Pétales de Rose et rameau d'O...

By Susi-Petruchka

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« Jamais Rose Phorbe-Nascorie n'avait connu situation plus insolite que celle dans laquelle elle se retrouva... More

I. Damoiselle Rose, sur un muret perchée
II. Damoiselle Rose, au bal égarée
III. Damoiselle Rose, en un saule incarnée
IV. Damoiselle Rose, en pirogue embarquée
V. Damoiselle Rose, par les remous malmenée
VI. Damoiselle Rose, dans les combles réfugiée
VII. Damoiselle Rose, dans des plans très foireux impliquée
VIII. Damoiselle Rose, plusieurs fois abusée
IX. Damoiselle Rose, par la chaleur incommodée
X. Damoiselle Rose, en territoire ennemi infiltrée
XI. Damoiselle Rose, abondamment frustrée
XII. Damoiselle Rose, en un duel engagée
XIII. Damoiselle Rose, par la vérité assomée
XIV. Damoiselle Rose, à la franchise résignée
XVI. Damoiselle Rose, b(a)isouillant dans les bois
XVII. Damoiselle Rose, par la réalité - et le manque de sommeil - rattrapée
XVIII. Damoiselle Rose, à de très légers problèmes relationnels confrontée
XIX. Damoiselle Rose, en un si sacré sanctuaire emmenée
XX. Damoiselle Rose, à bien des périls exposée
XXI. Damoiselle Rose, par les événements dépassée
XXII. Damoiselle Rose, entre des feux croisés piégée
XXIII. Damoiselle Rose, par de menus détails intriguée
XXIV. Damoiselle Rose, par une licorne secourue
XXV. Damoiselle Rose, sacrifiée
Épilogue : Juste Rose

XV. Damoiselle Rose, en contre-attaque avancée

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By Susi-Petruchka

Comme Rose avait fini par le découvrir, Olivier n'avait rien d'un doux rêveur. Élevé dans un monde étroitement lié aux chiffres et à la finance, il avait développé un esprit cartésien et rationnel, malgré les quelques extravagances qu'il semblait s'autoriser de temps à autre. Aussi ne fut-elle pas trop étonnée – bien qu'un peu déçue malgré tout – de le voir adopter un visage franchement dubitatif après sa belle démonstration.

– C'est un genre de... tour de magie ? hésita-t-il, tendant une main incertaine vers la rose qui ornait les boucles rousses de son amie.

Rose se força à sourire, et foudroya Edelweiss, Valerian et Chardon du regard pour qu'ils n'interviennent pas. Se moquer de l'incompréhension d'Olivier aurait été la manière la plus efficace de s'aliéner sa confiance.

– Non, murmura-t-elle avec douceur. Tout est réel. Je ne suis pas humaine. Aucun de nous ne l'est, ici.

Valerian se racla bruyamment la gorge, mais n'éleva pas la voix – après tout, Chardon et Edelweiss ignoraient toujours la vérité quant à sa nature profonde et le considéraient comme un esprit des plantes, tout comme le reste de la famille. Olivier, lui, demeura silencieux un moment encore. Puis, il eut un nouveau geste nerveux pour remonter les lunettes qui ne se trouvaient toujours pas sur son nez – décidément, Rose se demandait comment il avait bien pu attraper ce réflexe, vu qu'il ne les portait jamais. Il jura doucement en s'apercevant qu'elles n'y étaient pas, mais ne sembla pas les chercher pour autant. Amusée, Rose tâcha d'imaginer son visage lorsqu'il les mettait. Cela ne ferait sans doute que d'accentuer son air d'intellectuel un peu déphasé, nota-t-elle, mais la chose n'était pas pour lui déplaire.

– D'accord, décréta alors Olivier, esquissant son tic encore une fois. Partons du principe que je croie à toutes ces incroyables histoires. Qu'arrive-t-il ensuite ?

Il s'exprimait avec un sérieux rappelant indéniablement le ton de son père le soir de la présentation du projet de mine à ciel ouvert, et Rose apprécia l'effort qu'il fournissait pour demeurer ouvert d'esprit. Elle se tourna alors vers Valerian pour lui céder la parole.

– J'aimerais tout d'abord rectifier une chose que Rose vient d'affirmer, murmura celui-ci.

Il hocha vaguement la tête, et l'hésitation vint déformer ses traits. Les trois filles voyaient bien qu'il brûlait de se laisser aller au désarroi, de cesser d'irradier cette force tranquille qu'il exhalait depuis plusieurs mois, dans l'espoir de cacher ses peines, sans doute. Mais son regard finit pas se poser sur Olivier, l'étranger au sein de leur petit groupe, et il se ravisa brusquement. Il redevint le personnage calme qu'il incarnait de coutume. Edelweiss parvint toutefois à le faire craquer, et ce grâce à son tact naturel.

– Bon, tu vas parler ou bien ?

Valerian se renfrogna, jeta un regard mauvais à Chardon – comme toujours, les réprimandes étaient pour elle, même si elle était innocente pour cette fois – et daigna enfin s'exprimer.

– Je suis humain.

Ce fut au tour de Chardon et d'Edel de faire les gros yeux, et Valerian perdit quelques minutes à les convaincre que non, il n'était pas fou, oui, il était tout à fait sérieux, et non encore, il ne les laisserait pas disséquer pour le prouver. Il accepta néanmoins de renouveler sa démonstration de la veille, faisant perler une goutte de sang rouge au bout de son index – Rose espéra pour lui qu'il ne devrait pas s'y adonner trop souvent, sans quoi le malheureux doigt finirait aussi couturé de cicatrices que le propre pouce de la jeune femme.

Olivier demeura silencieux durant l'intégralité des explications de son unique compagnon masculin, s'efforçant sans doute de ne pas gêner. Il semblait accorder une attention et un crédit conséquents à Valerian – sans doute parce qu'il était le plus âgé du groupe, songea Rose, ou alors parce que, contrairement aux filles, il représentait ce qui s'approchait le plus de la notion de normalité.

– Mais... protesta Chardon lorsqu'elle fut enfin convaincue qu'il s'agissait bien de la vérité que Valerian s'efforçait de lui faire entrer dans le crâne depuis une bonne dizaine de minutes – et qui en paraissait bouleversée. Mais, si tu es vraiment... humain, tu... Clémentin et Marjolaine ne sont pas tes parents. Ils ne peuvent pas...

Elle avait prononcé ces mots d'une traite, consciente de remuer ce qui devait représenter un traumatisme violent et mal cicatrisé pour Valerian. C'était bien la première fois que Rose la voyait se soucier réellement des sentiments du jeune homme.

Le trouble engendré pas la révélation de Valerian ne s'arrêta pas de sitôt, les filles s'efforçant de comprendre la vérité derrière son étrange secret. Gaïa semblait une fois encore se trouver au centre de ces odieuses manigances, mais ses motifs, comme de coutume, demeuraient obscurs. Quel besoin entretenait l'esprit de l'Île de conserver un humain au sein de ses pairs, de dissimuler sa véritable nature derrière sorts et enchantements, et d'aller jusqu'à tromper un couple de parents sur le lien de filiation qu'ils entretenaient avec leur soi-disant fils ?

– Peut-être qu'ils savaient... Clémentin et Marjolaine.

La réplique d'Edelweiss jeta un nouveau froid sur l'assemblée, et d'un commun accord, les jeunes gens décidèrent d'éluder le sujet pour le moment, ne serait-ce que par respect pour Valerian. Tous les regards se rivèrent à nouveau sur Olivier, leur sujet d'expérimentation suivant. Ce dernier n'en menait pas large, encore occupé à assimiler les révélations de Rose. Il semblait complètement assommé, incapable de formuler ne serait-ce que la plus petite protestation. Rose voulut poser une main compatissante sur son bras, mais se ravisa au dernier moment. Sans doute valait-il mieux lui laisser un peu de temps de digérer la nouvelle. Et à dire vrai, elle aussi n'avait rien contre une minute ou deux pour souffler. Les révélations de Gaïa, suivies de celles de Valerian, lui faisaient l'effet d'un piano à queue tombé du quinzième étage sur sa pauvre tête. Elle n'osait même pas imaginer ce qu'il devait en être pour Olivier, et comprenait soudain beaucoup mieux le caractère distant dont avait fait montre Valerian ces derniers mois.

– Je... murmura finalement Olivier, la tête basse. À supposer que tout cela soit vrai – et même avec toute la bonne volonté du monde, c'est dur à avaler –, je crois que je vais aller faire un tour.

Il se remit sur pieds et descendit prudemment l'échelle de corde, sous l'œil inquiet de Rose, qui craignait qu'il ne manque un barreau et se fasse mal en tombant. Heureusement, il n'en fut rien. La jeune femme nota soigneusement la direction dans laquelle disparut Olivier, se promettant de le rejoindre d'ici une dizaine de minutes, puis se reconcentra sur les trois personnes restantes. Un malaise indéniable flottait dans l'air, ternissant l'ambiance joyeuse de ce qui avait été leur cabane d'enfants.

– Ne sois pas désolée, Rose, marmonna Valerian. Je ne vois pas comment tu aurais pu lui annoncer ça moins brutalement. Je crois qu'il n'y a pas de bonne manière d'apprendre une chose pareille.

La rouquine réagit par un simple signe de tête horizontal, qui fit tressauter ses boucles rousses sur ses épaules.

– Je crois qu'il est en mesure de l'accepter, murmura-t-elle. Et toi, comment te sens-tu ?

Valerian haussa les épaules, n'ayant jamais été très doué pour s'épancher sur ses sentiments. Rose, Chardon et Edelweiss prirent sa réaction pour un signe encourageant, et décidèrent d'un commun accord de poursuivre leur débat.

Rose raconta ainsi son entrevue de la veille avec Gaïa, les multiples visages qu'empruntaient cette dernière – la vieille femme cloîtrée dans le grenier, Janvier, la clarinettiste indienne – et termina en révélant la véritable nature de l'ancêtre, ce poids énorme qui faisait d'elle l'esprit de l'Île tout entière. Terra mater.

– Je ne comprends pas ce que cherche à faire Gaïa en orchestrant toutes ces manigances, maugréa Chardon lorsque sa cousine eut achevé son récit, faisant montre d'une humeur maussade.

– Elle veut mourir, répliqua Rose, hésitante. Et je crois que je suis en mesure de comprendre ses motifs, d'une certaine manière... Ça me fait peur.

Les trois filles marquèrent un silence buté, conscientes d'en arriver au point où elles devaient cesser de parler et s'imaginer un nouveau plan d'action. Il leur manquait cependant des informations cruciales afin de véritablement appréhender les actions et pensées de Gaïa.

– Ne me regardez pas comme ça, je n'en sais pas plus que vous ! protesta Valerian lorsqu'il redevint le centre de l'attention, cible de toutes les suspicions.

Nouveau silence, durant lequel Rose eut la nette impression de voir tourner à plein régime les petits rouages vicieux du cerveau de sa sœur. Elle cessa même de réfléchir, pour la peine, persuadée qu'Edelweiss ne tarderait pas à leur exposer un plan génialement idiot qu'ils s'empresseraient de mettre en œuvre.

– Aguaje ! s'écria soudain la blondinette, avec la même fierté dans la voix que si elle venait d'inventer la roue ou le sac à main en peau d'alligator.

Rose se dit soudain que ce plan-là ne risquait guère de lui plaire.

– La tribu d'Aguaje vit au plus profond de l'Île, en communion avec la nature. Ils doivent comprendre leur terra mater bien mieux que nous en ce moment ! Ils pourront décortiquer les intentions de Gaïa pour nous ! Qui sait, ils pourront peut-être même donner suffisamment d'arguments à Olivier pour le convaincre de parler à son père, et de faire cesser la création de la mine à ciel ouvert !

En soi, l'idée tenait debout. Elle arracha même des oh appréciateurs à Chardon et Valerian, qui l'approuvèrent aussitôt. Ils déchantèrent cependant rapidement en apprenant que l'endroit se trouvait à au moins une semaine de pirogue du manoir familial, et ce à condition de ne pas revivre quelques légers incidents impliquant de futurs sacs à main.

Un nouveau conciliabule se tint, visant cette fois à déterminer qui se rendrait sur place – tout le monde se porta volontaire, même si Chardon et Rose le firent avec un peu moins d'enthousiasme que les deux autres, sentant encore des sueurs froides courir le long de leurs colonnes vertébrales quand elles songeaient à leur dernière expérience dans le bayou.

– On partira ce soir ! décida finalement Edelweiss. Juste le temps de réunir quelques provisions sans attirer l'attention de Maman ou de Gaïa, et puis nous disparaissons. Je connais l'endroit où les indiens cachent leurs pirogues de secours. Pas le top de l'aérodynamisme, mais ça fera l'affaire.

Chardon fit très justement remarquer qu'un voyage de nuit impliquait quelques menus problèmes, comme le fait de ne pouvoir repérer les chutes d'eau en avance, ou pis, les sympathiques habitants du bayou.

– On risque effectivement de rentrer dans quelques alligators, reconnut Edelweiss. Mais il en faut plus pour couler une pirogue. Sans compter que la nuit offre un avantage non négligeable à ce niveau-là : les bestioles dorment. Du moment que les deux greluches que vous êtes évitent de crier à tort et à travers, tout se passera pour le mieux !

Rose voulut protester, mais un mouvement en dessous de la plateforme attira son attention. Elle réalisa aussitôt que, prise dans le feu de la discussion, elle en avait complètement oublié Olivier.

– J'ai tout entendu ! leur cria-t-il depuis le sol. Vous pardonnerez le manque d'éducation cinglant dont je fais part ici, mais vous écouter à la dérobée était le moyen le plus rapide de vérifier que vous ne vous moquiez pas de moi.

Il marqua une pause, cherchant sans doute ses mots, ce qui permit à Rose et aux trois autres de réaliser la portée ce qu'il venait d'avouer. Ils ouvrirent tous des yeux ronds, hallucinés de s'être laissé avoir si facilement par le départ soi-disant innocent du jeune homme.

– Ah, et je viens avec vous ! ajouta-t-il finalement.

Un voyage en pirogue d'une semaine à travers le bayou nécessitait quantité d'affaires, et Rose se surprit elle-même en découvrant que la tâche était en réalité bien plus complexe qu'elle n'y paraissait. Elle commença certes par établir sagement une liste, mais deux choses la déconcentraient : d'une part, les cris surexcités d'Edel, et d'autre part, les moqueries de Valerian lorsqu'elle y ajoutait quelque chose qu'il n'estimait pas absolument nécessaire – on reconnaissait là le Mâle sauvage et primitif qui sommeillait en chaque homme, celui qui peut survivre à coups de racines et de fourmis durant des semaines et pour lequel la douche apparaît comme une activité optionnelle, de même que toute notion d'hygiène corporelle.

Fort heureusement, Olivier ne traînait pas dans les parages, accaparé par Capucine et Aubépine qui insistaient pour qu'il leur construise une maison de poupée en allumettes – les petites jumelles avaient surpris un morceau de sa conversation sur le sujet avec Edel. Comprenant que sa présence serait superflue, voire ne ferait que de déconcerter Rose, le jeune homme s'était effacé – non sans avoir envoyé son chauffeur chez lui avec une liste comprenant toutes les affaires qu'il devait lui ramener pour l'aventure, et ce le plus discrètement possible. Chardon et Edel avaient pesté que tout ceci était bien trop facile, mais Olivier ne leur avait répondu que par un sourire innocent.

La situation devint légèrement plus gênante lorsque Camomille rentra de la ville plus tôt que prévu et se mit en tête de faire le tour des chambres pour saluer les plus jeunes, que la chaleur estivale dispensait de cours, leur précepteur à domicile les ayant déclarés inaptes à l'effort pour l'intégralité des mois de juillet et août.

Edelweiss para au problème éventuel de sa rencontre avec Olivier en exploitant outrageusement ses sœurs cadettes, qu'elle envoya causer quelques désastres dans la cuisine histoire de tenir leur mère occupée. Les bruits de vaisselle brisée de tardèrent pas à ébranler la demeure. Rose entendit d'ailleurs Olivier s'en alarmer, dans la chambre voisine de la sienne.

– Tes petites sœurs... murmura-t-il d'une voix étrange, s'adressant certainement à Edel. Elles ne risquent pas d'être punies pour ce genre de bêtises ?

– Ça me paraît très probable, grommela la blondinette, comme si la chose relevait véritablement de l'évidence la plus pure. Elles vont ramasser.

– Et... Ça ne te pose aucun problème ?

Mentalement, Rose vit Edel hocher la tête de gauche à droite avec vivacité, exhalant la même nonchalance que de coutume.

– Mon cher Olivier, décréta-t-elle très sérieusement. Il y a une chose que tu dois comprendre : il faut les considérer comme des sortes de faire-valoir, pas comme de charmantes petites filles. Sans quoi on devient incapable de profiter d'elles efficacement.

Un acquiescement des plus dubitatifs traversa le couloir jusqu'aux oreilles de Rose. Sans doute Olivier était-il en train de comprendre un peu mieux ce qu'elle avait voulu dire en dénonçant les multiples défauts des membres de sa famille, un peu plus tôt. Réprimant un sourire sardonique, elle poursuivit l'empaquetage de ses affaires.

Les heures défilèrent, le soleil disparut et fut remplacé par une pluie d'étoiles. La douceur de l'été envahit un crépuscule charmant. La soirée débuta, et avec elle, l'expédition qu'entendaient mener les cinq jeunes gens. Rose ne se sentait toujours pas absolument convaincue, mais elle considérait que cela ne posait pas trop de problèmes tant que les autres exhalaient la conviction. Le phénomène ne dura cependant que l'espace d'une vingtaine de minutes, le temps de traverser la jungle pour retrouver le dépôt à pirogues évoqué par Edelweiss. Là, les jeunes gens découvrirent les pirogues ; et leur enthousiasme retomba d'un coup.

– Ben quoi ? s'écria Edel lorsqu'elle les entendit marmonner. Je vous avais prévenu qu'elles n'étaient pas de toute première génération.

Sa réplique constituait un doux euphémisme. Les pirogues en question ressemblaient plutôt à des épaves ne flottant que par miracle qu'aux embarcations légèrement passées de mode évoquées par l'adolescente.

– Celle-ci prend l'eau, grommela Chardon en inspectant plus scrupuleusement le fond de ce qui constituait leur futur moyen de transport.

– Les autres feront l'affaire ! s'exclama Edelweiss, dont la bonne humeur paraissait difficile à entamer. Allez, on embarque ! À moins que vous ne préfériez renoncer...

Personne ne comptait entreprendre une quelconque marche arrière. Olivier, qui n'avait vécu aucune expérience traumatisante en compagnie d'alligators, ne mesurait pas le danger et faisait part d'un ravissement adorable et enfantin. Chardon possédait un caractère bien trop fier pour seulement envisager de rentrer. Valerian n'en ferait rien si sa rivale de toujours ne se dégonflait pas la première. Quant à Rose, elle craignait un peu trop la réaction de Camomille, qui, à cette heure-ci, devait avoir mis la main sur la gentille note d'explication laissée à son intention par les fugitifs. Or, la froide colère qui avait dû la saisir à la lecture de ladite note – écrite en alexandrins par les bons soins d'Edelweiss – n'encourageait guère Rose à reprendre le chemin du manoir. Les alligators lui semblaient moins dangereux que sa mère poussée à bout par les multiples âneries que commettaient chaque jour ses quatre filles.

Toutefois, cette absence de conflit intérieur ne signifiait pas encore que les cinq compagnons allaient prendre la route – la rivière plutôt – rapidement. Un élément crucial restait à déterminer : qui monterait en pirogue avec qui.

– Je veux être avec Oli, je veux être avec Oli ! s'exclama aussitôt Edelweiss, qui avait efficacement sympathisé avec le jeune homme durant l'après-midi, malgré leur petit différend quant à la manière de traiter Aubépine et Capucine.

Rose, qui avait espéré pouvoir s'installer avec le jeune homme, esquissa une mimique déçue – mimique qui n'échappa malheureusement pas à Olivier, malgré la pénombre. Il lui adressa un petit sourire moqueur, secouant la tête de gauche à droite avec incrédulité.

– En ce qui me concerne, il est hors de question que je passe ne serait-ce qu'une seule seconde en compagnie de Val, grommela Chardon.

– Sentiment réciproque, répliqua le concerné. Je peux y aller avec Rose

– Attendez, nota alors Edelweiss. Il vient de me venir à l'idée que celui d'entre nous qui va se retrouver seul dans sa pirogue sera responsable de l'intégralité de nos paquetages.

Elle tapota amoureusement le petit sac à dos laissé à ses pieds – qui ne faisait que la moitié du volume de ceux des autres, au point que Rose se demande très sérieusement ce qu'elle avait omis d'emporter pour afficher de si petits bagages.

– Je ne fais confiance à aucun d'entre vous, soupira finalement la blondinette – et maîtresse autoproclamée de la suite des évènements. Je vais prendre la direction de la pirogue à bagages. Débrouillez-vous pour le reste.

Rose décida alors qu'elle n'avait aucune envie de passer la moitié de la nuit à pagayer en écoutant Chardon ou Valerian se plaindre à propos de Valerian ou Chardon – selon le membre d'équipage dont elle héritait. Elle joua donc la carte de la sournoiserie.

– Très bien, je vais avec Olivier ! s'exclama-t-elle en s'agrippant au bras du jeune homme. Cha, Val, soyez mignons, ne hurlez pas trop fort. Les alligators ont le sommeil léger.

Peine perdue : ils hurlèrent.

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