𝐑𝐄𝐐𝐔𝐈𝐄𝐌 † ᵏᵛ (réécritu...

By DarkEyelet

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─ Entre les vagues déchaînées de leurs vies, Taehyung et Jungkook, âmes tourmentées et indomptables, voguent... More

𝐏𝐫𝐞𝐟𝐚𝐜𝐞
𝟎 | 𝐏𝐫𝐞𝐚𝐦𝐛𝐮𝐥𝐞 : 𝐁𝐫𝐨𝐤𝐞𝐧 𝐏𝐢𝐞𝐜𝐞𝐬
𝐈 | 𝐂𝐨𝐥𝐝 𝐁𝐥𝐨𝐨𝐝
𝐈𝐈 | 𝐕𝐞𝐧𝐨𝐦𝐨𝐮𝐬 𝐌𝐨𝐨𝐧
𝐈𝐈𝐈 | 𝐖𝐨𝐫𝐥𝐝𝐬 𝐂𝐨𝐥𝐥𝐢𝐝𝐞𝐬 (𝟏)
𝐈𝐈𝐈 | 𝐖𝐨𝐫𝐥𝐝𝐬 𝐂𝐨𝐥𝐥𝐢𝐝𝐞𝐬 (𝟑)
𝐈𝐕 | 𝐋𝐢𝐯𝐞 𝐎𝐫 𝐃𝐢𝐞 (𝟏)
𝐈𝐕 | 𝐋𝐢𝐯𝐞 𝐎𝐫 𝐃𝐢𝐞 (𝟐)
𝐕 | 𝐒𝐥𝐨𝐰 𝐁𝐮𝐫𝐧 (𝟏)
𝐕 | 𝐒𝐥𝐨𝐰 𝐁𝐮𝐫𝐧 (𝟐)
𝐕 | 𝐒𝐥𝐨𝐰 𝐁𝐮𝐫𝐧 (𝟑)
𝐕𝐈 | 𝐖𝐞𝐚𝐩𝐨𝐧𝐬

𝐈𝐈𝐈 | 𝐖𝐨𝐫𝐥𝐝𝐬 𝐂𝐨𝐥𝐥𝐢𝐝𝐞𝐬 (𝟐)

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By DarkEyelet

𝐏𝐚𝐫𝐭𝐢𝐞 𝟐

Taehyung venait de décliner avec courtoisie une énième invitation d'une énième fille.

« Taaaae, se plaignit Namjoon après avoir brusquement posé son verre sur le comptoir, étanchant sa soif après avoir longuement dansé et crié des paroles aléatoires sur des chansons tout aussi aléatoires. Sérieux !

— Mais quoi ! J'ai pas envie, râla Taehyung avec un sourire, légèrement essoufflé, alors qu'il attendait sa commande d'alcool, pris dans l'euphorie des endorphines.

— Attends qu'il boive son sixième verre, Nam ! Il n'en a bu que trois en une heure ! cria Hoseok pour se faire entendre par-dessus la musique, ses bras enlaçant la taille de Namjoon par-derrière, son menton reposant sur son épaule après avoir vérifié que Hye-Jin était remontée auprès de Jimin pour le chercher.

— Voilà, opina Taehyung avec un petit rire, sans vraiment le penser.

— Bon, soupira Namjoon. Mademoiselle ! », héla-t-il la jeune femme qui venait de repartir bredouille après le refus de Taehyung.

Elle pivota avec une lueur d'espoir étincelant dans le regard, sous l'attention curieuse et amusée de Hoseok ainsi que le regard blasé de Taehyung.

« Revenez quand il aura sifflé son sixième verre, OK ? Promis, il vaut le coup et il embrasse divinement bien ! », précisa-t-il, un large sourire aux lèvres.

Si Hoseok s'abandonna à un rire tonitruant contre le corps de Namjoon, Taehyung ne put réprimer un léger rire, même si la gêne occasionnée par Namjoon le tiraillait. Son regard s'éleva alors pour rencontrer celui de la jeune femme qui, soudainement intimidée, glissa une mèche de cheveux derrière son oreille tout en lui offrant un sourire que Taehyung trouva à la fois séduisant et charmant.

Un moment suspendu dans son regard chargé de mystère et de douceur le plongea dans une observation silencieuse. Il la contempla, tandis qu'elle se laissait porter par la musique, un verre entre les doigts. Ses yeux caressèrent sa silhouette gracieuse et ses courbes moulées dans une robe claire, dont la teinte se fondait sous les lueurs chatoyantes des néons. Il déglutit. Si elle n'égalait pas Hye-Jin, cette incarnation suprême de beauté et de grâce à ses yeux, cette fille irradiait d'un charme ensorcelant Taehyung qui l'observait avec une admiration muette.

Belle.

Une sensation amère étreignit son cœur, l'emplissant d'un malaise oppressant.

Mais...

« Ah, enfin, ricana Hoseok en le sortant de sa contemplation, le faisant légèrement sursauter. Elle est à son goût, entendit-il en émettant un clappement de langue faussement réprobateur, souriant à la jeune femme qui cacha son petit rire, amusée par son sursaut.

— Je commençais à désespérer, soupira Namjoon, non moins enjoué.

— Vous voulez à ce point me voir rouler des pelles, ou quoi ? grommela Taehyung en reportant son attention sur ses amis, après avoir échangé un dernier sourire avec la jeune femme.

— Bah oui ! lâcha Namjoon en haussant les épaules, comme si cette information était évidente. Et j'attends toujours le bisou que tu avais voulu me donner, la dernière f...

Hep ! Non ! Shhh ! », le coupa aussitôt un Taehyung agité en couvrant ses oreilles, le rouge de l'embarras s'étendant sur son visage, ses oreilles et son cou.

Sous leurs rires tendrement moqueurs, Taehyung leur offrit un doigt d'honneur, prit son verre et se dirigea vers la piste de danse. Avant de partir, il gratifia Hoseok d'une tape sur le postérieur, accompagnée d'un charmant « je vous hais, bande de putes », faisant redoubler leur éclat de rire d'une intensité telle que leurs larmes finirent par perler, pliés en deux, l'un avachi sur l'autre.

Taehyung ne put réprimer un petit rire, secouant doucement la tête de manière presque désabusée tout en les contemplant avec tout l'amour qu'il leur portait.

Ce qu'ils ignoraient, c'était que Taehyung s'était soustrait à leur présence pour échapper à la sensation d'oppression qui l'avait assailli. Il ne se sentait pas en mesure d'engager la conversation avec une jeune femme, d'échanger des coordonnées ou de partager sa couche en bonne compagnie.

Ce n'était pas de la bonne compagnie, pour lui.

Il ne pouvait pas.

Pas alors qu'il se haïssait.

Pas alors qu'il avait développé une vision obscure et néfaste sur les relations intimes.

Seulement, comment leur exprimer avec délicatesse que soudainement, sa capacité à ressentir du désir pour autrui s'était quasiment éteinte en lui ? Et que la crise de panique survenue il y a deux ans dans une boîte de nuit n'était que la première éruption d'une conséquence dévastatrice de son travail ?

Désormais, nul ne pouvait le frôler sans son consentement, sans déclencher en lui une réaction véhémente, comme si chaque contact surprise lui ravivait les flammes d'une brûlure invisible.

Le toucher des étrangers, même si ce n'était qu'un tendre effleurement de main sur son épaule, était devenu pour lui la signification même de l'humiliation. Son esprit avait tissé des liens complexes et étranges, et son corps obéissait, se mouvant selon des impulsions que Taehyung ne pouvait guère maîtriser.

À l'exception de ses amis et de Yoongi, nul autre ne pouvait l'effleurer sans qu'il leur offre son accord. En pleine conscience. Et qu'il veuille librement l'accueillir.

Muni de son verre, il se fondit entre les mélopées entêtantes des basses. Son regard vagabondait çà et là, s'illuminant d'un sourire lorsqu'il aperçut au loin Hye-Jin virevolter aux côtés de Hoseok, tandis que Namjoon bondissait joyeusement vers Jimin qui lui offrait un déhanché affolant avant de chuchoter à son oreille.

Il s'engouffra plus loin dans la piste de danse, désireux d'un moment fugace avec lui-même, en compagnie de ses démons et la musique comme confidente, pour exorciser ne serait-ce qu'un fragment ce tourment qui le rongeait.

Il n'était plus dans leur champ de vision. Il en était conscient. Il souhaitait mettre son corps et son esprit à l'épreuve, affronter ce traumatisme soudain du contact qui l'avait frappé. Son corps ne cessait de frôler celui des danseurs, mais aucun n'effleurait le sien de leurs mains. Le poids oppressant dans sa poitrine persistait, cependant l'alcool commençait peu à peu à engourdir sa conscience, mêlant gaieté factice et nonchalance.

C'était comme si, tel un voyageur sans boussole, il était attiré par l'idée de s'aventurer dans le supplice de sa géhenne.

Juste pour explorer les confins fissurés de son essence.

Juste pour défier les limites invisibles de son âme.

Comme si chaque pas le rapprochait de la vérité sur sa propre destruction.

Il laissa ses paupières se clore doucement. Un sourire ourla ses lèvres. La mélodie l'enveloppait. Le désir de fondre en larmes l'étreignit. Une quiétude douce-amère l'envahit. Plus rien n'allait. Il était aimé et il aimait, mais la légère brise de solitude l'accompagnait. Il les avait eux, mais il n'avait plus personne. Un petit rire franchit ses lèvres. Ses yeux se voilèrent d'émotion derrière leurs rideaux de cils.

Et dans cette douceur teintée de douleur, il rit.

Il trouva une paix fragile, mais réelle.

Il se perdait peu à peu. Doucement. Avec une audace dangereuse.

Je suis fou. C'est bien ce qui m'attend, n'est-ce pas ?

Il pensa au blond. À ses derniers mots dans les vestiaires.

Reste à ta place.

Le rayonnement de son sourire s'effaça graduellement, tandis qu'une vague de colère embrasa les profondeurs de son être. Ses doigts se resserrèrent autour du verre qu'il porta à ses lèvres, espérant apaiser cette montée d'amertume enflammée.

Mais une main jaillit de l'ombre, l'empêchant de s'abreuver.

Il s'immobilisa.

Une douce chaleur ondoyait dans son dos sans même le frôler. Quelqu'un se tenait là, juste derrière lui. Immobilisé par une crainte subite, il osa à peine bouger.

Ce puissant parfum mentholé...

« Modère ta consommation, ce soir. »

Seigneur.

Son cœur s'élança impétueusement dans sa poitrine. Une sensation subite d'inconfort l'assaillit. Une vague irrépressible de nausée s'insinua en lui.

Cette voix.

Ce n'était pas possible.

Soudain, la chaleur qui caressait son échine s'évanouit en tandem avec la disparition de son verre. Intrigué, il pivota prestement pour n'apercevoir que l'agitation des corps en effervescence, sans aucune autre présence.

Où est-il ?

Non, c'était une illusion, une simple projection de son esprit. Peut-être serait-il judicieux pour lui de cesser de boire, ce soir.

Mais alors...

Il regarda sa main. Vide.

Où est mon verre ?

Une certitude lui murmurait qu'il ne l'avait pas rêvé.

Égaré dans l'entre-deux du rêve et de la réalité, son souffle s'emballa dans un tumulte chaotique.

Vite, le bar.

Dans une cadence hâtive, il s'insinua entre les silhouettes, engoncé dans une atmosphère étriquée qui l'oppressait. Il joua des bras tant bien que mal, jusqu'à apercevoir le bar. Le souffle court, il manœuvra ses bras avec peine jusqu'à ce qu'il aperçût enfin le comptoir. Un flot de larmes jaillit de ses yeux lorsqu'il découvrit Hye-Jin, gracieusement perchée sur un tabouret avec les jambes croisées, dégustant paisiblement un cocktail, tournée vers la piste de danse.

Il courut.

« Hye-Jin ! », cria-t-il de sa voix étranglée.

Elle sursauta brusquement et écarquilla les yeux devant son expression affolée, deux sillons de larmes traçant ses joues rougies. Elle paniqua. Abandonnant son verre sur le comptoir, elle ouvrit instinctivement ses bras, le recevant avec la tendresse qu'on réserve à ceux qui viennent de traverser un cataclysme personnel.

« T... Tae ! Qu'est-ce qu'il y a ? », balbutia-t-elle au bord des larmes, son cœur battant la chamade, le serrant fermement contre elle.

Dès l'instant où il fondit sur elle tel un souffle de tempête embrassant le rivage, il se blottit dans le pli de son épaule parfumée. Il prit de profondes inspirations, comme si l'air, jusqu'alors insaisissable, trouvait enfin un accès à sa voie respiratoire.

Avec une légère fièvre parcourant son corps et des frissons presque imperceptibles, il rechercha la main de son amie qui s'offrit à lui avec une promptitude réconfortante, Taehyung la saisissant avec l'ardeur de celui qui trouve en elle son ultime refuge.

« Tae... », murmura-t-elle, la voix étranglée, faisant fi de la forte pression que Taehyung exerçait sur sa main frêle.

Il était à deux doigts de la broyer. Mais elle en demeurait indifférente, consciente de son impérieux besoin de s'accrocher au moment présent pour éviter une crise de panique. En ces moments délicats où Taehyung cherchait une main, il fallait la lui tendre pour lui permettre de préserver sa lucidité.

« Je t'emmène prendre l'air ? demanda-t-elle en collant ses lèvres contre son oreille.

— Non... c'est bon... haleta-t-il, prenant le temps de reprendre son souffle. Je vous ai juste perdus de vue et... j'ai paniqué », mentit-il.

Il remercia les cieux d'être dissimulé contre son cou. Il n'était pas habile avec le mensonge. Ses yeux le trahiraient dès que Hye-Jin le sonderait.

« Mais je croyais que tu étais avec Hoseok et Nam... glissa-t-elle, le cœur battant à tout rompre en sentant celui affolé de Taehyung contre sa poitrine.

— Oui, mais la foule a fini par m'emporter, dit-il tout en reprenant son souffle de manière de plus en plus régulière.

— Personne ne t'a touché ? », interrogea-t-elle d'une voix douce, chargée d'inquiétude.

Un léger mouvement de la tête lui répondit, négatif et silencieux.

Elle fit la moue. Elle connaissait la maîtrise habituelle de Taehyung sur ses émotions et son aptitude à demeurer imperturbable même en des circonstances critiques. Pourtant, le fait qu'il s'était littéralement jeté dans les bras, les larmes coulant et s'accrochant désespérément à elle, Hye-Jin n'eut aucun mal à discerner la supercherie dans ses mots.

Nul besoin de plonger son regard dans le sien pour saisir la vérité. Elle le connaissait trop bien.

Jamais il n'aurait démontré une telle panique s'il les avait simplement perdus de vue.

« Respire profondément, je suis là avec toi. Tout va bien, maintenant », dit-elle contre son oreille, tandis qu'elle glissait doucement sa main dans ses cheveux, lui apportant du réconfort.

Elle ne pouvait empêcher son regard de se perdre parmi les tourbillons de formes, espérant déceler le moindre signe révélateur de l'état de Taehyung. Elle hésitait à alerter le reste de la bande, Taehyung semblant se calmer graduellement retrouver son calme en sa présence, même si son étreinte demeurait ferme, comme s'il craignait de se laisser emporter à nouveau par la foule.

« Je te commande de l'eau », dit-elle contre son oreille, le sentant ensuite acquiescer.

Il se redressa pour lui faire face, se tenant droit en face d'elle tandis qu'elle était assise. Il renifla discrètement, le regard fixé sur elle, lui laissant le soin d'essuyer ses larmes. Bien qu'il se sentît vulnérable de dévoiler sa fragilité, il était confiant en sa présence.

« Tu vas mieux, mon cœur ? », demanda-t-elle en prenant soin d'articuler.

Il hocha doucement la tête, la contemplant sans détourner le regard. Chaque trait de sa beauté, chaque nuance de sa douceur dissipait les ultimes vestiges de son tourment. Il réussit à esquisser un faible rictus, tandis qu'elle réarrangeait ses ondulations comme le ferait une sœur, répondant chaleureusement à son sourire.

« Tu peux aller chercher Jimin, s'il te plaît ? murmura-t-il, le ton faible.

— Bien sûr, viens, assieds-toi », dit-elle en descendant de son tabouret.

Avant de partir, elle s'assura qu'il était apte à rester seul et, après un baiser déposé sur sa pommette, elle se hâta d'accéder à sa demande qu'elle vit comme une supplique. Installé sur le tabouret, les coudes sur le comptoir, Taehyung lâcha un profond soupir, se massant doucement le visage.

« C'est pour qui le verre d'eau ? héla un barman envers la lignée de clients devant lui, confus devant l'absence de Hye-Jin.

— Pour moi », dit-il en relevant un visage éreinté vers le quarantenaire.

Le barman accorda un bref instant à contempler l'expression accablée de Taehyung, son teint livide éclairé par les éclats chatoyants du club et la fine pellicule humide qui perlait sur son visage.

« Ça va, jeune homme ? demanda le barman en déposant le verre devant lui, inquiet. On a des salles de repos disponibles si vous ne vous sentez pas bien. Vous voulez y aller ?

— Non, c'est juste la chaleur qui... dit-il en joignant le geste à la parole, puis il renonça à toute tentative d'explication, éreinté. Je vais boire un peu et ça ira, ne vous en faites pas, merci, sourit-il faiblement avant de porter le verre à ses lèvres.

— Demandez Mark, si jamais », dit-il en lui montrant sa plaque sur sa poitrine.

Reconnaissant, Taehyung hocha la tête et le barman retourna à ses occupations. Il but d'une traite, comme si sa soif avait été inextinguible pendant des heures. Au moment où le verre toucha la surface, un souvenir s'éveilla brusquement en lui. La voix et la main qui avait intercepté son verre d'alcool.

Saisi par une flamme d'indignation, il interpella une fois de plus le barman, exigeant une boisson corsée qui lui fut servie avec une réticence à peine voilée. Lorsqu'il vit sa boisson, un pli ourla son front, trahissant son étonnement. La quantité était en deçà de ce qu'il avait commandé. Il releva la tête vers l'homme qui lui offrit un sourire presque paternel.

« Ce ne sont pas mes affaires, mais faites attention à vous, d'accord ? », ne put s'empêcher de lui glisser l'homme, disparaissant après une œillade plus appuyée sur la boisson.

En haussant les épaules, bien qu'exprimant secrètement une gratitude d'être tombé sur une personne bienveillante, il saisit délicatement son verre et l'amena à son nez. Il laissa les effluves chauds et épicés du rhum lui titiller les sens, humant les notes de vanille, de caramel et de fruits tropicaux.

Son regard se perdit au fond du verre, tandis que ses pensées s'attardèrent de nouveau sur l'assassin. Un bref rire amer lui échappa, comme s'il provenait du plus profond de son âme tant sa rancœur était tenace.

« S'il croit que je vais l'écouter, ce fils de pute », pesta-t-il, une grimace déformant son visage.

À peine eut-il l'occasion d'effleurer le bord de son verre de Bacardi qu'une voix le fit tressaillir, son cœur reprenant aussitôt son rythme frénétique qui n'avait fait que se calmer fugacement.

« Ça manque de politesse envers ma mère, Kim. »

Il clôt fermement les paupières, lâchant un soupir agacé, tandis qu'il posait brusquement son verre sur le comptoir. Il commençait à nourrir une aversion pour cette voix à la fois veloutée et profonde, aussi mélodieuse soit-elle.

« Désolé. Vous êtes content ? », cracha-t-il de mauvaise foi, le regard noir intensément rivé sur Jungkook.

Taehyung observait une seule règle, sacrée et immuable, une loi intangible qu'il honorerait même face à son adversaire le plus acharné : celle d'exprimer ses excuses dès lors qu'il manquait de respect aux cœurs chers à autrui.

Et ce sera l'unique offrande de bonté qu'il accordera à cet...

« Ours mal léché, monstrueux emmerdeur, tortionnaire même », pesta Taehyung, les dents serrées.

Submergé par une vague d'amusement, Jungkook se mordit l'intérieur de la joue, étonné de devoir réprimer le rire spontané qui avait faillir éclore devant l'avalanche de créativité que révélaient ces sobriquets. Assis sur le tabouret à gauche de Taehyung, il lui faisait face, fixant avec intérêt son profil crispé par l'irritation.

Soudain, un corps se blottit contre le bras de Jungkook, attirant instantanément l'attention des deux hommes.

« Salut toi, dit une belle femme, ses traits délicats éclairés par les néons, ses cheveux et ses yeux clairs se confondant dans la lumière. Je peux t'inviter à danser ? », susurra-t-elle enlaçant le cou du blond, pressant son corps contre le sien sans hésitation.

Un léger sourire ourla les lèvres de Jungkook alors que Taehyung, brûlant d'embarras, détourna les yeux avec une légère moue contrariée.

« Vous êtes très charmante, mais je ne suis pas intéressé », répondit simplement Jungkook.

À l'entente de ce timbre courtois et d'une douceur qu'il ne lui avait jamais entendue, Taehyung arqua les sourcils et posa un regard surpris vers l'aîné qui, avec délicatesse, saisit les bras de la jeune femme pour la faire reculer. Elle sourit, semblant sur le point de renchérir, mais fut promptement interrompue dans son élan.

« À l'avenir, il est souhaitable que vous fassiez preuve d'une plus grande élégance et que vous évitiez de toucher un homme sans son consentement.

— Oh, ça va, roucoula-t-elle, je t'ai juste...

— Ces règles de bienséance s'appliquent également à vous, mesdames », articula-t-il en la coupant, la tessiture de sa voix veloutée adoucie, mais pas moins grave et sérieuse.

Taehyung fut pris d'une étrange émotion à l'évocation de ses paroles, une sensation indicible qui fit doucement compresser son cœur. Ces mots qu'il avait tant espéré pouvoir prononcer trouvaient écho en lui depuis longtemps. Pourtant, les formuler restait pour lui un défi insurmontable. Par moments, il lui fallait simplement garder le silence, ses lèvres closes scellant à jamais le cri de son âme.

« Pour la troisième fois, non. Votre insistance ne vous honore pas », entendit-il, surpris d'entendre la voix plus ferme et sèche du blond qui le sortit de ses pensées.

J'ai raté quoi, là ?

« Mais t'es gay ou quoi ? Fallait le dire ! cingla-t-elle, perdant peu à peu patience.

— Ça suffit, partez », soupira-t-il, las, le regard fermement ancré dans le sien dans l'espoir de la dissuader de proférer un mot de plus.

Frustrée, elle ne prit guère la peine de s'excuser avant de s'éloigner avec une lenteur presque songeuse, comme si elle regrettait de ne pas avoir employé une autre stratégie pour le capturer dans les rets de son charme. Se désintéressant aussitôt d'elle alors que la jeune femme éructait des propos désobligeants à l'encontre de la communauté gay, Jungkook plongea son regard ennuyé dans celui discrètement ébahi de Taehyung.

Jungkook retint un sourire lorsqu'il y lut de la surprise pure mêlée à une forme de compréhension, évoquant ainsi une harmonie tacite avec ses propos adressés à la demoiselle insistante.

« Wow, OK, ricana soudainement Taehyung sans le quitter des yeux. J'ai quand même pas bu au point d'atteindre le stade d'une hallucination bizarre de vous qui êtes poli et aimable, si ? se moqua-t-il en appuyant sur les mots avec une pointe de satisfaction d'avoir lancé sa pique.

— Tu portes un jugement sur moi sans me connaître.

— Et alors ? Bon, j'avoue que c'est pas cool. Mais est-ce que j'en ai quelque chose à foutre ? Non, dit-il, l'expression renfrognée.

— Je note que tu as semblé acquiescer à mes paroles, tout à l'heure, fit-il remarquer en changeant subtilement de sujet, intérieurement amusé.

— Moi ? Absolument pas, mentit-il avec verve.

— Mensonge, constata Jungkook, une lueur espiègle dans le fond de ses yeux, bien que son visage demeurait de marbre.

— Je m'en fous. Ça m'éviterait de penser que vous détenez une once d'humanité.

— Pourquoi j'en serais dépourvu ? », demanda-t-il en appuyant son coude sur le comptoir, soutenant élégamment son visage avec son poing.

Taehyung lâcha un bref rire amer.

« Vous vous foutez de moi ? Pourquoi vous en aurez, monsieur-j'ai-la-gâchette-facile ? », éructa-t-il, acerbe.

Ces propos virulents ne furent guère du goût de Jungkook, qui retint jusqu'à la dernière seconde l'ardent désir de préserver son intégrité.

« Puisses-tu être assourdi par ton arrogance, Kim », réprimanda-t-il avec une expression impassible, bien que ses yeux trahissaient les mots qu'il aurait préféré lui adresser.

— Si joliment dit. On dirait que j'ai touché un point sensible, ricana-t-il, le ton froid. Puissiez-vous crever par votre mépris, l'inconnu », martela-t-il entre ses dents, sarcastique.

Contrarié, Taehyung empoigna brusquement son verre et le porta à ses lèvres...

Pour ne pas pouvoir en humer une goutte, laissant encore le contenu intact.

Sa mâchoire se crispa avec une intensité telle que Jungkook aurait pu percevoir le grincement de ses dents s'il s'était davantage approché. De plus en plus irrité, Taehyung suivit des yeux la main tatouée abaissant lentement sa boisson. Puis, il plongea son regard le plus noir dans celui perçant du blond, éclairé par les néons chatoyants du club.

« Je vous préviens sérieusement, vous me poussez à bout, là », dit-il, la voix chargée d'exaspération et articulant chaque mot, reflétant l'irascibilité qui le consumait.

Un sourire mauvais ourla les lèvres de Jungkook.

Taehyung se mordit la langue en même temps que ses narines tressaillirent. Il eut la nette et désagréable impression que son cœur ne pulsait plus que du magma en fusion.

Avec dédain, il abaissa ses prunelles pour contempler l'attirail de l'homme. Noir. Un océan de noirceur le recouvrait tout entier. Il émanait de lui une aura si sombre qu'on aurait dit qu'il avait dérobé un fragment d'obscurité aux profondeurs de l'enfer. 

Sûrement comme son âme, à l'image de ce tableau lugubre.

Taehyung laissa transparaître son ressentiment à travers une moue répugnée, un spectacle finement perçu par l'œil malicieux de Jungkook, qui arqua un sourcil narquois.

« Je me demande si c'est l'alcool qui te donne cette intrépidité, persifla-t-il, sa main toujours posée sur le goulot du verre, comme s'il protégeait le précieux nectar de toute poussière.

— Continuez à voler mes verres et vous verrez à quel point je peux être intrépide ! éructa-t-il d'une voix chargée d'une colère contenue.

— Baisse d'un ton. N'attire pas l'attention, l'avertit-il d'un ton calme et courtois.

— Ne me dites pas quoi faire ! protesta Taehyung en abattant sa main contre le marbre du comptoir, offensé et les prunelles scandalisées.

— J'ai dit : baisse d'un ton », réitéra-t-il, son regard teinté d'une légère nuance menaçante.

Taehyung passa sa langue contre sa joue avant de lâcher un bref rire nerveux.

« Et que je reste à ma place aussi ? », proféra-t-il d'un ton à la fois rude et blessé.

Jungkook la perçut, cette fissure. Il ne put contenir la curiosité qui titillait son esprit, avant de la balayer aussi rapidement qu'elle avait surgi.

« Quelle perspicacité remarquable », railla-t-il avec une élégance teintée de sarcasme pour reprendre contenance.

En dépit de la puissance de la musique, sa voix demeurait parfaitement calme et imperturbable. Une constance irritant davantage le plus jeune qui l'observait porter le verre à son nez et en humer le parfum, leurs regards verrouillés.

« Ce rhum n'est pas coupé. Ce n'est pas pour ton âge.

— Ouais, comme assister à un meurtre, répliqua-t-il, acerbe. Qu'est-ce que vous en avez à foutre, de toute façon ? Rendez-moi ce putain de verre ou payez-le. »

L'ombre d'un sourire effleura les lèvres de Jungkook, s'amusant de sa hargne agressive manifestée. Avant même que Taehyung profère des paroles venimeuses, Jungkook but la boisson d'une traite, comme si le breuvage n'était pas un rhum corsé à soixante-quinze pour cent d'alcool.

Taehyung le dévisagea, stupéfait, bien que sa paupière frémisse sous la colère.

Il n'a même pas grimacé.

Jungkook posa doucement le cristal vide, tandis qu'il se rinçait la bouche en appréciant pleinement les arômes et les saveurs du spiritueux, laissant chaque goutte caresser son palais expert.

« Vous venez de faire quoi, là. »

Ce n'était guère une question. Son timbre était tranchant et austère, portant en lui une rage contenue.

« Pour le manque de respect que tu as exprimé envers ma mère. Et pour ta dés...

— Je me suis excusé ! aboya-t-il, outré, se moquant de l'avoir coupé.

— Et pour ta désobéissance », poursuivit-il, comme si sa phrase n'avait pas été interrompue, ses yeux luisants de mesquinerie.

Entre l'effusion de rire qui le menaçait d'emporter toute sa raison et la tentation de lui arracher les yeux, Taehyung le fixa un instant, comme si ce moment devait marquer son réveil de ce cauchemar. Toutefois, devant l'intensité de ces yeux aussi profonds qu'une nuit sans astre, il abandonna l'idée d'un mirage.

« Putain, mais vous avez pris quoi, avant de venir ? Je peux savoir pourquoi je devrais vous obéir ? », s'écria-t-il, rouge de colère, se redressant si brusquement que son tabouret tanga avant de se stabiliser.

Sa voix porta si loin qu'elle attira quelques regards curieux dans leur direction.

« Tu es sourd ? », siffla le plus âgé entre ses dents, une légère nuance de contrariété dans son expression.

Taehyung se fit violence pour réfréner son instinct de recul, tant la voix fut cassante et autoritaire. Bien que ce blond ne lui témoignât aucune menace apparente, une crainte familière s'empara de lui, alors qu'il prenait conscience de la personne devant laquelle il se tenait. Prisonnier de ces yeux aussi chaleureux qu'une bourrasque de neige, il fut transporté à deux semaines plus tôt, lors de leur première rencontre à la faculté.

Où ce même regard lui avait été adressé.

Il retint son souffle, puis déglutit difficilement.

Laissant la lenteur de ses mouvements refléter la gravité de la situation, il reprit place, doucement.

Ses yeux demeurèrent fixés sur la menace planant devant lui. Les commissures de ses lèvres frémirent. Il réprima un rire nerveux, un nœud se resserrant dans sa gorge. Il nageait dans l'effroi tant sa prise de conscience fut brusque : il était de nouveau près d'un assassin capable de le faire disparaître sans laisser la moindre trace.

Et le voilà qu'il s'opposait à lui avec aigreur et animosité. Un dangereux ballet avec la folie pure. C'était l'audace poussée à son paroxysme.

Avec une main tremblante, il tritura son collier d'ambre, appréhensif, hésitant, le souffle à peine plus court et le cœur affolé. Devrait-il réellement alerter ses amis ? C'était là une menace bien plus sinistre qu'une personne lambda alcoolisée.

Non, je vais les mettre en danger. Mais si je détale tout de suite, il me suivra. Non ? Sinon pourquoi il serait venu ?

Soudain, consterné, il observa la froideur initiale du blond se métamorphoser en une subtile malice, comme s'il s'abreuvait de son soudain silence effrayé. Alors, Taehyung raffermit sa prise autour du collier élastique.

Puis, lentement, il le fit glisser au-dessus de son front, révélant ainsi la pleine splendeur de ses grands orbes chargés d'appréhension.

Il n'eut plus qu'à patienter, désormais.

Seigneur, faites qu'ils viennent vite.

Jungkook se figea instantanément lorsque les yeux de Taehyung se révélèrent pleinement à lui, sans qu'une seule mèche vienne perturber la délicatesse de son visage aux traits nobles. Avant que les ombres du passé trouvent le chemin de son esprit, une teinte menaçante s'abattit sur son visage, érigeant un bouclier contre les souvenirs douloureux que ces yeux lui causaient.

« Quel est ce soudain trouble, Kim ? Aurais-tu vu la mort ? », persifla-t-il avec un soupçon de bassesse dans la voix.

Il perçut aussitôt un chagrin tourbillonnant de colère et de stupeur émanant de ces yeux.

Jungkook ne sut s'il éprouvait des regrets vis-à-vis de ses paroles récemment échappées.

« ...Vous me dégoûtez », cracha Taehyung d'une voix étranglée sur le point de perdre son sang-froid, sa jambe s'agitant nerveusement sur la barre en acier de son tabouret.

Et Jungkook se méprisa en sachant qu'il se mentait.

Puis, les mots jaillirent de ses lèvres, comme des messagers dévoués cherchant à restaurer la quiétude dans son âme tumultueuse.

« Toi et toute ta lignée aussi, crois-moi », rétorqua Jungkook d'une voix basse, trahi par son trouble, frustré contre lui-même.

Outré, Taehyung jurerait avoir vu une veine palpiter sur son cou et ses yeux luire étrangement. Il fixa le plus âgé un instant, oscillant entre la tentation de fracasser le verre sur le crâne du blond ou lui décrocher une violente droite que ses dents tinteront sur le marbre du sol.

Il était si blessé dans son orgueil qu'il oublia instantanément sa peur et le fait qu'il attendait désespérément la venue de l'un de ses amis.

« Retiens tes pulsions meurtrières, gamin », railla Jungkook, sarcastique et le regard pénétrant.

Il ne déviait pas son attention de Taehyung, tel un prédateur attendant le moment opportun pour agir.

« Ironique, venant de vous. Mais, très bien, remerciez le bon Dieu qui prolonge malheureusement votre existence inutile », cracha-t-il en se levant brusquement de son tabouret pour s'en aller, risquant une fois de plus de le faire tomber au sol.

Après seulement deux pas, il maudit son ouïe pour avoir perçu le souffle moqueur de Jungkook au milieu du vacarme assourdissant. Il lui rendit cependant grâce lorsque la voix douce, mais tranchante de Jimin lui parvint.

« Pourquoi tu lui causes, toi ? », gronda-t-il, les yeux vifs et colériques semblant transpercer l'arrière du crâne du blond.

Taehyung pivota vivement, ses yeux s'écarquillant à l'écho de paroles aussi acérées et venimeuses. Il réprima un hoquet de stupeur lorsqu'il vit clairement Jimin tenir en joue le blond, à l'abri des regards. Il n'a fallu qu'un regard à Taehyung pour remarquer la raideur subite et la posture redressée du plus âgé. Il n'avait pas cillé. Pire encore, un sourire s'épanouissait sur les lèvres du blond alors qu'il maintenait un contact visuel inébranlable avec le jeune Kim.

Cette scène était invraisemblable. Taehyung cligna plusieurs fois des paupières. En les voyant ainsi, Jimin semblait simplement se dresser derrière le plus âgé pour l'enlacer de son bras habilement dissimulé. Mais Taehyung savait que son meilleur ami le menaçait avec une arme.

Jimin agissait avec une aisance naturelle.

Comme s'il était familier avec cette expérience.

Les voir ensemble, ainsi... Deux mondes s'entrechoquaient. Il y avait d'un côté toute sa vie, et de l'autre, celui qui peut-être la réclamait en sang.

Pendant un très court laps de temps, Taehyung fut pris d'un léger vertige, alors que le frisson glacé de l'effarement parcourait ses veines. L'air semblait se soustraire à lui, tandis que des points noirs virevoltaient devant ses yeux, altérant momentanément cette scène qui lui imposait ce choc soudain.

« ...C'est quoi ce bordel ? », chuchota-t-il pour lui-même.

De là où il se trouvait, Taehyung percevait seulement les fragments de leurs voix, mais il déchiffrait aisément leurs mots sur leurs lèvres.

« Ce que tu tiens entre tes mains n'est pas destiné aux enfants, Park. Ou Suhoja, si tu préfères », se moqua-t-il, ses yeux captivés par un Taehyung qui contemplait Jimin comme s'il le voyait pour la première fois.

Taehyung fronça les sourcils. Suhoja ?

Jimin grinça des dents et approcha ses lèvres de l'oreille agrémentée de multiples anneaux du blond.

« Pourquoi tu viens maintenant ?

— Excuse-moi d'avoir potentiellement perturbé tes projets. Ton oncle fomente quelque chose, ce soir ? demanda-t-il avec une tessiture vibrante d'ironie.

— Tais-toi, il nous entend, siffla-t-il entre ses dents serrées en veillant à ne pas prononcer distinctement les mots pour éviter que Taehyung les saisisse.

— Serait-ce dû au regard scandalisé de ton ami que tu laisses échapper cette nervosité, Park ? », persifla-t-il.

Jimin retint son souffle, crispant ses dents avec une détermination farouche.

« Observe-le attentivement et tu décèleras une pointe de peur dans son regard. Quelle tristesse, une précieuse amitié...

— Dol ! », rugit aussitôt Jimin, l'avertissant avec véhémence alors qu'il enfonçait le canon de son arme contre le flanc du blond.

Sa hargne monta d'un cran en voyant Jungkook esquisser un sourire sinistre.

Jimin éprouvait un malaise, prisonnier de l'appréhension qui l'envahissait à l'idée de se dévoiler. Son regard refusait obstinément de croiser celui de Taehyung. Pourtant, il savait que c'était trop tard. La simple vision de Taehyung au collier rehaussé avait suffi à déclencher une réaction immédiate chez lui. Dans ces instants, il n'y avait pas de réflexion, juste une réponse instinctive à la présence inquiétante de Jungkook qui planait depuis plus d'une heure, comme une menace latente.

« Dol ? répéta Jungkook. Il n'est pas là, ce soir, dit-il avec un mépris teinté d'un soupçon d'espièglerie.

Taehyung, qui s'était approché d'un pas hésitant tant la scène devant lui était surréaliste, fronça les sourcils à l'entente des surnoms étranges qu'ils se donnaient.

Cet homme s'appelle donc Dol.

« Laisse-moi en douter, siffla Jimin en resserrant sa prise menaçante. Pourquoi tu l'approches ? Pourquoi tu le traques ? Parce que c'est un Kim ? Taehyung n'a rien à voir avec tout ça, c'est l'aîné que tu devrais poursuivre ! », vociféra-t-il à voix basse près de l'oreille de Jungkook.

Ce dernier pivota la tête et soutint un instant le regard de Jimin, puis s'esclaffa d'un rire grave qui alluma un brasier de fureur chez Jimin, et fit tressaillir Taehyung.

Indifférent à la menace qu'était le jeune Park, Jungkook se leva de son tabouret avec un calme olympien. Comme si une arme n'écrasait pas ses obliques, il extrait quelques billets qu'il glissa sous le verre de Taehyung en de gestes lents, relevant subtilement les sourcils pour le défier. Taehyung n'eut guère le réflexe d'y réagir, accaparé par cette scène qu'il peinait à réaliser.

Bien que furieux de se faire ignorer, Jimin sentit un soulagement se distiller dans ses veines lorsqu'il le vit prêt à s'en aller.

Silencieux et détaché, Jungkook s'avança vers la sortie, ignorant tout regard ou parole. Au moment où il frôla Taehyung, ce dernier agrippa aussitôt son bras, comme s'il sortait enfin de sa léthargie.

« Attendez... »

Jungkook le fixa de haut, même si leurs statures étaient presque identiques. Son attitude était calme, presque contemplative, comme s'il s'était attendu à être stoppé par le plus jeune.

« Dites-moi ce qu'il se passe avec Jimin, demanda-t-il d'une voix légèrement tremblante tant il nageait dans la stupéfaction, s'étant placé de dos afin que Jimin ne lise pas sur ses lèvres. Q... qui il est ? »

Silencieux, Jungkook se contenta de lire dans ses prunelles. Taehyung voyait clairement son hésitation. Elle transparaissait dans la manière dont bougeaient ses yeux. Son désir ardent d'obtenir une réponse était tel qu'il ne se rendit pas compte qu'il serrait le bras de Jungkook.

« S'il vous plaît... », mima-t-il, le regard implorant, sa gorge étant si nouée qu'aucun son n'en sortit.

En cet instant, la fébrilité de la colère ou l'ombre de la crainte à l'égard de Jungkook cédèrent la place à un désir unique : celui de s'extraire de ce cauchemar et de comprendre.

Survient alors le désespoir qui enlaça Taehyung dès que l'éclat incertain dans les yeux de Jungkook s'évanouit, laissant place à une expression fermée.

« Lâche-moi », répondit Jungkook d'une voix neutre.

Les épaules du plus jeune s'affaissèrent, hésitant un moment avant de desserrer lentement sa poigne.

« Profite de ta soirée », lâcha-t-il en faisant d'ores et déjà un pas vers la sortie.

Ce sera la dernière.

Contrarié, il suivit le dos du blond, ressentant déjà des remords pour avoir laissé filer ses réponses. Une frustration grandissante l'envahit alors qu'il se tourna vers Jimin, qui avec précipitation, dissimula dans sa sacoche ce que Taehyung n'eut pas le temps de distinguer.

Taehyung fixa son meilleur ami. Son cœur se compressa. Ce n'était pas Jimin. Il scrutait un inconnu.

Il aurait dû percevoir les signes, il aurait dû en être conscient depuis deux semaines, pendant lesquelles son ami le plus proche s'était comporté de façon singulière depuis qu'il avait croisé le chemin de ce blond, maintenant connu sous le nom de Dol.

Leur interaction avait exacerbé cette sensation déplaisante qui avait tourmenté ses entrailles depuis plusieurs jours. Cette sensation de trahison à l'idée que Jimin et ce Dol étaient familiers l'un à l'autre.

Mais pourquoi Jimin fréquenterait-il ce genre de personne dangereuse ?

Perdu dans ses réflexions, il n'avait pas vu Jimin bondir vers lui. Il sursauta et recula de plusieurs pas jusqu'à heurter le dos de Jungkook qui, entravé par l'enchevêtrement des danseurs, avançait dans une démarche mesurée. Ce dernier se stoppa, pivota et les observa, tandis que le dos de Taehyung frôlait à peine les pans de sa veste en cuir.

« Recule, siffla Taehyung envers Jimin qui se figea aussitôt.

— Attends, Tae, je...

— Tu le connais, alors », affirma-t-il d'un ton catégorique.

Jungkook ne voyait pas son expression, mais le ton du jeune Kim était ferme et furieux. Jimin entrouvrit ses lèvres, affichant une expression paniquée que Jungkook scruta avec minutie.

« Tu m'as menti. C'est tout ce que je retiens, déclara Taehyung, les poings serrés.

— Tae, c'est compliqué, rétorqua-t-il, sentant la peur l'envahir

— Compliqué ? Tu aurais pu me le dire, j'aurais compris, dit-il, perplexe.

— Non ! s'insurgea-t-il. Justement non...

— Qu'est-ce que tu me caches, Jimin ? Que tu fricotes avec des gens pas recommandables ? Tu sais que je vais pas te juger pour ça ! Mais que tu me mentes en me regardant dans les yeux alors que je suis peut-être en danger de...

— Écoute, tu as élevé ton bandeau et je suis intervenu, voilà tout ! », se défendit-il en le coupant brusquement, l'angoisse prenant de l'ampleur.

Jungkook arqua légèrement les sourcils, se remémorant le geste hésitant puis précipité du jeune Kim, qui avait relevé son collier pour dégager ses cheveux, révélant ainsi l'éclat de ses yeux qui l'avaient pétrifié.

« Jimin, c'est pas la question ! T'as une arme ! Et tu le connais ! », cracha-t-il entre ses dents, perdant peu à peu patience.

Son cœur frémissait sous le sentiment de trahison, laissant sur ses lèvres un arrière-goût d'amertume.

« C'est pas ce que tu crois, putain ! explosa Jimin en fronçant les sourcils, au bord de la panique. Écoute-moi !

— Pas maintenant, je ne veux rien savoir ! Mais crois-moi, on aura une discussion, Jimin, éructa-t-il d'un ton qui ne laissait place à aucune opposition. Et t'as intérêt à ce que ton explication soit plausible, parce que le mensonge et les secrets, je ne les tolère pas ! Je ne les supporte pas ! Et tu le sais très bien, putain ! », hurla-t-il au point où sa voix faillit se rompre, attirant les yeux de quelques curieux autour de lui.

Sans lui laisser le temps de rétorquer, Taehyung pivota vivement. Dans son élan, il se stoppa net, esquivant de peu Jungkook qui, à peine surpris par la rapidité du plus jeune, demeura immobile.

« Mais vous êtes encore là ? cria Taehyung en direction du blond qui se contenta de fixer Jimin.

— Tae, où tu vas ? », demanda Jimin d'une voix empreinte d'inquiétude et de désespoir.

Jimin avait l'impression que le monde glissait entre ses doigts, échappant à tout contrôle. Une anxiété lancinante se logeait en lui face à l'inconnu, face à l'incertitude qui planait.

« Prendre l'air ou je vais finir par détruire ce putain de club ! dit-il furieux, les traits tendus par la colère. Ne me suis pas, on sait tous les deux je pourrais dire des vérités qui font mal. »

Il fixa un instant son meilleur ami, dont le visage était marqué par le désarroi. Jimin ouvrait la bouche pour n'émettre aucun son, comme si ses pensées étaient enchevêtrées et qu'il hésitait quant aux mots à prononcer. Taehyung aurait pu sentir sa colère s'amoindrir et calmer les tensions, mais cette vue exacerba son courroux. Il était indubitable que Jimin gardait un secret qui le concernait. Sa famille. Son clan. Ce Dol. Et maintenant, Jimin.

Pourquoi tous s'y acharnaient ? Secrets, secrets. Encore et toujours des secrets.

Que des mystères en cascade, des énigmes incessantes.

C'en était trop.

Alors, les dents et les poings serrés, Taehyung retira le bandeau et le jeta aux pieds de Jimin. Ce collier, Jimin le lui avait offert quelques heures plus tôt où il choisissait sa tenue avec Hye-Jin. Il symbolisait bien plus qu'un simple ornement : il était le témoignage de sa protection, de sa confiance, de sa fidélité. Il représentait leur amitié indéfectible.

Taehyung ricana, amer.

Il détourna son regard, conscient de l'ampleur du chagrin infligé à Jimin par son geste teinté de rage. Et de rejet.

Vivement, il se retourna de nouveau prêt à emprunter une voie de secours où il espérait déboucher sur une aire vide hors cette enceinte confinée qui l'étouffait. Il trouva une vile délectation à heurter Jungkook de son épaule, libérant ainsi un peu de sa propre fureur.

Le pas vif, sa main parcourut brusquement ses mèches avec nervosité. Ses pensées le torturaient, son cœur tambourinait avec tant de vigueur qu'il redouta un instant qu'il cesse ses battements, tandis que son âme était ravagée par ce sentiment de trahison exacerbé après des jours d'indécision.

Qui es-tu, Jimin ?

Insensible au brusque coup de Taehyung pendant son départ précipité, Jungkook demeura immobile, observant avec intérêt le jeune Park. Ce dernier cueillit doucement le collier doré du sol, le visage marqué par la peine. Au sein de la foule mouvante, il se tint là, statique, fixant son bien dans sa paume.

Lentement, il tituba vers le bar, comme si ses forces venaient de le quitter. Maladroitement, il prit place sur le tabouret récemment occupé par Jungkook, puis se laissa sombrer sur le comptoir, enfouissant sa tête entre ses bras.

« Je ne comprends pas. Joues-tu un rôle auprès du gamin ? », entendit-il.

Piqué au vif par cette remarque, Jimin se redressa promptement sur son séant pour se retrouver face aux perles d'onyx du blond, dressé entre Jimin et une chaise haute. Le léger recul du haut de son corps traduisit sa surprise face à la proximité soudaine avec Jungkook.

Jimin ressentit un léger malaise face à la manière dont ce dernier l'examinait, comme s'il cherchait des réponses dans la profondeur de ses yeux vulnérables.

« Non », soupira-t-il en serrant le collier au creux de sa paume.

Il était dans un état d'épuisement accablant, tellement submergé par son désarroi et son mal-être qu'il ne pouvait même pas rassembler suffisamment de force pour lancer ne serait-ce qu'un regard noir à Jungkook ou lui manifester la moindre hostilité.

En cet instant précis, toute volonté semblait l'avoir abandonné.

« Prends garde à ne pas t'égarer dans ta mission, dit simplement Jungkook, le timbre velouté et calme, sa voix se démarquant aisément malgré le vacarme ambiant.

— Arrête avec ça, je joue aucun rôle, réfuta-t-il d'une voix feutrée en secouant la tête, tout en veillant à bien prononcer ses mots pour se faire comprendre. Il est vraiment un frère pour moi. »

Dans un silence lourd de sens, Jungkook posa sur lui son regard teinté d'une lueur énigmatique.

Un frère...

En lui, ce terme résonna avec une intensité poignante, réveillant la douleur qui habitait toujours son cœur. Un feu dévorant qui avait consumé son être tout entier, associé à ce lien presque aussi puissant que celui du sang. Un lien qu'il avait lui-même chéri de ses plus tendres affections.

Et qui avait fini par le détruire.

À cette pensée, son regard s'aiguisa en une intensité féroce et pénétrante, provoquant un froncement de sourcils chez Jimin, aux aguets.

Je ne peux pas m'en aller sans l'avertir.

« Raison de plus. Tu connais le fléau de cette lignée, insista-t-il, résolu à épargner à Jimin une douleur qu'il n'aurait pas souhaitée même à son plus grand ennemi.

— Quoi, tu vas me dire que c'est punissable de mort ? ricana-t-il, amer. Que tous les Kim sont les mêmes ? Tous des démons sanguinaires qui ne savent que faire des coups de Trafalgar ? » ajouta-t-il, retrouvant peu à peu sa hargne.

Jimin répugnait ces propos. Il ne les supportait pas. Certes, ils représentaient une majorité, mais il savait pertinemment qu'il existait de rares exceptions. Et rien ni personne ne l'expliquait.

C'était ainsi.

« Tu ne peux pas le contester. Les faits l'ont prouvé, soutint Jungkook en fronçant les sourcils. Que vient-il de mentionner à propos de la trahison et des secrets ? lui rappela-t-il.

— Mais ça n'a rien à voir, s'opposa-t-il catégoriquement, comme si ces paroles l'avaient heurté. Il a dit ça parce que son propre frère l'a trahi en l'abandonnant et que des cons le rejettent sur des on-dit ! Tae n'est pas comme ça, insista-t-il, son visage exprimant son indignation.

— Qu'en sais-tu ? renchérit Jungkook, l'expression lasse.

— C'est simple, soupira-t-il. C'est Eun-Ae qui s'est chargée de toute son éducation, dit-il, les yeux fermement ancrés dans ceux du plus âgé. Tu penses qu'elle est comparable aux Kim que tu tiens en aversion ? »

Jungkook manqua de sursauter. Pour eux, cette déclaration résonnait bien plus profondément que toutes les paroles pouvant être prononcées pour la défense de Taehyung.

Elle constituait cependant la parole de trop qui assombrit le visage de Jungkook. Le léger arc que prennent ses lèvres exprimait davantage qu'une simple menace.

Jimin était loin d'être craintif ; il avait croisé des hommes plus dangereux, croisé maints regards tourmentés. Mais, à cet instant, il éprouvait un inconfort face à ce regard chargé d'une colère si palpable qu'il se leva à moitié, un pied au sol et l'autre reposant sur la barre du tabouret, serrant le choker de Taehyung dans sa poigne.

« Il reste cependant le fils de Jaewon », fut tout ce qu'il dit avec dédain, l'expression froissée.

Grimaçant sur le prénom qui lui avait écorché la bouche, il pivota, prêt à s'en aller.

« Mais ça veut rien dire ! rugit Jimin, excédé.

— Pourquoi nies-tu des faits prouvés ? », siffla-t-il en revenant sur ses pas, les mains dans les poches, semblant fulminer en silence.

Son visage s'offrait presque comme une toile vierge, tandis que ses yeux étincelaient d'une tempête de fureur contenue.

« Retiens juste qu'il n'est pas comme son père, il a des principes et il a pas été élevé comme Jin, OK ? J'étais là, j'ai grandi avec les deux frères, j'étais pratiquement tous les jours chez Tae. Je sais de quoi je parle. Jin a fini par changer, certes, mais je sais qui est mon meilleur ami. Je sais ce qu'il n'est pas devenu. Il a été préservé », finit-il en articulant ses mots, sa main se joignant à ses paroles comme pour leur donner plus de poids.

Bien que ferme, sa voix était si basse que si Jungkook n'avait pas lu sur ses lèvres, il aurait eu du mal à saisir le sens de ses paroles.

« Admettons, grogna Jungkook, la mine sérieuse, prêt à lui faire comprendre son point de vue. Mais l'essence du mal demeure malgré son éducation. C'est comme essayer de masquer l'odeur du soufre avec des pétales de rose : peu importe combien de couches tu ajoutes, l'essence corrosive persiste toujours en dessous.

— Pas Taehyung. »

Les mains demeurant prisonnières de ses poches, Jungkook aiguisa son regard noir. Il se pencha vers Jimin qui luttait contre l'envie de se recroqueviller au sol. Jamais n'aurait-il imaginé qu'un regard puisse abriter un tel tumulte d'émotions opposées. Jimin se trouvait emprisonné entre deux abysses de souffrance pure, leurs vagues incessantes l'enveloppant.

Tout était pur. Brut. Son cœur se serra devant l'ampleur des tourments et de l'agonie. Il tressaillit, puis gigota. Il voulait s'y soustraire, accablé par l'insoutenable fardeau qui semblait écraser ce Jeon. Il portait une charge monstrueuse pour une seule âme.

« Park, je te mets simplement en garde. Trahis-le, et tu engendreras des conséquences dévastatrices. Il changera du jour au lendemain. Un simple déclencheur suffira à provoquer ce bouleversement en lui, un seul. Et tu le regarderas évoluer, impuissant. Je sais que tu en es conscient et je t'encourage à abandonner toute illusion à ce sujet. »

Chaque mot qu'il avait exprimé était chargé d'une ferveur telle que Jimin ne pouvait que lui accorder foi. Il eut un tic musculaire sur sa mâchoire lisse et détourna le regard. Son cœur était emporté dans une danse précipitée, provoquant en lui un léger tournis. Aussi cruelle fut-elle, cette vérité avait trouvé écho en lui.

Bien sûr qu'il savait. Mais l'entendre...

Et surtout, percevoir les répercussions dans le regard si éloquent du Jeon qui avait injustement été opprimé par...

« Non, non », murmura Jimin en agitant fermement la tête pour chasser la pénible réalité que cela impliquait.

Les lèvres closes, Jungkook soupira, ses narines se dilatant par l'agacement.

« Écoute, je sais que tu ne cherches qu'à me mettre en garde, même si c'est bizarre venant de toi. Et je sais ce que tu as vécu, OK ? ajouta Jimin en le regardant avec détermination et tristesse. Dans les grandes lignes, précisa-t-il, après s'être nerveusement raclé la gorge lorsque Jungkook avait froncé les sourcils. Je ne minimise pas les conséquences de ton passé, mais tu juges Taehyung sur un patrimoine génétique et je trouve ça hyper injuste.

— Le déni te tuera, grinça-t-il sans bouger de sa position. Ils héritent tous de ce trait de personnalité, peu importe s'ils ont été élevés par des brebis, Park, ajouta-t-il avec une pointe d'exaspération dans la voix.

— Mais putain, c'est ridicule, répliqua-t-il avec fermeté. De toute façon tu ne fais que te baser sur ton vécu que tu te fermes à tout ce qui peut le réfuter. Et je suis désolé de dire ça comme ça. »

Jungkook demeura d'un calme saisissant, mais Jimin, en observateur attentif, discerna les infimes frémissements de son visage altérant cette quiétude, trahissant son agacement de manière imperceptible. C'était aussi captivant que troublant.

« Puisses-tu en être préservé, mais le jour où votre amitié basculera, j'espère pour toi que tu as le cœur solide et que tu cours vite. Ou mieux, que tu as un abri. Il te traquera comme un fol acharné.

— Notre conversation est stérile, grogna-t-il en secouant la tête. Et encore une fois, ne le compare pas avec ce qu'était devenu son père.

— Alors son frère, ajouta-t-il, l'expression plus sombre.

— Mais encore moins ! s'exclama-t-il, surprenant Jungkook par cette hargne. Jin est le pi...

— Seokjin en est la preuve vivante, le coupa-t-il, les dents serrées, détestant prononcer le prénom. J'ai aussi grandi avec lui. Je sais qui il était et je sais ce qu'il est devenu, mais ses raisons me sont encore inconnues et je compte les découvrir.

— Je sais tout ça, Jungkook », dit-il avec conviction, le regard fermement ancré dans le sien.

Le blond ne put réprimer son discret recul de la tête. Alarmé, il saisit vivement sa nuque, le fit pivoter devant le comptoir, et le maintint fermement, empêchant ainsi tout mouvement de la part de Jimin.

Au regard des autres, leur interaction était amicale, tous les deux légèrement penchés contre le comptoir, comme s'ils partageaient des messes basses. Jungkook le fixait, tandis que Jimin avait le regard ancré vers le bar.

« Tu m'as reconnu, constata Jungkook avec un léger ébranlement perceptible dans sa voix.

— Évidemment... », soupira-t-il, ne cherchant guère à se défaire de sa poigne, las.

Il fut un temps où ils se croisaient au manoir des Kim, Jimin n'en avait pas la certitude du souvenir, mais on lui avait montré des photos. Jungkook, Taehyung et lui, enfants, sur un même cliché. Puis tous les trois avec Seokjin, souriants et innocents. Jimin en avait été si profondément ébranlé qu'il avait fondu en larmes devant ces vestiges d'un passé regretté.

C'est pourquoi, aujourd'hui, il n'avait pas choisi de s'en prendre à Jungkook et qu'il consentait à prendre le temps d'échanger. Autrement, il aurait brandi la menace.

« Tu étais très jeune, il est improbable que tu te souviennes, réfuta-t-il, son souffle effleurant le visage de Jimin.

— Je ne m'en souviens pas. J'ai des photos. J'ai juste un sentiment de déjà-vu lorsque je te vois. Je n'ai jamais oublié ton prénom, par contre », expliqua-t-il d'une voix feutrée, les yeux perdus dans les méandres de ses souvenirs flous.

Troublé, Jungkook desserra légèrement sa poigne sans la relâcher, comme si désormais, il percevait en Jimin l'enfant d'antan, l'enfant de ses souvenirs. L'enfant qui se superposait au vaillant jeune homme qu'il était devenu. Et Jungkook hésitait à le confronter.

« Quelles photos ? », demanda-t-il après s'être repris, la voix caverneuse.

Jimin déglutit.

« Des photos où j'apparais avec eux.

— Qui te les a données ?

— Eun-Ae m'a donné des copies, à mes treize ans, grogna-t-il d'un ton qu'il espérait évident. Par contre, Jungkook, lâche-moi.

— Pourquoi m'as-tu appelé Dol, tout à l'heure ? enchaîna-t-il, sans accéder à sa demande.

— Mais parce que c'est comme ça que tu te fais appeler dans le milieu ! grommela-t-il. J'en ai déduit que personne n'est censé connaître ton prénom. Tu peux me lâcher, maintenant ? demanda-t-il d'un ton ferme, de plus en plus agacé, bien qu'il fût capable de se libérer en quelques mouvements précis, entraîné pour s'échapper dans des situations pénibles.

— Dans le milieu, répéta-t-il, la mine sombre. Tu as tes sources, alors. Enquêtes-tu sur moi ? Ton oncle me reproche quelque chose ? s'enquit-il, le ton légèrement plus menaçant.

— Mais non... râla-t-il, exaspéré. Si vraiment je te traquais tu m'aurais déjà repéré. »

Jungkook plissa les paupières. Il avait raison. Dans son ordinateur, il surveillait régulièrement le trafic réseau entrant dans son système de protection. Si Jimin le pistait, il aurait immédiatement détecté sa présence et ses tentatives de traçage ou de surveillance.

Jimin soupira, éreinté. D'un geste ferme, mais amène, il repoussa légèrement l'aîné pour se dégager. Son torse souffrait de l'appui contre le bord du comptoir et la proximité de la présence imposante du Jeon ajoutait à son inconfort. Il avait ressenti sa dangerosité sans qu'elle l'atteigne, sachant qu'il ne lui serait pas hostile. Mais son aura était lourde, comme s'il traînait avec lui toutes les attaches de ses souffrances passées.

À cause des Kim.

D'un certain côté, Jimin le comprenait. Il percevait la motivation derrière ses mises en garde. Il savait qui était réellement Jeon Jungkook. Qui il avait été pour la famille de Seokjin. Qui il avait été pour Taehyung qui n'en gardait aucun souvenir, hormis un sentiment de familiarité qu'il se saurait s'expliquer, peut-être.

On lui avait narré l'histoire des Jeon et des Kim, avec minutie.

Jimin en possédait alors une connaissance exhaustive, développant un discernement acéré qui le maintenait en état de vigilance constant, ce qui lui conférait la capacité de résister aux assertions de Jungkook, parce qu'il était plus clairvoyant. Plus neutre.

Mais Jimin était une tombe. Il avait été longuement entraîné pour l'être, devenant l'habile porteur de masques, le fervent acteur de multiples rôles, et enfin, le gardien.

Les révélations ne seront donc pas de son fait.

Seul le temps en fera son affaire.

Mais ce lourd secret lui pesait, le rongeant lorsque Taehyung lui offrait un de ses plus beaux sourires.

Mais le sujet était actuel avec Jungkook était Taehyung. Et Taehyung n'était pas...

Il ne pouvait pas...

« Taehyung est intelligent, il...

— C'est précisément de ça qu'il te convient de te méfier, l'interrompit Jungkook avec une posture droite et assurée.

— Non, justement, reprit-il, les yeux brûlants de certitude, bien que désespérés. Il comprendra pourquoi je fais ce que je fais. Il y a beaucoup de choses qu'il ne sait pas. En réalité... il ne sait rien. Il ne sait même plus qui tu es.

— Pourquoi tu sembles en savoir plus que lui alors qu'il est le premier concerné ? questionna Jungkook fronçant les sourcils, soupçonneux.

— Franchement, Jungkook... »

Si tu venais à connaître les dessous de l'histoire, tu comprendras la supercherie.

« Bref, c'est compliqué », conclut Jimin, abandonnant sa sentence.

Jungkook le fixa longuement, les yeux plissés. Jimin était suspicieux. Il décelait une dissonance dans cette histoire. Il était habitué à décrypter les nuances entre authenticité et artifice chez une personne. Un jeu d'enfant. Il se trouvait toutefois face à un défi inhabituel avec ce jeune Park.

Jungkook arqua légèrement les sourcils, plongé dans une pénible réflexion.

Il était parfaitement conscient que Jimin avait toujours été doué pour la ruse, un enfant adorable incarnant l'innocence et la malice avec habileté.

Et le voilà incarnant... la tromperie ?

Ou la protection ?

Suhoja...

Devrait-il se méfier de ce Park ? Après tout, bien que les Park et les Jeon n'étaient guère des ennemis, la vie avait conduit Jimin et Jungkook sur des chemins différents, les éloignant l'un de l'autre. Peu importaient les moments partagés par le passé dans leur innocence pure, à présent, ils étaient deux hommes poursuivant chacun un dessein.

Et les gens changeaient, en quinze ans.

« Es-tu pris dans un engrenage avec ton clan au point de ne plus pouvoir t'en défaire ? », interrogea-t-il, sceptique et confus.

Surpris, Jimin le fixa un court instant avant d'émettre un petit rire sans joie.

« C'est beaucoup plus complexe que tout ce à quoi tu peux penser, répondit-il évasivement, fuyant son regard. C'est tout ce que je peux te dire. »

Cette réponse ne laissait rien présager. Jungkook inspira profondément. Qu'il soit l'ami ou l'ennemi de Kim, ce Park était destiné à connaître la chute. C'était inéluctable. Malgré ses mises en garde, il persistait, comme s'il possédait une connaissance instinctive de ces actes.

« Je sais que tu agis sur des ordres, mais ne serait-il pas judicieux de me tenir informé ? proposa Jungkook, anticipant le refus qui allait suivre.

— Ça ne s'arrête pas à moi, répondit-il d'un ton désolé.

— Es-tu un espion pour le compte des Park ? À moins que tu agisses contre ton clan ?

— Qui sait ? », rétorqua-t-il, l'expression neutre.

Si neutre que Jungkook comprit qu'il avait peut-être effleuré une vérité.

« Es-tu conscient que j'ai une manière moins conventionnelle de te soutirer ces informations ? »

Jimin sourit discrètement à l'entente de la voix plus détendue de Jungkook, confirmant ainsi ses doutes quant à la sincérité de sa menace.

« Quoi, la torture jusqu'aux aveux ? marmonna Jimin d'une œillade entendue.

— Précisément.

— Je suis pas un criminel, marmonna Jimin, l'expression lasse, mais pas moins adoucie par un léger relâchement.

— Ça reste à prouver, je le crains. »

Voilà que, malgré leur discussion lourde de sens et de tension, une sorte de consensus s'est doucement esquissée entre eux, ponctuée par le faible sourire de Jimin, auquel Jungkook répondit par un discret rictus en coin.

Jimin avait conscience qu'il ne représentait aucune menace et secrètement, il lui était reconnaissant d'avoir pris la peine de débattre suffisamment pour le mettre en garde. Cependant, les choses devaient se passer strictement comme on lui avait décrété.

Et ce soir...

Jimin fut soudainement pris dans un tourbillon de remords et d'angoisse.

Je vais vraiment laisser ça arriver... ?

« Il m'incombe de t'avertir une dernière fois », dit-il avant de se pencher contre son oreille.

Jimin hocha mollement la tête, les yeux ternis par des pensées semblant le hanter.

« Un Kim abrite un démon latent. Seokjin avait été comme un frère. À présent, je ne nourris envers lui rien d'autre que la haine, à tel point que je souhaite l'effacer. »

Il se redressa avec assurance, braquant ses yeux intransigeants dans ceux mornes de Jimin, bien qu'il blêmît à vue d'œil malgré les couleurs chatoyantes de la soirée. En cet instant, Jungkook sut qu'il l'avait convaincu.

« Alors qu'en est-il de deux amis d'enfance issus de clans ennemis ? Si Jaewon t'a accepté dans sa famille, ton oncle, lui, te conduit à ta chute avec cette famille. »

En Jimin sonna le glas funèbre des cloches. Sinistre présage. Son visage se crispa. Il secoua vivement la tête.

« Arrête. Ne nous compare pas.

— N'oublie pas, Jimin, prononça-t-il d'une voix plus chaleureuse, surprenant le plus jeune. Une mauvaise herbe reste une mauvaise herbe, même si elle est dissimulée sous le plus beau des jardins. Ils ont semé nombre de souffrances. Et il est temps que ça cesse. Définitivement », conclut-il avec un regard appuyé, avant de tourner les talons et s'en aller une bonne fois pour toutes.

S'il savait à quel point Jimin désirait la même chose.

Que tout cesse définitivement.

« On n'a qu'à continuer de le préserver comme elle l'a fait ! », cria Jimin, dans l'espoir de se faire entendre.

Cette phrase résonna en Jungkook comme un éclat de tonnerre. Dans un tourbillon de colère, il fit volte-face, retrouvant son chemin vers Jimin, dont l'indifférence ne vacilla pas lorsque Jungkook saisit fermement son col d'une poigne ferme.

Loin de là.

« On ? répéta Jungkook d'un ton ulcéré à la tessiture caverneuse, son nez frôlant celui de Jimin. Pourquoi dis-tu on ? », ajouta-t-il en le secouant brièvement et fermement.

Cette fois, Jimin sentit son âme trembler tant la fureur de Jungkook s'y répercutait.

Jimin ouvrit la bouche sur un silence, les yeux chargés d'une clairvoyance qui pétrifia Jungkook.

Parce que je sais pourquoi tu es là, ce soir...

Le blond le relâcha aussitôt, comme s'il se dérobait d'une flamme effleurée.

« Comme si j'en avais quelque chose à faire de son sort », gronda Jungkook tout en reculant vivement, avant de pivoter et s'en aller à grandes enjambées furieuses.

...Et que je ne peux rien faire pour empêcher ce qui est sur le point de se produire.

Le cœur lourd et l'âme imprégnée d'affliction, Jimin suivit son avancée, l'observant pousser sans ménagement les corps qui lui barraient le chemin, indifférent à leurs protestations.

Puis, d'un regard affligé, il ouvrit sa poigne, dévoilant le collier ambré de Taehyung.


On a fait de moi un pantin sur un échiquier où des pions étaient déjà positionnés.

Il est trop tard pour un retour en arrière.




𝐴̀ 𝑠𝑢𝑖𝑣𝑟𝑒...


Relu par  

Alors, ce chap ? Des idées de piste ? 👀

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