Sain d'Esprit (Laura Woodward...

By LeodeGalGal

2.2K 372 4.6K

Ceci est un tome 2, passez votre chemin si vous n'avez pas lu (et apprécié) Les Affaires des Autres ! La tra... More

Préambule
Récapitulatif des personnages (au besoin, sans spoilers pour le tome 2)
Un instant perdu
1. Train-train sanglant (1/2)
1. Train-train sanglant (2/2)
2. De la promiscuité
3. Un os dans le gratin
4. Visite macabre à Butterfly
5. Sans nostalgie, vraiment
6. Relance
7. Au taquet
8. Entre détectives
9. Inspection délicate
10. Apparition
11. Bienveillance brune
12. Garder le cap (1/2)
12. Garder le cap (2/2)
13. Interférences
14. Mauvais esprit
15. La compagnie des vivants
16. SOS fantômes
17. Retour à la fac
18. Assaisonnement (1/2)
18. Assaisonnement (2/2)
19. Indésirable
20. Les autres
21. L'expert (1/2)
21. L'expert (2/2)
22. Le chacal
23. Les voies du dépit
24. Enquête et trahisons (1/2)
24. Enquête et trahisons (2/2)
25. Compromis
26. Contre-attaque (1/2)
26. Contre-attaque (2/2)
28. Échos de Dunnes
29. RedWeasel007
30. Triste fin
31. Apprentie sorcière (1/2)
31. Apprentie sorcière (2/2)
32. Introduction posthume
33. Le coût du silence
34. Catharsis
35. Thérapie
36. Orage
37. Chaleur humaine
38. Incendie
39. Persév-errance
40. Qui sème le vent
41. Prise en charge
42. Réminiscences hivernales
43. Encore debout
44. Personne n'est parfait
Postface
L'eau qui dort (chapitre Poisson d'Avril)

27. Un autre spécialiste

50 7 105
By LeodeGalGal

Cette fois, lorsque Laura rentra à Ververy, Jonathan l'attendait.

Il s'était curieusement métamorphosé pour l'été, pieds nus et pantalon retroussé, une chemise entrouverte sur les épaules, et il lui demanda s'ils pouvaient travailler dehors car il aimait s'imprégner de la lumière, en phase avec ce qu'il cherchait à transmettre dans son livre.

Stupéfaite mais conciliante, Laura s'était donc installée dans un fauteuil de jardin, face à la prairie où s'ébattaient les chevaux du voisin, et Jonathan prit place près d'elle, assis dans l'herbe puis debout, dictant ses pensées pendant un moment, avant de revenir en arrière, de discuter de la structure, de repartir dans une tirade.

Il s'approchait souvent dangereusement d'elle, notamment quand il voulait relire ce qui avait été écrit, mais il parvenait à respecter leur indispensable distance, et Laura s'écartait légèrement pour ne pas prendre de risques. C'était difficile, peu naturel, nécessaire. Elle avait la sensation de ne jamais l'avoir senti aussi proche et aussi éloigné à la fois.

Ce qu'il déversait, lui confiait, parfois un peu gêné, parfois exalté, parfois défiant, était incroyablement personnel, et lui tenait à cœur d'une manière que Laura devinait dans son ton et dans son attitude. Sauf que ce n'était pas lui, juste une empreinte, alors d'où cela sortait-il, exactement ? Y avait-il autant de l'individu original dans un simple reflet ? Cela paraissait incroyable.

Elle avait envie d'en savoir plus, mais elle savait que Jonathan lui-même n'avait pas les réponses, Allan ne les lui donnerait pas, et les sources valables étaient noyées dans le bruit de la Toile, avec toutes ces salades qui sortaient dans les cent premières pages des moteurs de recherche. Elle devrait fouiller encore, mais elle manquait de temps.

Il fallait avant tout qu'elle trouve une solution radicale pour se débarrasser de l'entité de Fernbridge, avant que celle-ci ne se résolve à provoquer des accidents en pleine lumière. Laura n'avait pu placer que des sceaux imparfaits autour des quatre cibles qui résidaient sur ou à proximité du campus. S'approcher d'un domicile surveillé, même avec du sel dans les poches, l'aurait exposée à une arrestation suivie d'explications problématiques. Elle ne pouvait pas se le permettre.

De toute façon, elle n'était pas sûre que la « disparition » de toutes les victimes potentielles – en imaginant qu'ils aient identifié les bonnes personnes – suffirait à faire partir le fantôme. Cela n'avait pas suffi avec Jonathan. Peut-être fallait-il lui faire croire qu'elles étaient toutes mortes, déjà. Mais pour cela, il fallait trouver le revenant et lui parler. Autant cela lui avait semblé possible avec un psychiatre bienveillant (son reflet, se morigéna-t-elle, une empreinte), autant traquer le spectre tueur paraissait moins emballant. Allan avait dit qu'il était dangereux et vu son tableau de chasse jusque-là, elle le croyait sans peine.

La nuit tomba peu à peu et Laura continua à taper, éclairée par son écran. Jonathan, magnanime, proposa qu'ils s'interrompent pour qu'elle puisse dormir. Elle trouva mignon que la proposition émane du spectre, qu'elle aurait imaginé peu sensible aux besoins des vivants. Ils se souhaitèrent poliment bonne nuit et il attendit qu'elle soit rentrée pour disparaître dans le néant.

Une fois à l'intérieur, Laura effectua les gestes nécessaires de la fin de journée un peu comme un automate : ranger ses affaires, se déshabiller, prendre une douche, passer son pyjama, se brosser les dents, se coucher, vérifier l'heure du réveil, éteindre la lumière. Elle se sentait étrangement affectée par les heures précédentes, ce rôle de scribe, la proximité inédite, inespérée, de son ami, d'autant plus choquante qu'elle avait passé les six derniers mois dans le brouillard, refusant d'aller sur sa tombe, de lire quoi que ce soit le concernant, d'aborder ce sujet avec ceux, indiscrets vautours pleins de bonnes intentions, qui voulaient sonder son état d'esprit.

Il n'y avait rien eu, et donc rien à dire, et refouler était toujours moins douloureux. C'était la mise en garde du thérapeute qui l'avait vue après l'affaire de l'Éventreur de Saffron, pourtant. Refouler, mauvaise idée, tout finit toujours par vous péter à la figure. Est-ce que c'était ça, Jonathan le spectre ? Une résurgence qu'elle avait provoquée elle-même ? Mais non, ça n'avait aucun sens : il était revenu parce qu'il avait été vicieusement assassiné en plein travail, et qu'il n'avait pas supporté d'abandonner sa tâche.


La nuit se déroula dans un chaos fébrile de cauchemars et de ruminations.

Elle rêva plusieurs fois qu'on l'appelait pour l'avertir de la mort de quelqu'un sur le campus. Une personne dans la liste, une personne qui n'y figurait pas. Henry, Helen, Allan, Duncan, Gareth, Don ou Rupert, des inconnus, des prénoms qu'elle n'associait plus à personne, des gens déjà morts, Thomas Woodward, Jonathan Slavek, Samuel Heath. Elle se rendait à Fernbridge, ou sur le quai du Tren, dans l'appart glacial où elle avait grandi, les couloirs de Butterfly, la salle 4 de la morgue.

Cadavres, cadavres, cadavres.

Entre deux cauchemars, l'esprit moins brumeux, elle songeait aux Bruns fraichement débarqués, à la coïncidence que Gareth se soit trouvé sur les lieux, quand Zaffy avait été assassiné. Non. Son smartphone l'avait placé chez lui, Helen le lui avait dit, c'était une preuve, non, le smartphone ? Mais le téléphone de garde prétendait qu'Allan était dans son lit, la nuit où il l'avait étranglée sur le bord du fleuve. On peut toujours abandonner un objet derrière soi.

Est-ce que Gareth connaissait Zaffy ? Est-ce qu'il connaissait Jason ? Est-ce que c'était Gwen, plutôt ? Que venait faire Duncan dans cette histoire ? Impossible de faire la moindre recherche sur un appareil connecté à son IP. Il faudrait qu'elle aille dans un cybercafé. Si ces trucs existaient encore. Dans une bibliothèque, voilà, elle irait dans une bibliothèque.

Puis elle se rendormait et le spectacle chahuté reprenait. Elle dégotait le coupable, mais il était réel et c'était elle, le fantôme. Elle cherchait à l'arrêter, il la traversait en riant. Il était homme, femme, jeune, vieux, c'était un archange, un démon cornu, un dieu à tête de vache, bois de cerf, barbe blanche.

Réveil en sursaut.

Elle songeait à ses sceaux ridicules, larges et poreux, piétinés, envolés, consultait la météo pour s'assurer qu'il ne pleuvrait pas, le fil d'actualité d'un média sur la brèche, susceptible de révéler le dernier fait-divers en date, le logiciel de dispatching de la morgue, où le prénom de Don clignotait en bleu, signe que sa garde était tranquille.

Dérivait jusqu'à se rendormir.

Et rebelote.


— Tu es distraite.

Laura releva des yeux humides de son écran. Une seconde tasse de café fumait sur le plan de travail, le jour était levé depuis deux heures, et Jonathan avait surgi peu après, alors qu'elle terminait de beurrer une demi-biscotte.

— Mmm ? Oui, désolée. Je vais me reconcentrer.

Personne n'était mort à Fernbridge pendant la nuit, mais l'angoisse demeurait vive, miroir d'une certitude que les mesures prises ne serviraient à rien.

— On ne parle que de moi depuis hier soir, remarqua le spectre. On peut faire une pause et tu m'expliques ce qui te tracasse.

Elle haussa les épaules.

— Ça ne me gêne pas, c'est intéressant. Je dois juste... émerger. La nuit a été un peu compliquée.

Il croisa les bras, inclina la tête, puis parut chagrin. Il n'était pas dupe de la pirouette, bien sûr. Lire les gens, c'était son métier. Et qu'elle puisse lui cacher quelque chose, alors qu'il s'était montré si honnête, ne pouvait que l'attrister. Leur relation s'était construite sur quelques discussions à coeur ouvert, pas sur les échanges superficiels de ceux qui se voient souvent et peuvent se permettre des banalités.

— C'est une histoire de fantômes, se justifia-t-elle.

Son expression se figea et elle regretta d'avoir abordé le sujet. Il croyait peut-être qu'elle parlait de lui, et elle poursuivit rapidement.

— Un spectre vengeur qui assassine des gens à l'université de Fernbridge.

Elle crut qu'il allait disparaître, car sa silhouette devint presque invisible. Mais la ligne de ses épaules se détendit et il sembla, une seconde, gagner en consistance, comme si l'étrange matière dont il était constitué se densifiait. Peut-être était-ce sa manière de lui signifier qu'il ne se sentait pas concerné.

— Et ? demanda-t-il, d'un ton parfaitement dégagé.

— Je ne suis sûre de rien. De son identité, de ses objectifs, de ce que je pourrais faire pour... l'écarter.

Il s'assit sur le fauteuil.

— Raconte-moi.

Laura hésita.

— Je ne sais pas si...

— Je suis capable d'encaisser.

Elle le jaugea, il lui sourit, confiant.

— Comme tu voudras.

Et elle lui déballa ce qu'elle pensait savoir, sans cacher qu'il ne s'agissait que d'hypothèses, que dans le fond, elle n'était sûre de rien. Jonathan écouta sans broncher, bras croisés, le menton remuant au rythme du récit, pour l'encourager à persévérer. Quand elle en eut terminé, il resta silencieux quelques secondes, avant de soupirer.

— Je ne suis pas expert, commença-t-il. Mais si ce garçon s'est suicidé, c'est qu'il voulait partir. Pas rester. Donc ça me semble peu probable qu'il se soit constitué en fantôme de lui-même. Ce serait la double-peine.

— N'est-ce pas ce que l'on risque, dans certaines spiritualités, à prendre sa propre vie ?

— C'est vrai que les Dunnites sont très chrétiens, mais une partie non-négligeable d'entre eux ont aussi conservé des croyances traditionnelles païennes, un peu comme les Bruns.

Ce fut au tour de Laura de froncer les sourcils.

— Tu t'y connais en spiritualités ?

— Les études de psychiatrie comportent une part d'anthropologie et de philosophie. La maladie mentale se structure souvent autour de nos systèmes de croyances... Je ne vais pas te faire un cours. Mais oui, j'ai étudié ces questions. J'ai eu des patients dunnites et bruns. Je suis aussi allé faire des expertises dans ces villes, à l'une ou l'autre reprise. Connaître la culture des lieux est indispensable.

— Comme à New Tren.

Il parut décontenancé.

— J'ai rencontré quelqu'un que tu avais expertisé, à New Tren, précisa Laura.

— Le prêtre de l'église saccagée ?

— Lui-même.

— Je parie qu'il ne s'en était pas remis.

— Tu paries juste.

— Je lui ai dit de consulter. Qu'il ne s'en tirerait jamais tout seul.

— Il n'était pas tout seul. Il avait Dieu.

Jonathan haussa les sourcils.

— Ne te moque pas. Dieu était simplement occupé ailleurs.

Elle se demanda soudain si l'adolescent qui avait été assassiné sur l'autel avait pu être un fantôme, invisible à leurs yeux, responsable de l'ambiance déprimante qui régnait entre les murs de l'édifice. Non. Ce n'était pas nécessaire, les faits en eux-mêmes suffisaient à expliquer le désarroi d'Aaron.

— Donc tu penses que l'hypothèse Jason est une erreur, reprit-elle, pour échapper à l'hiver.

— Je n'ai pas dit ça. J'ai dit qu'il ne serait pas revenu de lui-même.

Jonathan s'était paré d'un léger sourire. Il savait quelque chose qu'elle ignorait.

— Tu penses que Jason Byatt est de retour parce que... quelqu'un l'a rappelé ?

— C'est une possibilité. Tu dis qu'il s'agit peut-être d'un esprit vengeur, qui veut donc... éliminer les responsables de la mort de Jason. Ce n'est peut-être même pas lui.

Elle le dévisagea, incertaine, mais il ne reflétait rien.

— Donc... tu me suggérerais de regarder si le paganisme dunnite fait référence à ce genre de créatures ? 

Le spectre sourit en coin.

— Tu le sais déjà, en réalité, comprit-elle.

— Oui. Je le sais.

Il osait jouer avec ses pieds !

— Jonathan, merci de te montrer... explicite, peut-être ?

Il rit, un son étrange, presque harmonieux.

— Pardon. Je sais peu de choses. Mais oui, les Dunnites païens croient en toute une série de créatures, dont des esprits vengeurs. Dont le nom ne me revient pas, juste là. Mais une famille lésée peut invoquer une sorte de gardien ancestral, dont la mission est de venger le tort qui leur a été causé.

Il se tapota le nez d'un doigt translucide.

— Je pense qu'on appelle ça les Ysbrydial. Quelque chose du genre. Ysbrydiallen ? Je ne me souviens plus de comment ils mettent ça au pluriel. Ou alors c'est la version de Bryne ? Je ne crois pas.

Il désigna l'ordinateur, toujours ouvert sur le comptoir.

— Si tu jettes un oeil, je suis certain que tu trouveras tout ce qu'il te faut. Mon cerveau... est un peu spongieux, dernièrement.

Elle l'aurait embrassé. Dire qu'elle avait cru qu'avec la défection d'Allan, elle perdait son expert ! Elle entra aussitôt quelques mots dans le moteur de recherche.

— Tu croyais à tout ça, de ton vivant ? demanda-t-elle.

Il la dévisagea sans comprendre.

— Y croire ?

Le doute s'étala sur ses traits.

— Non. Non, je n'y ai jamais cru.

Son expression parut hantée, soudain, et Laura devina qu'il relisait des événements anciens à l'aune de ce dont il venait de prendre conscience.

— Jonathan, je suis...

Mais il s'était évaporé dans l'air tiède.  

Continue Reading

You'll Also Like

101K 155 15
Sortie le 24.06.23 aux éditions Abeille bleue. Venez découvrir les premiers chapitres de ce roman. C'est un monde avec sa dose de magie, un royaume...
297K 2.6K 11
Cette histoire est sous contrat d'édition, les trois premiers chapitres sont disponibles à la lecture gratuitement ;) Résumé : Un enlèvement. Une mo...
4.3K 112 26
Lui: l'alpha suprême du monde recherche son âme sœur depuis 2 ans. Elle: la dernière louve blanche ne veut pas trouvé son âme sœur. Elle va essayer...
157K 11.8K 63
Ashlyn Williams est une chasseuse de démons qui pour son jeune âge commence à se faire connaître parmi les plus grands pour ses prouesses et ses tale...