien que ça (il rapprocha ses mains, ébahi) ?

À côté de lui, Valerian haussa les épaules, tout aussi impressionné.

– N'emportez que le strict nécessaire, qu'elle avait dit, maugréa Chardon. Je vais lui apprendre ce que c'est, moi, le strict nécessaire.

Elle échangea un regard désabusé avec Rose, et les deux jeunes femmes s'en retournèrent à leurs campements respectifs, qui paraissaient soudain beaucoup plus minables.

– Tiens Rose, j'en ai un en trop ! lança gentiment Edelweiss, une fois son matériel strictement nécessaire rangé avec soin aux alentours de son hamac.

Elle s'approcha pour lui faire don du coussin surnuméraire, geste qui surprit Rose autant qu'il la toucha.

– Edel... murmura-t-elle, émue – elle aurait pensé que sa demi-sœur le donnerait plutôt à Valerian ou Olivier, vu qu'elle s'entendait très bien avec ces deux-là. C'est vraiment très gentil !

– Oh, ne me remercie pas, soupira la blondinette, agitant nonchalamment la main. Je sais que tu es d'humeur exécrable quand tu dors mal, et je veux simplement m'éviter d'avoir à supporter tes jérémiades durant la journée de demain. Cela dit, je t'en prie quand même !

Elle s'en retourna vers son hamac d'un pas guilleret, sans remarquer que Rose fulminait dans son dos, et ouvrit un bocal de cornichon qu'elle tirait d'on ne savait trop où, pour se mettre à suçoter innocemment lesdites cucurbitacées. La main apaisante d'Olivier au bas du dos de Rose la rasséréna toutefois, l'empêchant d'exploser de colère une fois encore – ce qui aurait à coup sûr risqué de réveiller terra mater savait quelle créature étrange et potentiellement mortelle. Olivier lui sourit, avant de s'asseoir – sans même en demander la permission – sur la couverture que Rose s'était si bien évertuée à lisser. La rouquine hésita un instant, puis finit par se laisser tomber à ses côtés, non sans s'être assurée que les autres se trouvaient en route pour un sommeil sans rêves, et qu'ils ne passeraient donc pas leur temps à les observer à la dérobée.

Le sommeil en question se confirma bientôt en ce qui concernait Valerian, dont la respiration profonde se percevait sans mal dans le silence – relatif – de la jungle nocturne. Chardon ne tarda pas à le rejoindre au pays des songes à son tour, s'enroulant dans sa couverture et la rabattant sur sa tête comme elle avait coutume de le faire, quand bien même il régnait une chaleur torride à l'extérieur ; Rose se demandait toujours comment elle faisait pour ne pas étouffer. Edelweiss mit plus long à s'endormir, gigotant sans cesse sur son refuge haut perché et mâchouillant toujours ses cornichons. Mais finalement, Rose l'entendit se mettre à marmonner dans son sommeil, grommelant à propos d'une latte de plancher récalcitrante, à ce qu'il semblait.

Et puis elle se retrouva seule avec Olivier, qui somnolait, la tête appuyée sur l'épaule de la jeune femme. Elle l'observa un moment durant, attendrie, et se laissa même aller à passer une main douce dans les boucles de sa chevelure emmêlée, comme elle l'avait fait auparavant, juste avant qu'ils n'échangent ce premier baiser. Oh, elle en voulait plus, tellement plus !

– Vous semblez peiner à trouver le sommeil, marmonna finalement Olivier, sans pour autant ôter sa tête de l'épaule de Rose, ni même ouvrir les yeux.

– Ce n'est pas vraiment la position la plus confortable qui soit pour s'endormir, fit remarquer la jeune femme, sardonique. Et puis, la simple idée que cet endroit soit infesté de bestioles diverses et variées – et dangereuses surtout – m'empêche de fermer les yeux. On devrait peut-être instaurer des tours de guet...

– Ou partir explorer les environs pour s'assurer que rien de mortel ne s'y cache, attendant dans l'ombre l'heure où vos jolis yeux se refermeront pour venir vous croquer.

Il assortit le geste à la parole, déposant un baiser sur la nuque de Rose, qui frissonna. Elle accepta néanmoins la main qu'il lui tendit pour l'aider à se relever, et se dit qu'une promenade dans l'obscurité – pas trop loin du campement, mais pas trop près non plus – ne pouvait pas leur faire de mal, puisqu'elle sentait bien qu'elle ne parviendrait pas à fermer l'œil.

Ils s'éloignèrent ainsi en silence, la main dans la main. Rose se servait de la conscience aiguë qu'elle avait des plantes pour éviter les pièges du terrain – racines récalcitrantes, branches basses et buissons épineux. Elle appréciait la quiétude de cette promenade nocturne, et plus encore, appréciait la chaleur qui se dégageait des doigts d'Olivier, irradiant dans sa paume comme une centaine de soleils. Elle aurait voulu brûler ainsi de tout son corps, de tout son cœur.

– Tiens, grommela soudain Olivier. Pourquoi avez-vous emmené le coussin que vous a donné votre sœur ?

Rose écarquilla les yeux, ne remarquant qu'alors qu'elle empoignait toujours ledit coussin de sa main droite, tandis que la gauche demeurait prisonnière des doigts d'Olivier.

– Je... hésita-t-elle. Je ne l'avais même pas remarqué.

Elle ne put s'empêcher de sourire, amusée par sa propre étourderie. Olivier laissa également un ricanement lui échapper, mais il était clair que la majeure partie de son attention n'était plus rivée sur l'anachronique objet. Il n'avait d'yeux que pour Rose, appréciant son innocence soudaine, sa spontanéité.

– Vous êtes merveilleuse, même quand vous vous montrez distraite, chuchota-t-il.

Il s'approcha pour la prendre dans ses bras, comme une fleur fragile et excessivement précieuse, qu'il n'aurait abîmée pour rien au monde. Dans l'obscurité, ses lèvres trouvèrent celles de Rose, qui plongea sans retenue dans ce nouveau baiser, étourdie, comme à chaque fois, par la force de ses sentiments.

Il ne fallut pas une minute pour qu'ils se retrouvent tous deux allongés dans l'herbe douce, parmi les fleurs exotiques – et mieux valait ne pas savoir quoi d'autre. La passion qui les animait tous deux ne semblaient pas prête de s'éteindre, et ils dépassèrent rapidement les limites de la raison, mus par leurs seules sensations. Rose se tenait collée tout contre le corps d'Olivier, dégustant du bout des doigts les lignes que creusaient ses abdominaux sur son torse. Lui demeurait concentré sur sa nuque, qu'il embrassait doucement, comme pour faire durer le plaisir. Sa langue titillait de temps à autre le lobe de l'oreille de Rose, qui se sentait alors parcourue par de violents frissons. La chose lui paraissait plus claire à chaque seconde : elle en voulait plus et ne s'arrêterait pas avant d'avoir soulagé ce désir ardent, d'avoir puisé en Olivier tout ce qu'il était capable de lui donner.

Les vêtements parurent bientôt superflus, ne faisant que d'entraver et de gêner des caresses toujours plus passionnées. Les mains puissantes d'Olivier eurent tôt fait de débarrasser Rose de son chemisier encore humide à cause de leur naufrage dans la rivière. Il entreprit alors de faire descendre ses baisers, suivant progressivement la ligne des clavicules de la jeune fille, tandis que d'une main hésitante, il délaçait son corset. Rose se sentait comme une fleur que l'on effeuille, une marguerite dont on ôtait chaque pétale à gestes doux, pour ne plus garder que son cœur à nu, palpitant. Jamais, même lorsqu'elle investissait les longues tiges des plantes, n'avait-elle senti une telle harmonie unissant deux êtres vivants, une telle communion des corps et des esprits.

– Olivier... ne put-elle s'empêcher de murmurer lorsque ce dernier parvint enfin à la libérer des entraves du corsage, et qu'il en profita pour franchir un pas supplémentaire vers le point de non-retour.

Ses lèvres se refermèrent sur un mamelon, tandis que Rose passait une main fiévreuse dans la tignasse emmêlée du jeune homme, se sentant perdre pied, devenir autant la plante que l'humaine. Dans les ombres zébrées de la forêt, ses cheveux reprirent cette nuance d'un rouge sang, sa peau se fit aussi veloutée que celle d'un pétale de rose, et au bout de ses mains, ses ongles furent engloutis par la chair pour laisser place à de cruelles épines. Olivier laissa échapper un gémissement lorsque Rose planta ces dernières dans la peau tendre de son dos, mais n'arrêta pas de l'embrasser pour autant, comme pressé par la douleur. Il mordilla légèrement l'un des tétons de sa victime comme pour exécuter une piquante vengeance, amenuisant plus encore le contrôle que la jeune femme avait d'elle-même.

Sa timidité naturelle fondit ainsi comme neige au soleil, et elle osa prendre plus d'initiatives, gourmande et demandeuse. Olivier fut bientôt aussi nu que sa compagne, qui profitait de chaque parcelle de sa peau pour le couvrir de caresses et de baisers. Comme elle le désirait ! Comme elle brûlait de le sentir s'avancer en elle, comme le pistil en la fleur !

L'acte en lui-même fut doux et délicat, empli de tendresse. Olivier ne cessa jamais de profiter de chaque centimètre de peau nue que Rose laissait entrevoir sous la lumière pâle des milliers d'étoiles qui piquetaient le ciel. Il s'avança en elle, la laissant submergée de désir et de plaisir, et commença un lent ballet, sous la ronde merveilleuse des constellations. Rose se sentait enfin comblée, maintenant qu'elle et cet homme qu'elle connaissait si peu à qui elle vouait une telle tendresse ne faisaient finalement plus qu'un, unissant leurs sens, leurs corps et leurs esprits. Elle se sentait fleur et humaine à la fois, bénéficiant des perceptions surdéveloppées que lui conférait son statut d'hybride, ressentant tout au centuple. Son bassin semblait animé d'une vie propre et ondulait au même rythme que celui d'Olivier, les joignant en cette danse éternelle que partageaient l'homme et la femme depuis des siècles et des siècles.

La vague de plaisir finit par atteindre son apogée, submergeant tout désir, qui s'amenuisa doucement. Rose laissa un gémissement ravi filer entre ses lèvres, juste avant qu'Olivier ne s'en saisisse à nouveau pour un dernier baiser passionné.

Ils demeurèrent longtemps enlacés sous les étoiles, frissonnant de bonheur. Rose aurait voulu parler, déclamer à Olivier combien il prenait de place dans son cœur, tant et si bien que celui-ci semblait toujours sur le point d'exploser. Elle aurait voulu lui prouvait qu'elle lui vouait une affection semblable à celle qu'il entretenait à son égard, qu'elle serait même capable de l'aimer, le temps aidant. Mais elle demeura silencieuse, consciente que de tels mots seraient désormais inutiles entre eux, et soucieuse de ne pas briser le silence magique qui les entourait, comme une bulle protectrice. Olivier avait les yeux fermés, mais sa respiration trop lente indiquait qu'il ne dormait pas ; il se contentait de profiter autant que faire se pouvait de cet instant de complicité.

Rose remarqua alors qu'elle ne se trouvait pas seule sur place : dans les feuillages, des ombres bougeaient. Prise de panique, elle envoya le seul projectile disponible en direction de l'endroit où s'agitaient les branchages. Il y eut un bruit sourd, puis rien d'autre.

– Un problème, jolie Rose ? murmura Olivier à ses côtés, dans un soupir sensuel qui laissait clairement entendre qu'il n'aimait pas la sentir si loin de lui.

– Je crois qu'il y a quelque chose... souffla la rouquine, apeurée.

Elle entreprit de rassembler ses vêtements, ne souhaitant pas vraiment devoir expliquer à Edelweiss et aux autres d'où lui venait cette lubie soudaine de courir toute nue dans la jungle, à la nuit tombée. Olivier, la sentant tendue, daigna enfin ouvrir un œil. Ce fut à ce moment-là que les créatures qui les cernaient daignèrent quitter leurs cachettes. Des licornes du bayou ! Leurs robes pâles laissaient toujours émaner cette même lueur opalescente, ajoutant à la féérie de leur apparence. Leurs écailles sombres miroitaient les multiples lueurs des étoiles, les transformant en cent nuances de couleurs différentes, comme un étrange arc-en-ciel, multiple et multicolore. Et leurs cornes... Leurs cornes s'élevaient vers le ciel, pures et lumineuses ; enfin, sauf pour l'une des licornes, qui arborait un oreiller empalé sur ledit appendice ithyphallique. Rose se sentit rougir, dans un honteux élan de priapisme. Mais le regard doux de la licorne du bayou lui laissa comprendre qu'elle ne lui en voulait pas.

Oubliant sa semi-nudité, la jeune femme se releva pour tendre une main amicale en direction du petit groupe de licornes. La plus petite se laissa flatter le museau, loin de se montrer farouche. Mais au moment où elle toucha le sublime animal, Rose sentit ses sens hybrides, toujours en éveil, s'étendre brutalement, jusqu'à inclure la licorne dans son champ de sensations. La jeune femme aux longues boucles rousses et à la peau laiteuse communia alors avec la superbe licorne écailleuse, dans un étrange mélange des esprits.

Lorsque la créature se recula enfin, Rose se sentit vaciller, engourdie par l'expérience. Les mains d'Olivier se refermèrent toutefois amoureusement sur ses épaules, l'empêchant de tomber à genoux. Rose s'y abandonna, fiévreuse et confiante.

– Les licornes m'ont parlé, murmura-t-elle à l'oreille d'Olivier, qui en profita pour lui voler un nouveau baiser, avant d'afficher un visage franchement dubitatif – ce qui n'était pas trop poli envers une damoiselle avec qui l'on venait d'échanger un moment des plus passionnés.

– C'est très mignon, ironisa-t-il finalement. Et que vous ont-elles dit ?

Rose se retourna brutalement, afin de pouvoir le regarder bien en face – et surtout afin que lui ne rate pas une miette du spectacle de ses courbes déliées, apologie véritable du délice et de la sensualité.

– Elles m'ont dit qu'elles nous emmèneraient jusqu'aux terres de la tribu indienne, Monsieur de Tantale, susurra-t-elle, lascive. Quant à moi, je dis que vous méritez bien quelque punition pour votre mécréance.

Olivier haussa un sourcil, réprimant son sourire. Il lui suffit de quelques pas pour se retrouver à nouveau à proximité de Rose, qui frissonna en appréciant le contact incandescent de son corps contre le sien.

– Dois-je me mettre à genoux, Mademoiselle Phorbe-Nascorie ?

Continue Reading

You'll Also Like

170K 17.1K 70
✨ Tome 2 BIENTÔT ✨ Après la découverte de ses pouvoirs, Esmeralda fait face à une nouvelle complication : elle semble être la cible d'un terrible com...
14.5K 1K 36
En 1765, deux ans après la fin de La Guerre de Sept Ans, Elisabeth âgée de 16 ans fait la rencontre lors d'une soirée mondaine d'un homme terriblemen...
401K 33.2K 54
Alaya Storm une jeune aristocrate (en avance sur son temps) de haut rang se voie contrainte d'épouser Le Comte Black , l'un des plus beau partie d'A...
11.1K 1.2K 41
Elle est riche,mais orgueilleuse, arrogante, déteste les pauvres, Elle aime le Luxe,que le destin lui jouera un mauvais tour elle s'appelle MARIAMA D...