— Que se passe t-il ? me demande Catia en s'approchant de moi.
Je suis accoudé au bar depuis de longues minutes dans l'espoir de trouver un éclaircissement au comportement plus qu'étrange de ma voisine du dessus. Nous dansions, je dirais mieux, nous passions un agréable moment dans les bras l'un de l'autre, et puis, elle décide tout naturellement de faire exploser notre petite bulle sans me donner d'explication.
Qu'est-ce qui ne tourne pas rond chez elle ?
Elle m'invite à danser pour me laisser ensuite en plein milieu de la piste tout seul. Il faut qu'elle se fasse soigner !
A moins qu'il s'agisse d'une vengeance... Ce dernier mot résonne dans ma tête comme un boulet de canon. Je suis au bord de l'implosion, c'est pour cela que je préfère mentir à mon amie.
— Rien !
Impossible de prononcer ce n'est-ce que le nom de mon insupportable voisine, alors parler d'elle encore moins.
C'est dans ses moments là, que j'ai besoin de mon sac de frappes afin d'évacuer toute la rage, la colère et l'incompréhension qui règnent en moi.
Et de plus, je n'ai pas envie de discuter de Luisa avec Catia. Je suis persuadé qu'elle va s'empresser, comme tout le monde avant elle, de prendre son parti.
Je ne sais pas pourquoi mais j'ai la sensation que toutes les filles se soutiennent entre elles en permanence. Ma mère, Carla, Claudia et même celles que je baise et à qui je me confie sur l'oreiller prennent toutes, sa défense. On croirait, si je n'avais pas toute ma tête, un véritable complot envers ma personne, afin de me rendre complètement fou.
— A d'autres, tu veux ! Elle te plaît cette fille ?
Qu'est-ce que je vous disais ?
Y a t-il une personne dans cette ville à être de mon côté ? Non ! Aucune ! Même la meilleure amie de ma sœur me tourne le dos. C'est infligeant !
Je sais ce que je ressens pour la belle et douloureuse demoiselle, pas besoin de me le rappeler sans cesse. Pourtant, contre toute attente, je prends la décision d'être honnête avec elle.
— Il y a de quoi.
— Alors pourquoi cette tête ?
Ma tête de tous les jours, j'aimerais lui répondre. Cependant, ma bouche débite sans que je puisse l'arrêter :
— Ce n'est pas réciproque. En faite, je ne sais pas ce qu'elle veut. A des moments, je pense qu'elle est folle de moi, et par d'autres, j'ai l'impression qu'elle me déteste, ou pire, elle est indifférente.
Catia sourit à mon mal-être avant de m'avouer :
— Tu devrais être un peu plus prévenant, si tu veux mon avis. Tu es du genre trop dur, tu ne dévoiles jamais ce que tu ressens. Confie-toi à elle, si tu veux avoir une chance.
— Je ne suis pas prêt pour ça ! affirmé-je.
Comment le pourrais-je ? Si Luisa est perturbée, moi en revanche, je suis totalement fou. Elle me paralyse et me trouble bien plus que celles que j'ai aimées avant elle.
Pour ma santé mentale, je devrais oublier qu'elle existe, mais je ne sais pas pourquoi, j'en suis totalement incapable. Elle régit chaque partie de mon anatomie. C'est impressionnant le pouvoir qu'elle a sur mon corps, sur moi.
— Tu aimes encore Livia ?
— Non ! Non !... Je me demande si je l'ai réellement aimé un jour ?
— Où est le problème alors ?
Le problème ? Il est juste devant toi, j'ai envie de lui répondre. Mais la réalité est que je n'ai toujours pas récupéré mes facultés d'autrefois. Ma force me manque, je n'en ai pas suffisamment pour combattre. Et Dieu sait à quel point, j'en ai besoin pour rivaliser avec Manu.
Non ! C'est peine perdue pour le moment.
— Je ne suis pas assez bien pour elle, lui débité-je certain de mes propos.
Mais sa réaction me dépasse. Elle rigole.
Qu'est-ce qui lui prend ?
Je suis sérieux !
— Toi ? Pas assez bien ? me sermonne t-elle en me pointant du doigt toujours aussi euphorique. Alors personne ne le sera. Tu es l'homme idéal. Seule, Livia n'a pas su voir ton potentiel. Tu es un grincheux petit ange tombé du ciel.
Pour elle, je suis le bon samaritain des temps modernes qui lui est venu en aide. Elle n'est pas entièrement équitable.
— Je ne lui apporterais rien de bon, tant que je n'aurais...
— ... pas surmonté la mort de ta sœur, finit-elle ma phrase.
Catia me connaît. Nous ressentons la même douleur au plus profond de nous. Cependant, elle arrive mieux que moi à faire sans elle. La souffrance, elle vit avec depuis plusieurs années maintenant. Elle sait comment la gérer, à l'inverse de moi.
— Exactement.
Elle me fixe de façon à me dire que j'ai tout faux, avant de poursuivre sur un ton de reproches :
— Pour commencer, je ne connais personne de plus altruiste que toi. Tu es l'homme le plus généreux que je côtoie. Tu n'as pas hésité à me soutenir pour financer la cure de ma mère. Tu as toujours été là pour moi, pour ta sœur, pour tes parents et même pour Manu. Et je passe tes autres amis à qui tu as tendu la main. Sous tes airs de je-m'en-foutisme, tu es quelqu'un de généreux, Fabio Monteiro.
— Tu te trompes ! Je n'ai pas été présent pour Joana.
— Fabio ! me réprimande t-elle de plus belle. Je sais que tu te sens responsable, nous le sommes tous un peu. Mais, en quoi, gâcher ta vie te fera te sentir mieux ? Tu mérites plus que n'importe qui sur cette terre d'être heureux, crois moi ? Joana n'aurait pas voulu ça. Elle t'aurait botté les fesses si elle te voyait ainsi, toi qui rêvais d'aventures et de nouveautés.
Il fut un temps, c'est vrai, où mon unique désire était de vivre pleinement les choses sans me soucier de demain. Je m'amusais au quotidien, je créais, je pâtissais, je partais en week-end, j'aimais découvrir le monde, mon pays, de délicieuses recettes, des endroits à couper le souffle. Puis, du jour au lendemain, vous êtes frappé d'une fatigue aigue que rien ne répare.
— Je n'y parviens plus.
Je me retiens au comptoir tellement les mots sont réels.
— Cette fille peut peut-être t'aider à retrouver ton goût pour la vie, si tu la laisses entrer dans ton existence, tente Catia de me réconforter avec sa gentillesse légendaire. J'ai bien vu comme elle te regardait. Et toi, tu n'y es pas indifférent, je dirais même, que c'est celle qu'il te faut. Il y a ce petit truc, quelque chose entre vous d'indéchiffrable. J'adorerais trouver ce genre d'alchimie.
— Luisa habite au troisième ! l'informé-je, la faisant revenir à la réalité.
Catia se décompose sur place à mon annonce. Elle aussi a beaucoup de mal sur le fait que d'autres personnes habitent dans ce lieu.
— Je comprends mieux le désarroi dans lequel tu es, finit-elle par m'avouer après de longues secondes de silence.
— Tu vois, pourquoi, il ne peut y avoir de Luisa et moi ?
— Fabio ? Non ! Je comprends que tu doutes, mais ce qu'il y a entre vous, ce que j'ai perçu, ce n'est pas commun, c'est beau, merveilleux, se lance t-elle dans un monologue. J'avais l'impression que vos corps parlaient pour vous dans ce sensuel ballet à deux. Il faut te battre pour elle. Sinon, tu vas le regretter. Ton plus grand problème est qu'elle vive dans l'appart de ta sœur ? Alors, fais la descendre d'un étage.
— Et comment je fais ça ? l'interromps-je.
Il y a des semaines qu'elle a débarqué, et plus nous nous disputons et plus elle s'acharne à vouloir rester. Elle est bien trop coriace pour un gars dans ma situation.
— En lui ouvrant ton cœur. Parle lui de ta douleur, de ce que tu ressens.
Impossible ! Je n'y arriverai pas. Je me connais, je flancherais. Plutôt mourir que de parler d'amour ou de ma sœur avec Luisa. Qui me dit qu'elle me comprendrait ? Et si elle se comporte comme tous les autres avant elle ? Je ne pourrais pas le supporter.
Elle a peut-être vécu des douleurs similaires aux miennes, mais ça ne fait pas d'elle ma moitié.
— Je ne sais pas... réponds-je à mon amie qui scrute ma réaction à ses dires.
— Catia, une autre s'il te plaît ! lui crie un client.
Un moyen pour moi de mettre fin à cette conversation qui n'a ni queue ni tête, car sincèrement je ne sais pas quoi penser de Luisa. Est-ce que nous avons un avenir ensemble ? J'aimerais pouvoir y croire, mais tout me dirige vers le contraire.
— Vas-y, je vais aller les rejoindre.
— Réfléchis, à ce que je viens de te dire ?
Je préfère plutôt essayer de gommer ce tourment pour l'instant, et tenter de passer une bonne soirée.
Etrangement, le calme est revenu.
Je lui promets tout de même de cogiter sur le sujet avant de partir retrouver notre table aux filles et à moi. Je fais quelques pas et je découvre, stupéfait, que d'autres personnes s'y sont installées. Où sont-elles passées ?
J'inspecte toute la pièce au peigne fin, et rien. Pas de Carla et encore moins de Luisa. Elles sont rentrées sans moi. Elles auraient pu me prévenir tout de même ?!
Je suis sur le point de sortir du bar quand Fredo et Francisco m'appellent à me joindre à eux. Je m'installe à leur table et y passe une petite heure en leur compagnie, avant de rentrer au bras d'une jolie espagnole, de passage en ville. Je dois effacer Luisa de mon esprit pour un temps. Sinon, je vais devenir complètement dingue !
Publié le vendredi 29 mars 2024
Vous êtes prêtes à poursuivre cette soirée avec le beau Fabio ?
Il faudra attendre demain.
Bonne journée à toutes !