Quatre heures que leur voyage venait de commencer et déjà Baï se plaignait du manque d'action. Il s'ennuyait ferme sur le bateau, la rivière coulait beaucoup trop tranquillement et il avait une grande envie de se battre. Jia se trouvait au niveau de la barre, elle scrutait la carte et notait de temps en temps quelques repaires dessus pour pouvoir retrouver plus facilement le chemin du retour au moment de rentrer. Pendant ce temps-là, Huan se trouvait assis près de la proue et pêchait quelques poissons histoire de s'occuper, tandis que Mei-Lee s'occupait en observant l'eau défiler sous la coque du bateau.
-Jiji je m'ennuie à mort, se plaignit Baï, on ne pourrait pas s'arrêter dans l'un de ces petits villages au bord de la rivière, attaquer un ou deux petits vieux, cambrioler deux ou trois maisons, histoire de se défouler un peu ?
La fille de Shen fronça les sourcils et levit les yeux de la carte, affublant le fils de Tai Lung d'un regard assassin :
-Pour la centième fois arrête de m'appeler Jiji et ensuite, non nous n'avons pas le temps ! J'aimerai bien arriver à la Vallée de la Paix avant la nuit si cela ne te dérange pas !
Baï soupira de désespoir et s'en alla donc voir Huan, il s'assit à côté de lui et lui demanda :
-Ça mord ?
-Un peu, répondit le fils de Kai, j'ai déjà pêché quatre petits poissons depuis ce matin. Tu viens de te faire enguirlander par Jia d'après ce que j'ai entendu ?
-Ouais, elle a pas d'humour en ce moment, elle est pas drôle.
En y réfléchissant, c'était à peu près normal, Jia se souciait surtout de rendre son père fier d'elle en accomplissant à la perfection la tâche qu'il lui avait confié. Baï, Huan et Mei ne pouvaient donc pas vraiment comprendre ce qu'elle pouvait vivre puisque leur parents Tai Lung, Kai et La Caméléonne n'étaient plus de ce monde, seul Shen avait survécu face au méchant panda qui les avait battus tous les trois...
Un pont naturel, fait de branches et de pierres recouvertes de mousses se dressa soudainement au-dessus de la rivière, Jia prit donc la carte de son père en main et la scruta du regard avec minutie. Cet étrange pont était bel et bien représenté sur le passage qu'ils devaient emprunter, signe qu'ils étaient sur la bonne voie. Après ça, la Vallée de la Paix ne se trouverait qu'à quelques heures de navigation de là.
-On est sur la bonne route les amis ! Cria-t-elle à ses trois amis. On approche, encore quatre ou cinq heures de route je dirais.
-Yes ! Se réjouit Huan. Tant mieux parce que je commence à avoir faim !
-Tu as tout le temps faim Huan, lui dit Baï, c'est pour ça que tu es aussi gros. Ha ! Ha ! Ha !
A sa moquerie, le jeune yak donna un coup de poing en plein dans l'épaule du jeune léopard des neiges et le fit passer par-dessus bord, tête la première dans l'eau de la rivière.
-T'es malade ?! Hurla Baï en remontant à la surface à grand peine. JE SAIS PAS NAGER JE TE RAPPELLE !!!!
-Retiens ça Baï, j'suis peut-être gros mais moi au moins je sais nager contrairement à certains ! Se moqua Huan.
-AIDE-MOI A REMONTER ANDOUILLE ! Vociféra le léopard.
Mais au lieu de ça, Huan se tapa sa meilleure crise de fou rire, comme si le fait que son ami puisse se noyer lui était complétement égal. Jia attirée par les cris de Baï et les éclats de rire de Huan, décida d'intervenir.
-Rââââ les garçons, marmonna-t-elle. Mei, prend la barre deux secondes, s'il te plait !
Elle laissa son amie caméléonne prendre la barre du bateau en main, à sa place et se précipita vers la balustrade. Elle saisit une échelle de corde qu'elle balança par-dessus bord et dit à Baï de remonter, ce que fit le jeune léopard sans demander son reste.
Dès l'instant ou il fut remonté à bord, les vêtements et la fourrure dégoulinants d'eau, Jia donna une tape derrière la tête des deux garçons et leur dit sur un ton sec :
-Bande de crétins ! Faudra penser à grandir quand vous aurez le temps !
-Oh ça va, si on peut plus rigoler...
-Pas quand on a une mission à accomplir, nous ne sommes pas en vacances au cas où vous l'auriez oublié !
Baï et Huan attendirent que Jia ait le dos tourné pour lui répondre par une grimace très comique, il l'a trouvé vraiment agaçante parfois. La jeune fille de son côté, retourna à son poste et remercia Mei-Lee, avant de reprendre les commandes du bateau, soupirant de lassitude face à l'attitude enfantine de deux de ses compères de voyage, elle ressentait exactement ce que son père ressentait à l'époque vis-à-vis de certains de ses loups qui étaient incapable d'accomplir une tâche donnée, sans faire n'importe quoi.
Un vieux souvenir d'enfance revint en mémoire de Jia, un souvenir qu'elle avait passé avec son cher père adoré...
C'était encore à l'époque où elle vivait dans l'enceinte de l'usine de son père, celle à flanc de montagne situé à quelques kilomètres de Gongmen ou Shen avait vécu un long moment durant son exil, afin d'y construire son premier prototype de canon (ce même canon qu'il a ensuite emmené à Gongmen pour tuer Maitre Rhino Foudroyant au début de Kung Fu Panda 2).
Jia n'avait que sept ans à cet époque-là et elle déambulait sans but précis à l'intérieur de l'appartement qui se trouvait au-dessus de l'usine de fabrication des canons de son père. Trainant son ours en peluche derrière elle, elle se demandait intérieurement ce qu'elle pourrait faire pour s'occuper un peu.
Shen se trouvait à l'étage d'en dessous, en train de donner des ordres à ses loups quant à la façon dont ils devaient façonner le canon qu'il avait imaginé et il avait interdit formellement à sa fille de descendre le rejoindre, il ne voulait pas qu'elle traine près des machines qui faisaient fondre le métal et celles qui soudaient le tout, il avait peur qu'elle se blesse ou même pire.
Jia passa devant le laboratoire de son père, une pièce ou Shen confectionnait ses poudres de feux d'artifices, qu'il comptait utiliser plus tard pour alimenter ses canons. Bien qu'elle avait aussi l'interdiction de mettre les pieds dans cette pièce, la curiosité prit le dessus et elle franchit le seuil de la porte. A l'intérieur, elle découvrit une grande table en bois avec divers ustensiles dont elle ignorait le nom et l'utilité, des parchemins entassaient sur un coin d'une table avec des calculs de mesures et de dosage inscrits dessus de la main de Shen, une grande cheminée dont un feu bien chaud brûlait encore dans l'âtre et des centaines de tonneau contenant chacun de la poudre à feux d'artifices, occupaient une grande majorité de la pièce.
La petite fille s'en approcha pour regarder les différentes poudres de plus près, mais elle était beaucoup trop petite malheureusement. Réfléchissant à un moyen de gagner de la hauteur, Jia balada son regard dans toute la pièce et posa ses jolies petits yeux bleu ciel sur un tabouret qui était posé devant l'immense table aux ustensiles bizard.
Parfait, se dit-elle.
Elle lâcha son ours en peluche et poussa le tabouret vers les tonneaux de toutes ses forces, avant de grimper dessus. Une multitude de poudres colorés s'offrit à ses yeux pour son plus grand plaisir. Il y en avait de toutes les couleurs de l'arc-en-ciel : rouge, bleu, vert, jaune, violet, orange, rose... et tant d'autres, elle plongea sa petite main dans de la poudre verte et descendit du tabouret pour la jeter dans le feu de la cheminée, elle avait déjà vu faire son père plusieurs fois et savait qu'une belle surprise l'attendait après ça.
La poudre verte explosa de milles étincelles sous ses yeux, c'était tellement beau à regarder. Quelle bonne idée ses grands parents paternels avaient eu d'inventer les feux d'artifices, c'était de l'art et du génie à l'état pure... L'envie de balancer dans le feu une autre poudre d'une autre couleur l'a saisi en plein cœur, Jia se dirigea vers le tabouret et voulut prendre cette fois-ci une poudre rose, mais une voix familière et sévère dans son dos l'a stoppa net dans son élan :
-Je croyais t'avoir interdit de mettre les pieds ici, jeune fille !
Jia sursauta, elle se retourna et aperçut son père appuyé contre la porte de son laboratoire, les bras croisés sur son torse et affublant sa fille d'un regard plus que sévère.
-C'est terrible que tu ne sais pas m'obéir ! Ajouta-t-il en s'avançant vers Jia.
Shen prit sa fille dans ses bras pour l'éloigner de ses tonneaux de poudres, toujours en la regardant avec sévérité.
-Je voulais juste regarder, dit la petite Jia sur un ton suppliant.
-Oui mais c'est dangereux, lui expliqua le méchant paon albinos, il y a plein d'objets qui coupent ici tu pourrais te blesser, tu comprends ?
-Je suis désolée.
Jia regarda son père avec des yeux de chien battue, et Shen tout attendrie finit par s'adoucir devant sa mine un peu triste, il se mit à sourire et berça doucement sa fille contre son cœur.
-Demande-moi la permission la prochaine fois, ajouta-t-il, je viendrais avec toi, d'accord ?
La petite répondit oui d'un simple hochement de tête, mais elle ne parvint pas à détourner le regard des différentes poudres colorés qui la fascinaient tant.
-C'est pour faire quoi ? Demanda-t-elle à son père en pointant les poudres du bout du doigt.
Shen sourit face à sa question, gardant toujours Jia dans ses bras, il s'avança vers les tonneaux et plongea son autre main dans de la poudre rouge.
-C'est la touche finale de mes canons, c'est avec ça que je vais reprendre ce que tes idiots de grands-parents m'ont volés il y a des années : le trône de la ville de Gongmen.
-Ils sont méchants ? Demanda Jia de sa petite voix d'enfant.
Shen avait refusé très tôt de présenter sa fille à ses parents qu'il haïssait tant, bien que sa mère lui en avait fait la demande il y a quelques temps à travers une lettre qu'elle avait envoyé à son fils unique, qu'elle continuait d'aimer malgré ses actes et son bannissement de Gongmen. Le paon albinos n'y avait pas répondu, il s'était simplement contenté de la jeter au feu après l'avoir lu, se jurant intérieurement que jamais Jia ne ferait la connaissance de ses grands-parents.
-Ce sont des monstres, répondit Shen, ils ne m'aimaient pas, ils m'ont pris tout ce que je possédais et m'ont chassé sans aucunes raisons, je l'ai déteste !
La petite fille, du haut de ses sept ans, perçut une blessure profonde au cœur de son cher papa, il avait les larmes aux yeux à la suite de son explication. Alors, elle passa ses deux petits bras autour de son cou et le serra aussi fort qu'elle le put, dans l'espoir de pouvoir le consoler.
-Moi je vous aime, dit-elle avec douceur.
Son geste et sa parole d'amour réchauffèrent en un instant le cœur de Shen, il sécha ses larmes et serra à son tour sa précieuse fille contre lui. Jia était la seule personne qui lui redonnait le sourire, la seule qui parvenait à le consoler – lui qui souffrait principalement d'une grosse peine de cœur et d'injustice - et la seule qui ne l'avait pas abandonné du jour au lendemain, sans aucunes raisons, comme beaucoup l'avaient fait par le passé.
-Tu veux voir ce que je peux faire de cool avec cette poudre ? Demanda-t-il soudain pour changer de sujet.
-Oh oui ! Se réjouit Jia en tapant dans ses mains.
Shen posa sa fille à terre et prit trois poudres différentes dans ses mains, qu'il jeta dans le feu. Une explosion de couleur spectaculaire illumina la pièce, comme des centaines de paillettes qu'on avait jeté dans l'air, le tout scintillaient dans les yeux de Jia qui aimait tant voir son père l'amuser ainsi. Ce mélange de couleur ressemblait tellement à de la magie pour la petite fille.
-Oh oui, encore ! Encore ! Encore ! S'écria-t-elle.
Shen se mit à rire devant l'émerveillement de sa fille et prit de nouveau de la poudre, cette fois-ci violette, orange, bleu et blanche et les jeta dans le feu pour le plus grand bonheur de Jia qui applaudissait dans ses mains ce magnifique spectacle, dont seul son père semblait en être le maitre.
Le chef des loups pénétra soudain dans la pièce :
-Seigneur Shen, je... oh pardon, est-ce que je vous dérange ?
-Qu'est-ce que tu veux ? Lui demanda le paon albinos en levant les yeux au ciel de lassitude.
-Euh... on... on a un souci avec votre canon en bas, on aurait besoin de votre avis.
Shen soupira une nouvelle fois de lassitude et répondit au chef des loups :
-J'arrive, surveille ma fille en attendant.
Il déposa Jia dans les bras du loup, avant de prendre la direction de l'escalier qui menait à l'étage inférieur.
-Euh... quoi ? Attendez mon seigneur, je... je n'y connais rien moi aux enfants, je ne suis pas baby-sitter...
-Et bien maintenant tu l'es, répondit Shen, aussi veille bien sur elle pendant que je vais voir ce qu'il y a en bas, si par malheur quand je remonte il lui ai arrivé quelque chose par ta faute, tu vas m'entendre. Suis-je bien clair ?
La peur se lut très clairement dans l'œil restant du chef des loups, puisqu'il avait perdu l'autre, craignant beaucoup trop la colère fulgurante de son chef si jamais il arrivait quelque chose à Jia.
-Ou... oui mon seigneur, je... j'ai très bien compris.
Ravi de cette réponse, Shen s'en alla donc, les longues plumes de sa queue caressant les marches de l'escaliers à chacun de ses pas. Jia adressa au loup un très large sourire, limite moqueuse puisqu'elle savait très bien que ce dernier n'avait pas l'air très à l'aise avec les enfants.
-Tu es sage toi, d'accord ? Dit le chef des loups presque sur un ton suppliant. Je t'en prie, je n'ai pas envie d'avoir des ennuis avec ton père.
Jia répondit simplement oui d'un nouveau signe de tête, se demandant intérieurement à quoi elle pourrait bien jouer avec son nouvel ami...
Tenant toujours la barre du bateau, Jia ne put retenir un petit rire en se rappelant avoir tourné le chef des loups en bourrique pendant tout le temps ou son père s'était absenté. Qu'elle chipie elle pouvait être parfois.
A la fin de la journée, les contours de la Vallée de la Paix se dessinèrent enfin et au loin à l'horizon, perché en haut d'une montagne, le Palais de Jade brillait avec la lumière du soleil couchant. Ça y est, ils étaient enfin arrivé...