Quatorze ans. C'était l'âge que venait d'atteindre la jeune Mia deux jours auparavant. L'âge des premières soirées, du premier verre, de la première cigarette, de certaines relations prématurées...
Mais c'était aussi le double de l'âge qu'elle avait lorsque ses frères l'avaient repêché. On pouvait alors dire qu'elle avait désormais passé la moitié de sa vie avec eux. Pour elle, ils étaient maintenant digne d'être au niveau de leur mère.
La jeune fille avait gardé ses traits angélique tout autant que ses longues boucles dorées qui lui arrivaient en bas de la colonne vertébrale.
Elle était vêtue d'un bonnet en laine gris, sur ses épaules siégeait un petit pull beige en tricot avec par dessus une veste style aviateur d'un rose pâle que ses joues, et puis en bas elle avait enfilé un jean qui rappelait le gris des nuages du ciel tout en épousant parfaitement les formes innocentes que son corps formait. Une paire de Converses roses recouvraient ses petits pieds.
Assise sur sur un muret qui entourait le parc où elle avait l'habitude d'aller. Elle était accompagnée de son ami Paul qui laissait la fumée de sa cigarette s'échapper dans l'air Londonien.
Plus le temps passait, plus l'écart entre leur tailles se creusait.
- Tu veux tirer ? lui proposa le garçon en tendant le bâton fumant coincé entre l'index et le majeur de sa main.
Mia haussa simplement des épaules avant de saisir la clope et de la coincer entre ses lèvres. A chaque fois qu'elle posait son regard sur lui, elle ne pouvait s'empêcher d'admirer son élégance.
Avec son sweat bleu marine assorti à son pantalon chino - tous les deux de chez Ralph Lauren et de la même couleur - qui faisaient ressortir la couleur de ses yeux, ses baskets montantes d'un blanc éclatant et sa veste cargo avec revers en polaire, Paul était bien au dessus des jeunes de son âge. Cela lui donnait même un côté plus mature dont raffolaient les filles à l'école.
- Je sais pas pourquoi Matt et Leo n'arrivent pas à s'arrêter... lâcha la jeune fille après avoir expiré une bouffée de fumée.
- Et toi, pourquoi tu as commencé ? lui répondit le jeune homme tout en regardant l'horizon.
Cette question la déstabilisa.
- C'est que de temps en temps, et je peux très bien m'arrêter.
- C'est exactement pour ne pas entendre ça que je voulais pas t'en passer. Mais du moment que ça reste rare et que c'est que avec moi, je dirai rien à tes frères.
- Tu connais très bien notre marché, répliqua Mia avant de tendre la fin de la cigarette à son ami.
Quelques semaines auparavant, Mia avait surpris le jeune homme en train de fumer dehors lors d'un de leur voyage scolaire. Il avait arrêté les cours à la maison pour reprendre les cours physiquement après la mort de sa mère. C'était d'ailleurs ce qui l'avait mené à tester de nouvelles pratiques un peu malsaines pour ce sortir de cette période difficile.
Etant alors prise d'inquiétude pour son ancien ami à qui elle n'avait pas parlé depuis son dernier séjour en France, Mia avait tenté de le dissuader de continuer sur sa lancée, mais en vain. Elle avait alors fini par vouloir tester, mais là encore, le jeune homme avait répondu par la négative.
Non pas par envie de garder la dernière cigarette qui lui restait dans son étui argenté, mais plutôt par peur d'entraîner la fille dont il était encore amoureux dans sa nouvelle addiction.
Alors, le lendemain, Mia avait réussi à soudoyer un élève d'une classe au dessus pour qu'il lui échange son paquet contre quinze livre sterlings, ce qui après lui avoir annoncé le prix qu'elle lui en donnait n'avait plus été très difficile.
La jeune file avait donc montré ce paquet à Paul en lui annonçant l'objectif qu'elle s'était fixée de le finir toute seule en une journée, ce que de toute façon elle ne comptait pas vraiment faire.
Après discussion, ils en étaient arrivés à faire un marché : une à deux fois par semaine, Paul viendrait chercher Mia dans le but de faire une balade pendant laquelle ils n'en fumeraient pas plus qu'une chacun. En même temps, ou à différentes intervalles.
C'était pour le jeune homme un moyen de se limiter, tant dis que pour Mia, c'était un goût excitant de l'interdit et de la liberté. Paul était d'ailleurs son seul moyen pour y goutter, puisque c'était le seul ado de son âge en qui Anthony avait assez confiance pour laisser avec lui sa petite protégée.
A condition bien sûr, qu'elle garderait sa géolocalisation bien activée qu'elle rentrait bien à l'heure. Et cela arriva bien sûr malgré les multiples protestations de son frère autrefois militaire.
Ça pour faire la guerre, il savait bien y faire.
- Mia ?
Paul jeta le mégot dans la poubelle juste en dessous de ses pieds.
- Oui ?
- Qu'est-ce que ça t'a fait de découvrir que t'avais des frères après que ta mère soit morte ?
La jeune fille se remémora la scène dans sa chambre en France où elle avait posé les yeux sur son aîné pour la première fois.
- Au début, c'était difficile. J'avais très peur, j'osais à peine parler. Du jour au lendemain, je m'étais retrouvée dans une vie complètement différente de celle que j'avais avec elle...
- Mais à la fin, est-ce qu'ils t'ont aidé ?
-...A la fin, c'est eux qui m'ont sauvé.
Paul renifla un coup puis se frotta les yeux, comme pour se débarrasser de la fatigue par laquelle il était envahi.
- Moi aussi j'aimerais bien sauver mes grandes sœurs... souffla-t-il la tête entre les mains.
- Je pense qu'actuellement c'est toi qui a besoin d'aide, déclara Mia.
- Mais c'est pas moi qui pleure encore tous les trois jours.
- Justement.
A cet instant, Mia reçut un message de son frère qui lui demandait de rentrer. D'habitude, il la laissait jusqu'à un peu plus tard. Etonnant, mais la jeune fille ne posa pas plus de questions.
- Il faut que je rentre, déclara cette dernière.
Comme d'habitude, Paul aida son amie à descendre avant de la raccompagner chez elle. Lorsqu'il se retrouvèrent face à son immeuble, celle-ci s'attendait à ce qu'il face son habituel "à demain" et qu'il parte sans se retourner, mais il en fut autrement.
Paul ne détournait pas le regard des grands yeux clairs de la petite. Face à elle, il était raid comme une statue.
Mia fronça les sourcils et sur ses lèvres apparut un petit sourire gêné.
- Tu te souviens de quand t'étais mon amoureuse en primaire ?
La jeune fille pouffa.
- Oui, je me souviens. Tu m'envoyais des mots d'amour tellement illisibles que je faisais semblant de les avoir compris.
- Nan, sérieux ? Tu faisais ça !? s'exclama le jeune avant de rire aux éclats.
Mia le suivit dans son fou rire.
- Je suis désolée, finit-elle par lâcher après avoir repris ses esprits.
- Le sois pas, c'est vrai que j'étais pas un très bon écrivain de toute façon.
Le jeune homme reprit alors un ton un peu plus sérieux.
- Nan, pour de vrai. Ça me manquait un peu de te parler... beaucoup même. Et ma mère le savait. Je lui avais tout raconté de notre histoire. Elle m'avait alors fait promettre qu'après sa disparition, quand je serai plus triste, j'essaierai de récupérer mon amoureuse si elle me manque toujours autant. Et en vrai, bah...
Mia continuait de le fixer avec de grands yeux brillants. Son cœur battait la chamade.
-...Bah ça n'a pas changé. Je suis encore triste, mais même si on est plus des enfants tu me manques toujours autant. Et j'aurais beaucoup aimé que quand j'arrêterais d'être triste toi et moi on puisse... Peut-être redevenir des amoureux ?
On pouvait sentir la nervosité de ce garçon à plein nez. En premier lieu, la jeune fille ne sut quoi lui répondre. Alors, elle décida de l'enlacer. Son corps tremblait d'amour d'amour et de chamboulement, mais bien vite, elle fut apaisée par ce contact rassurant.
- Je serai toujours ton amoureuse Paul. Même si c'est pas tout de suite, je t'attendrai.
- Je t'aime ma petite Mia.
*
Une fois la porte de l'appartement passée, Mia fut étonnée de voir son père entouré de tous ses frères. Le sourire qu'elle portait s'est aussitôt effondré.
Ses cheveux s'étaient à moitié grisés, et son visage était vieilli.
- Bonjour ma fille, j'espère que tu as passé un joyeux anniversaire. As-tu déjà eu le temps d'utiliser mon cadeau ?
Daniel lui avait fait parvenir une carte bancaire avec une somme de départ de mille livres sterlings afin qu'elle puisse se faire plaisir avec ce qu'elle voulait. Son premier achat avait donc été un appareil photo numérique qui lui servait à apprendre la photo et à faire des vidéos de danse, puisque cela faisait désormais quatre années qu'elle s'était adonnée à cette activité.
Et il fallait admettre qu'elle était très douée.
- Oui, j'ai acheté un appareil photo.
- En fait je sais déjà, dit-il tout en s'approchant d'elle. J'ai accès à ton relevé de compte... En tout cas je trouve que c'est une bonne idée, du moment que ce n'est pas pour poster ton visage sur internet.
- T'en fais pas pour ça Daniel, intervint l'aîné de la fratrie.
L'homme pivota à peine vers son fils puis reporta son attention sur sa jeune fille. Il prit une mèche de ses cheveux et la fit glisser le long de ses doigts.
- Tu as les cheveux de ta mère...
Après quelques instants, il s'arrêta pour aller chercher un paquet posé sur la table basse. Mia jeta un œil à ses frères qui étaient tous en retrait. Lorsqu'il revint avec le paquet entre ses mains, il le tendit à sa fille tout en lui annonçant :
- C'est pour toi, je l'ai ramené de France.
Mia saisit le paquet et l'ouvrit. A l'intérieur se trouvait un sac Pandora qui lui-même contenait une petite boîte. Lorsqu'elle l'ouvrit, elle y découvrit un magnifique bracelets avec les lucky charms les plus somptueux qui pouvaient exister. Le bracelet en était rempli.
- C'est... c'est magnifique, merci.
Mia en était sans voix.
Son père prit le bracelet entre ses mains et lui attacha autour du poignet.
- Je suis content que ça te plaise. Cela m'a pris quelques mois pour réunir tous les petits bijoux qui y sont, car la plupart sont propres à un pays spécifique et ne se trouvent pas ailleurs. En tout cas, tu n'es pas obligée de l'enlever. Tout est inoxydable.
La jeune fille était stupéfaite, et un peu mal à l'aise. Une telle attention de son père, c'était pour elle quelque chose d'inattendu.
-...Bon, maintenant on a quelque chose à te dire tes frères et moi. Viens t'asseoir avec nous.
Ainsi, les frères de Mia prirent place autour de la table basse, sauf Leo qui resta debout les mains dans les poches. La jeune fille prit alors place aux côtés de son père face à ces derniers.
Anthony était impassible. Les coudes posés sur les genoux et les mains jointes, il était penché vers sa sœur et la scrutait le moindre de ses gestes.
Matthew, lui, n'osait même pas la regarder dans les yeux. Le bleu de ses iris semblait s'être assombri.
Et Tommy lui, avait la tête penché sur le côté et regardait sa sœur avec un triste sourire sur le visage.
- On a reçu une lettre, commença le père tout en se tournant vers sa fille qui osait à peine le regarder dans les yeux.
Anthony se leva pour aller chercher une enveloppe qui reposait sur le comptoir de la cuisine. Lorsqu'il s'approcha de sa petite, il lui tendit la lettre tout en posant une main glissante sur son épaule. Aussitôt, il alla reprendre sa position d'observateur face à elle.
Mia ouvrit l'enveloppe. A l'intérieur se trouvait une invitation à des funérailles.
- Eric e-est mort ?
- Oui il l'est, confirma le paternel de la fratrie.
Mia sentit son monde vaciller. Alors comme ça ce n'était pas son père qui l'avait tué quelques années plus tôt. Pourtant, c'était bien ce qu'elle avait pensé.
-...Il est mort en prison, intervint Matthew qui regardait sa sœur pour la première depuis le début.
La jeune fille retint quelques larmes. Elle ne savait pas si c'était de la peine ou du soulagement, au quel cas elle se sentirait comme la pire des personnes de ce monde.
- Nous on voulait pas que tu y ailles, ajouta Tommy. Mais...
- En fait tu n'iras pas, l'interrompit Daniel. Je ne veux simplement pas que ma petite fille rende hommage à la pourriture qui a fait de sa vie et celle de sa mère un enfer, tu comprends ?
Mia hocha lentement de la tête.
- Bien. Quoi qu'il en soit... saches que, poursuivit-il tout en se relevant et en remettant sa cravate en place, tu peux maintenant enterrer le passé.
Il prit alors un ton plus sérieux mélangé à quelque chose qui s'apparentait comme à de la douceur :
- On t'a retrouvé il y a maintenant sept ans, la moitié de ton existence. Et même si on dirait pas comme ça... le vieux grincheux que je suis fera de son mieux pour que le reste de ta vie soit heureuse. Sur ce...
Mia eu un faible sourire à l'entente de ces paroles réconfortantes. Ainsi, ce fut la seule à raccompagner Daniel jusqu'à la porte d'entrée. Lorsque ce dernier fut prêt à partir, il s'arrêta un instant pour replacer une mèche des cheveux de sa fille derrière son oreille.
- Tu es vraiment son portrait craché.
C'est sur ces mots que l'homme se volatilisa derrière la porte. Aussitôt disparu, la jeune fille s'autorisa de laisser couler quelques larmes.
- Sweetheart, l'appela son frère aîné.
Mia se tourna vers lui avant de se mettre à marcher en sa direction, balayant de ses manches les gouttes d'eau qui dévalaient ses joues.
Une fois à son niveau, cette dernière se jeta dans ses bras. Cette fois-ci elle ne pleurait plus.
- C'est fini mon ange, c'est fini... lui murmura-t-il à l'oreille tout en caressant doucement son dos.
Après quelques instants silencieux, Mia se releva pour lui faire face.
- Je t'aime Tony.
- Moi aussi je t'aime ma puce, répondit l'aîné avec des yeux remplis d'inquiétude.
Il tenait encore ses deux mains dans les siennes par peur de la lâcher.
Ainsi, la jeune fille se dirigea vers son second frère le plus âgé.
- Matt, t'as toujours été là pour me comprendre et m'écouter... merci.
Ce dernier répondit par un faible sourire avant de prendre et d'embrasser sa main. Elle fit maintenant un pas vers le plus jeune.
- Tommy, t'as passé beaucoup de temps avec moi, et t'es celui qui m'a apporté la joie de vivre. Merci pour ça.
Avec un large sourire, le jeune homme prit la fillette dans ses bras.
- Mon p'tit rayon de soleil...
Pour finir, Mia se dirigea vers Leo. Derrière son regard dur et sévère se cachait une profonde empathie envers elle.
- Et toi, t'as toujours été là pour me protéger et me sauver de toute situation. Je sais même pas comment je pourrais te remercier, dit-elle tout en attrapant ses deux mains et en les balançant.
Leo l'arrêta soudainement avant de la serrer contre lui et de la décoiffer.
- Petite folle, heureusement que je suis là pour rattraper tes bêtises et empêcher celle des autres.
La jeune fille ria sans bouger de son emplacement. Elle souhaitait que ce moment dure une éternité.
De là où elle se trouvait, elle s'adressa à son aîné :
- Et toi Tony, tu sais... c'est toi qui m'a pratiquement élevé. Maman, elle serait vraiment très fière de toi.
- My little girl... souffla-t-il avec tendresse.
(Ma petite fille...)
- I love you all, dit la jeune fille.
(Je vous aime tous.)
- Nous aussi on t'aime, sweetheart.