MIRABILIS

By tymlor

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Lors de l'exécution de la dernière enchanteresse des royaumes, celle-ci laisse en son souvenir une malédictio... More

La carte des royaumes
Mirabilis - A propos
Prologue
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
Chapitre 21
Chapitre 22

Chapitre 13

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By tymlor







Mirabilis


Cela fait trois jours que l'horloger a guéri toutes les aiguilles du château. Midi a sonné quatre fois, minuit trois. Freud a crié la nuit. C'était comme hier, à moins qu'hier ne soit plus un repère suffisant pour qualifier la veille.

Toutes les nuits se ressemblent, les étoiles ne sont plus le guide de personne. Elles se contentent de briller et de se moquer, nous narguant de leur éternité qui éteindra l'humanité.

J'ai retenu mes larmes une bonne partie de la matinée. J'ai compté les minutes, imploré le temps de m'en laisser un peu plus, mais il filait et le froissement des aiguilles l'une contre l'autre me rappelait qu'une heure venait de passer. Une. Deux. Trois. Compterai-je les prétendants avec la même lassitude, usée de leurs paroles bien pensantes et le tintement de leurs armes d'apparat ?

Une. Deux. Trois larmes. Elles, au moins, ont réussi à s'échapper. Elles roulent sur ma joue tandis que j'arrive devant la grotte de Freud. Il est dix-huit heures, il m'en reste quatre avant de reprendre la route en direction du château, cinq avant de me diriger vers les bois de Nychta, six et je reverrai le prince d'Afthonia.

Je me laisse tomber en glissant sur ma selle et ne prends pas la peine d'ôter son harnachement à Knight, qui ne semble pas m'en tenir rigueur. Sans doute sent-il l'odeur des carottes, se montrant sage dans l'espoir d'en croquer quelques-unes.

La grotte est faiblement éclairée, à croire que des morts sont veillés. Les bougies sont éteintes, seules les guirlandes à l'entrée subsistent. Je pousse la porte et m'engouffre sans m'annoncer, craignant de déranger ou de faire preuve d'impolitesse dans un moment solennel.

Dedans, l'odeur est difficilement supportable. J'ignore de quoi il s'agit, mais j'ai la désagréable impression de me retrouver projetée au milieu des marais et de leurs effluves nauséabondes. Je remonte mon col jusqu'à mon nez, tousse et cherche une bougie à la hâte afin de trouver l'origine de cette drôle d'odeur. Au moment où je vais pour craquer une allumette, une flamme s'échappe de la brindille et lèche mon visage, puis de l'eau entre dans mes yeux, mes narines et mes vêtements.

— Milles coyotes, tu es folle !

Je reconnais les bras de Freud qui m'entourent. Il m'attrape par le poignet et me tire dans la pièce, m'entraînant avec assurance à droite et à gauche tout en slalomant entre des objets qui tombent sur notre passage. Trop surprise par ce qui vient de se produire, j'oublie de le saluer, de me présenter et même de pleurer. S'il n'avait pas été là, j'aurais sans doute provoqué un incendie, et j'aurais brûlé avec. Est-ce vraiment une si mauvaise chose ?

Freud ouvre la porte qui donne sur les cultures et me pousse à la hâte avant de fermer le loquet et de calfeutrer l'ouverture avec du papier mâché et quelques linges humides. Je le regarde faire, effarée de le voir plonger dans une folie qui n'était pas la sienne il y a quelques jours.

— Que fais-tu ?

— Je nous évite une mort certaine.

Derrière la porte, aucune menace ne semble nous attendre. Je n'ai croisé personne sur la route. Les soldats se reposent. Les loups boudent les montagnes où le gibier manque. Les coyotes logent dans les bois de Nychta.

— Quelqu'un te veut du mal ?

— Les sciences ! s'exclame-t-il en pointant la voûte de l'index. Ce gaz est terriblement inflammable.

Je me débarbouille pendant qu'il finit d'appliquer de multiples protections autour de la porte.

— J'ai réussi à reproduire ce gaz... dit Freud tout en reprenant sa respiration difficilement. Tu sais, celui des marais.

— Mais qui voudrait reproduire une telle odeur ?

— Même le laid est beau dans les sciences. Le putride est utile, il résulte d'une interaction entre deux corps. Quelle interaction ? Dans quelle circonstance ? Dans quel but ? Je l'ignore, mais ce gaz n'est définitivement pas celui qui créera le soleil.

Je me laisse choir dans le canapé, heureuse de trouver à sa droite une bouteille tout juste entamée et un verre pas vraiment propre. Je l'essuie d'un revers de manche et sers un fond à Freud avant de porter le goulot directement à ma bouche.

— As-tu trouvé les réponses à tes questions ? je m'enquis, à demi rassurée.

Il s'empare du verre que je lui tends, ouvre la bouche, puis la referme. Ma question est une porte ouverte à une réponse longue, détaillée et particulièrement incompréhensible pour une néophyte des sciences de mon espèce. Je le sais, Freud le sait, mais nous faisons souvent semblant de nous comprendre malgré tout. Cette fois-ci, les choses semblent différentes. Freud ne saute pas sur l'occasion pour m'expliquer la raison de la présence de tout ce linge autour de la porte.

— Et toi ? se contente-t-il de demander en retour, prenant place à mes côtés sur le canapé. 

— Moi ?

— Tu as trouvé les réponses à tes questions ?

— Quelles questions ?

— Tes pourquoi, tes quand et comment.

— Tu veux dire pourquoi le monde est une putain, quand cessera-t-il de l'être et comment les coyotes finiront-ils par se nourrir de ma chair ?

Il hausse les épaules et me contamine de la plus belle des maladies ; son sourire.

— Je voulais plutôt dire... pourquoi des larmes ont coulé sur tes joues, quand sont-elles apparues et comment puis-je les arrêter ?

Un coup de coude fraternel plus tard, ma gêne ne disparaît pas. Freud ne me lâche pas du regard, cherchant maladroitement la cause de mon désarroi. Si elle se cachait dans mes yeux, les choses seraient plus faciles, mais le cœur est un endroit bien moins accessible.

— La rencontre avec le prince d'Afthonia ne s'est oas passée comme prévu, j'avoue à voix basse.

Freud étend ses jambes devant lui en soupirant.

— Il pensait avoir affaire à un héritier, pas à une princesse, j'ajoute.

— Cela fait-il une différence ?

— A priori.

— Cela ne devrait pas. Votre sang est royal, il n'est pas plus légitime que tu l'es. Une paire de seins n'y change rien. Les hommes y accordent bien trop d'importance.

— A quoi ? La place des femmes dans ce monde ou... leurs seins ?

— Leurs seins ! s'exclame-t-il en mimant avec ses mains une femme de toute évidence pourvue d'une forte poitrine.

— N'as-tu jamais remarqué qu'ils ont la forme du soleil ?

Freud fait les gros yeux tandis que je réalise qu'il n'a sans doute jamais vu de poitrine de sa vie – ou alors en l'état de nourrisson. Prise d'un élan de pitié qui n'a pas lieu d'être, je me recule jusqu'à atteindre la limite du canapé et enlève mes deux pulls avant de soulever dans la foulée mon dernier tricot. Freud ne dit pas un mot, se contentant de me laisser me débattre avec ma brassière sans émettre d'objection. Je finis par la soulever, les joues rouges et le souffle rendu court par mon combat acharné contre le tissu.

— Deux soleils ! j'annonce fièrement en agitant ma poitrine devant lui.

— Et de la pluie, ajoute-il en caressant ma joue où mes larmes ont séché. Que fais-tu ?

— Si les hommes n'accordent pas assez d'importance à la place des femmes dans les royaumes, tu n'en accordes pas assez aux seins !

Il laisse sa main retomber sur le canapé et se met à rire.

— Crois-tu que j'en ai jamais vu ?

— En as-tu vu ? je demande, hagarde.

— Je n'attire pas seulement la curiosité des baroudeurs.

— Des femmes sont venues jusqu'ici ?

— Des femmes et leurs soleils, même si je n'avais jamais vu cela de cette façon. Maintenant que tu le dis...

Son regard descend jusqu'à ma poitrine et, en cet instant, je me sens particulièrement stupide.

— Es-tu en train de comparer le soleil à un atome ? s'enquit-il.

— Pas un atome, des seins !

— Des seins qui ressemblent comme deux gouttes d'eau à un atome, continue-t-il en pointant du doigt mon sein droit.

Son index s'approche de mon téton suffisamment prêt pour que je sente sa présence. Je retiens mon souffle, rougie, et patiente.

— Un noyau, explique-t-il avant de désigner l'ensemble de ma poitrine ; et ses électrons. L'association d'un tout qui fait l'équilibre. Le soleil pourrait être un atome, mais il faudrait qu'il interagisse avec d'autres atomes pour créer une combustion. Tu as froid.

Prise d'une crampe dans les bras, je baisse ma brassière et entreprends de me rhabiller. J'enfile mes pulls dans ce silence gênant, réalisant que Freud n'avait pas besoin de mon aide pour découvrir le corps d'une femme. De nous deux, qui est réellement le plus fou ?

— Je croyais que les femmes ne t'intéressaient pas, je me justifie en reprenant une gorgée de vin.

— Les sciences m'intéressent davantage, mais il m'arrive de leur être infidèle. Tu as de très beaux atomes.

— Crois-tu que le soleil pourrait-être un atome ?

— Les négociations avec cet idiot de prince ont-elles abouties ? demande Freud, m'empêchant ainsi de changer de sujet.

— Non.

— Non plus, ajoute-t-il. Seras-tu amenée à le revoir ?

— Je pensais que non, mais les choses ont pris une tournure différente et les négociations auront bien lieu.

— A-t-il reconnu avoir commis une erreur de jugement ?

J'acquiesce, réalisant à quel point tout cela est ridicule.

— Il souhaite une nouvelle rencontre. Elle doit avoir lieu ce soir.

— C'est rapide.

— Père pense qu'il a sérieusement besoin de nos ressources.

Alors que je reste persuadée que la raison de cette invitation secrête est toute autre.

— Tu n'es pas d'accord avec lui ? Tu penses qu'il y a une autre raison à cet échange ?

— En politique, il y a toujours une raison autre que l'officielle, mais père refuse d'y songer. Il est persuadé que son plan est infaillible et qu'il gagnera.

— On ne gagne pas en échangeant des vivres contre de l'or.

— Il compte rallier à sa cause les Afthoniens en leur donnant l'occasion de... ramener le soleil. Si un Afthonien était élevé au rang de héros, alors la paix pourrait être envisageable et Yvris perdrait toute crédibilité.

— Ramener le soleil ? m'interroge Freud, finissant son verre par la même occasion.

Je secoue la tête.

— M'épouser.

— Combien d'Afthoniens comporte le royaume du nord ?

— Je l'ignore.

La tristesse doit se lire sur mon visage, car mon ami reprend d'une voix douce :

— Autant qu'il y aura de larmes sur tes joues.

Je bois une nouvelle gorgée, remplit le verre de Freud et lève les yeux au ciel.

— Mais toujours moins que le nombre de bouteilles que tu as sifflées !

Nous rions devant les cultures, passant de la tristesse à la joie aussi vite que mes seins sont devenus des atomes.

— J'ai toujours cru que de nous deux, ce serait toi qui ramènerais le soleil, je confie, plus honnête que jamais.

— L'amour où les sciences, qui gagnera ?

Je me redresse dans le canapé, une idée venant de faire son apparition dans mon esprit tourmenté :

— Pourquoi pas les deux ?

— L'amour des sciences ? Les sciences de l'amour ?

— Je pourrais être ton assistante.

— Mon assistante ? Tes devoirs sont ailleurs.

— Je n'aurais qu'à dire à père que nous nous aimons et je pourrais passer davantage de temps avec toi. Je t'aiderais dans tes projets et nous irions plus vite à deux. Ce ne serait pas vraiment un mensonge.

— Ne le prends pas mal Mira, mais... même si tu as de très beaux soleils, j'aimerai malgré tout éviter de voir ta lune.

— Il ne s'agit pas de sexe, juste d'un accord entre nous, je le corrige, presque vexée. Nous simulerions un amour naissant afin de m'éviter la rencontre avec le prince et tous ces simagrées. Nous gagnerions ainsi du temps pour avancer sur ton projet.

— Tu as presque mis le feu à mon salon.

— Cela ne se reproduira plus.

— Tu es la princesse d'Ilios.

— Tu deviendrais prince à ton tour.

Prenant conscience que l'offre que je viens de lui faire est aux antipodes de la vie dont il rêve, je soupire et pose la bouteille sur le sol, désespérée.

— Pourquoi tous les hommes du royaume veulent m'avoir pour eux, sauf toi ?

— Mira... tu es magnifique. Tes seins sont magnifiques. Tes fesses... je ne veux pas le savoir, lâche-t-il en secouant la tête. Quant à ton âme, je n'en ai jamais connu de telle. Elle est ce qui s'approche le plus du soleil, merveilleuse et cachée, offerte qu'à ceux qui seraient prêts à passer leur vie à la chercher.

Comme si je regardais Freud pour la première fois, je découvre la douceur de ses traits en même temps que celle de ses mots. Il est l'homme dont n'importe quelle femme rêverait. Le fort, le sensible, le secret. Il est grand, bien bâti, ne présentant aucun défaut apparent et capable de survivre en parfaite autonomie sans attendre d'une femme qu'elle l'entretienne. Ses yeux en amande et sa tignasse blonde rendent l'ensemble parfaitement esthétique, même son côté négligé visible avec sa barbe de trois jours joue en sa faveur. Évidement que mon ami a déjà vu une femme nue – seule sa pudeur a rendu ses rencontres secrètes.

Freud porterait très bien le costume. Il apprendrait quelques pas de danse pour les grandes occasions et saluerait mon père toutes les douze heures, en même temps qu'il annonce la nuit.

Freud est un homme attirant, mais il est surtout un homme. Cette évidence à elle-seule coche toutes les exigences de père.

— Cela pourrait être toi, j'assène.

Mon ami m'interroge du regard, curieux de la signification de mes paroles.

— Tu pourrais être l'homme qui brise la malédiction, peut-être l'ignorons-nous tout simplement, j'explique alors, confuse.

— Tu veux que je t'embrasse ? Comme une forme... d'expérience ?

— Nous dirons qu'il s'agit de sciences.

Je hoche la tête, mon corps tout entier en tension. Je le laisse s'approcher en premier, faisant l'effort de le rejoindre seulement quand son corps arrive au niveau du mien. Moins expérimentée qu'il l'est, je ne sais comment réagir et reste béate à le fixer sans ciller. Nos nez s'effleurent, nos fronts s'épousent et nos bouches attendent de savoir laquelle des deux aura le cran de se poser sur l'autre. C'est sa main sur mon sein que je sens en premier lieu. Sa paume qui l'englobe, son souffle sur ma joue qui termine dans ma nuque, puis ses mots :

— Le soleil n'est pas un atome, il est un sein. Il a en son centre un noyau où s'effectue la combustion et alors, seulement alors, la chaleur irradie l'ensemble et les royaumes tout entiers. Ce qui voudrait dire... qu'il est infiniment plus grand que ce que j'imaginais.

Freud se redresse, plante ses yeux dans les miens, plus résolu que jamais, lâche mon sein, puis quelques mots :

— Il me faudrait probablement des années pour créer le soleil, mais ce dont je suis certain, c'est que l'éternité tout entière ne suffirait pas à faire de nous des amoureux.


*


Freud, ou le savant fou le plus sexy de l'histoire d'Ilios 😏

Le vent a soufflé, Mira a poussé la porte de la friend zone.😂

A très vite ❤️


Insta : Tymlor

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