Le cœur de la Lune

By Astaldiir

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Dans un monde où la magie a donné l'accès prématuré à la technologie moderne, l'empire de Darina domine le mo... More

Prologue
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 5
Chapitre 6

Chapitre 4

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By Astaldiir


La douleur mit fin au sommeil de Til.

En place de sa paillasse habituelle, c'est sur la pierre froide que reposait sa tête. Son esprit embrumé eut bien de la peine à remettre en place ses souvenirs disparates. La Lune brisée, le garde ensanglanté, le manque d'énergie...

S'accrochant avec difficulté aux murs de pierre, il souleva son corps engourdi. Ses jambes tremblaient.

La seule source d'éclairage était une pâle lumière tremblotante, ce ne facilitait pas son inspection. Ainsi, son nouvel environnement l'accueillit d'abord avec des exhalaisons âcres de sueur refroidie, d'humidité et de moisissures. Les murs ronds, bordés de pierres calcaires phosphorescentes maladroitement agencées, lui apportaient juste ce qu'il fallait de lumière pour voir où il posait ses pieds. Til n'eut pas besoin de plus d'une vingtaine de secondes pour longer la totalité des murs. Ses doigts glissaient sur les briques maladroitement taillées. Aucune aspérité ne révélait les contours d'une porte.

Til espérait que sa famille se trouvait en sécurité dans leur appartement. L'idée qu'on puisse leur faire du mal lui était intolérable. Des images successives s'imposaient à lui. Son père et sa mère, deux êtres d'une douceur singulière, mais qui faiblissaient de jour en jour sous les coups de la vie. Sa sœur, Rev, serait la première à remarquer son absence mais elle n'aurait pas le temps de partir à sa recherche, occupée qu'elle à porter les corps des endormis du chantier à leur domicile.

Par cette discipline extrême qu'il avait acquise au fil des années, il dirigea le fil de ses pensées vers cet unique objectif : sortir d'ici. Dominant les battements de son cœur, il se contraint à faire un nouveau tour de la pièce. Le centre de la salle était particulièrement étrange. Une sensation de frissonnement parcourut sa peau. Il semblait qu'il n'y avait aucune lumière. Les rares particules lumineuses qui se dirigeaient en cet endroit, semblaient s'obscurcir brusquement, comme avalées. En observant de manière continue, on pouvait deviner une tache de ténèbres brumeuse, flottante, comme une flamme d'obscurité aux contours imprécis.

Til fit quelques pas vers la singularité. Sa marche était tirée par une force tranquille, comme s'il avançait dans le courant d'une rivière. En s'approchant, un objet presque indicible commença à apparaître. On eut dit un cocon obscur de la taille d'un poing flottant à quelques pas du sol et dans lequel des lignes de couleur dorée serpentaient, dessinant des spirales et des nœuds chaotiques. Til, hypnotisé par leurs mouvements, ne parvenait pas à en détacher son regard. Les frémissements s'intensifièrent. Des fils d'or semblèrent se libérer de la forme pour venir calmement enserrer ses membres. Leur contact lui fit le même effet que celui des bras aimants de sa famille. Sa peau frissonna et un sentiment de paisible chaleur envahit son être. Cette douce étreinte semblait l'enjoindre à s'approcher encore plus, à rejoindre ces spirales infinies dans une léthargie salvatrice.

Til secoua la tête. Les fils s'évanouirent. Il n'avait pas les idées claires. Il lui fallait trouver un moyen de sortir de cette pièce et cette manifestation ne lui disait rien de bon. Pourtant, ses pensées revenaient sans cesse vers cette sphère ondoyante.

Si tentante.

Il aurait pu jurer qu'elle avait gagné en volume,

Ses volutes internes continuaient leurs méandres.

Serpents de soie aériens, d'une douceur infinie.

 Ils dansaient, se déliaient, s'étiraient. Subtils et paisibles.

  Leurs têtes charmantes posées dans le creux de sa paume.

Jouant de ses sens comme des sirènes d'un autre monde.

Elles chantent l'évanescence des choses, le cosmos,

Imperceptible et infini. Insensible aux plaidoiries,

De l'homme. Et pourtant tellement beau.

Le rire d'une sœur, la tendresse d'une mère.

Un amour ingénu, que rien n'empoisonne.

Le sucre d'un baiser, le plus beau des remèdes.

L'univers écoute, vit, son cœur pulse en nous.

Ainsi sont les battements de l'espace éternel.

Il attire, il forme, comme autant de caresses.

Un repos salvateur dans le creux d'une sphère.

L'harmonie éternelle à quelques mètres. À peine.

Et l'infini à la portée de l'index...

Un foudroiement d'adrénaline le sortit de sa rêverie. Il avait le bras tendu en avant et la main à quelques centimètres de la sphère. Il se retira précipitamment, recula de quelques pas. Il n'avait aucune idée de ce qui venait de se produire. Son esprit était embrumé comme après un long rêve. Il ne lui fallut pas longtemps pour comprendre que cette attirance avait été provoquée par l'orbe désormais violacé qui vibrait au centre de la pièce. Le bruit d'une pièce qui tourne résonnait. Il devait trouver un moyen de sortir, car une menace indescriptible pesait sur lui.

Il parcourut une nouvelle fois la salle du regard mais il ne vit que de la pierre. La peur commença à gagner son esprit. Il se retourna et se mit à frapper les murs, d'abord faiblement, puis de manière de plus en plus violente. Ses yeux s'embuèrent de larmes. Comme pris de folie, il hurla :

— Aidez-moi !

Seul le silence répondit à son appel. Il essaya alors de se remémorer une nouvelle fois les prières du père Armand. Elles lui vinrent aussi imprécises que plus tôt dans la mâtinée. Était-ce d'ailleurs encore le matin ? Il n'en avait aucune idée, pour ce qu'il en savait, il pouvait avoir passé des heures à sommeiller dans cette cage, et autant de temps prisonnier de ces visions. Peut-être que cela faisait même des jours qu'il reposait dans le silence de la salle. Les borborygmes de son ventre se faisaient entendre. Il avait faim. Il avait soif. Et cet orbe était une délicieuse eau pure à laquelle il ne devait pas goûter. Il désirait terriblement bouger, faire ne serait-ce qu'un seul pas en avant. C'était si simple. Si rapide. Pour une fois, une seule, céder à la tentation de l'inconnu. Il tremblait, comme sous l'effet d'un froid glacial. S'approcher lui semblait une évidence, et il maudissait son irrationalité qui le lui interdisait. Til ne pouvait penser à rien d'autre qu'à cette étreinte reposante dont il avait terriblement besoin. Il fit un nouveau pas en avant vers la

Douce phosphorescence de la sphère.

Le monde rétrécit à sa seule lueur.

Présentant à son âme visions par dizaines.

Un repas chaleureux aux arômes agréables,

Une plume dansante sur l'estrade du vent,

Une perle de pluie courant sur un brin d'herbe,

Des rires enfantins qui cajolent l'innocence,

Et des chansons douces qui caressent les oreilles.

Toutes ces scènes nouées, en une vision céleste,

Un tissage délicat des bonheurs terrestres,

Comme une immense toile qui ensemble lierait

La bille de poussière et le soleil ardent,

L'axe des planètes et les pas d'une danse,

Le murmure du cosmos et le chant du sommeil

À la marche de Til tourné vers l'agréable.

Plus aucune fatigue n'existait dans cet être,

Il n'était plus qu'envie et remous d'énergie,

Les pensées retournées par ces instants de vie.

Ce ne sont plus des fils qui s'accrochaient à lui,

Mais Til qui tirait vers ce monde merveilleux.

Il n'était plus la proie. Il était le chasseur

Et rien ne l'arrêterait dans sa marche ultime,

Si ce n'est après tout, un souvenir intime...

Til inspira une énorme bouffée d'air frais, comme s'il avait été en apnée depuis plusieurs minutes. Ses vêtements baignaient dans sa sueur. Il n'était qu'à quelques centimètres de l'orbe. Les volutes internes étaient rapides et effrénées. Sa fatigue était intense. Il n'osait regarder ses mains tremblantes, c'est à peine s'il eut la force de faire quelques pas en arrière et de se coller au mur. Ce dernier était glacé. Ou bien était-ce sa peau qui était brûlante ? Il n'avait plus la force de taper contre sa cage. Tout ce qui lui restait était cette attente silencieuse et terrible, face à ce qui l'anéantirait. Cette sphère, c'était un éclat de néant, un morceau du rien. Il ne pouvait lutter. Tout ce qu'il pouvait, c'était rester immobile, le plus longtemps possible. Gagner du temps, ce qu'il avait fait toute sa vie. Mais cette fois-ci, à quel but ? Il n'y aurait pas de solution miracle, pas d'échappatoire, juste l'inévitabilité prochaine de sa propre destruction. Cette pensée lui était insupportable. Non pas sa propre perte, mais l'idée horrifiante que prochainement, sa sœur se retrouverait seule, sans lui, dans la misère et dans la faim, à survivre du mieux qu'ils pourraient dans leur métronome de calcaire. À compter les secondes en espérant qu'au terme de chacune d'entre elles, Til repasserait le pas de la porte. Et plus Til s'enfermait dans ces pensées déplaisantes, plus l'attirance de la sphère était forte. Dans ces visions il n'était rien, détaché de son individualité et donc tellement heureux. Il songeait

À la chaleur des étoiles,

À l'effleurement des astres,

À l'ivresse de l'impensable

À la jouissance chaotique,

À la contemplation de l'écoulement du temps.

Main gauche rougeoyante ancrée dans la pierre blanche.

Une fois de plus Til se refusa à ces pensées. Cette fois-ci, il n'avait pas avancé. Son bras gauche avait réussi à agripper une protubérance rocheuse et ses ongles avaient griffé la pierre pour le retenir. Il savait que sa lutte était vaine. Inlassablement, chaque minute qui passait affaiblissait sa volonté. Il luttait du mieux qu'il le pouvait, comme il l'avait fait toute sa vie. Profiter de chaque seconde. Retarder le plus possible l'avènement inexorable de l'abandon. Du sommeil. Du rêve. De la mort. Til arrima ses deux mains dans la pierre, bien décidé à rester le plus de temps possible dans cette position. Il avait décidé de ne pas lâcher avant que la totalité de ses forces ne l'abandonne. Tant pis si ses derniers instants de vie étaient un supplice, il ne se laisserait pas bercer par ces délires oniriques. Déjà encore

La folie le reprenait

Comme un parasite

Arrimé à son corps

Accroché à ces pierres.

Un nectar rubis trempe

Dans le calcaire. Les mains

Dans le sang. Les deux yeux

Rougis. L'abandon peu à

Peu, chemine dans son

Esprit. La paroi rugueuse

S'éloigne une fois de plus.

Les paupières s'abaissent,

Dernière révérence à l'esprit,

À la vie. Til lentement progresse...

Au moment précis où Til finit son premier pas, l'orbe gagna en couleur. Il devint une boule de lumière ondoyante qui le tira de son délire. Le jeune homme tomba à genoux, la sphère perdit en volume, jusqu'à disparaître sans un bruit, aussi mystérieuse que sa présence dans cette salle. Til n'osa bouger de peur de ramener cette chose. Il avait perdu, il le savait. Quelques secondes de plus et il sombrait dans cet océan de jouissance sans fin. Il abandonnait sa famille. Et cette pensée le brisait. S'il n'avait été aussi déshydraté, il aurait sans doute pleuré encore et encore. Et pourtant cette culpabilité était mêlée au soulagement profond d'être encore en vie.

Un bruit parvint à ses oreilles. La pierre crissait devant lui. Un pan entier du mur s'ouvrit comme l'aurait fait une porte. Il entendit des bruits de pas et deux hommes en combinaison intégrale entrèrent dans la pièce. Leurs visages étaient cachés par des masques noirs mais la stupeur était perceptible chez le premier homme, qui poussa un juron :

— Par tous les dieux ! Viens voir ça, il est vivant !

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