Sain d'Esprit (Laura Woodward...

By LeodeGalGal

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Ceci est un tome 2, passez votre chemin si vous n'avez pas lu (et apprécié) Les Affaires des Autres ! La tra... More

Préambule
Récapitulatif des personnages (au besoin, sans spoilers pour le tome 2)
Un instant perdu
1. Train-train sanglant (1/2)
1. Train-train sanglant (2/2)
2. De la promiscuité
3. Un os dans le gratin
4. Visite macabre à Butterfly
5. Sans nostalgie, vraiment
6. Relance
7. Au taquet
8. Entre détectives
9. Inspection délicate
10. Apparition
11. Bienveillance brune
12. Garder le cap (1/2)
12. Garder le cap (2/2)
13. Interférences
14. Mauvais esprit
15. La compagnie des vivants
16. SOS fantômes
17. Retour à la fac
18. Assaisonnement (1/2)
18. Assaisonnement (2/2)
19. Indésirable
20. Les autres
21. L'expert (1/2)
21. L'expert (2/2)
22. Le chacal
23. Les voies du dépit
24. Enquête et trahisons (1/2)
24. Enquête et trahisons (2/2)
25. Compromis
26. Contre-attaque (1/2)
26. Contre-attaque (2/2)
27. Un autre spécialiste
28. Échos de Dunnes
29. RedWeasel007
30. Triste fin
31. Apprentie sorcière (1/2)
31. Apprentie sorcière (2/2)
33. Le coût du silence
34. Catharsis
35. Thérapie
36. Orage
37. Chaleur humaine
38. Incendie
39. Persév-errance
40. Qui sème le vent
41. Prise en charge
42. Réminiscences hivernales
43. Encore debout
44. Personne n'est parfait
Postface
L'eau qui dort (chapitre Poisson d'Avril)

32. Introduction posthume

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By LeodeGalGal

De retour à Murmay, entre deux rapports à finaliser, Laura corrigea ses copies d'examen. Aucune nouvelle de Fernbridge, aucun incident, pas de mort. La morgue était tranquille, Don voyageait d'un hôpital à l'autre pour vérifier les coups de chaleur suspects, Greg autopsiait en salle 3, David rattrapait la paperasserie qui s'était empilée sur son bureau pendant ses vacances.

Quand il glissa la tête par l'embrasure de la porte pour demander à Laura de passer le voir, elle n'en pensa rien de particulier. C'est seulement en prenant place en face de lui qu'elle nota sa mine embarrassée.

David était un homme efficace et énergique, un ancien de la discipline sans les défauts associés, curieux, impliqué, affable, mais le leadership n'était pas son point fort. Don lui servait de porte-parole en cas de dossier à défendre ou de conflit avec l'échelon supérieur. Yvan, qui dirigeait les techniciens criminalistes, était autrement plus dur, lui faire contrepoids demandait une certaine carrure. Aussi Laura savait-elle que le malaise de son supérieur cachait un sujet fâcheux, qu'il n'avait aucune envie d'aborder.

Elle décida de lui rendre service.

— Qu'est-ce que j'ai fait ?

Il grimaça mais ne chercha pas à se dérober.

— Voilà.

Il s'éclaircit la gorge.

— Tu sais que depuis l'affaire Carter... On nous a mis pas mal de contrôles, au niveau du secret médical. Ils sont effectués à l'échelle nationale, par un service d'éthique. Bref. On m'a rapporté que tu avais accédé plusieurs fois, ces derniers jours, à des dossiers que tu n'as pas supervisés.

Laura sentit l'adrénaline la saisir. Dans son empressement, avec la fatigue, elle avait dû omettre à l'une ou l'autre occasion de se servir du logiciel espion.

— Alors je sais que tu as sûrement de bonnes raisons de l'avoir fait, que l'inspectrice Melville a décidé que tu serais sa légiste de référence pour Fernbridge, mais il y a des procédures. Et ces procédures, il faut vraiment les respecter. Crois-moi, Laura, je sais que nous sommes tous assommés par ces charges administratives, une signature ici, une autorisation par-là, mais il suffit de remplir les champs associés, quand tu ouvres un dossier qui ne t'appartient pas. Le menu déroulant a été révisé. Tu peux cliquer « enquête en cours » et renseigner l'auteur de la demande, l'inspectrice Melville, par exemple. Et si jamais tu accèdes à des cas pour l'écriture d'un article, comme je suppose que c'est le cas pour ce... suicidé, Byatt, tu dois absolument passer par la base de données anonymisée.

La gêne suintait dans chacun de ses mots, il ne parvenait même pas à la regarder.

— Je suis désolée. Ces précautions... elles n'existaient pas quand je suis partie et... je peux justifier, oui, chacun de ces accès.

Il soupira.

— Laura, je te connais, je ne doute pas de toi, mais ces gens, là-haut, ils s'en fichent. Ce sont des agents administratifs, des bureaucrates, à qui on demande de sanctionner l'usage abusif des bases de données, et tout ça est complètement automatisé. Je ne pourrai rien faire s'ils décident d'ouvrir une procédure disciplinaire à ton encontre. J'ai promis que tu renverrais une note de justification pour chacun des accès d'ici le week-end. Et j'ai promis que ça ne se reproduirait plus.

Il leva brièvement les yeux, croisa son regard, retourna à ses papiers, nerveux. Il était plus embarrassé qu'elle, dont le coeur battait la chamade et les tempes brûlaient.

— Je serai vigilante. Je suis désolée. J'ai gardé des mauvaises habitudes.

— Pas de soucis, Laura, vraiment. Ça nous arrive à tous.

Il se redressa, s'éclaircit la gorge. Le silence s'éternisa, Laura se demanda si elle devait se lever et sortir.

— Mais je voulais aussi te parler de mon départ prochain à la pension, et de Ryan.

Son ton s'était métamorphosé, son sourire retrouva un naturel réconfortant. S'ensuivit une conversation beaucoup plus apaisée sur les perspectives de l'assistant d'obtenir un poste définitif à Murmay. Soulagée par le changement de sujet, Laura vanta les qualités du jeune homme, puis regagna son bureau rassérénée.

Il ne lui restait plus qu'à justifier ses errements.


Alors qu'elle terminait d'encoder une nouvelle excuse approximative, le téléphone sonna et le crépitement du standard l'avertit qu'elle avait un appel de l'extérieur. Elle sentit l'adrénaline la saisir en moins d'une milliseconde, puis retomber. Helen Melville l'aurait appelée directement sur son portable.

— Communication externe, annonça Giulia de sa voix blasée. Johann Monroe.

Laura en resta muette de stupeur tandis qu'un bref signal l'avertissait du changement d'interlocutrice.

— Allo ? osa-t-elle, mal assurée.

— Docteur Woodward ?

— Elle-même.

— Bonjour, je suis Johann Monroe. Je suis journaliste au Temps de Murmay.

— Bonjour, je vois bien qui vous êtes, répondit simplement Laura, sur ses gardes.

Johann Monroe était une sommité dans le pays, une enquêtrice hors pair, qui avait écrit certains des articles les plus célèbres de la profession. Elle avait gagné quatre fois le prix Selden, qui récompensait les meilleurs journalistes d'investigation, été décorée par le premier ministre et survécu à plus d'une tentative de meurtre. Quand elle s'intéressait à un sujet, elle en tirait toujours le plus stupéfiant. Laura n'était pas certaine d'être très heureuse de l'avoir au téléphone, vu la mouise dans laquelle elle s'était fourrée.

— Mais en fait, je vous appelle à titre privé, reprit la journaliste. Comme vous le savez peut-être, je suis la mère de Jonathan Slavek.

Laura entendit la fêlure dans sa voix et devina son émotion. Jonathan n'avait jamais beaucoup parlé d'elle mais toujours avec chaleur.

— Je... Je suis au courant, oui, murmura-t-elle, sans savoir quoi ajouter.

— J'aurais voulu vous voir, si vous êtes disponible et d'accord, bien sûr, poursuivit sa correspondante. Jonathan a laissé des choses... certaines de ses affaires... qu'il aurait voulu que vous ayez. Ce serait plus simple si nous pouvions en discuter... autour d'un café peut-être ?

C'était tellement inattendu que Laura resta involontairement muette.

— Vous êtes toujours là, docteur ?

— Heu... Oui. Oui, d'accord, heu... Désolée, vous me prenez... au dépourvu... mais volontiers, bien sûr.

Son interlocutrice lâcha un léger rire.

— Très bien. Vous êtes libre en fin de journée ? Disons vers 17 heures ?

— Oui, c'est très bien.

Elle avait prévu d'assister à un séminaire en ligne donné par un thésard de Saffron, sur les interactions létales entre l'alcool et les amphétamines. Tant pis.

— Parfait. J'ai vu qu'il y avait un Café Soir près de la morgue, si ça vous convient.

Un endroit branché et bruyant, l'idéal pour se fondre dans la masse.

— C'est très bien. A tout à l'heure dans ce cas.

— A tout à l'heure.

Laura raccrocha et demeura figée un moment, contemplant le combiné du téléphone sans le voir. Elle avait à nouveau l'impression d'être hors du monde, dans une dimension parallèle, comme saoule ou épuisée. Jonathan lui avait... laissé des choses ? Comment était-ce possible ? Et pourquoi maintenant ?

— Laura ?

Elle releva les yeux et sourit à Greg, dont le tablier maculé semblait tout droit sorti de Massacre à la Tronçonneuse.

— Oui ?

— Ça va, tu as l'air...

— Oui, non, ça va.

Elle sourit et frissonna.

— Je peux t'aider ?

— Si tu as trois minutes, juste me donner ton avis.

— Bien sûr.

La vie continuait dans l'antichambre de la mort. Pourtant, la trame même de la réalité semblait avoir été secouée par une main immense, qui l'avait à tout jamais modifiée.


Le serveur guida Laura jusqu'au fond de la petite salle. Installée devant un ordinateur portable, Johann Monroe pianotait avec énergie, des feuilles de notes étalées sur la table, et Laura devina qu'elle était là depuis un moment. La jeune soixantaine, encore très belle, la journaliste leva les yeux tandis que la médecin légiste, indécise, posait son imperméable sur le dossier d'une chaise. Elles se serrèrent la main et Laura s'assit.

— Vous êtes intimidée, il ne faut pas.

D'ordinaire, ce n'était pas son genre, mais la situation l'induisait. Johann était vêtue pour la saison, d'un ensemble en lin gris clair, le maquillage léger, et elle replia sa machine, qu'elle poussa contre le mur. Laura se sentit hors de son élément, et capta le regard d'un voisin de table, qui lorgnait dans leur direction. Elle se retrouvait à nouveau associée à une petite célébrité, comme autrefois, quand elle s'installait avec le psychiatre dans un endroit similaire.

— Je vous remercie d'avoir accepté de me rencontrer. Je me doute que c'est inattendu.

Laura regrettait de ne pas avoir parlé avec le fantôme avant d'être face à sa mère, mais le spectre n'avait plus de téléphone portable.

Les cheveux noirs veinés d'argent, les yeux sombres et le nez retroussé, Johann ne ressemblait en rien à Jonathan, ce qui n'était pas une surprise, car ils n'étaient pas apparentés par le sang. La journaliste l'avait adopté alors qu'il avait une dizaine d'années, une histoire que Laura ne se serait jamais permise de creuser, mais qui figurait régulièrement dans les médias quand le psychiatre en faisait la Une. Chacun son enfance chaotique, y revenir n'apportait rien de bon.

Pendant longtemps, Johann Monroe avait eu un compagnon, un reporter de guerre primé, décédé deux ans plus tôt dans des circonstances compliquées, au Moyen Orient. Perdre Jonathan juste après n'avait pas dû être simple et Laura s'en voulut d'avoir songé, un moment, qu'elle était elle-même à plaindre.

— Comme je vous l'ai dit au téléphone, je suis en train de trier les affaires de Jonathan. Je sais qu'il est mort depuis plus de six mois, mais voilà... Il m'a fallu un certain temps pour trouver le courage. Je suppose que vous pouvez comprendre.

Laura acquiesça, le cœur au bord des lèvres, sans parvenir à articuler quoi que ce soit. La journaliste s'éclaircit la gorge.

— Bref, il a laissé un appartement que je suis seulement en train de vider. Il n'était pas très porté sur les choses matérielles, comme vous l'imaginez sans doute, c'était davantage un pied-à-terre qu'un foyer. Mais si je peux liquider ses vêtements, ses meubles et sa maigre batterie de cuisine sans arrière-pensée, il reste quand même pas mal de choses. Bon, Jonathan n'a pas fait de testament, je ne pense pas qu'il s'attendait à...

Elle prit une profonde inspiration, eut un sourire crispé, musela son émotion. Laura l'admira, la plaignit, et s'en sentit proche, aussi.

— Mais je sais qu'il y a certaines choses qu'il aurait aimé que vous ayez.

C'était une affirmation déstabilisante. Laura réalisa qu'elle n'avait en réalité jamais imaginé que Jonathan ait pu parler d'elle à sa mère. Evidemment, isolée comme elle l'était, elle ne s'était jamais posé la question. Aurait-elle parlé de Jonathan à Thomas, s'il avait toujours été vivant ? La vision qu'elle avait de son père restait polluée par les dernières années, l'alcool, la dépression, la folie.

— Des livres, surtout, de la philosophie et de la psychologie, ne vous inquiétez pas, vous n'êtes pas tenue de les lire.

— Oh... Heu... Est-ce que... une université n'en ferait pas meilleur usage ?

Johann hocha la tête. Le serveur reparut avec une tasse de café pour la dernière arrivée.

— Les neuf-dixièmes de sa bibliothèque sont déjà à Fernbridge, rassurez-vous. Mais il y a quelques volumes, plus spécifiques... Je sais que vous aviez des discussions parfois enflammées sur le bien, le mal...

Laura se sentit changer de couleur. Johann eut un sourire un peu mutin.

— Oui, il m'en parlait. Il avait à cœur de vous convaincre, je pense. Il pourrait toujours le faire, qui sait.

Elle ne croyait pas si bien dire.

— Je suis désolée, je n'avais pas réalisé que... qu'il...

— M'avait parlé de vous ?

Son regard se perdit dans le vide puis s'attarda dans la salle encombrée.

— Nous étions très proches, même si nous ne nous voyions pas très souvent... Il n'avait jamais le temps et je suis moi-même souvent en déplacement. Je pense que vous et moi... nous étions son seul cercle social, en dehors de ses collègues, à Butterfly.

Son sourire se teinta de tristesse.

— James et Susanne ont toujours essayé de le sortir, mais en vain... Il était proche de Julie, bien sûr, mais elle était comme lui, enchaînée à l'hôpital, aux patients... Alors, oui, il me parlait parfois de vous. Peut-être pour me donner un os à ronger, comme une preuve qu'il avait des fréquentations en dehors de l'hôpital... Mais il avait une affection sincère pour vous, je le sais.

— J'avais de l'affection pour lui aussi, murmura Laura, d'une voix qu'elle peina à maîtriser.

Et maintenant il me hante, songea-t-elle, sans le verbaliser.

Johann acquiesça.

— Jonathan, poursuivit-elle, il avait du mal à tisser des liens, vous voyez. Depuis longtemps. C'est le lot, parfois, des personnes qui ont eu une enfance chaotique... Une difficulté à faire confiance, à se dévoiler. Il avait foi dans les autres, dans leur capacité à changer, grandir, guérir, il avait besoin d'y croire, c'était le moteur de toute sa vie... mais lui-même... Il n'aurait pas pu aller plus loin d'en surface, je pense pour se protéger.

Laura demeura muette, consciente que ce que la journaliste racontait à propos du psychiatre aurait pu s'appliquer à elle. Elle se demanda si c'était la raison qui les avait fait se rapprocher, Jonathan et elle, et qui avait aussi fait qu'il n'y avait jamais eu rien d'autre entre eux que de courtes escapades sur la plage et des cafés furtifs. Une relation sans promesses, sans attentes et sans risques, sinon sur un plan purement intellectuel, détaché.

Johann soupira.

— Enfin, tout ça est révolu, désormais. Et les regrets ne mènent nulle part.

Laura expira lentement. Elle n'avait même pas réalisé qu'elle retenait sa respiration.

— Est-ce que vous jouez de la guitare ?

— De la guitare ?

De mieux en mieux.

— Je crains que non.

— Moi non plus. Je ne sais pas quoi faire de la sienne. Elle n'a rien de très particulier, mais je suppose qu'elle devrait avoir une certaine valeur sentimentale.

Elle fronça le nez.

— Je ne suis pas très sentimentale.

Moi non plus, songea Laura, mais elle n'osa pas le dire.

Jonathan jouait de la guitare ? Elle tombait des nues. Elle l'avait cru beaucoup plus... monastique que ça.

— Vous pourriez vous y mettre, remarqua Johann. Vous êtes sûrement très adroite de vos mains, vu votre métier. J'ai aussi une pile de partitions. Plutôt blues et folk.

Laura regarda ses doigts un peu par réflexe, comme s'ils allaient lui révéler un nouveau mystère.

— Et j'ai encore une question. Est-ce que vous aimez les chats ?


Laura rentra à Ververy le coffre plein. Sortie de sa voiture, elle déposa une première caisse en carton dans l'herbe, juste devant chez elle. Jonathan était assis sur les marches du perron, un livre à la main, les lunettes sur le bout du nez. Il paraissait très concentré et ne réagit pas à son approche.

Ce bouquin n'existe pas, songea Laura. Est-ce qu'il s'invente une histoire ? Est-ce juste une pose ? Ou bien un fragment de sa mémoire ?

Une seconde, elle la détesta viscéralement, cette créature qui la narguait, qui lui donnait à voir ce qu'elle n'avait jamais vu, à entendre ce qu'elle n'avait jamais entendu, à imaginer ce qu'elle n'aurait jamais dû imaginer. Mais à bien y réfléchir, Johann Monroe n'avait pas aidé, elle non plus.

Jonathan leva enfin les yeux, sourit puis observa la caisse.

— Tu as vu ma mère, déclara-t-il simplement, surpris.

Dans un frisson, la jeune femme poussa un petit soupir et ouvrit la caisse. Le chat, un siamois qui louchait un rien, en sortit la tête.

— Oui, répondit-elle.

Avait-il vu à travers le carton ? Percevait-il une énergie ? Ou savait-il simplement tout, se trouvait-il en permanence dans l'ombre de Laura, où qu'elle soit ?

Le chat poussa un miaulement abominable.

— Tu ne m'avais jamais dit que tu jouais de la guitare, remarqua-t-elle, l'air de rien.

— Il y a beaucoup de choses que je ne t'ai jamais dites, admit le fantôme.

— C'est bien ce qui me semble.

Reprenant la caisse, elle repoussa l'animal à l'intérieur puis se dirigea vers la porte. Jonathan s'écarta pour la laisser passer, mais ne disparut pas comme il avait l'habitude de le faire. Il entra derrière elle puis recula pour qu'elle puisse refermer la porte. Elle libéra ensuite le chat qui fila se cacher sous le fauteuil.

— Tu es fâchée ?

— Non. Perturbée.

Elle passa les mains sur son visage, contourna la table, lui fit face.

— Tu n'as jamais envie d'aller la voir elle, ta mère ?

— Je suis mort.

— Je sais. Je sais bien. Mais... tu viens bien me voir, moi.

— Tu m'as banni de Butterfly.

— Bien sûr. C'est ma punition pour avoir essayé de faire ce qu'il fallait.

En d'autres temps, il aurait disparu, mais il demeura planté là, sur le tapis gris du salon, les lèvres pincées.

— Laura...

— Merde, Jonathan. Merde ! J'en avais déjà plein le dos, des dieux et des démons et des anges, et maintenant je me tape un spectre dans mon salon ! Le spectre d'un ami qui joue de la guitare et qui parle de moi à sa mère, et qui me refile des bouquins incompréhensibles et son chat !

Un miaulement désespéré surgit de sous le fauteuil.

— Je ne suis pas ici de mon plein gré, répondit le fantôme, gardant son calme, pour une fois.

Laura secoua la tête et noya son visage entre ses paumes, coudes sur la table.

— Je sais. Tes mémoires.

— Elles me permettront de partir. C'est la seule solution. Je sais que c'est pénible. Pour toi comme pour moi.

Elle releva les yeux. Pendant une seconde, elle voulut s'excuser, puis elle se souvint que ce n'était pas Jonathan. Juste sa forme dans une matière répugnante et mortelle, qui avait tué plusieurs de ses patients. Jonathan l'aurait haï, ce monstre.

— Alors mettons-nous au travail, dit-elle froidement.

Elle n'osa pas le regarder. Même s'il n'était qu'une chose inhumaine, elle ne voulait pas contempler sa douleur.

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