Sain d'Esprit (Laura Woodward...

By LeodeGalGal

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Ceci est un tome 2, passez votre chemin si vous n'avez pas lu (et apprécié) Les Affaires des Autres ! La tra... More

Préambule
Récapitulatif des personnages (au besoin, sans spoilers pour le tome 2)
Un instant perdu
1. Train-train sanglant (1/2)
1. Train-train sanglant (2/2)
2. De la promiscuité
3. Un os dans le gratin
4. Visite macabre à Butterfly
5. Sans nostalgie, vraiment
6. Relance
7. Au taquet
8. Entre détectives
9. Inspection délicate
10. Apparition
11. Bienveillance brune
12. Garder le cap (1/2)
12. Garder le cap (2/2)
13. Interférences
15. La compagnie des vivants
16. SOS fantômes
17. Retour à la fac
18. Assaisonnement (1/2)
18. Assaisonnement (2/2)
19. Indésirable
20. Les autres
21. L'expert (1/2)
21. L'expert (2/2)
22. Le chacal
23. Les voies du dépit
24. Enquête et trahisons (1/2)
24. Enquête et trahisons (2/2)
25. Compromis
26. Contre-attaque (1/2)
26. Contre-attaque (2/2)
27. Un autre spécialiste
28. Échos de Dunnes
29. RedWeasel007
30. Triste fin
31. Apprentie sorcière (1/2)
31. Apprentie sorcière (2/2)
32. Introduction posthume
33. Le coût du silence
34. Catharsis
35. Thérapie
36. Orage
37. Chaleur humaine
38. Incendie
39. Persév-errance
40. Qui sème le vent
41. Prise en charge
42. Réminiscences hivernales
43. Encore debout
44. Personne n'est parfait
Postface
L'eau qui dort (chapitre Poisson d'Avril)

14. Mauvais esprit

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By LeodeGalGal

Laura émergea peu après l'aube, une brume chimique dans le crâne, la preuve que la facilité est un vilain défaut. Elle se concocta un café en espérant qu'il reconnecterait ses neurones et laverait les molécules ignobles qui encombraient ses synapses. Le chat vint lui frotter les jambes, en manque de croquettes. Un petit matin presque semblable à autrefois.

Presque.


Ryan l'appela alors qu'elle atteignait Murmay et elle détourna son itinéraire vers le sud de la ville. Elle retrouva son assistant au pied d'un ensemble dédaléen d'immeubles identiques que la pluie faisait luire dans le soleil levant. Illusion. Les lieux n'avaient rien d'enchanteur. Un jeune policier les guida jusqu'à l'appartement 1132.b du bloc 11 après un passage dans un ascenseur médiéval. Laura sourit face à la mine pâle de son assistant gigantesque tandis que la cabine grimpait dans une série de cliquetis inquiétants.

— On prendra l'escalier pour descendre, lui proposa-t-elle à mi-voix, et il n'essaya pas de protester, malgré les onze étages à affronter.

Le cadavre présentait des marques claires de strangulation et Laura resta en retrait tandis que Ryan décrivait le corps dans son dictaphone. L'inspecteur en charge de la scène, un vétéran, observait la récolte d'indices de l'équipe criminalistique sans vraiment la voir, blasé.

Laura alla se poster à la fenêtre haut perchée pour observer le complexe, ses milliers d'appartements, le contrepoint des quartiers dorés de l'université ou de Butterfly. Si les gens qui vivaient ici s'organisaient pour rendre une petite visite à leurs voisins, personne ne pourrait canaliser leur colère.

— Tu finiras par prendre tes repères, lui glissa Ivan, le chef criminaliste, en la rejoignant au balcon.

Elle lui retourna un regard sceptique, qu'il accueillit d'un sourire un coin. Petit et rondouillard, il abritait un esprit cynique dans un corps de nounours.

— J'ai un terrible sens de l'orientation, se défendit-elle.

— N'essaie pas de te débiner, Woodward. Don est saturé de ces règlements de compte. Et celui-ci est un barracuda.

— Un barracuda ?

— Un gros poisson aux dents longues.

Elle leva les yeux au ciel.

— Il va en venir d'autres. Regarde notre pauvre Malcolm...

Il désigna l'inspecteur principal d'un mouvement de menton.

— Il a déjà envie de prendre sa retraite. Si j'étais vous, j'installerais une petite antenne dans le coin. Y'a pas mal d'appartements vides dans le bloc 6.

— Merci mais non merci.

Ryan avait plié sa grande carcasse au pied du cadavre et discutait avec le photographe.

— David est rentré ?

— Début de semaine, je pense.

Ivan soupira. Il adressa un signe de la main à deux techniciens en combinaison blanche.

— Il va falloir qu'on rediscute budget. Je sais que vous espérez un résident de plus, mais j'ai besoin de plus de personnel, moi aussi, et le mien coûte moins cher. Sans parler du matériel à remplacer... des formations urgentes... des centaines de milliers d'heures supplémentaires qui restent impayées...

Il jeta un coup d'oeil vers Ryan.

— Il va rester, ce grand dadais ?

— Nous n'avons pas de poste, tu viens de le dire.

— Tu restes, alors ?

— Comment ça, je reste ?

— Personne ne sait jamais ce qu'il en est, avec toi. New Tren ne t'a pas plu ?

— C'était toujours prévu comme ça.

— Ah. Personne n'avait l'air très au courant.

Gérer la curiosité de certains avait toujours fait partie du travail d'agent, mais Laura aurait préféré ne pas être dans un état vaseux.

— La situation à New Tren était... partiellement couverte par le secret médical.

— Ah. La santé d'Ubis, c'est vrai.

Laura lui jeta un regard interdit mais Ivan ne s'étendit pas. Sans doute les criminalistes discutaient-ils entre eux à la faveur de colloques et de séminaires, de réunions d'anciens et de groupes Whatsapp. Un petit monde, somme toute.

Elle songea qu'ils auraient été, tous, les mieux placés pour frôler l'après-vie au quotidien. Ils arpentaient sans cesse des scènes de crimes horribles, où des vies avaient été fauchées dans la violence, meurtres et suicides, jeunes et vieux, innocents et coupables. Pourtant jamais elle n'avait entraperçu la moindre rémanence. Et à sa connaissance, aucun de ses collègues n'avait de fibre ésotérique. Les morts étaient morts et le restaient. Ils ne tentaient pas de communiquer, ne venaient pas s'exposer, ne criaient pas vengeance ou désespoir. On traitait de la viande, à distance, un dernier tour avant la caisse ou les flammes. Rien d'autre.

De temps en temps, un allumé venait frapper à la porte de la brigade criminelle pour localiser un cadavre d'un mouvement de pendule ou transmettre les dernières paroles d'un défunt. Généralement, cela ne menait à rien, ou on découvrait un lien tangible entre l'affaire et le médium improvisé.

Elle ne put s'empêcher de scruter la pièce. Est-ce que le barracuda hantait les lieux, désormais ? Empêcherait-il les nouveaux locataires de dormir tant qu'on ne coincerait pas son meurtrier ? Se contenterait-il de poursuivre ses anciens hommes de main pour leur transmettre des directives d'outre-tombe ? Ou bien tout ça était-il du délire ?

Ryan jaillit devant elle, manquant lui arracher un cri. Les relevés étaient terminés, ils pouvaient remballer.


Sur la route, Laura reçut un appel inopiné de la faculté. Le secrétariat voulait savoir si elle pouvait inverser ses heures avec le professeur Galton, cité au tribunal en fin de semaine, et décaler ses cours au mercredi et vendredi. Ryan, qu'elle avait embarqué, eut la gentillesse de lui rappeler ses jours de garde, et elle accepta. Cela laissait du temps en plus aux étudiants pour pondre leur rapport, ils n'y verraient sûrement pas d'inconvénient.

La danse funèbre de la morgue reprit ensuite à son rythme endiablé et la journée fila entre les dossiers, les autopsies, les lectures et les courtes pauses à la cafétéria. En fin d'après-midi, Laura reçut un texto du docteur Thornberg qui lui proposait un rendez-vous à 18 heures, qu'elle s'empressa d'accepter.

L'esprit soudain accaparé par la perspective d'une nouvelle visite à Butterfly, la jeune femme trébucha hors de sa mécanique bien huilée. Le cadavre sous ses mains prit une curieuse consistance, elle ne put s'empêcher de lorgner vers son visage, de s'excuser à mi-voix. Plusieurs fois, elle jeta un coup d'oeil derrière son épaule, vers les armoires, l'évier, la table d'examen, mais il n'y avait personne, ni vivant, ni fantôme.

Désormais complètement déconcentrée, elle profita du passage de Ryan pour lui refiler la fin de l'autopsie et se replia dans son bureau.

Elle s'y autorisa une bordée de jurons, furieuse d'être perturbée dans son travail par ces foutus spectres. Ils n'avaient pas le droit d'empiéter sur sa vie, elle ne les laisserait pas faire, jamais, la perspective était intolérable.

Elle ouvrit son ordinateur portable, un navigateur, renonça.

Il était l'heure de retourner, une fois encore, à Butterfly.

***

Plus tard, lorsque le bureau du Docteur Thornberg s'ouvrit, Gareth Conway en sortit. Il parut stupéfait de la trouver là, elle lui adressa un regard tranquille, et ils improvisèrent la petite comédie nécessaire à l'épisode du malaise.

Merci beaucoup, c'était tout naturel, j'espère que vous allez mieux, bien merci, j'ai suivi vos recommandations, bon week-end, vous aussi, au revoir.

Ensuite il s'esquiva, le scepticisme brûlant dans les prunelles mais les questions tues, tandis qu'elle rejoignait la nouvelle recrue du troisième étage.

Transfuge d'une boîte pharmaceutique, Thornberg en avait l'allure et les manières empressées. Manifestement agacé par ces rendez-vous successifs, des pertes de temps phénoménales à n'en pas douter, il indiqua le siège visiteur à Laura avec brusquerie.

Celle-ci ne releva pas. Thornberg, comme Hornet, était à cran, et il n'avait aucune raison de partager sa bienveillance envers une intruse dont il ne savait rien. Laura, de son côté, n'avait aucune intention de gaspiller son énergie à le séduire ou le rassurer. Elle se foutait bien de décrypter ses pattes de mouche, il ne constituait qu'une escale nécessaire avant la destination.

Elle prit soigneusement note de ses éclaircissements, bien sûr, car l'audit devrait avoir lieu et ses collègues la remercieraient pour son dévouement. Munie de la précieuse liste des abréviations, elle prit congé de l'individu et se replia dans la salle de repos, en compagnie des dossiers qu'elle comptait soi-disant terminer avant le week-end. Heureusement, nulle trace de Diane et de ses créations artistiques, pas davantage d'Hornet. Laura était tentée de glisser une chaise sous la poignée de la porte pour s'assurer de ne pas être dérangée.

N'importe quoi.

Elle resta assise, bras croisés, sous le soleil déclinant. Les trois dossiers s'étalaient en éventail devant elle mais elle n'avait aucune envie de les ouvrir, de s'échiner à traduire la pseudo-prose de Thornberg, sans objectif. Le fantôme de Jonathan était la clé.

Le tueur.

Se l'avouer sans fard la déstabilisa un instant. Pouvait-on imaginer destin plus abominable pour un homme qui avait tout donné à ses patients ?

Face à son absence, Laura décida de prendre les choses en main. Elle quitta sa chaise, s'approcha de l'armoire où il rangeait ses dossiers et l'ouvrit grand. Devant elle, une centaine d'histoires secrètes s'échelonnaient, en jaune, en rose, en bleu. La légiste n'avait absolument aucun droit de les lire. Aucun. Si Hornet surgissait dans son dos, cette initiative risquait de lui coûter cher.

Des gens meurent, songea-t-elle, pour se dédouaner.

Et alors ? Des gens mourraient tous les jours, et sans eux, elle n'aurait même pas de travail !

Mais ils mourraient en raison d'un phénomène insupportable. Anormal. Inhumain.

Elle caressa la tranche des dossiers du bout des doigts, compta jusqu'à dix, quinze, s'arrêta sur le vingt-troisième, au hasard, puis le tira vers elle.

Le courant d'air froid la frôla aussitôt et elle musela un sourire. Prévisible.

Elle suspendit son geste, soulagée de n'avoir pas eu à franchir cette limite, puis fit un rapide pas de côté pour éviter que le spectre ne cherche à l'écarter de l'armoire. D'un geste malheureux, il pourrait mettre une fin douloureuse à la conversation et elle espérait, cette fois, progresser.

Le fantôme portait un costume austère, du genre de celui qu'il mettait pour les audiences au Palais de Justice. Son expression oscillait entre l'indécision et la contrariété.

Laura comprima les émotions chaotiques qui bourgeonnaient sous son crâne et ses paupières.

— Jonathan, qu'est-ce que tu fais ici ? murmura-t-elle.

Un sourire interdit courba ses lèvres translucides.

— Je travaille, répondit-il, de cette voix explosive, en elle, en tout, en rien.

Elle prit une profonde inspiration.

— Jonathan, tu ne peux plus travailler... Tu... ta présence... Elle trouble tes patients...

Il parut surpris, peiné même, et elle eut la confirmation de ce qu'elle craignait : il n'avait pas conscience de ce qu'il était.

— Je m'occupe d'eux depuis longtemps, reprit-il d'un ton docte. Je sais ce dont ils ont besoin. Je ne veux pas mettre en doute les compétences de James ou de... l'autre... mais je suis certains d'entre eux depuis des années. On ne remplace pas une relation thérapeutique comme ça, d'un claquement de doigt.

Ce n'était pas faux, bien sûr, mais la logique avait ses limites.

— Je sais mais... tes patients... tu les effraies. Tu les pousses à... faire des choses affreuses. Tu... tu les empêches de guérir.

Cette fois, le choc colonisa ses traits, puis la colère. C'était un homme mesuré, qui savait garder un calme olympien quand il était attaqué par ses détracteurs, mais elle avait connu une facette de sa personnalité moins sereine, plus volontiers furieuse. Il avait l'habitude qu'on remette ses méthodes en question, pourtant, et elle vit que la colère cédait à autre chose, la déception. Elle se sentit brusquement triste. Ils avaient eu du respect l'un pour l'autre, et voilà qu'elle l'insultait dans ce qu'il avait de plus cher. Qu'il soit mort n'y changeait rien.

— Jonathan, tu es mort, dit-elle simplement, en le regardant droit dans ses prunelles grises.

La bouche pincée de mépris, il se détourna brusquement, comme s'il avait décidé qu'elle était invisible.

— Je ne plaisante pas, poursuivit-elle. Tu leur fais peur. Tu es mort. Et si tu les touches...

— Je ne suis pas mort ! protesta-t-il soudain.

Puis il s'évanouit et la chaleur revint, comme un poids lourd dans la pièce. Laura demeura figée, regardant le rien, puis se frotta le visage des deux mains. Elles tremblaient légèrement et elle s'autorisa un frisson pour relâcher sa tension. Les larmes lui vinrent. Elle alla chercher des serviettes en papier au distributeur de l'évier.

Comment une telle chose était-elle possible ? Une telle abomination ? Pourquoi Jonathan n'avait-il pas trouvé le repos, comme tous les morts du monde ? Oui, c'était un acharné, oui il avait tout donné à son travail, à ses malades, oui, il avait dû mourir en pensant à eux et à personne d'autre, en songeant à tout ce qu'il avait encore à accomplir, à ce qui disparaissait avec lui... Mais de là à devenir un fantôme...

Elle posa les mains sur le dossier d'une chaise. Il fallait qu'elle se documente d'urgence. Jonathan était revenu... pourquoi ? Parce qu'il lui restait une mission à accomplir ? Parce que sa mort avait été injuste et violente ? Peut-être fallait-il faire quelque chose, un petit rituel quelque part, pour qu'il repose en paix ?

Ubis saurait, lui rappela une petite voix dans sa tête.

Google aussi, lui rétorqua-t-elle.

Parlementer n'avait mené à rien et le temps était compté. Elle devait trouver une solution, d'urgence, sans quoi le revenant détruirait tout ce qu'il avait créé de son vivant.

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