MIRABILIS

By tymlor

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Lors de l'exécution de la dernière enchanteresse des royaumes, celle-ci laisse en son souvenir une malédictio... More

La carte des royaumes
Mirabilis - A propos
Prologue
Chapitre 1
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
Chapitre 21
Chapitre 22

Chapitre 2

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By tymlor


Mirabilis

    Le coyote jappe, un membre boiteux et les yeux vides dans lesquelles se reflète ma torche qui faiblit. L'animal est plus amoché que je le craignais. Son instinct de survie est si faible qu'il se contente de se ratatiner sur le sol, en faisant appel à ma bonté, espérant que je poursuive mon chemin. Son appel n'est que souffrance, et son cri – entre le hurlement de désespoir et la supplication de la mort – me rappelle tout ce que le royaume a perdu. J'attrape une flèche, la place sur mon arc que je bande, puis tire sans prendre le temps de réfléchir à la barbarie que m'inspire mon acte. Le coyote s'allonge dans une dernière prière vaine, le métal figé dans son crâne. Knight s'agite, prêt à décamper dès que je lui en donne l'ordre – ce que je fais sans attendre. Je laisse derrière moi le cadavre du malheureux qui ne le sera plus et prie la nature d'offrir sa viande à d'autres prédateurs afin qu'ils puissent enfin se repaître.

    Cette deuxième douzaine encore, la chasse se révèle infructueuse. N'ayant nul autre choix que de me diriger vers les bois de Nychta, je resserre ma cape et galope tranquillement en direction des bois mystérieux où la vie subsiste encore.

    La forêt se situe au nord du royaume d'Ilios. Elle est la frontière naturelle qui nous sépare de celui d'Afthonia et est pour cette seule raison, notre bien le plus précieux. Malgré le manque de matière première tel que le bois, les deux royaumes ont conclu un accord consistant à ne pas sacrifier les chênes et les sapins qui composent la forêt. Cet accord n'a jamais été aussi fragile qu'aujourd'hui, même s'il l'est chaque jour un peu plus.

    Quand l'éblouissement de minuit nous honore de sa présence, les soldats de chaque souverain se livrent un combat impétueux là où les deux royaumes se rencontrent, au milieu d'un chemin juste assez large pour deux chevaux côte à côte et le fer de l'épée de leur cavalier. Les cadavres qui jonchent le bois fertilisent les arbres et permettent sans doute de nourrir les prédateurs tels que les coyotes et les loups. Ils sont des hommes, des maris et des pères avant d'être la terre que mon cheval foule en faisant craquer leurs os sous ses sabots.

    D'aussi loin que je me souvienne, les royaumes d'Ilios et d'Afthonia ont toujours été en guerre. L'un reprochait à l'autre de détenir toutes les ressources nécessaires au développement d'un royaume – à savoir le bois et la pierre. Ilios et riche de ces matières ; les monts de Chrysos offrant au royaume l'abondance comme jamais Afthonia ne le connaîtra. Pour autant, ce n'est pas la pierre que jalousait le royaume gouverné par le roi Yvris, mais bien l'or. Certaines mines de Chrysos regorgent d'or, rendant notre royaume bien plus riche que celui du nord. Nous avons longtemps été fiers de détenir toute la richesse des royaumes, et nous nous sommes vantés d'être invincibles, capables d'acheter jusqu'aux fermiers qui nourrissaient le roi Yvris – nous avons eu tort. L'or n'est plus d'aucune utilité quand il n'y a plus rien à acheter.

    La malédiction de mère nous l'a rappelé bien vite, quand les céréales sont venues à manquer. Nous pouvions construire autant que nous voulions de forts et de tours pour défendre l'orée des bois, mais il nous était impossible de nourrir les travailleurs.. La plupart des mines sont désormais désaffectées, utilisées pour le stockage du peu de vivres qu'il nous reste encore.

    Il n'en va pas de même pour le royaume d'Afthonia qui a toujours su se targuer de posséder les terres les plus fertiles et les lacs et rivières qui regorgeaient des meilleurs poissons. Cette vérité ne nous concernait pas à l'époque où le soleil faisait pousser nos récoltes, mais les choses ont changé rapidement et même la chasse est devenue un domaine réservé aux meilleurs d'entre nous. Nous ne possédons ni moutons, brebis ou encore vaches et jalousons les fermes prospères des îles du nord — du domaine de Salakis aux coins de pêche de la retenue d'Emporia.

    Les deux royaumes sont complémentaires d'une façon si cruelle qu'il pourrait s'agir d'une lointaine malédiction. Et s'ils pourraient être utiles l'un à l'autre, il est inenvisageable pour les souverains de partager leur richesse. Cet aveu de faiblesse serait sans doute celui qui causerait leur perte et aucun des deux rois ne veut être celui qui faiblit le premier. Un jour ils n'auront plus le choix, mais père prie la nature chaque soir de lui donner davantage de temps et de gibier en bonne santé — ni l'un ni l'autre ne lui ont été accordés.

    Au bout de deux heures de cavalcades, la tour fortifiée la plus proche des combats se dessine dans mon champ de vision. Il y en six au total au sein du royaume d'Ilios, toutes bâties avant ma naissance dans le but de contrer les assauts d'Afthonia. Elles sont aujourd'hui plus branlantes qu'effrayantes, mais elles ont le mérite d'indiquer la direction à prendre pour rejoindre la forêt. Je bifurque à droite sur un chemin un peu plus escarpé, m'éloignant volontairement de la tour d'où quelques soldats perchés pourraient me voir.

    Pénétrer dans les bois de Nychta sans prendre la voie principale est une folie peu recommandable. Certains préféreraient même avaler un mirabilis maudit que prendre le risque de se retrouver face à un loup affamé, lassé de ses festins à base de coyote et de cerfs trop maigres. Pour ma part, je ne crains pas tant que cela les prédateurs nocturnes des bois, mais bien plus les hommes armés jusqu'aux dents qui s'y cachent. La raison est bien simple ; si je peux me débarrasser d'un loup d'une flèche dans son thorax, l'armure de l'homme résistera à ma pointe avec une aisance ridicule. Il ne me restera alors plus qu'à espérer une mort rapide et indolore, à défaut de me faire capturer par l'ennemi qui finira par réaliser que sa trouvaille hasardeuse se trouve être la princesse du royaume d'Ilios. A ce moment-là, la mort ne serait plus une option, mais les dents des loups pourraient être bien moins douloureuses quand bien même elles déchiqueteraient mon corps membre après membre.

    Les premiers sapins m'entourent, m'annonçant sans cérémonie que je m'apprête à m'enfoncer dans les bois. Comme à chacune de mes balades nocturnes, je me sépare de ma torche dans un cours d'eau afin de ne pas faire fuir le gibier et tapote l'encolure de Knight – lui seul sera capable de me ramener au château sans avoir besoin d'une lumière quelconque. Mes yeux s'habituent petit à petit à l'obscurité, captant les mouvements et le bruissement des feuilles des arbres qui se font de plus en plus denses. J'entends au loin le bruit désagréable du fer qui se croise et profite de ce vacarme pour attendre paisiblement de croiser une biche ou un cerf qui tenterait de fuir ce raffut en se dirigeant vers moi. En tant que piètre chasseresse, c'est souvent de cette manière-là que je récupère le dîner et je ne saurai en récolter de gloire.

    Une plainte s'élève entre les arbres, plus loin en direction de la zone de combat. Il m'est impossible de l'ignorer tant elle est forte et lancinante, signifiant sans aucun doute une lente agonie. Je déchausse mes étriers et me laisse glisser contre la selle de Knight, posant pieds à terre avec légèreté afin de ne faire aucun bruit, au risque de faire fuir l'animal. J'attache Knight à l'aide d'un nœud de sécurité rapide, me saisit de mon arc et suit la plainte à pas de loup. Il ne me faut que quelques secondes pour trouver la provenance de ce bruit, et la révélation de ce qui m'attend n'a rien pour me réjouir.

    Sous mes yeux habitués à la nuit, une biche gît dans le sang de ses petits mort-nés. La mort est de l'un de ses spectacles qui ne nous ravie jamais, pourtant je ne peux décemment détourner le regard de la victoire de la mort sur la vie. Le destin de ses petits était scellé avant même que le ventre de la mère ne s'arrondisse. Ils ne pouvaient vivre, la malédiction ne l'aurait pas permis. Malheureusement, les animaux ne sont pas les seuls touchés par cette tragédie, et les humains en paient le prix fort.

    La distorsion du temps n'a pas seulement impacté nos récoltes et nos repères, mais le fonctionnement tout entier de notre monde. Les femmes enceintes qui étaient fières de porter la vie en leur sein ont vite déchanté quand leur bébé n'a jamais poussé son premier cri. Il y a eu un premier cas, puis des centaines avant que les royaumes réalisent que le nombre de naissance était à zéro. Le verdict était sans appel : aucun enfant ne pouvait naître d'une grossesse accélérée, les déformations étaient nombreuses et bien trop graves.

    Je soupire en m'approchant de la biche, culpabilisant de profiter de son malheur pour nourrir mon peuple. Rassurée de ne sentir aucun pouls sous son épaisse couche de poils, je vais pour me saisir de mon couteau quand un bruissement de feuilles me fait m'immobiliser. Le sang aurait très bien pu attirer un prédateur affamé qui serait prêt à se battre pour son dîner.

— Range ton arme.

    La voix est si proche que je regrette de ne pas avoir été plus attentive. J'aurais dû le sentir arriver et être plus prudente, peut-être même attacher Knight plus loin pour ne pas attirer l'attention.

    Il s'agit d'un homme. La froideur de sa voix indique qu'il n'est pas en balade et, au vu de son agressivité palpable, qu'il ne vient pas d'Ilios.

    J'ose enfin lever la tête vers lui tout en prenant soin de ne pas faire de geste brusque. Il serait stupide de prendre le risque de dévoiler mon identité en laissant ma capuche découvrir mon visage.

    Majestueux sur son cheval aussi noir que la nuit éternelle, le soldat me tient en joue de son épée. La lune se reflète sur son plastron usé par les combats, lançant quelques éblouissements qui me rendent nostalgique du soleil. Sa tête est recouverte d'un masque noir en cuir épais qui s'étend jusqu'à sa bouche, découvrant ses joues saillantes et son menton carré. Aucune émotion ne traverse son visage d'une dureté qui ne sied qu'à ceux qui jouent avec la mort chaque nuit, quand les combats font rage.

    L'homme n'est pas d'Ilios, son masque en cuir en est la preuve. Là où nos soldats bénéficient du meilleur équipement, nos ennemis se contentent de ce qu'ils trouvent sur leurs terres, et les matériaux les plus résistants ne couvrent que les parties vitales, à savoir leur buste et le haut de leur dos.

— Es-tu un soldat d'Ilios ?

    Je secoue la tête à la négative, bienheureuse que cela ne soit pas réellement un mensonge. Et même s'il est vrai que je viens d'Ilios, je suis bien loin d'être un soldat malgré mon carquois et ma tenue peu adaptée à mon rang.

    L'homme m'inspecte quelques secondes, puis fait de même avec Knight, sans doute surpris de le retrouver attaché quelques mètres plus loin comme si je me baladais sans avoir conscience de la guerre en cours. Il finit par baisser la tête en direction de la biche, son expression toujours insondable derrière le cuir de son masque. Quand il prend à nouveau la parole, son ordre ne laisse place à aucune possibilité de négocier :

— Disparais.

    Son cheval recule en soulevant la terre sous ses sabots, tandis que je regrette de ne pouvoir ramener de viande cette fois-ci. Alors j'abandonne la biche et ses petits sur le tapis de feuilles, puis fais marche arrière, priant la nuit de ne pas mourir d'une lame dans le dos.. Ce n'est que quand je me mets en selle que je risque un coup d'œil vers l'endroit où se tenait le soldat. Je suis surprise de l'y trouver encore, droit et fier sur sa monture, digne d'un homme de haute naissance plus que d'un simple soldat jeté en pâture à ses ennemis.

    Il entreprend de faire demi-tour, mais ne se tient jamais dos à moi – preuve d'une intelligence tactique que je n'ai définitivement pas.

— Disparais, femme d'Ilios, crache-t-il doucement.

    Je ne demande pas mon reste, désireuse de ne pas goûter à sa lame, puis étouffe les flancs de Knight entre mes mollets en obéissant sans peine au soldat.

    Alors que les arbres s'espacent et que je quitte la forêt, je respire à nouveau. Cette nuit, la vie l'aura emporté sur la mort pour ce qui me semble être la première fois depuis ces six dernières années. L'idée qu'il puisse y avoir un espoir suffit à me faire sourire avant que s'insinue dans mon esprit l'image des bébés mort-nés – comme si la mort elle-même toquait à la porte de mon esprit pour que je ne puisse jamais oublier qu'elle m'épie dans la nuit. 

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