MIRABILIS

By tymlor

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Lors de l'exécution de la dernière enchanteresse des royaumes, celle-ci laisse en son souvenir une malédictio... More

La carte des royaumes
Mirabilis - A propos
Prologue
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
Chapitre 21
Chapitre 22

Chapitre 3

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By tymlor




Mirabilis


La salle de réception du château m'intimide depuis mon plus jeune âge. Je n'osais y mettre les pieds sans la présence de mes parents ou d'un adulte de confiance. Je me cachais derrière les jupes des femmes ou sous la cape de mon père, dévorant des yeux les lustres gigantesques qui pendaient au plafond en me demandant par quel miracle ils pouvaient être retenus ainsi entre ciel et terre. Chaque soir, les domestiques actionnaient les poulies et faisaient descendre les lustres à hauteur d'homme afin d'y disposer des bougies par centaines. Je les regardais gratter la cire de la veille, émerveillée de constater que la bougie n'était plus qu'un amas de petites paillettes blanches.

A l'époque, quand la nuit venait nous rendre visite, je n'avais de cesse d'admirer les lustres scintiller dans la salle. Les hommes courtisaient les femmes, les femmes vantaient les méritent de leur couturières et les jeunes filles rêvaient de belles toilettes tandis que je craignais que la cire chaude ne s'échappe de son réceptacle, quittant pour toujours le confort de sa bougie mère pour le marbre froid d'une pièce qui n'était que paraître et bourgeoisie.

Aujourd'hui, le côté pratique l'emporte sur l'esthétique. Les lustres prennent la poussière, les bals ne sont plus organisés et les bougies se consument en permanence sur les grandes tables en chêne et dans les alcôves qui encerclent la salle. La cire s'amoncelle sur la pierre, les domestiques ne se montrent plus aussi tatillons qu'ils l'étaient à l'époque. À quoi bon ? Personne n'a le cœur à la fête. Les festins sont prohibés, les vivres manquent et les bougies ne cessent jamais de brûler.

Je ne suis plus intimidée par cette salle. Je l'ai tout simplement en horreur. Aussi inutile qu'un jour sans soleil, je trouve ridicule qu'on puisse entretenir un tel endroit, tout autant que je ne comprends pas la raison de ma présence ici aux côtés de mon père. Pourtant, je garde le silence. Non pas que ce soit un trait de ma personnalité, mais bien la preuve que je connais suffisamment le roi pour savoir qu'il y a une raison à chacune de ses actions. Avec lui, le silence est toujours suivi d'un ton grave et de nouvelles peu réjouissantes — puis d'un autre silence qui ne laisse place à aucune négociation.

— Nous faisions des bals, lâche-t-il au milieu de l'allée, le regard rivé sur le trône qui nous fait face.

Une domestique lève la tête vers le roi, baisse immédiatement les yeux et s'empresse de quitter la salle en emportant les restes d'une bougie arrivée en fin de vie.

— Nous en faisions toutes les semaines pour fêter la trêve du septième jour. Les bourgeois se mêlaient aux paysans en buvant jusqu'à plus soif, les mères grondaient leurs filles qui se comportaient comme des gaillards, un verre de trop à la main.

Je me souviens de ces moments hors du temps où la guerre n'était plus. C'était un accord oral fragile, une promesse faite entre deux rois fatigués de voir leurs soldats mourir. Ils avaient alors décidé de consacrer un jour au repos et à la fête pour remotiver leurs troupes. C'est ainsi que le septième jour est devenu sacré et que cette habitude a pris un caractère impérissable.

Sur la table, la flamme d'une bougie crachote avant de reprendre de plus belle, tout comme mon père :

— J'aimais regarder rire mon royaume. Je ne me lassais jamais de le faire. Le lendemain, un jour sans combat nous attendait. Aucune perte ne serait à déplorer. J'ai longtemps cru que c'était la plus belle chose dans ce monde. 

— Il n'y a rien de plus beau que la paix.

Père s'arrête quelques pas devant le trône avant de se retourner et me fixer, l'air grave. Bien que le silence précède toujours les conversations désagréables, il est souvent entrecoupé de jacasseries aussi inutiles que moralisatrices. Plus elles sont longues, plus la suite promet d'être terrible. Et si j'ai l'habitude d'entendre père déblatérer avant d'en venir au fait, jamais je ne l'ai entendu parler d'un sujet aussi futile que celui des bals. La situation est bien plus grave que je le pensais.

Ma curiosité plus aiguisée que jamais, je soutiens le regard du roi sans dire un mot, priant le royaume et les coyotes qui y dorment pour qu'il en vienne au fait.

— Le jour est plus beau encore, lâche-t-il, sourcils froncés. Il ne reviendra pas, tu le sais Mira ?

J'acquiesce, bien consciente que je suis la seule capable de faire revenir le jour — tout autant que j'en suis incapable. Mère le savait pertinemment quand elle a lancé cette terrible malédiction, mettant ainsi sur le dos de sa fille détestée le poids de tous les royaumes.

Il n'y a rien de plus cruel dans ce monde que l'espoir brimé, celui-là même que l'on pointe du doigt sans oser y croire, pour finir par le planquer au fond d'un tiroir.

Devant mon mutisme volontaire, père hausse les épaules et reprend la direction du trône.

— Tu es la seule à le savoir et tu t'obstines à contourner la malédiction comme si elle ne te concernait pas. Je n'ai pas choisi de te mettre un tel fardeau sur les épaules. Aucun père ne souhaiterait une telle chose pour sa fille, du moins aucun digne de ce nom.

— Une mère non plus.

— Pas une mère digne de ce nom.

Pas une mère du nom de Zilia, dernière enchanteresse des royaumes et prête à envoûter un homme pour récolter son amour contre son gré. Je n'ai pas besoin des mots du roi pour entendre tout ce qu'il a à me dire à ce sujet-là. Il n'est pas nécessaire non plus qu'il me rassure concernant ce qu'il aurait fait ou non à sa place, il paraît évident qu'aucun parent aimant ne pourrait laisser à son enfant le sort des royaumes tout entier entre ses mains. Seule une sorcière en serait capable. Une sorcière qui, même au-delà de ce monde, continue de mettre sur mon chemin de nouvelles épreuves toutes aussi insurmontables les unes que les autres.

La plus difficile d'entre elles consiste à tomber amoureuse. Le soleil n'attend que mon amour pour se lever, mais il s'est couché depuis si longtemps que je suis persuadée que son espoir est, à défaut d'être caché au fond d'un tiroir, perdu dans la nuit noire.

— En tant que père, je rêve de t'offrir une vie douce à l'abri des tourments. Sans doute aurai-je dû t'envoyer dans un petit village loin de la capitale, sous une fausse identité. Tu aurais pu grandir paisiblement et apprendre les rudiments de la chasse parmi les femmes de ton âge. Un père aurait fait cela, mais un roi...

Le roi Afélis n'a toujours eu qu'un seul amour ; l'unique qui éclipsait tous les autres. J'ai toujours cru qu'il s'agissait de moi alors qu'en réalité, père n'a jamais chéri quelqu'un plus encore que son royaume. Nous étions ses deux enfants, ses joyaux plus précieux encore que ceux de la couronne. De nature équitable et juste, père partageait son temps entre sa fille et son royaume. Il gérait les problèmes logistiques et redynamisait les troupes le jour tandis qu'il me berçait la nuit, l'oreille toujours attentive en cas de nouvelles du front.

Dans une fratrie, l'inégalité survient toujours quand l'un des deux enfants demande plus d'attention que l'autre. Ce n'était pas un caprice ni même une crise passagère, mais bien un besoin impérieux de faire passer le royaume en priorité. Le problème principal résidait dans le fait que pour soigner son grand enfant, père devait sacrifier le bien-être du second.

— Dis-moi, me prends-tu pour un idiot ?

Afélis n'est pas le genre d'homme à hausser le ton, tout simplement parce qu'il n'a jamais besoin de le faire. Ses remontrances se font d'une voix douce, son charisme se charge du reste. Actuellement, je rêve de m'enfuir aussi loin que possible. Devenir une souris et me faufiler entre les pierres de la salle pour ne devenir que simple spectatrice de la colère du roi. Colère qui, au vu de la direction que prend la conversation, va s'abattre sur moi.

— Non, père, me semble être la seule réponse correcte.

Arrivé au niveau du trône, le roi le contourne et appuie ses mains sur l'assise qu'il serre à s'en faire blanchir les phalanges.

— Penses-tu que je crois aux versions stupides que me sers Sofia chaque soir, quand tu n'es pas dans ton lit ?

Cette fois-ci, aucune réponse ne me semble correcte. Et si Sofia me couvre constamment quant à mes escapades, je ne suis pas bête au point de croire que ses excuses sont suffisantes pour convaincre mon père.

— Au début, je pensais qu'il s'agissait de la vérité, continue-t-il, se radoucissant légèrement. Je pensais naïvement que tu mettais tout ton cœur à trouver un homme qui saurait t'aimer suffisamment pour rompre la malédiction. Alors je fermais les yeux et j'espérais que tu allais le rejoindre. Je ne te dis pas que cela me rassurait, je reste ton père. Il n'y a qu'un homme pour comprendre mieux que personne les basses pensées des hommes, et te savoir dehors, accompagnée...

Il secoue la tête dans une grimace avant de répondre :

— J'essayais de réagir comme un roi en m'oubliant en tant que père. Je me levais en priant le royaume de faire en sorte que le soleil se lève en même temps, mais il faisait nuit et tu étais rentrée, dormant paisiblement dans ton lit. Seule.

Dans quel monde vivons-nous pour qu'un père se retrouve heureux de voir sa fille découcher ? Là où les autres éduquent leur fille à se montrer prude et à fuir le contact avec la gent masculine, mon père à moi me pousserait dans une fosse emplie de mâles dans l'espoir de me voir tomber en pâmoison devant un des spécimens. Il a bien essayé de provoquer le destin de nombreuses fois, mais mon cœur ne s'est jamais mis à battre plus fort et les papillons sont restés endormis dans mon ventre. J'ai essayé. Ô que j'ai essayé. Je ne compte plus le nombre de fois où j'ai accompagné un chevalier pour le thé ou pour une balade dans les champs, les chemins ou encore les monts de Chrysos. Je les ai écoutés me conter leurs prouesses, j'ai su apprécier leur beauté comme une jeune femme normalement constituée est capable de le faire — les joues rouges, les mains tremblantes et le feu en bas du ventre. Quelquefois, j'ai cru que c'était le bon. Que son sourire immaculé suffirait à me faire chavirer et que le temps ferait le reste. J'ai alors appris à différencier le désir et l'amour, fermant mes jambes aussi rapidement que j'avais songé à les ouvrir quand les chevaliers m'invitaient à prendre un bain dans un ruisseau, le torse vallonné de leurs muscles saillants.

Ce n'était pas de l'amour. Je n'étais pour un qu'un défi pas plus excitant qu'un combat, tandis qu'ils n'étaient pour moi que l'expérimentation maladroite de mon désir qui s'éveillait.

— Sofia n'a fait que servir les mensonges que je lui dictais.

— Cesse de me prendre pour un idiot, je n'ai pas grandi au milieu des coyotes. Sofia savait très bien que tu n'allais rejoindre personne et cette ridicule sororité a fait d'elle une menteuse.

Je fais les gros yeux, craignant l'exil pour ma plus proche amie. Jamais je n'arriverai à trouver une domestique aussi adorable qu'elle l'est, prête à mentir effrontément au roi pour mon propre plaisir. Afélis saisit sans doute ma crainte, car il réagit presque immédiatement :

— Sofia restera au château, mais je lui ai signifié en personne ma façon de penser quant à son comportement.

Mille coyotes sont moins effrayants que le roi dans ses mauvais jours. Sofia doit certainement être en train de m'attendre dans ma chambre, les yeux rouges et le cœur battant à tout rompre. Elle me dira à quel point elle a eu peur par ma faute et je me ferai pardonner en lui demandant de m'accompagner rendre visite à Freud la prochaine fois que j'aurai le droit de quitter le château — en l'occurrence, jamais.

— Que fais-tu ? demande Afélis, caressant l'assise nerveusement.

— Je t'écoute, père.

Il lève la main et balaie l'air, excédé.

— Que fais-tu quand tu n'es pas dans ton lit ?

Je réfléchis à toute vitesse, décidant s'il est préférable de dire la vérité ou de m'enfoncer dans le mensonge. La vérité ne lui plaira certainement pas, mais le mensonge entamera notre relation d'une façon si douloureuse et permanente que je préfère ne pas m'y risquer. Mentir à un homme qui s'est fait berner par une enchanteresse des années durant n'est jamais adéquat, quelle que soit l'autre option.

— Je chasse, dis-je dans un souffle.

— Tu chasses ?

— Je chasse.

— Elle chasse ! s'exclame-t-il en levant les mains vers les lustres.

— Des biches, des coyotes, des cerfs...

— Je me doutais bien que tu ne chassais pas des hommes, Mira ! Tu aurais pourtant dû !

— Papa !

— Majesté ! Je ne suis pas ton père ce soir, je suis le roi.

Je ris jaune, blessée par la fierté d'un homme que je n'aime pas voir de cette façon-là.

— Peut-être aurais-je dû les mettre en joue de ma flèche, sans doute seraient-ils tombés amoureux, j'ironise et ajoute ; Majesté.

Afélis hausse les sourcils et pince les lèvres, les prémices d'un sourire se dessinent avant de disparaître dans la foulée.

— Si tu n'étais pas ma fille, je t'aurais envoyée au front pour ton insolence. La guerre n'est pas un jeu, n'en résulte que la mort. Et s'il y a encore du gibier à chasser, ce qu'est que parce qu'ils ont le loisir de se repaître des boyaux de nos soldats.

A ses mots, je regrette mon insubordination. Je n'ai pas vu la guerre, mais je l'ai entendue. Mes oreilles ont saigné des cris des soldats, des lamentations de l'agonie, des pleurs ininterrompus des veuves et de leurs enfants qui n'ont pas eu le temps d'être grands.

— Mais tu es ma fille, enchaîne Afélis, ton insolence n'est que le reflet de la mienne. Je ne peux te reprocher de me ressembler, je n'aurais supporté le contraire.

Le destin a fait en sorte que rien ne puisse me lier physiquement à Zilia et je lui en suis reconnaissante. Pour ce qui est du caractère, tout porte à croire que je le tiens également du roi et là encore, ce n'est pas une mauvaise chose — la plupart du temps. Nous sommes soupe-au-lait et fiers de notre personne, prêts à surenchérir dans des joutes verbales aussi stériles que les royaumes.

— Assieds-toi, m'ordonne-t-il en tapotant l'assise de sa main.

— M'asseoir ?

— Assieds-toi sur le trône.

Je m'avance, gravis la seule marche qui me sépare du trône et m'arrête net, confuse face à la demande de mon père. Personne n'a le droit de s'asseoir à sa place, personne qui souhaite vivre. Il ne s'agit peut-être que d'une chaise faite d'or et d'ornements tous plus beaux les uns que les autres, mais son symbole prévaut sur la valeur qu'on pourrait lui donner. Poser mes fesses sur le trône est une responsabilité que je ne suis pas prête d'endosser, et je crains de m'en approcher un peu plus chaque nuit.

— Par tous les coyotes Mira, assieds-toi sur ce fichu trône.

Comme forcée par l'ordre impérieux de mon père, j'obéis sans un mot, presqu'étonnée que le métal ne me brûle pas les fesses. Je gigote avant de croiser mes mains sur mes cuisses, inconfortable dans la position d'une reine qui n'en a pas l'air. Afélis fait le tour du trône d'une démarche lente pour finir par camper devant moi, prêt à s'accroupir comme le fait le peuple lors des doléances. Soulagée par le fait qu'il ne ploie pas le genou, j'oublie de m'inquiéter pour la signification de toute cette mise en scène jusqu'à qu'il prenne la parole d'un ton solennelle :

— Ce matin qui a tout de la nuit, je ne m'adresse pas à toi en tant que père, ni en tant que roi. Je m'adresse à celle qui deviendra reine.

Je hoquète, serrant les accoudoirs plus que de raison. Reine est un nom que je ne supporterai pas de porter, comme s'il était lui-même la malédiction.

— Une reine qui devra sauver son royaume quel qu'en soit le prix. Peut-être devra-t-elle trouver un amour sincère afin de rompre la malédiction, mais peut-être n'en aura-t-elle pas le temps.

— De quoi parles-tu ?

Il lève la main et serre le poing, m'invitant au silence.

— Tout est une histoire de temps, depuis la nuit des temps. Ironique, n'est-ce pas ? Hier nous apprend les erreurs que nous commettrons demain avant que demain ne devienne hier. Le temps est ce que nous avons de plus précieux, il se moque et s'écoule comme si rien ne pouvait lui survivre. Nous ne pouvons attendre le temps ni le prendre ou le gagner, sans craindre de le perdre. Les optimistes diront qu'il ne fait que passer et le perdent en se questionnant à son sujet tandis que je le vois filer à pleine vitesse, me dépasser et se presser.

— Es-tu mourant ?

Il secoue la tête à la négative et je respire à nouveau.

— Le royaume l'est. Les royaumes tout entier le sont. Et si je pensais que rien ne pouvait nous allier à Afthonia, la menace du temps le fait.

— Nous ne pourrons jamais nous allier à des barbares, aucune menace ne saurait nous y contraindre.

— Nous avons besoin de leurs vivres et ils ont besoin de nos ressources matérielles.

— Nous chasserons davantage.

— Le gibier manque.

— Nous irons plus profondément dans la forêt.

— Agis en tant que reine, Mira. Le temps n'est plus à la guerre, il est à la négociation.

Je me lève d'un bond, révoltée par les propos défaitistes d'un homme qui a toujours été combatif. Jamais père n'aurait abdiqué aussi facilement en demandant l'aide de son ennemi. Il y a quelques mois à peine, Afélis hurlait à qui voulait l'entendre que la tête d'Yvris finirait au bout de son épée avant d'être donnée en pâture aux coyotes et aux corbeaux qui lui picoreraient les yeux. Il animait les récits les plus glauques, excitant les soldats qui manquaient d'entrain, dégoûtant les femmes qui avaient le malheur d'être présentes dans l'assemblée.

— Un roi ne peut quémander des vivres sans être traité de faible. Ton peuple se bat depuis des années pour conquérir Afthonia, ne salit pas la mémoire de nos morts.

— Où est passée mon enfant, celle qui ne désire que la paix ? demande-t-il, la fierté se lisant dans ses yeux.

— Je la désire plus que tout, mais ne m'abaisserai pas à la demander à genoux.

Un sourire étire les lèvres d'Afélis. Il pose alors sa main sur mon épaule, la pressant comme s'il s'apprêtait à la broyer sans cérémonie.

— Il y a quelques heures, une missive nous est parvenue d'Afthonia. Il y avait le sceau du roi.

— Es-tu en train de me dire... que la demande de trêve ne vient pas de toi ?

Il acquiesce, fier comme un coq.

— Yvris demande une rencontre et se montre enclin à débuter les négociations.

Autrement dit, le roi Yvris vient de mettre un genou à terre, signant ainsi sa cuisante défaite face au royaume d'Ilios. Il ne peut y avoir de meilleure nouvelle que celle-ci — la paix nous tend les bras, la victoire l'accompagne.

— S'intéresse-t-il à notre or ?

— L'or et les matériaux nécessaires aux besoins de première nécessité.

— Le fer des mines ne doit pas lui être cédé. Il cherche à renforcer son armée, ne lui donnons pas les lames pour nous tuer.

— Nous pourrons concéder à troquer du bois et de la pierre contre des denrées rares comme du bœuf.

— Nous avons suffisamment d'or pour négocier également les céréales et le poisson.

— Tu lui prendras tout jusqu'à l'allégeance de son fils. Je ne serai comblé que lorsque celui que l'on surnomme la bête d'Afthonia tombera à mes pieds, son front couvert de la poussière d'Ilios.

Je devrais applaudir, sauter ou encore danser. Je devrais prendre mon père dans mes bras et l'enlacer aussi fort que possible en rêvant d'une paix sereine. Peut-être même qu'il serait légitime de sortir de la salle de bal en chantant. Je pourrais faire tout cela et bien plus encore. Je pourrais mais n'en fais rien, tout simplement car Afélis ne s'est pas une seule fois inclus dans les négociations qui s'annoncent. Alors que je réalise l'ampleur des révélations qu'il vient de faire, je recule et me rassied sur le trône.

Il n'a jamais été question que les rois échangent de vive voix — cela serait bien trop risqué. Afélis n'a fait mention d'aucune rencontre, citant l'héritier glorieux d'Yvris comme s'il serait le témoin de cet échange. Mais il ne sera pas seulement témoin et c'est sans doute la raison de cette drôle de conversation. La bête d'Afthonia tiendra les négociations et je devrai lui tenir tête.

L'héritier légitime de chaque royaume sera chargé de la lourde tâche de trouver un accord et je devrais ruser pour gagner face à un homme connu pour tuer plus vite que l'éblouissement du jour — alors même que mon existence est tenue secrète auprès de notre ennemi.

Tout fait sens.

Le visage contrarié de père, le trône qu'il m'a offert le temps d'une discussion nouvelle et l'espoir qu'il place en celle qui ne connaît que l'insubordination et le silence dans la nuit dans laquelle elle s'oublie.

— Nous te préparerons.

— Je peux le faire.

— Je ne compte pas accepter pour le moment, j'aimerai donner une dernière chance à la providence.

— De quelle providence parlons-nous ?

— Celle qui consiste à trouver un homme qui se tiendrait à tes côtés, plutôt que celle qui te mettrait en danger face à un homme qui souhaite te tuer.

Je quitte le trône et lisse ma robe, encore sonnée par tout ce que je viens d'apprendre. En réalité, je suis incapable d'en entendre davantage et le mot providence m'a tellement été répété qu'il est possible que je le vomisse.

— Un bal, dit-il, un dernier bal en souvenir de ce qui n'est plus.

Je fais les gros yeux, mais le roi s'en moque et s'emporte, rêvant à toutes ces choses qu'il a perdues :

— J'inviterai tous les meilleurs partis du royaume en ordonnant leur présence. Ils s'agenouilleront devant celle dont ils espèrent conquérir le cœur. Qui sait... peut-être l'un d'entre eux y arrivera-t-il enfin ?

Devant son air enjoué et son sourire jusqu'aux oreilles, je n'ose le contredire. Et si père veut que je laisse un millier d'hommes me baiser la main pour tenter de ramener le jour, j'accepterais leur bave et leurs grands yeux de chien battu sans rechigner. Puis j'irai rencontrer l'héritier du royaume d'Afthonia et, à défaut de le faire avec mes mains, la bête baisera mes pieds.

Je m'approche de père et pose une main sur son avant-bras, plus résignée que jamais. J'ancre mes yeux dans les siens et souffle, ne réalisant pas à quel point j'ai raison :

— Un dernier bal.


*


Vous trouvez pas que le roi il a beaucoup trop d'espoir ? 😏

Genre, on sait que ça va pas se passer comme prévu, sinon cette histoire n'existerait pas 🤡

Maintenant, pour ce qui est de l'imprévu, vous n'êtes pas prêts ☠️

Et il me tarde que vous découvriez la suite !

A vendredi mes petits coyotes ♥️


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