Sain d'Esprit (Laura Woodward...

By LeodeGalGal

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Ceci est un tome 2, passez votre chemin si vous n'avez pas lu (et apprécié) Les Affaires des Autres ! La tra... More

Préambule
Récapitulatif des personnages (au besoin, sans spoilers pour le tome 2)
Un instant perdu
1. Train-train sanglant (1/2)
1. Train-train sanglant (2/2)
2. De la promiscuité
4. Visite macabre à Butterfly
5. Sans nostalgie, vraiment
6. Relance
7. Au taquet
8. Entre détectives
9. Inspection délicate
10. Apparition
11. Bienveillance brune
12. Garder le cap (1/2)
12. Garder le cap (2/2)
13. Interférences
14. Mauvais esprit
15. La compagnie des vivants
16. SOS fantômes
17. Retour à la fac
18. Assaisonnement (1/2)
18. Assaisonnement (2/2)
19. Indésirable
20. Les autres
21. L'expert (1/2)
21. L'expert (2/2)
22. Le chacal
23. Les voies du dépit
24. Enquête et trahisons (1/2)
24. Enquête et trahisons (2/2)
25. Compromis
26. Contre-attaque (1/2)
26. Contre-attaque (2/2)
27. Un autre spécialiste
28. Échos de Dunnes
29. RedWeasel007
30. Triste fin
31. Apprentie sorcière (1/2)
31. Apprentie sorcière (2/2)
32. Introduction posthume
33. Le coût du silence
34. Catharsis
35. Thérapie
36. Orage
37. Chaleur humaine
38. Incendie
39. Persév-errance
40. Qui sème le vent
41. Prise en charge
42. Réminiscences hivernales
43. Encore debout
44. Personne n'est parfait
Postface
L'eau qui dort (chapitre Poisson d'Avril)

3. Un os dans le gratin

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By LeodeGalGal

Helen débarqua à la morgue le lendemain midi. Laura était en train de discuter avec Ryan de sa thèse lorsque l'inspectrice frappa à la porte de son bureau. L'assistant, satisfait de la conversation, s'esquiva sans protester et Helen se coula dans le siège en face de Laura.

— Il est encore là, lui ? Il a l'air plus vieux que moi !

— La légale prend du temps. Il termine cette année.

— Mais est-ce qu'il est plus vieux que moi ?

— Un an, je pense.

— Mince.

L'enquêtrice haussa les épaules.

— Bon, j'ai lu ton rapport, et si je lis entre les lignes... On cherche un mastodonte de deux mètres ?

— Disons que... ça a dû demander pas mal de force, oui.

— Est-ce que c'est possible que le gars soit debout sur un siège, par exemple, et qu'il frappe...

Elle se leva et fit mine de grimper sur son fauteuil, une chaise tournante à la stabilité incertaine.

— Pas besoin de ça, s'exclama Laura. Je vois ce que tu veux dire... Oui, c'est possible, mais... Zasf...

— Appelons-le Zaffy, d'accord ? Je ne vais pas m'esquinter la langue en plus du cerveau.

— Il y a eu plusieurs coups... Probablement plus d'une vingtaine. Un gars qui s'approche, qui prend une chaise... ça demande une certaine organisation...

— Zaffy dormait peut-être.

— Zaffy se serait réveillé au premier choc. Mais peu importe : s'il y a eu chaise, les taches de sang doivent pouvoir le dire.

— Laura, il n'y a même pas d'empreintes de pas dans toute cette soupe. Et pourtant, tu es témoin...

— Bolognaise.

— Bolognaise.

Laura secoua la tête. Elle n'aimait pas la tournure que prenait cette conversation. Le meurtre improbable. Pourtant il y en avait eu mille autres, avant : des cas compliqués, un manque de preuve, des assassins intelligents, et il n'y avait jamais rien eu de paranormal là-dessous.

— Bon, autre chose. Tu places la mort à... entre 20 et 22 heures, la veille ?

— C'est ça.

— Il y avait du monde jusqu'à 21 heures environ, on a un témoin qui l'a salué avant de partir... et puis les accès au bâtiment étaient fermés à partir de 21 heures aussi, ça aide.

L'inspectrice eut un sourire.

— Mais j'aime bien. C'est stimulant, un truc bizarre de temps en temps. Ça me change des règlements de comptes à la sauvette.

— Et ici, c'est quoi alors, ta théorie ?

— Pour l'heure, aucune ne se dégage. Mais nous parlons de criminologues, ils sont fatalement calés en meurtre parfait. Ils le croient, du moins.

— Tu as déjà restreint le cercle des suspects, alors ? Tu penses que c'est quelqu'un de son entourage professionnel ?

— Disons qu'il n'y a pas eu vol... et il y a eu acharnement. Donc... Oui, ça restreint le cercle, c'est sûr.

Elle se leva.

— Je reviendrai te tenir au parfum. Je sais que tu aimes bien ça... détective ratée.

— Ah mais c'est gentil !

Helen lui décocha un clin d'œil et sortit. Laura demeura quelques instants en silence, un sourire sur le visage. Il y avait des gens qui, immanquablement, transportaient leur bonne humeur avec eux, la distribuant sans compter. La jeune inspectrice en faisait partie. Dire que New Tren se farcissait le tandem Haybel – Sorvet. Certains lieux étaient sinistrés.


Un corps et la lecture de deux articles plus tard, Laura passa par les vestiaires pour endosser la tenue de soirée règlementaire en prévision du gala de la légale. Ryan terminait de relire les épreuves d'un de ses chapitres, en smoking, Suzy recousait un cadavre à grande vitesse avec sa précision coutumière et Rupert avait filé au pressing voisin récupérer sa chemise. Ils se retrouvèrent dans le hall puis grimpèrent tous dans la voiture de Rupert, une berline confortable où même Ryan pouvait étendre les jambes. 

Le rassemblement national des médecins légistes avait lieu dans un hôtel passé de mode, à la décoration en toc, mais qui offrait un bel espace de conférence pour pas cher. Le buffet, quant à lui, venait de l'extérieur : le restaurant avait fermé depuis belle lurette. Laura s'attendait à retrouver d'anciens camarades de classe, des professeurs d'autrefois, des collègues croisés ici et là, mais ce ne fut qu'en entrant dans le vaste lobby qu'elle réalisa — en le repérant, d'emblée, dépassant la plupart de ses interlocuteurs — qu'elle y retrouverait aussi le résident légiste de New Tren.

Sans doute avait-il été des leurs les années précédentes, mais ne le connaissant pas alors, elle ne l'avait jamais remarqué. Aujourd'hui, sa présence éclipsait tout le reste et Laura, un instant, se sentit mal. Elle ne l'avait plus revu depuis la villa de Sam, ou plutôt depuis cette dernière image, sa silhouette troublée par les carreaux dépolis de la morgue, avant qu'elle n'embarque dans un avion pour rentrer chez elle.

Elle croisa involontairement son regard et s'excusa auprès de ses collègues pour filer vers les toilettes. Malgré son estomac vide, elle trouva de quoi baptiser la cuvette, sans parvenir à s'en empêcher, la carcasse secouée par une terreur existentielle dont elle faisait à peine sens. Elle s'assit par terre, encore barbouillée, essayant de reprendre son souffle, de maîtriser son vertige.

— Est-ce que ça va ? demanda avec sollicitude une voix inconnue, depuis l'extérieur de la cabine.

— Ça va, merci, juste une nausée, répondit Laura.

— Avec ce qui va suivre, il vaut mieux avoir l'estomac bien accroché, pourtant, continua la voix.

Laura la remit. Fiona McIntyre, de Versant. Elle se releva, s'essuya la bouche. Fiona se lavait les mains. Laura comprit qu'elle ne quitterait pas les lieux avant d'avoir pu juger de son état. Avec un léger soupir, elle sortit de sa cachette. Fiona écarquilla les yeux.

— Laura, diable, vous avez une mine... de cadavre.

— Ça va mieux.

Rien de tel qu'un témoin pour puiser dans ses ressources et faire face. L'hôtel était plein d'êtres humains. Ils formaient le meilleur bouclier contre la suite. Et puis, Allan lui-même n'avait certainement pas envie de la contraindre à une confrontation qui promettait d'être compliquée.

— Vous n'êtes pas enceinte, tout de même ! continua Fiona, avec son manque de délicatesse coutumier (un trait fréquent dans leur profession).

Laura se débarbouilla rapidement à l'eau froide.

— Aucune chance, répondit-elle, ce qui était vrai.


Regagnant la lumière, elle se mit en quête de son groupe, qu'elle dénicha autour d'un mange debout, un verre de mousseux à la main, l'autre dans les raviers de cacahuètes. A sa grande surprise, Ubis s'était incrusté parmi eux. Elle se figea et fit aussitôt volte-face. Une aubaine se présenta en la personne d'Alistair Todd, un de ses anciens professeurs, qui, en la reconnaissant, lui fit signe. Elle se retrouva ainsi catapultée dans un rassemblement d'éditeurs de revues prestigieuses, qui l'interrogèrent sur le peu de production scientifique de la morgue centrale de Murmay, ce qui déboucha sur l'habituelle conversation sur la charge de travail, le manque de reconnaissance accordé aux travaux de recherche, la pression financière constante, etc. L'un d'entre eux se souvenait cependant du dernier article de Laura, co-signé avec David, le chef de service, sur l'identification des cadavres dans les contextes d'incendie, et elle se glissa dans la salle de conférences correctement protégée.

Elle se coula dans un siège, fit signe à Ryan qui l'avait repérée à l'autre bout de la pièce, remercia intérieurement Rupert qui, pour une fois, semblait avoir des tas de choses à raconter à son interlocuteur, Ubis. Elle espéra qu'ils ne parlaient pas d'elle, ou peut-être au contraire l'espéra-t-elle, avant de se trouver vaine et ridicule, et de baisser les yeux sur le programme. Allocution de bienvenue par l'antique président de leur ordre, puis trois présentations... Une plutôt générique sur l'évolution des causes de décès dans le pays sur les vingt dernières années, une plus pointue sur la défenestration, une dernière sur... la suffocation, par le Docteur Ubis, de New Tren. Elle poussa un profond soupir. Elle était maudite, voilà tout. Six mois de paix relative, au final, elle devait s'estimer heureuse.

En réalité, elle avait pensé à lui chaque jour.

Allan n'avait pas changé, bien évidemment. Il ne changerait jamais. Ou peut-être le pouvait-il, s'il le désirait. Elle n'en savait rien et n'avait pas l'intention de lui poser la question. Elle lorgna ses genoux pendant les premières minutes de son discours mais elle pouvait difficilement se boucher les oreilles. Sa voix semblait s'insinuer quelque part à l'intérieur d'elle, d'une manière encore plus profonde qu'autrefois. Elle n'écoutait rien de ce qu'il racontait mais elle avait l'impression qu'il lui parlait d'autre chose, juste à elle, comme s'ils étaient liés de manière irrémédiable. Et c'était peut-être le cas. 

Elle avait envie de se lever et de s'enfuir, mais ils n'étaient pas assez nombreux et elle n'était pas placée de manière à pouvoir sortir discrètement. Il la verrait, il comprendrait, elle ne voulait pas lui faire ce plaisir. Elle leva la tête et croisa immédiatement son regard. Elle se sentit rougir. Il détourna les yeux pour balayer la salle. Il était tranquille, maître de son exposé bien sûr, de son corps pourtant atypique, si grand, si mince, et elle frissonna sans pouvoir s'en empêcher. Elle reporta son attention sur les dias de la présentation, graphiques, chiffres, des mots quotidiens, les bases de leur art. La gestion de son souffle à elle seule monopolisait ses ressources et elle n'assimila rien de ce qu'il racontait. Applaudissements nourris. Il serait sans nul doute coincé par ses admirateurs à la sortie de l'auditorium.

Laura s'éclipsa parmi les premiers, mais elle était dépendante de Rupert pour regagner la morgue centrale et récupérer sa voiture, aussi fut-elle forcée de rester. Les tables avaient été regarnies, des serveurs circulaient avec des petits fours divers, bouchées frites, verrines, canapés et sushis. Elle louvoya d'une table à une autre, saluant de vieilles connaissances, finissant par retrouver les siens, gardant un œil sur la silhouette d'Ubis qu'on ne pouvait pas manquer. Ryan était quand même un peu plus grand, tout bien considéré. 

Une conversation assez animée s'engagea bientôt sur la manière dont les nombreuses séries de procédure policière présentes sur les écrans avaient modifié leur travail, sur les mythes qui perduraient et les informations qu'ils auraient préféré garder confidentielles pour ne pas faciliter la tâche aux criminels. Un légiste de Saffron et deux de Byron s'intégrèrent au débat, l'un d'entre eux arguant qu'il était nécessaire de se tenir informé en regardant tout ce qui se faisait, un autre qu'il avait déjà eu un cas sur table pompé intégralement d'un épisode des Experts : Murmay. Laura n'avait pas la télévision, mais elle avait lu plusieurs tomes d'une série mal documentée originaire du continent.

Une main effleura son épaule et elle se retourna pour trouver Allan juste derrière elle. Absorbée par l'échange, elle avait relâché sa vigilance. Il se contenta de sourire, elle n'y parvint pas complètement.

— Tu es assez douée pour l'évitement, quand tu le veux, murmura-t-il à voix basse.

Elle se dégagea du groupe qui bavardait. Ils étaient presque dix, désormais, elle ne leur manquerait pas. Peut-être aurait-elle dû feindre un intérêt plus profond pour le sujet, mais en réalité, c'était trop tard.

— Pas assez, apparemment.

Ils s'écartèrent et une seconde, elle le haït, viscéralement, d'être là, d'être ce qu'il était. La violence de son sentiment s'apaisa, mais elle n'était pas sûre d'avoir gardé une expression complètement neutre.

— J'ai essayé de prendre de tes nouvelles, plusieurs fois, dit-il.

C'était vrai.

— Je vais bien.

— Je vois.

Un pli barra son front.

— J'étais prêt à discuter... de tout.

— Mais je n'en ai pas envie, Allan.

— Tu aurais pu me le dire.

Laura poussa un bref soupir.

— J'aurais... espéré... que les choses puissent en rester là.

— Et ? Ça a marché ?

Le sarcasme la fit grimacer.

— À quoi bon ? Je voudrais tout oublier et c'est impossible.

— Laura... Jill a tout oublié.

— Elle était possédée. Pas moi. Michaël me l'a expliqué.

Allan leva les yeux au ciel.

— Aucun des témoins du meurtre de Linda n'était possédé. Ils ont pourtant oublié m'avoir vu sur les lieux.

Elle demeura muette de stupeur.

— Alors... pourquoi ? souffla-t-elle.

Il pinça les lèvres, esquissa un léger haussement d'épaules.

— Je pense que Michaël... aurait trouvé irrespectueux... d'effacer ta mémoire. Je n'en ai, effectivement, pas le pouvoir.

Mais il avait le pouvoir de ramener les morts à la vie. Ou d'empêcher les mourants de mourir. Ou quelque chose d'apparenté. Elle ne voulait rien, jamais, en savoir.

— Je sais qu'il n'est pas aisé de vivre avec ce que tu sais... J'aurais voulu...

— Comment peux-tu le savoir ? demanda-t-elle, acide.

— Tu n'es pas la première qui doit porter ce genre de fardeau. Cela ne se fait généralement pas sans heurts.

— Allan. Laisse-moi tranquille. C'est tout ce que je te demande. Tu ne peux pas comprendre. C'est normal. C'est...

Elle baissa la voix car un duo venait de s'approcher d'eux. Jeunes, frétillants, c'étaient manifestement des assistants avec des questions à poser à l'orateur de la soirée. Elle fit un pas en arrière.

— Bonne continuation. Vraiment, dit-elle simplement.

Elle adressa un sourire encourageant aux intrus providentiels, et s'esquiva dans la foule sans un regard en arrière. Elle rejoignit les Murmaysiens et trouva Rupert au téléphone, la mine froncée.

— On va partir, je pense, remarqua Ryan.

Suzy bailla, un rouge alcoolisé aux joues.

— Encore un coup de feu ? demanda Laura, en lorgnant Rupert.

— Non. Je crois que c'est familial.

Rupert avait une épouse, deux enfants, mais aussi une mère un peu démente. Vastes sources d'ennuis. Il rangea son portable.

— Laura, tu sais prendre ma garde de demain nuit et dimanche ?

— Mais bien sûr, offrit-elle, généreuse.

Rupert n'ajouta rien, et elle ne posa aucune question. Accord tacite. Chacun sa vie. C'était une chance : elle n'aurait pas su quoi lui raconter pour faire bonne mesure. Quelques minutes plus tard, ils rembarquaient dans la berline et repartaient vers leur quartier général obscur.

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