Émile, le grand écrivain renommé, s'intéressait de près à ce petit employé insignifiant. Il voulait voir ce qu'il avait dans le ventre.
Et plutôt que François lui posa mille questions, ce fut à la vedette de décortiquer ce domestique :
- Alors...comme ça il paraît que vous lisez jeune homme ? Commença l'artiste avec beaucoup d'ironie et de mépris écrasant.
- Heu...oh oui ! Répondit-il comme un enfant. Je lis beaucoup Monsieur, tout le temps ! Et depuis toujours ! Enfin... depuis que je sais lire ! Balbutia le rat de bibliothèque.
- Très bien...très bien...nous allons voir ça...
Et il se mit à piocher autour de lui quelques livres et commenca son interrogatoire :
- Jeune jomme, si je vous lis un passage, vous devrez deviner de quel livre il est issu ! Vous y arriverez ?
- Heu...je ne sais pas... peut-être mais...
- Alors petit ! coupa net le grand auteur. Essaie de trouver d'où ça vient : « Ô temps, suspends ton vol !
- Lamartine ! "Le Lac" ! J'adore ! Je...
-Très bien ! c'était facile ! Coupa Émile. Un autre ! "On ne voit bien qu'avec le cœur. L'essentiel est invisible pour les yeux."
-- ça c'est "Le petit Prince" de Saint-Exupéry !
- Bien sûr ! Facile ! Rétorqua Émile, narquois. Attention ! plus dur !
"En littérature, le plus sûr moyen d'avoir raison, c'est d'être mort."
François eut un moment d'hésitation...
- Heu....Hugo ?! c'est pas le grand Victor Hugo ?
- Si ! Bravo... C'était pas évident ! Fit Émile qui semblait blasé.
Et il piochait dans tous les genres pour tenter de piéger le jeune homme.
- Et ça ? Tu connais ? "Longtemps je me suis couché de bonne heure"...
- Ah ouiiiiiiii ! Extra ! ça c'est la première phrase de "La Recherche" ! Enfin de "A La Recherche du Temps Perdu" de Marcel Proust ! Je voulais dire ! répondit François.
- Mouais. Celle-là était hyper connue ! Mais Émile voulut le piéger pour de bon et lui lança :
- Et ça ? ..."Doukipudonktan" !
D'où qu'ça vient ? Dit-il avec un sourire amusé.
- Ahh ! S'exclama le jeune homme sur le grill ! c'est l'incipit de "Zazie dans le métro" de Raymond Queneau !
- OK. T'es doué ! C'est bon pour moi. Tu es sélectionné ! Dit-il avec un sourire incompréhensible en direction de Gérard...
Émile avait fini de tester celui qui était devenu non pas Médecin mais élève malgré lui !
François avait passé le test haut la main. Et il comptait passer à l'offensive lui aussi :
- Monsieur ? Commença-t-il
- Appelle moi Émile, petit.
On est dans le même bateau maintenant ! " fit-il en riant très fort.
- C'est le Bateau Ivre ! renchérit de plus belle le bouquiniste qui avait suivi la joute verbale et pensait faire de l'humour.
- Ouais c'est ça, Gérard, ivre !! reprit Émile goguenard en fixant son élève surdoué.
- Monsieur ?...Heu ...Émile ? Reprit l'élève, j'avais plein de questions sur vos deux livres ! Et d'abord je voulais savoir comment.."
mais le grand écrivain bloqua la question sans attendre.
- On verra plus tard pour tes questions, petit, j'ai un truc à voir avec mon pote et une bonne bouteille bien sûr !
Les deux hommes montèrent à l'étage, laissant le petit François en bas tout seul.
Celui-ci n'avait pas eu le courage d'insister, de s'imposer, et surtout d'en savoir plus.
Il voulait pourtant tellement comprendre comment cet homme là avait pu écrire ces deux chefs-d'œuvres, ces deux best-sellers. Cela ne collait pas. Avait il un truc ? Un secret ? Se transformait-il quand il écrivait ?
Devenait-il un loup garou à la pleine lune ?! Avait-il une drogue spéciale qui le rendait si bon écrivain ? Comme Sherlock Holmes qui avait besoin de sa fameuse "solution de cocaïne à 4%" comme stimulant ? Pourtant "le réseau veineux de son avant-bras" n'était pas "criblé d'innombrables traces de piqûres" comme dans Le signe des Quatre !
Devenait-il quelqu'un d'autre ce grand Émile Facet quand il était devant sa feuille blanche ? Avait-il été mordu par une araignée radioactive ? Ou exposé à des rayons gamma ? Venait-il de la planète Krypton ?
Les sens du jeune homme étaient en ébullition ! Et son cerveau tournait en boucle sur les aptitudes extra-terrestres de cet homme. Ou était-ce juste ça un écrivain ? Un homme comme les autres, qui se fond dans la foule des mortels en cachant ses grandes ailes blanches ?
Ou n'était-ce qu'un imposteur ?
Sa petite voix touchait parfois dans le mille.
Tout était en effet truqué ! Et le bouquiniste le savait très bien.
Émile Facet n'avait pas écrit ces deux œuvres ! François avait raison.
Mais il allait l'apprendre à ses dépends.
En fait, Émile et Gérard cherchaient quelqu'un...quelqu'un de nouveau, du sang neuf, quelqu'un exactement comme lui...
Et il allait faire comme ceux avant lui, il allait finir par descendre...