10 novembre 1939 - Institutri...

By Alexandre_C

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Ce témoignage n'est pas de moi et l'auteure tient à rester anonyme. C'est si intéressant et plaisant à lire q... More

Novembre 1939 - Institutrice intérimaire
Juin 1940 - L'invasion allemande
Juin 1940 - L'exode et l'occupation, retour à Menucourt
Fin juin 1940 - Secrétaire de mairie
Fin août 1940
Retour à Menucourt - Septembre 1940
Rentrée 1942
La promotion 1942 - 1943
Juin-juillet 1942 - Stages à l'école Annexe, l'école Normale, et au C.R.E.P.S.
Rentrée scolaire 1943 - Les Mureaux
Été 1943
L'année scolaire 1943 - 1944
Début mai 1944
Rentrée 1944
7 mai 1945 - L'armistice
1945 - La guerre est terminée

Début de mon stage à L'I.F.P. de Saint-Germain-en-Laye

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By Alexandre_C

Lettre de Nelly Muzard du 29 novembre 1942 :

Nelly avait 11 ans et moi 10 ans quand nous nous sommes connues. Le 1er octobre 1932, jour de notre admission en 6ème au Cours Secondaire de jeunes filles (bientôt Collège) de Pontoise. À l'époque, peu de filles poursuivaient leurs études au-delà du Certificat d'Études Primaires ; Nelly et moi avons eu la chance, grâce à nos instituteurs, d'être reçues au Concours des Bourses, ce qui nous a permis d'obtenir le Baccalauréat après des années studieuses ; redoubler signifiait perdre sa Bourse.

Viarmes, 29 novembre 1942

Chère petite ***,

Malgré le peu de liberté dont je me permets l'usage, je te réponds bien vite à cause de l'argument « petite interne » qui m'a rappelé bien des souvenirs. J'espère que vous êtes mieux nourries à présent ; le menu du soir est vraiment un peu maigre surtout si vous travaillez après dîner, je te plains bien de n'avoir pas de chauffage. Il fait trop froid déjà pour rester sans feu et surtout pour travailler. Il me semble que vous avez beaucoup de travail – au total plus ou moins que tu ne t'en donnais pour ta classe ? J'aime l'histoire du cahier de confidences (j'espère que l'on vous fournit le papier !). Parlons engelures : moi je n'en ai pas encore mais Jacqueline beaucoup déjà ; je connais plus d'un remède mais qui ne sont pas toujours efficaces. Il faudrait d'abord un bon état général et avoir chaud. Le Docteur avait donné à Jacqueline une pommade épatante mais à base d'huile de foie de morue, aussi on ne la fait plus, c'est dommage. Il y a l'oxy-gelure liquide à mettre seulement sur engelures non écorchées mais qui réussit bien si on s'y prend assez tôt, on doit encore en trouver. Essaye. Remèdes d'un autre genre mais, non moins bons comme curatif et préventif, je superpose bas et chaussettes de laine ou gros coton (pour les mains, gros gants de laine assez larges) et aux pieds des sabots ; l'an dernier j'ai mes sabots de raphia que j'avais fourrés de peaux de lapins. Même dans une classe gelée j'avais les pieds chauds, très appréciable. Cette année, malheureusement, les sabots sont presque usés, mais je viens d'en recevoir une paire (tout en bois) de mes vacances, paire commandée depuis plus de deux mois ! C'était même difficile à trouver là-bas. Je me réjouis à l'idée de les étrenner, autant que lorsque j'avais quatre ans ; je ferai la classe avec, bien sûr, je crois que c'est le moyen le plus simple et le plus sûr pour les engelures. Coucher avec socquettes en effet empêche le contact trop direct de la bouillote, cela vaut mieux, et aussi le contact glacé des draps.

Tant mieux si tu t'entends bien avec ta camarade Ginette (tu as oublié de me dire son nom). J'espère que vous ne vous en faites plus pour les alertes. Nous, nous entendons les avions mais ici il n'y a jamais d'alerte. Je te trouve meilleur moral qu'à l'ordinaire, je pense que c'est déjà l'effet de l'internat. Je crois que tu ne regretteras pas ce stage, tu sais. Tu n'as pas l'air en trop bon état physique tout de même et l'interdiction de gymnastique m'ennuie. Tâche de te retaper. La santé est essentielle à l'heure actuelle surtout pour ceux de vingt ans à mon avis.

En effet, vos visites doivent être intéressantes. Mais le temps est bien réduit pour la culture personnelle, peut-être intéressante aussi. Continue de penser à moi, à tes cours pour le vocabulaire, le chant, etc. Quoique j'aie peu d'espoir de te voir, tu sais qu'à Noël on n'y parvient jamais.

Merci pour les nouvelles des anciennes compagnes. Le cas Jeanine Manguine m'inquiète pour moi (si j'allais en faire autant !), Marthe a bien de la chance, je voudrais bien être 5 minutes petite souris dans sa classe !

Robert est-il interne ? À mon avis, c'est mieux pour toi d'être un peu seule, ou plutôt un peu avec d'autres de ton âge et du métier.

Moi aussi j'ai aperçu Mlle Garnier (vieille) à la Sorbonne, mais elle ne m'a pas reconnue. J'ai souri à l'histoire des pieds de cochons mais je ne me rappelle plus quels souvenirs communs elle peut éveiller avec Mlle Tibéri et toi. J'ai fait la commission de R. Brunet à Jacqueline.

Quelques mots de nous maintenant ? Tout le monde va bien. Je t'ai peut-être déjà dit que j'avais grossi de 4 kg à Monceaux ; je pesais 56 kg ; depuis, j'ai peut-être un peu maigri, je ne sais. J'étais sûrement mieux comme cela !

Nous devons occuper, Jacqueline et moi, le logement que Jacqueline a à l'école (Ma classe provisoire, elle, n'a pas de logement). Logement situé à l'école même, au 1er étage, le mieux exposé, tout au midi ; une cuisine assez grande et deux chambres, un couloir, eau, gaz, et électricité, mais tout à nos frais. Jacqueline en a obtenu avec peine la mise en état : lessivage des murs et papiétage de ma future chambre, ce qui n'était pourtant pas un luxe ! C'est fini maintenant. Il y a des meubles pour la cuisine et une chambre. Donc pour moi, nous avons trouvé l'essentiel. Nous devrions donc être installés. Mais il faudrait du bois, ce qu'on n'a pas le droit de vendre ici. À la maison, nous en avons un peu plus de deux stères pour passer l'hiver, et pas de gaz ; tu penses qu'il ne peut être question d'en emporter. Pourtant, maintenant que nous sommes toutes deux à Viarmes, nous ne pouvons rester toujours chez mes grands-parents. C'est trop petit et l'utilisation des pièces est mal comprise et nous ne pouvons faire changer toutes les habitudes. De plus ils vieillissent et comprennent difficilement qu'on ne peut travailler quand on bavarde autour de vous. Pour moi, je serai mieux seule. Un de ces jours je te dirai de changer tes adresses. Nous venons d'acheter un radiateur électrique et allons l'essayer aujourd'hui. Si cela peut aller, tant mieux. Nous viendrons tout de même prendre nos repas chez grands-parents, gros souci de moins pour nous. Notre petite collègue qui a même logement que nous mais tout au Nord et est sans feu se couche à six heures et demie et espère même rentrer tous les soirs à Paris plutôt que de geler. Le maire lui a dit qu'elle « se débrouille » facile ! Déjà nous, qui par Maman, connaissons mieux les gens, n'y arrivons pas.

En classe nous sommes peu chauffés mais mon poêle marche moins mal, et une nouvelle femme de service me rend la classe moins sale. Élèves toujours de même. Aussi depuis quinze jours rhume et mal de gorge comme j'ai rarement eu, impossible de parler, ma voix s'éteignait puis reprenait. Pour la voix cela va mieux, le rhume continue. Ce n'est pas drôle, je n'ai pas voulu tout de même abandonner mes cancres. Cette année elles n'ont eu aucune pitié, j'en ai été très attristée car dans les autres classes, même à Beaumont quand j'étais souffrante surtout de la gorge, le silence régnait parfait. Ici, on aurait cru qu'elles faisaient exprès d'être plus dissipées encore.

C'est Mathématiques Générales que je prépare : Certificat de Licence qui ne compte pas dans la Licence de Mathématiques d'Enseignement mais qui est indispensable pour la préparer quand on n'a pas fait de Mathématiques Spéciales. Une camarade (mariée) me passe régulièrement les notes pour les cours que je ne suis pas. Pour l'instant, j'ai surtout copié. Pour comprendre, il faut que j'aie revu pas mal de mon cours de mathématiques élémentaires. Je ne sais si je vais pouvoir assez travailler et aussi si j'ai assez de facilités mathématiques pour réussir. En tout cas, la serviabilité que je trouve jusqu'ici chez les quelques camarades que j'ai rencontrées m'est bien douce, à côté de l'esprit que j'ai trouvée chez bien des collègues depuis mes débuts dans le métier.

J'avais, de vacances, envoyé quelques cartes à nos anciennes camarades : M. Henriette, Marthe, Françoise, mais je n'ai eu aucune réponse.

Je tombe sur la recette de culture personnelle de ta directrice. Peut-être est-ce très bon, mais moi, je suis trop matheuse, bien loin de tout ça, pour le moment. Autre genre de développement intellectuel, et les jours sont trop courts pour qu'au moment où il serait intéressant de développer notre esprit nous ayons le temps de le faire dans toutes les directions voulues. Il faudrait pour bien faire un repos moral, presque un vide moral, dont nous n'avons pas la jouissance. Que l'institutrice ait une bonne, cela ne suffirait pas encore. Il me semble que si j'avais mon foyer j'aurais tant de plaisir à voir beaucoup de choses sortir de mes mains, « finies » comme je les aimes voir, que j'en confierais difficilement le soin à une bonne, ou alors comment trouver la « perle » réalisant au mieux nos désirs ?

Moi aussi je serais contente de te voir mais ni à Menucourt ni à Viarmes, ce n'est pas facile. Je vais à Paris aussi souvent que les heures de classe et de cantine me le permettent, tous les jeudis en général, et j'irais aussi le dimanche si je voulais, mais le dimanche tu vas à Menucourt. Si tu veux me voir un jeudi après-midi à Paris, il faudrait pour cela que tu sois libre. Moi je n'ai pas cours qu'un jeudi sur deux et de 17h30 à 18h30, je pourrais te voir avant. Jeudi prochain 3 décembre j'ai cours, le 10 pas cours, etc mais j'y vais quand même les jours sans cours. Il suffit que tu me préviennes et choisisses alors le lieu où nous retrouver ; mon train arrive gare de Nord à 13h30. Pendant les vacances de Noël, je peux aussi aller à Paris mais peut-être fera-t-il bien froid et les jeudis suivants aussi. Maintenant tu n'es peut-être jamais libre le jeudi après-midi ? Réfléchis alors à ce qui serait possible.

Voici un journal, qui, comme le tien, vaut bien ses trente sous. On ne croirait pas que le papier est rare ! Pour moi j'en ai tout de même un peu d'avance, de quoi ne pas oublier mes anciennes petites camarades. C'est que six ans ensemble, ça peut compter, n'est-ce pas ?

Je t'embrasse.

Fais comme moi, ne laisse pas rouiller ta plume.

Nelly.

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