MIRABILIS

By tymlor

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Lors de l'exécution de la dernière enchanteresse des royaumes, celle-ci laisse en son souvenir une malédictio... More

La carte des royaumes
Mirabilis - A propos
Prologue
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
Chapitre 21
Chapitre 22

Chapitre 7

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By tymlor







Mirabilis


— Ne t'ai-je pas déjà dit d'éteindre ces fichues bougies quand tu es à l'intérieur ?

Freud lève les yeux au ciel, fatigué de mes mises en garde qu'il n'écoutera de toute façon pas.

— Je savais que tu viendrais.

— Comment pouvais-tu le savoir ?

— N'y avait-il pas un bal ce soir ?

Je soupire à la fois soulagée et coupable de m'être enfuie de la sorte de cette supercherie organisée par père. Sa bête de foire n'étant plus présente, je me demande à quoi peut bien ressembler ce soi-disant bal à l'heure actuelle.

— Il y en a un, en effet.

— Je savais que tu n'y resterais pas bien longtemps. Les mondanités ne sont pas ton genre.

— En tant que princesse d'Ilios, il faudra bien que je finisse par me conformer aux mondanités.

— Dis à ton père que tu t'y conformeras quand il fera jour.

Je souris, pourtant bien consciente que jamais je ne manquerai de respect à père de la sorte. Non pas que l'envie me manque, mais lesdites mondanités me concernant ont justement pour but de ramener le soleil – m'échapper est un manque de respect criant, en plus d'être un comportement purement enfantin.

Freud semble s'amuser de sa blague tout en fouillant dans la poche de son manteau avant d'en sortir deux carottes que Knight regarde avec intérêt. Les yeux ne suffisant pas à assouvir l'appétit du goulu, Knight s'approche et gobe les carottes sans cérémonie, allant jusqu'à fouiller les poches de Freud à la recherche de leurs petites ou grandes sœurs.

— En parlant de jour, où en es-tu dans tes recherches ? je demande, sachant pertinemment que j'obtiendrai une réponse qui m'occupera jusqu'à l'éveil du royaume.

Les yeux de Freud s'illuminent comme le soleil le ferait s'il existait encore.

— Entre ! Il y a du nouveau !

J'ôte la selle de Knight et le fait entrer dans le petit enclos où le cheval de Freud l'attend les oreilles dressées. Puis je suis mon ami qui s'engouffre déjà dans la grotte en secouant ses cheveux pleins de poussières et de cendres.

— Tes recherches ont avancé ?

Je zigzague en évitant de trébucher sur tous les objets qui se trouvent en travers de ma route. La plupart sont des métaux que je serai bien incapable d'identifier, entremêlés à des fils de fer, de pêche et bien d'autres. Plus loin, une porte en bois s'ouvre sur l'antre originale d'un homme qui l'est tout autant. Le bois brut se mêle à merveille avec la pierre et je reste persuadée qu'avec un peu de goût et de temps, Freud aurait pu faire de cet endroit une maison tout à fait correcte. Au vu du bazar omniprésent, il m'est aujourd'hui impossible de qualifier cet endroit de maison, ni même de quoi que ce soit d'autre.

— Du thé ?

— Volontiers.

L'endroit est immense et, bien qu'habituée à y venir, je suis toujours surprise par la diversité qui s'y trouve. Entre la cuisine et le salon, un établi de la taille de trois bœufs trône, abritant des tasses et des assiettes vides au milieu de clous, de bougies et d'autres babioles dont seul Freud connaît leur utilité. Sur les murs en pierre brute, des schémas sont accrochés et reproduisent le soleil. Sur chacun d'entre eux une hypothèse différente y est écrite, de la boule de feu à celle de gaz – et si aucune des deux ne me semble plausible, Freud est convaincu qu'il n'est pas si loin de la vérité depuis qu'il a découvert la réaction du gaz putride qui remonte des marais.

A ma gauche, à la place de ce qui aurait dû être une salle à manger, une immense table en chêne se tient fièrement, couverte de fils de cotons carbonisés et de bougies consumées. Le bois du meuble a été endommagé par le feu, me faisant craindre qu'un jour, ce soit mon ami qui s'enflamme. Ma peur n'est pas injustifiée, car si Freud vit aujourd'hui dans une grotte, c'est bien parce que sa maison initiale a pris feu lors d'une de ses tentatives de créer le soleil. Depuis lors, les habitants de Morasia ont mis Freud en dehors de la ville à coups de pied au cul, lui promettant de faire de lui un bûcher s'il s'amusait à recommencer ses petites expériences. Incapable de mettre un terme à l'objectif de toute sa vie, mon ami a préféré s'exiler dans une grotte plutôt que se conformer à une vie morne qui ne lui ressemblait guère – il a pour ce courage, toute mon admiration.

Je sursaute quand la bouilloire se met à siffler, tandis que Freud s'empare de deux tasses propres et de sachets de thé fabriqués par ses soins.

— Allons à table, tu ne vas pas en croire tes yeux.

Je le suis, quelque peu curieuse, et prends place autour de la table sur une chaise branlante qui mériterait d'être rafistolée. Freud lui, reste debout et me tends ma tasse avant d'attraper deux disques de métal que je n'avais pas vu, cachés sous un tas de paperasses.

— Qu'est-ce que c'est ?

— Mieux que de la magie, Mira. Des Sciences.

— Du métal ?

Il fait claquer la langue contre son palais, me reprochant sans égard mon manque d'intérêt pour ces cailloux.

— Tout est Sciences.

— Même des cailloux ?

— Regarde plutôt.

Là où je pensais qu'il ne s'agissait que d'une nouvelle folie de mon ami, je m'étais lourdement trompée. Et mon désarroi est amplifié quand je le vois attraper ce qui semble être une patte de grenouille pour la brandir devant moi.

— Par tous les coyotes ! Freud ! je hurle en bondissant de ma chaise, renversant la moitié de ma tasse sur le bois.

— Elle est morte !

— Mais c'est une grenouille !

— Je l'ai trouvée dans les marais, elle était déjà mal en point.

— Explique moi le rapport entre une grenouille et le soleil ? je m'exclame, le cœur battant à tout rompre.

Comme s'il attendait de moi que je pose exactement cette question, Freud m'adresse un sourire et me fait signe de me rasseoir. Une nouvelle fois, ma curiosité prend le pas sur la raison et je l'écoute, prête à décamper si la tête de l'amphibien venait à servir l'expérience.

— Tout corps qui compose le vivant est conducteur, c'est merveilleux.

— Fantastique ! j'ironise, écœurée.

Avant que je puisse lui servir un discours sur les limites qui opposent les Sciences et la folie, Freud approche les deux disques de façon à ne laisser qu'un faible espace entre eux. Puis il pose l'affreuse patte de grenouille au milieu avant de pousser les disques jusqu'à ce qu'ils entrent en contact avec les restes de l'amphibien. C'est alors que la patte de la grenouille se met à se recroqueviller, jouant avec la mort si finement que je ne sais plus vraiment s'il s'agit de Sciences ou de magie. Quelques secondes plus tard, une faible odeur de brûlé arrive à mon nez et Freud retire le deuxième disque d'un air satisfait.

— Comment est-ce possible ?

Freud boit une gorgée de son thé avant de s'emballer, les bras en l'air :

— La nature est faite de charges qui interagissent entre elles, c'est fabuleux ! C'est comme si ces deux métaux étaient des ennemies par nature et que tout ce qui tentait de se mettre entre eux serait automatiquement détruit.

— Ce n'est pas fabuleux, c'est une arme !

— Ce que les hommes en font est le problème de l'homme. Et si l'homme est un loup pour l'homme, les Sciences en sont la louve. 

— Je ne comprends rien.

— Il ne tient qu'à nous d'utiliser ce savoir correctement pour qu'il soit nourricier plus que destructeur. Si l'énergie circule entre certaines matières, nous pouvons comprendre le fonctionnement du soleil et de chaque corps. Imagine-tu les progrès qui pourraient être fait dans le domaine de la médecine si nous parvenons à comprendre le corps humain et l'interaction des organes qui nous animent ?

Vu sous cet angle-là, la découverte de Freud est en passe de devenir un grand changement dans notre monde. Mais je ne suis pas assez bête pour croire qu'elle apportera que des bonnes choses. Car si les sciences sont nourricières, l'homme est le loup – et le loup tue. Avant que les inventions de Freud ne servent la médecine, elles créeront des armes de plus en plus mortelles jusqu'au point de non-retour. 

— Le soleil est un amas de matières qui interagissent de façon à créer de la chaleur, poursuit Freud, le regard dans le vide. La combustion est éternelle, il ne me reste plus qu'à savoir comment cela est possible pour le reproduire. Est-ce du gaz comme celui des marais ? Non. Celui des marais provient de la putréfaction des plantes et je doute qu'il y ait de la vie sur le soleil. Peut-être du gaz provenant de la combustion qui s'enflamme à son tour, ou encore des particules infiniment petites qui fusionnent entre elles, invisibles à notre œil ?

— Freud... Que feras-tu si tu arrives à créer le soleil ?

Il sort de sa réflexion le temps de me fixer, incrédule :

— Que veux-tu dire ?

— Si tu arrivais à créer la lumière éternelle, que ferais-tu ? Ne brûlerait-elle pas notre monde tout entier ?

Il fait mine de réfléchir, mais pas assez longtemps pour me faire croire qu'il ne s'était pas déjà posé la question.

— Certains gaz sont plus légers que d'autres. Il suffirait de trouver le juste milieu pour que ce soleil artificiel soit plus léger que notre atmosphère et ainsi qu'il s'envole pour éclairer les royaumes.

Je bois une nouvelle gorgée, imaginant une énorme boule de feu survolant les royaumes. Je donnerais cher pour voir la tête du roi d'Afthonia quand cet amas de feu survolera son château. Il suffirait d'un mauvais calcul pour que le royaume finisse en flamme – un mauvais calcul que n'importe qui serait capable de faire à la place de Freud.

— Crois-tu que tu y arriveras avant que la famine ne soit trop présente ? m'enquis-je, revenant à un sujet bien plus terre à terre.

L'excitation de Freud se tarit immédiatement, laissant place aux doutes et à cette affreuse désillusion. Les rêves sont beaux, mais sont rarement faits pour être réalisés. Le soleil est un doux rêve, l'imaginer et le créer sont deux choses bien distinctes dont Freud n'a pas toujours conscience.  Et si le soleil est à des dizaines de milliers de kilomètres comme le martèle mon ami, la famine et la mort ne sont qu'à une dizaine de mètres.

— Je m'y atèle, assène-t-il avant de prendre un air taquin.

— Quoi ?

— Je me disais que... au cas où je n'atteigne pas mon but... tu pourrais retourner au bal et danser avec des inconnus ? Ne dit-on pas que seul un amour sincère du sang de l'enchanteresse fera revenir le soleil ?

— Idiot ! je rétorque en me levant et lui frappant l'épaule.

Il rit de bon cœur et m'offre un clin d'œil qui révèle toute la beauté de son visage. Freud est un beau jeune homme. Grand et bien bâti tout au juste au milieu de sa vingtaine, son charme est amplifié par ses yeux fous et ses cheveux qui ont un air de sortie du lit. S'il songeait à enfiler des habits dépourvus de cette horrible odeur de brûlé, Freud pourrait alors expérimenter la fusion des corps d'une bien autre manière. Mais Freud se moque de la chair si elle ne se trouve pas entre deux disques de métal, tout comme il se fiche des femmes qui ne sont pour lui qu'un outil dans sa propre compréhension du monde. Hors de question que je lui présente Sofia dans un contexte amoureux si c'est pour qu'elle finisse de la même manière que la cuisse de cette pauvre petite grenouille.

— Viens, m'ordonne doucement Freud tout en me faisant signe de le suivre dans la pièce qui jouxte le salon.

Habituellement, je ne suis pas les hommes qui m'entraînent au fond d'une grotte. En ce qui concerne Freud, les choses sont bien différentes. Il sait que derrière cette porte se cache ma partie préférée de cette grotte, alors, quand il la pousse et qu'elle émet un grincement sourd, je me hâte de pénétrer pour redécouvrir la magie qui y vit.

Comme à l'extérieur, des bougies brûlent en continue, à la différence près qu'elles sont des milliers au lieu d'être des centaines. Impossible d'en voir la fin tant l'espace est immense, occupé par des plantations de toutes sortes qui s'étendent sur des centaines de mètres, de part et d'autre de la roche. Ce potager intérieur est le plus grand des royaumes, et, même si le soleil manque cruellement, Freud a su trouver les plantes qui n'en ont guère besoin. Devant moi s'étendent des choux, carottes, poireaux et asperges à en nourrir les royaumes. Ce secret est gardé par notre silence complice et développé par quelques maraîchers qui apprennent à se passer du soleil, mais jamais personne ne doit savoir qu'ici se cache l'espoir d'un lendemain meilleur. Freud préfère encore passer pour un fou que pour un sauveur, la gloire n'a pour lui que le goût de l'ego mal placé et, préférant s'en passer, ses seules heures au soleil sont celles qu'il passe à essayer de le créer.

— Si Knight voyait toutes ses carottes...

Freud s'amuse de ma réflexion, s'assoit sur le canapé de toutes nos discussions et me fait signe de le rejoindre. Dans sa main, le vin a remplacé le thé et je devine au manque de verres que nous passerons le reste de cette douzaine à le boire au goulot.

Je m'assois à mon tour, pique la bouteille de ses mains et bois une grosse gorgée avant de m'essuyer vulgairement la commissure des lèvres. Le vin, mon ami et la vue splendide sur les cultures rendent cette nuit formidable.

— Tu es contrariée, note mon ami en me privant de l'ivresse que je tiens fermement dans mon poing.

— C'était mon dernier bal. Un peu comme l'ultime espoir des royaumes.

— Ces royaumes n'ont jamais eu aucun espoir.

— Aucun, je ne sais pas... mais ils ont eu tort de croire que j'étais l'espoir.

— Qu'est-ce que demain y changera ?

Je soupire puis me tourne vers Freud, avant de lui avouer d'une traite :

— Le roi d'Afthonia a proposé une rencontre entre les héritiers, afin de trouver un accord commercial.

Freud ne répond pas. Il se contente de porter la bouteille à sa bouche et de boire goulument plus de gorgées que nécessaire. Quand il cesse finalement, son visage se trouve fermé.

— Yvris n'aurait jamais fait cela, c'est une preuve de faiblesse de sa part.

— Peut-être est-ce pour cela qu'il envoie son héritier ?

— Te rencontrer, toi ?

Je hoche la tête, surprise par l'inquiétude que je lis sur les traits de mon ami.

— Les bals ne sont pas la guerre, tu ne pourras pas t'enfuir.

— Une escorte sera présente, et puis je sais utiliser un arc.

— Et que feras-tu si tu te retrouves prise dans un combat au corps à corps ?

— J'improviserai ?

— Les Afthoniens sont pires que les coyotes, Mira. Certains disent qu'ils ont parmi leurs combattants un homme qui a été élevé au milieu des loups et qu'il en est devenu l'alpha lors d'un combat qui n'était rien d'autre qu'une mise à mort. En ce qui concerne l'héritier...

— Je connais les légendes qui entourent l'héritier.

— C'est un meurtrier. Il jubilera quand il découvrira que l'héritier qui lui fait face porte des robes.

Freud me tend la bouteille que j'accepte sans cérémonie, me contentant cette fois-ci d'une petite gorgée. Loin d'être misogyne, mon ami dit juste les choses telles qu'elles sont – et il a bien raison.

— J'ai peur.

Mes aveux ont l'air de rassurer Freud qui m'ouvre ses bras afin que je vienne me blottir contre lui. Je ne me fais pas prier, heureuse de pouvoir enfin faire preuve de faiblesse.

— Vous êtes deux ennemis par nature... ajoute Freud. Qui sait ? Peut-être que tout ce qui tentera de se mettre en vous sera immédiatement détruit ?

Je ris à gorge déployée de cette comparaison bien trouvée et tape énergiquement le torse de Freud avant de m'esclaffer :

— Sale temps pour les grenouilles !

*

Et si Freud n'avait pas tort ? 🤡

A vendredi ♥️


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