Lorsque je reprends connaissance, je me trouve, à ma plus grande surprise, dans une chambre spacieuse à la tapisserie vert pâle. Je la jauge curieusement du regard, comme arrachée à un mauvais songe.
Une méridienne trône sous la fenêtre, près d'une table basse en mélèze gris. Une armoire surplombe un bureau et un lit à baldaquin, recouvert de draps aux tons feutrés. Où ai-je atterri ? Je n'ai jamais rien vu de tel... Ma chambre est modeste, celle-ci est une ode à l'élégance.
Je tends l'oreille. Pas un chat aux alentours. Je m'extirpe tant bien que mal du matelas, un brin hésitante. Mes membres crissent sous la douleur. Mon genou droit me lance, je serre les dents.
À cet instant, des voix surgissent du couloir – un timbre grave mais chaleureux, ainsi qu'un autre, plus doux, qui appartient sans doute à une femme.
— Voyons si elle est réveillée...
Mon pouls s'accélère vivement. La porte s'ouvre en grinçant sans que je n'aie pu me protéger d'un éventuel affront. Je me retrouve nez à nez face à un couple. Une femme radieuse, à la silhouette élancée et aux boucles brunes coupées au carré, m'observe avec un sourire en coin. Son regard est similaire à celui de l'homme, d'un bleu perçant.
Lui, porte une chevelure épaisse et courte d'un noir de jais. Son teint de pêche lui confère une mine sympathique et ses épaules larges, un certain charisme.
— Bonjour...
Je chuchote presque, embarrassée par ma propre présence. Que dire à part des formalités dans ces circonstances ? J'ai tellement de doutes, de questions... La première à trouver une réponse est celle-ci :
— Je suis Yasmina Starckley et voici mon mari, Josh, dit-elle en désignant le concerné d'un geste de la main.
Josh Starckley, l'Alpha suprême. Bon sang. Je me raidis et incline la tête en signe de respect. Son épouse s'exclame aussitôt :
— Non, s'il te plaît, pas de convenances. Ne sois pas gênée, tu es la bienvenue.
— J'ai du mal à y croire... Je dois rêver.
— C'est notre fils, Derek, qui t'est venu en aide. Il t'a trouvée dans la forêt lorsque la meute et lui faisaient des repérages. Il t'a emmenée ici pour qu'on te soigne. Tu as dû marcher pendant des heures... Tu avais l'air épuisée.
Même si je garde une certaine contenance, je me décompose intérieurement. Ça ne fait aucun doute, ils savent. Mes blessures parlent. Elles n'ont rien d'une plaie de passage. J'aurais beau prétendre être tombée dans les escaliers, avoir chuté sur du verglas, m'être cognée contre une étagère, cette maladresse incorrigible ne masquera pas la rougeur des plus récentes.
— Depuis combien de temps...
— Seulement quelques heures, m'interrompt l'Alpha.
— Vous m'avez sauvé la vie. Je ne vous en remercierai jamais assez.
Nous échangeons un regard lourd de sens.
— C'est notre devoir, ajoute-t-il simplement. Quel est ton nom ?
— Éva Holmes, Monsieur.
Ses yeux se mettent à pétiller. Puis en l'espace d'une seconde, un voile soucieux les recouvre. On dirait que certains rouages se mettent en place dans leur esprit... Cela me trouble particulièrement.
— Enchanté, Éva. Est-ce que tu as faim ?
Mon ventre gargouille avant que je ne réponde. Comme par hasard. Le couple se met à rire, mais je sens bien que quelque chose les tracasse.
— On va te préparer un bon repas pour te redonner des forces.
— Merci pour votre hospitalité, mais je ne voudrais pas en abuser. Vous m'avez déjà recueillie cette nuit...
— Il n'y a pas de problème, je t'assure, souffle Madame Starckley. Prends une douche et déjeune avec nous, si tu le veux bien. On en rediscutera après que tu te sois rempli la panse.
Je finis par capituler et hoche la tête.
— La salle de bains se trouve là. Si besoin, il y a des béquilles dans le placard, indique l'Alpha d'un revers de main.
— Derek ne tardera pas à arriver. Je file derrière les fourneaux !
Je murmure un timide « merci » avant qu'ils ne quittent la pièce.
Intriguée, je m'approche de la fenêtre et aperçois une allée de graviers. Des buissons fleuris bordent ses extrémités. Quelques voitures stationnent devant l'entrée et un portail qui semble frôler le ciel. La demeure ne fait pas qu'un étage, je dirais que cette chambre se situe au troisième – sûrement le dernier.
Je me débarrasse de mes vêtements boueux et glisse sous la douche à l'italienne. L'eau chaude réchauffe mon épiderme. Je m'active, mais m'octroie une minute de répit. Pensive et encore dans le cirage, je fixe la paroi où s'accumulent des filets de gouttes. J'ai l'impression désagréable que cette réalité n'est pas la mienne.
Quand je m'en extirpe, une serviette autour du corps, le lit est déjà refait. Un chandail et un bas repassé m'attendent. Je rougis à ce constat, les enfile en lorgnant mes affaires usées de la veille.
Je trouve une brosse à dents neuve ainsi qu'une pommade cicatrisante. J'en applique sur mes hématomes, tresse ma chevelure humide et me pose sur le divan. Scrutant l'immensité du paysage, je me perds dans mes pensées.
* *
*
Voilà quinze minutes que je patiente dans l'espoir de voir quelqu'un apparaître dans l'encadrement de la porte. Je prends mon courage à deux mains et décide de trouver la cuisine. J'avance à pas de loup lorsqu'une voix rauque, troublante et chaleureuse, m'interpelle :
— Eh, attends !
Je pivote sur moi-même. Mon regard arrime un torse menu. Il remonte le long des clavicules de son propriétaire, rendues saillantes par son haut fin, puis sur son cou gracile et ses mâchoires anguleuses.
Si jusque-là, le tableau semble parfait, ses traits angéliques provoquent une ribambelle d'étincelles dans mon ventre. J'en perds mon latin, reste bouche bée. Un teint halé, des prunelles d'un vert translucide et une chevelure brune, coupée courte.
L'aura qui se dégage du jeune homme est impressionnante : il est aussi charismatique qu'il paraît tendre. Je suis surprise, mais pas tant que ça. Nous, les humains, savons que la nature a gâté les loups-garous sans modération. Ils sont dotés d'une peau lumineuse dénuée de rides ou de cernes, de traits proportionnés et de silhouettes élancées.
Les lycanthropes incarnent la perfection, mais sont caractérisés par leur possessivité. Certains humains acceptent leur jalousie déplacée, souvent trop excessive. D'autres ne la tolèrent pas et refusent d'épouser, de tomber amoureux ou de se mélanger à eux.
Je recouvre mes esprits. L'étranger sourit jusqu'aux oreilles.
— Salut, jeune demoiselle égarée.
— Bonjour, lui réponds-je timidement.
— Ça alors, je vois que je ne te laisse pas indifférente...
Quel toupet ! Pour être direct, il l'est.
Je secoue la tête avec énergie. Son audace a le mérite de détendre l'atmosphère. J'ose même plaisanter :
— Fais attention, tes chevilles risquent de gonfler.
Il explose de rire – un rire franc, cristallin qui éveille de nombreux sentiments à son égard.
— Derek, se présente-t-il en déposant un baiser sur le dos de ma main.
— Oh, c'est donc toi... Je suis Éva.
— Enchanté de faire ta connaissance.
— De même.
Mes pommettes se couvrent d'une teinte cramoisie.
— Je te fais visiter ?
— Pourquoi pas !
— Ce sera compliqué avec des béquilles...
Il désigne mon genou avant de rétorquer :
— Si tu le souhaites, je peux toujours te porter.