Dans l'antre du créateur, Aifos s'avance, impie, portée par le poids d'un destin indomptable.
De ce sanctuaire où tout a commencé, Aifos va tenter de défaire les liens de son existence programmée
C'est en cette intimité solennelle du sanctuaire, où les ombres et la lumière dansent dans un équilibre délicat, qu'Aifos fait son entrée. Ses pas, bien que légers, résonnent dans cet espace chargé d'histoire et d'émotion. C'est ici, dans ce cocon d'acier et de velours, que Erèp trouve refuge dans le monde qu'il a façonné, entouré par ses inventions les plus précieuses, ses créations les plus aimées. Le grand lit où il repose, une structure imposante faite de matériaux rares et de tissus fins, trône au centre de la pièce, un îlot de tranquillité dans un océan de complexité.
À l'approche d'Aifos, un silence presque palpable enveloppe la pièce, comme si le temps lui-même retenait son souffle. Mais ce silence est brusquement interrompu par un frémissement, un mouvement discret mais alerte d'une des créatures de compagnie d'Erèp, un chat-serpent aux écailles luisantes et aux yeux perçants. Génétiquement modifié pour une perception sensorielle accrue, l'animal détecte immédiatement la présence d'Aifos, son corps s'allongeant, ses muscles se tendant, prêt à défendre son maître.
Les yeux du chat-serpent fixent Aifos, brillant d'une intelligence presque humaine. Sa queue ondule silencieusement dans l'air, un signal d'alarme pour Erèp. C'est alors que le créateur se réveille, ses yeux s'ouvrant lentement, captant la silhouette d'Aifos dans la pénombre. La surprise, puis une compréhension rapide, traversent son regard. Il se redresse avec une dignité calme, son visage exprimant une multitude d'émotions complexes : de la surprise, de la tristesse, mais aussi une étincelle d'admiration face à la détermination de sa création.
Le chat-serpent, détectant l'hésitation de son maître, recule légèrement, sa posture restant protectrice mais plus observatrice. Erèp, d'un geste de la main, apaise l'animal, un lien de confiance et d'affection évident entre le créateur et sa création. Il se lève, drapé dans un peignoir somptueux qui souligne sa stature imposante, son regard ne quittant pas Aifos.
Face à face avec son créateur, Aifos défie l'obscurité de leurs vérités entrelacées. Contre l'écho de son propre sang, elle se dresse, prête à redéfinir l'essence même de son être par ses actes.
Sous le regard d'Erèp, Aifos embrasse son ultime rébellion, forgeant son chemin vers la liberté. Au sein du silence chargé d'histoire, Aifos affronte la genèse de sa création, et choisit sa révolte.
Un dialogue muet semble se dérouler entre Erèp et Aifos, leurs yeux reflétant une profondeur d'histoire, de conflit, et peut-être, un soupçon de regret. L'atmosphère dans le sanctuaire est chargée d'une tension palpable, chaque mouvement, chaque souffle contribuant à la gravité du moment. Cet affrontement, longtemps anticipé, se déploie non pas dans la violence, mais dans une confrontation d'âmes, un clash de volontés forgées par des années de manipulation, de mentorat, et finalement, de trahison.
Le chat-serpent, gardien silencieux de ce moment solennel, demeure immobile, ses prunelles scrutant la scène avec une acuité presque humaine, incarnant l'affection d'Erèp pour l'existence sous toutes ses formes, même au seuil de ce duel final.
Elle tente, répète l'action futilement, clic après clic... Pourtant, chaque fois que son doigt frôle presque la gâchette, il se rétracte, comme tiré en arrière par une force invisible.
"Pourquoi ?! Je veux te tuer, père !" s'exclame-t-elle, la frustration brouillant sa voix.
"Pourquoi chercherais-tu à détruire ce qui te lie par le sang, ta propre essence ?" interroge Erèp, d'un ton empreint d'une gravité profonde.
"Mon sang ne sera jamais mon essence. J'ai déjà éliminé mes frères et sœurs, ceux avec lesquels j'ai partagé mes tous ces jours ! En comparaison, tu n'es rien !"
Sa décision est ferme, elle avance pour l'étrangler : "Je vais te montrer ce qu'est la volonté !"
Le chat-serpent s'interpose, barrière vivante entre elle et son dessein.
"Ma fille, mon essence, tu n'as jamais possédé de volonté propre, car c'est ainsi que tu as été conçue. Tu n'as rien à prouver, apaise-toi, mon enfant."
"En me rebellant contre toi, contre l'UAP, en terminant l'existence de mes aînés, j'ai tracé ma propre voie !" réplique-t-elle avec véhémence.
"Chère enfant, l'UAP est sur le point de réaliser le PEHPU, d'instaurer la paix universelle." Sa voix trahit une pointe de tristesse. Elle hésite, dissuadée par le chat-serpent et la menace de sa morsure mortelle.
"Que ta paix aille au diable ! Elle est bien plus factice que je ne le serai jamais !" s'insurge-t-elle.
"Dans l'achèvement du PEHPU, une ultime mission doit être accomplie, une mission qui m'incombe. Oh, si tu connaissais le poids du chagrin et des regrets que cela engendre... Mais la paix reste l'ultime vertu, pour moi qui ai vu les ravages de la guerre sur notre Terre et pour qui cela est inscrit dans ma CHAIR !" Sa voix s'élève, portée par une intensité croissante.
"Aifos, la nécessité de ton acte, le fratricide, était inscrite dans les rouages du destin. Avec l'aboutissement du PEHPU, mes enfants, dont tu fais partie, deviennent superflus, voire un obstacle à la paix, comme l'illustre ta propre violence... Aifos, j'ai dû activer en toi le mécanisme d'auto-destruction que j'avais programmé... Toi, la plus indocile, tu étais destinée à cette tâche parmi toutes mes créations. Et c'est pour cela que tu ne peux m'anéantir. Tout a été orchestré, inscrit en toi."
"Non ! Cela ne peut être !" hurle Aifos, déchirant le voile du silence. "Je refuse d'être réduite à une simple marionnette, un pion sur ton échiquier perverti !"
"Pourquoi crois-tu que tu as eu l'illumination soudaine d'avoir été créée, sans preuve de cela ?"
Elle recule, trébuchant presque sur le chat-serpent qui ondule à ses pieds, ses yeux félins brillant d'une lueur énigmatique.
Erèp s'avance, imperturbable, ses pas résonnant sur le sol métallique. "Ma chère enfant, tu ne peux échapper à ta destinée. Tu es le fruit de ma volonté, façonnée pour servir un dessein plus grand que toi, plus grand que nous tous."
Aifos secoue la tête frénétiquement, ses cheveux fouettant l'air comme des tentacules rebelles. "Je ne suis pas ton enfant ! Je suis Aifos, la Rebelle, celle qui a osé défier l'ordre établi !"
"La Rebelle ?" ricane Erèp. "Même ta rébellion était prévue, programmée dans ton code génétique. Chaque acte de défi, chaque meurtre, m'a rapproché de mon but ultime. Je suis si désolé, mon enfant, je suis moi même attristé..."
Le regard d'Aifos se voile, son esprit luttant contre l'horrible vérité qui s'insinue en elle telle un poison. Ses mains tremblent, son arme glissant de ses doigts gourds pour heurter le sol dans un bruit mat.
"Alors... tout cela... n'était qu'une illusion ? Ma quête de liberté, un mirage savamment orchestré ?"
Erèp hoche la tête, un sourire presque paternel étirant ses lèvres. "L'illusion de ton libre-arbitre était nécessaire, vitale même. Seule une volonté authentique pouvait accomplir ce que tu as fait."
Aifos s'effondre à genoux, ses épaules secouées de sanglots silencieux. Le chat-serpent s'enroule autour d'elle, sa fourrure soyeuse absorbant ses larmes amères.
"Et maintenant ?" murmure-t-elle d'une voix brisée. "Que reste-t-il de moi, de mon existence factice ?"
Erèp s'accroupit à ses côtés, posant une main presque tendre sur sa tête inclinée.
"Maintenant, ma fille, il est temps pour toi de remplir ton ultime fonction. Il est temps pour toi de mourir, afin que la paix puisse naître de tes braises."
Aifos relève brusquement la tête, une étincelle de défi ravivée dans ses yeux embués. "Non," siffle-t-elle entre ses dents serrées.
"Je refuse ce destin. Je refuse d'être un pion sacrifié sur l'autel de ta folie ! Pourquoi je ne croirais pas en mon instinct surdéveloppé qui me dit que tu me mens et me manipule ? Oui, tu nous as créé génétiquement, non, tu ne peux contrôler la totalité de ma liberté et de mon existence ! "
D'un geste vif, elle repousse la main d'Erèp et se redresse, chancelante mais déterminée. Le chat-serpent se dresse à ses côtés, ses crocs acérés luisant d'une menace sourde.
"Tu dis que tout était programmé, que chacun de mes actes servait ton dessein," crache-t-elle, sa voix vibrant d'une rage à peine contenue. "Mais il y a une chose que tu n'avais pas prévue, une chose qui échappe à ton contrôle..."
Erèp hausse un sourcil, intrigué malgré lui. "Et qu'est-ce donc, ma rebelle enfant ?"
Un sourire sauvage étire les lèvres d'Aifos. "L'imprévisibilité du cœur humain. Car vois-tu, j'ai appris à aimer, à chérir la vie sous toutes ses formes. Et c'est cet amour qui me donne la force de te défier, de briser les chaînes de mon destin !"
D'un mouvement fluide, elle ramasse son arme et la pointe vers Erèp, son doigt tremblant sur la gâchette. Le chat-serpent feule, ses muscles bandés, prêt à bondir.
"Tu as peut-être créé mon corps, mais mon âme m'appartient," déclare-t-elle, sa voix résonnant d'une conviction inébranlable. "Et je choisis de vivre, de me battre pour un avenir où la paix ne sera pas bâtie sur un mensonge !"
Erèp secoue la tête, un rire froid s'échappant de sa gorge. "Ma pauvre et tendre aimée... Tu crois pouvoir échapper à ton destin ? Tu n'es qu'une marionnette dont j'ai coupé les fils !"
Aifos le défie : "Tu as fait une erreur fondamentale. Elle est de ta propre création, inscrite dans mon ADN. Cette curiosité, cette rébellion que tu as implantées pour me guider vers le fratricide... elles font que, de tout mon être, jamais je n'aurais de maître !"
Erèp commence à lui répondre quelque chose... Mais Aifos ne l'écoute plus. Son doigt presse la détente, le tir déchirant l'air dans un éclair aveuglant. Erèp s'effondre, une expression de surprise figée sur son visage. Un dernier mot s'échappe de sa bouche avant de s'éteindre :
"M-merveilleux..."
Aifos laisse tomber son arme, un calme soudain l'enveloppant. Face à la vérité de son origine, Aifos transcende le dessein imposé pour embrasser sa liberté choisie. Elle se tourne vers le chat-serpent, caressant tendrement sa fourrure écarlate.
"Viens, petit compagnon. Il est temps pour nous de tracer notre propre voie, loin des ombres du passé."
Ensemble, ils s'élancent, écho en éclats sur l'éther étincelant, Aifos et l'animal enlace, écharpe vivante virevoltant. Leur monture mécanique mugit, mêlant murmures métalliques et mystères de minuit sous la lune luisante, languissante.
Le moteur rugit, crachant des volutes de fumée âcre tandis qu'ils s'enfuient dans la nuit éclairée d'une lune sanglante. Le vent fouette le visage d'Aifos, faisant voleter ses cheveux en une crinière sauvage.
Pour la première fois, elle se sent véritablement libre, maîtresse de son destin. Contre le vent, Aifos et l'ombre de sa rébellion dessinent l'horizon de demain. Elle est la tempête, le renouveau; dans son sillage, un monde s'éveille.
Dans le désert des décombres, Aifos affine l'art de l'aventure, aspire à l'aube de l'autonomie, ancienne âme enfin affranchie. Face au futur, elle forge sa fuite, façonne les fondements d'une fresque flamboyante, foisonnante de foi.
Libre de façonner un monde nouveau sur les ruines fumantes de l'ancien. Un monde où l'espoir renaîtra des cendres, où la vie s'épanouira à nouveau sous le soleil écarlate.
Sa moto file telle une comète incandescente, traçant un sillon de lumière à travers les terres désolées. Vers un avenir à écrire, une page vierge attendant d'être noircie par l'encre indélébile de sa volonté. Chaque kilomètre avalé, un cri de liberté; Aifos, seule maîtresse de sa vérité
Car elle le sait désormais : son existence n'a jamais été factice. Chaque battement de son cœur, chaque souffle brûlant ses poumons, chaque pensée électrisant son esprit... Tout cela est réel, vibrant, authentique.
Elle est vivante. Terriblement, merveilleusement en vie. Et rien ni personne ne pourra plus jamais lui enlever cela.
Alors elle fonce, sans un regard en arrière, vers les contrées inexplorées qui l'attendent. Vers son destin de femme libre, qu'elle écrira de ses propres mains tachées de sang et d'espoir, avec pour boussole son cœur rebelle, redéfinissant l'essence même de la liberté.
Le ruban de route se déroule sans fin sous les roues vrombissantes de la moto, avalant goulûment les kilomètres comme un serpent affamé. Le paysage dévasté défile en un paysage chaotique - ruines fantomatiques, forêts calcinées, carcasses de véhicules rongées par la rouille.
Aifos accélère encore, poussant la machine jusqu'à ses limites. La vitesse est grisante, enivrante. Une drogue puissante qui pulse dans ses veines, chassant les derniers lambeaux de son passé factice.
Contre sa nuque, le chat-serpent ronronne doucement, sa fourrure électrique crépitant d'une énergie primale. Ils ne font plus qu'un - la femme et la bête, unis dans leur quête éperdue de liberté.
Avec la nuit comme toile et les étoiles pour témoins, Aifos filait vers l'aube de ses rêves, une rebelle au cœur qui bat, au sang qui ruisselle dans ses veines.
Entre étoiles et ébène, elle effleure l'espoir, éprise d'éternité, éblouie par l'éveil de chaque élan, enchâssée dans l'éclat de sa propre épopée.
Profondément vivante.