Isis s'allume une deuxième cigarette. Elle l'observe se consumer entre ses doigts engourdis par le froid. La nuit est tombée et la brune ne ressent pas les chutes de température, son corps semble anesthésié. Elle devrait peut-être rentrer à l'intérieur ou se recouvrir d'une veste au lieu de rester dans cet affreux bikini noir qui compresse ses seins.
Pourtant, il y a tellement de raisons pour lesquelles Isis ne souhaite pas rentrer à l'intérieur de leur chambre d'hôtel. Tout d'abord, elle a aperçu une énorme araignée dans la salle de bain alors qu'elle pleurait assise contre le carrelage, la poussant à aller se réfugier sur la terrasse.
Par la suite, elle a voulu prendre un sweat-shirt pour se recouvrir avant de constater qu'ils appartenaient tous à Pierre, sans exception. Alors elle s'est résignée à rester dehors dans ce froid glacial. Elle s'est décidée à s'allumer une première cigarette puis une deuxième en se convaincant que ces dernières allaient pouvoir la réchauffer.
Isis regrette de ne pas avoir emmené Joyce durant cette lune de miel qui tourne au véritable désastre. La golden retriever aurait été à ses côtés pour la rassurer et la brune ne se tiendrait pas recroquevillée sur ce transat en plantant ses ongles à l'intérieur de ses cuisses. Elle ne voulait pas infliger vingt-quatre heures de vol à Joyce, cela aurait été égoïste de sa part, tout comme le fait de s'allumer une cigarette après ce qu'elle vient d'apprendre.
Un soupir s'échappe de ses lèvres, elle tente de se détendre sans façon. Pierre est parti depuis maintenant deux heures, la jeune femme a trouvé du courage pour l'appeler mais ce dernier n'a jamais répondu à ses appels désespérés. Elle est tétanisée par son anxiété, ses pensées sont embrouillées par le froid et par ses émotions qu'elle ne peut plus contrôler.
- Isis ?
La voix de Pierre résonne à l'intérieur de la chambre d'hôtel, elle sursaute en entendant son prénom. Il ne tarde pas à remarquer que la porte menant sur l'extérieur est ouverte, il sort sur la terrasse. Isis l'aperçoit depuis le transat où elle est assise, le pilote ne semble pas l'avoir remarqué. Son regard balaye l'extérieur à la recherche de la jeune femme.
- Putain je me les gèle, l'entend dire la brune. Ça me casse les... chat ?
Ses yeux bleutés se posent sur elle, il l'aperçoit dans l'obscurité et Isis aimerait effacer le pli d'inquiétude marquant son front. Elle est incapable de répondre, seules ses lèvres se mettent à trembler lorsque Pierre s'approche d'elle à grandes enjambées. Il se plante devant elle et Isis baisse les yeux.
Elle attend simplement que l'orage passe mais ce dernier ne vient jamais. Les secondes passent, Isis ose finalement relever son regard bleuté vers Pierre. Il la surplombe de sa hauteur cependant il n'y a pas une once de colère sur son visage et Isis chuchote d'une petite voix :
- T'es pas fâché contre moi ?
- Je... enfin.... Isis, faut être deux pour faire des bébés, soupire-t-il en s'asseyant à ses côtés sans toutefois la toucher.
- Je comprends pas comment ça a pu arriver avec la pilule, avoue-t-elle la gorge nouée.
- Ce n'est jamais efficace à cent pour cent ce genre de chose... c'est possible qu'on ait oublié de prendre la pilule une fois ou qu'on l'ait prise avec du retard.
- Je sais même pas prendre une pilule correctement, rit nerveusement la brune. Je suis nulle, putain.
Elle soupire profondément en repliant ses genoux contre sa poitrine. Elle les entouré de ses bras avant d'y plonger la tête pour se cacher. Elle est désemparée si bien qu'elle laisse échapper un premier sanglot, venant briser le cœur de Pierre. Il était inquiet de la voir dans un état aussi détaché de la situation.
Elle sent la main brûlante de Pierre venir se poser sur son avant bras. Les doigts de Pierre s'enroulent autour de son poignet, il retire précautionneusement la cigarette de la main de Isis avant de l'écraser contre le sol. Une fois chose faite, sa main se fraye un chemin jusqu'à son menton pour l'encourager. Il aimerait bien qu'elle arrête de se cacher.
Le contact entre ses doigts brûlants et la peau glacée de Isis est saisissant. Il invite la brune à relever la tête vers lui et lorsqu'elle s'effectue, ses yeux sont larmoyants. Sa vision est floue, elle ne distingue presque pas le visage de Pierre à cause de ses larmes.
- Ce n'est pas de ta faute, prononce le jeune homme. T'y peux rien, ton corps n'a pas assimilé la pilule à un moment donné à cause de vomissements ou autres... j'en sais rien, mais en aucun cas ce n'est de ta faute, d'accord ?
- D'accord, bredouille-t-elle faiblement.
- Et je t'assure que tu n'es pas nulle, reprend Pierre en venant poser ses mains sur ses joues rosées par le froid. Je ne sais pas encore quelle est ta décision mais je suis soulagé d'être dans cette situation avec toi, je... ça me fait moins flipper en sachant que c'est toi qui es avec moi pour gérer ce qui va se passer et... j'aurais imaginé personne d'autre à ta place, conclut-il alors que ses pouces essuient les larmes de Isis.
Elle l'observe bouche bée, elle vient de comprendre que peu importe ce qu'il va se passer, Pierre sera toujours là. Il ne va pas partir. Il ne va pas la laisser tomber, elle comprend implicitement que la décision lui revient, c'est à elle de décider quoi faire.
- Pierre, j'ai peur...
- T'es pas la seule, souffle-t-il en se pinçant les lèvres. Ça me fait encore plus flipper qu'un emménagement ou qu'un mariage...
- Dans ce cas, je pense que nous sommes très mal barrés, dit-elle en riant nerveusement.
- Ouais, faut que je me projette mais ça me paraît pas aberrant comme idée.
Son regard bleuté transmet beaucoup de sérénité, plus que lorsqu'il a quitté précipitamment cette salle de bain des heures plus tôt. Elle se perd dans cet océan bleuté en sachant que jamais elle ne s'y noierait, elle est en sécurité.
- Je vais pas te poser la question mais prends ton temps pour y répondre, d'accord ?
Elle acquiesce en reniflant, elle s'est arrêtée de sangloter pourtant elle aimerait encore effacer le pli d'inquiétude marquant le front de Pierre. Il suffirait d'une réponse qu'elle n'a pas encore, elle le sait et elle aimerait la donner pour que Pierre soit rassuré.
Il est une personne ayant besoin de certitudes, il n'aime pas être dans le doute et c'est bien une chose que Isis a compris le concernant. Il n'aime pas le changement tant qu'il n'y ait pas préparé, il ne quittera pas sa zone de confort par lui-même par peur de décevoir ou d'être déçu.
- Tu aurais du rester à l'intérieur, soulève Pierre d'une voix basse en comprenant qu'elle a besoin de temps pour réfléchir. T'es glacée...
Il s'éloigne pour retirer le sweat-shirt qu'il porte pour le donner à la jeune femme. Il l'aide à passer sa tête dans le col puis ses bras dans chacune des manches. Une fois chose faite, il tire la capuche sur la tête de la brune afin de la réchauffer un peu plus.
- Voilà, c'est mieux. Je ne veux pas que vous tombiez malades...
Il accompagne son propos en frictionnant le corps de Isis pour tenter de créer un peu plus de chaleur. Il ne s'est pas rendu compte de ce qu'il vient de dire au contraire de Isis qui se glisse dans ses bras pour déposer un baiser sur sa joue. Elle est soulagée qu'il soit rentré.
- Il y avait une araignée dans la salle de bain, elle était énorme...
- Je ne pense pas qu'elle aurait pu te manger cette araignée, rassure Pierre en lui rendant son étreinte.
- Les araignées dans ce pays, c'est pas un mythe et t'étais pas là pour la tuer, gémit la plus jeune.
- C'est pour ça que t'es dehors ?
- Je pouvais pas rentrer à cause de l'araignée pour récupérer un pull et après quand j'ai voulu récupérer un pull, je me suis souvenue que j'en avais aucun à moi dans ma valise, ils sont tous à toi... et je voulais pas en prendre un alors que t'étais peut-être parti pour toujours, explique-t-elle d'une voix tremblante.
Pierre ne répond rien, il se contente de resserrer son étreinte autour du corps de Isis. Il comprend son désarroi, il ne peut pas imaginer ce qu'elle a ressenti en le voyant partir ainsi. Il ne peut qu'imaginer ce qu'il aurait pu ressentir en étant à sa place et cette idée n'est pas agréable.
- Puis après j'ai voulu fumer, je me suis dit que ça aller me réchauffer et je me suis mise à pleurer comme une merde. Je n'ai même pas fumé, lâche-t-elle tout bas.
Elle s'arrache des bras de Pierre, elle renifle péniblement avant d'essuyer ses larmes en tirant sur la manche du sweat-shirt du jeune homme. Le tissu ne tarde pas à être recouvert de mucosité visqueuse mais Pierre ne semble pas s'en formaliser. Ses yeux bleutés ne quittent pas la brune, il l'observe attentivement bredouiller :
- J'ai pas réussi, j'avais peur d'être égoïste avec...
Isis ne peut continuer, elle s'arrête au milieu de sa phrase pour désigner son ventre d'un geste de la main. Ses lèvres tremblent, elle se pince les lèvres avec force tout en tirant sur le col de son sweat-shirt afin d'y enfouir son nez rougit par les larmes et par le froid. Elle renifle une nouvelle fois sous le regard impuissant de Pierre.
- Et j'veux pas être égoïste, gémit elle tout bas.
- Ce n'est pas un choix égoïste, rassure-t-il en sachant qu'elle ne parle pas seulement de la cigarette. Il y a plein de raisons valables si tu ne souhaite pas de cette grossesse. Peu importe ta décision, je sais que ça sera une décision remplie d'amour et... ça n'exclut pas la possibilité d'avoir un bébé plus tard, tu sais. Peu importe ta décision, je te promets d'être à tes côtés.
Elle acquiesce, son regard est perdu dans le vide. Il déclare qu'il va se débarrasser de cette araignée afin que Isis puisse rentrer à l'intérieur. Pierre décide de la laisser quelques minutes seule pour réfléchir, il se doute qu'elle en a besoin. Il s'agit probablement de la décision la plus dure qu'elle aura à prendre dans toute sa vie, Pierre ne veut pas s'interposer. Elle est la mieux placée pour le faire.
Lorsqu'il réapparait sur la terrasse, c'est le signe que Isis peut regagner l'intérieur sans danger. Elle rejoint leur chambre en passant devant Pierre qui referme la baie vitrée derrière eux et Pierre prend son courage à deux mains pour avouer finalement :
- J'ai paniqué toute à l'heure, je suis désolé de t'avoir laissée seule.
- Ce n'est pas grave, rassure la brune en se tournant vers lui. J'étais simplement inquiète que tu n'aies pas répondu au téléphone, j'ai cru qu'il t'était arrivé un malheur...
- J'ai appelé maman pendant tout ce temps, dit Pierre d'une voix qu'elle ne lui connait pas. J'étais pas sûr d'être à la hauteur.
Les lèvres de Isis s'entrouvrent de stupeur, elle était loin de s'imaginer cette raison pourtant tout cela semble évident quand elle observe son visage marqué par le doute et l'inquiétude.
- J'ai arrêté d'avoir peur quand je me suis rappelé que toi, tu étais à la hauteur, conclut le jeune homme.
Elle ne sait pas quoi dire, elle perd ses mots. Sa décision qu'elle a pris quelques minutes plus tôt semble bien trop compliqué à énoncer, elle ne sait pas comment s'y prendre alors Isis décide tout simplement de murmurer :
- Pierre, est-ce qu'on peut avoir un câlin ?
Elle n'attend pas bien longtemps, Pierre se rapproche immédiatement d'elle. Ses mains agrippent les hanches de la brune pour l'attirer près de lui, ses bras ne tardent pas à encercler son corps et ses lèvres viennent se poser tendrement sur son front. Le corps de la brune se relâche dans cette étreinte, elle se sent mieux alors qu'un soupir de soulagement s'échappe de ses lèvres pour s'échouer dans le cou de Pierre.
Isis n'a plus peur et l'inquiétude du pilote s'est dissipée en même temps que son doute. Il est soulagé de connaitre la décision de la brune et soudainement, il sait qu'il sera à la hauteur de l'histoire qu'ils vont écrire. Isis a confiance en lui, cela lui suffit.
- Je ne pensais pas que mon cœur serait capable de donner encore plus d'amour qu'il t'en donne à toi, souffle Pierre tout bas. Mais j'avais tord, je l'aime déjà.
🫶🏼