« Dear Eleanor »
R O R Y
En nous rendant à notre premier cours à l'université, mon meilleur ami ne cesse de me rappeler la chance que nous avons. À la fois d'avoir été admis dans le même établissement, mais aussi dans le même cursus : la psychologie. Cette passion qui nous lie, et que Tristan a fait naître en moi. C'est lui qui me la transmise.
— Mec, regarde cette fille-là, c'est totalement ton style !
Tandis qu'il me la montre du doigt, je le réprimande immédiatement. En lui donnant un coup d'épaule, je ne lâche pas du regard cette personne.
— On ne t'a jamais dit que montrer du doigt était malpoli ?
— N'empêche, qu'elle est canon.
Tristan a raison. Il s'agit d'une étudiante brune, avec une coupe au carré. À vrai dire, n'importe qu'elle fille peut être sublime avec cette coupe, selon nous. Oui selon nous, parce que nous partageons les mêmes goûts, aussi pour les filles. Néanmoins, on ne se bat jamais pour l'une d'entre elles. C'est un des principes fondamentaux de notre amitié.
Nous entrons dans le bâtiment où a lieu notre premier cours. Si je ne dis pas de bêtise, nous avons l'honneur d'accueillir une psychologue qui se nomme Mme Forbes.
Lorsque je pénètre dans l'immense pièce, je comprends que nous avons bien fait de venir en avance. L'amphithéâtre est déjà rempli, mais étonnamment, presque que à l'arrière de la salle. Je pensais que c'était un mythe et que tout le monde se mettait devant, dans la vraie vie.
Je suis mon meilleur ami, qui se dirige vers les premiers rangs. Tandis que j'écarquille les yeux en contemplant la beauté de la pièce, nous remarquons que la psychologue n'est pas encore là. Assis au milieu de la quatrième rangée, nous sommes satisfaits de nos places. Si les autres étudiants viennent ici par dépit, ce n'est pas du tout notre cas.
L'amphi se rempli au fur et à mesure que les minutes passent. Nous observons la population qui s'est jointe à nous, et nous sommes un peu déçus. Les visages qui nous entourent ne nous donnent pas une bonne impression, mise à part cette fille au carré. Elle discute avec ses amies, à quelques rangées de nous. Tandis qu'elle se retourne en notre direction et que je m'apprête à lui faire un signe, je comprends que c'est Tristan qui lui plait. Elle le dévore du regard alors, je me retourne. Ce n'est donc plus mon affaire.
Si nous avons les mêmes goûts, nous n'avons pas le même physique. Mes cheveux sont châtains et tombent sur mon front. J'ai les yeux de couleur marrons. Alors que Tristan, est brun aux yeux bleus et ses cheveux sont toujours impeccablement coiffés.
— Ro, tu as vu comment elle m'a regardé ?
— Oh oui, je crois que tu lui plais.
Soudain un bruit de porte qui claque, nous fait relever les yeux sur l'estrade, qui se trouve en face de nous. Le silence s'installe en une demie seconde.
Une jeune femme apparait, avec des dossiers dans les mains. Ironiquement, elle aussi porte une coupe au carré. Les mèches brunes de ses cheveux sont ondulées, et sa robe moulante lui arrive légèrement en dessous des genoux. Le bruit de ses talons Yves Saint Laurent, claquent sur le sol. Elle dégage une vibe old money, comme on dit.
Lorsqu'elle relève le nez sur nous, ses étudiants, nous sommes tous stupéfaits. S'il restait des personnes qui chuchotaient, là tout le monde se tait. Nous avons tous l'air d'être sous le charme de cette professeure, mais aussi d'être choqué par son jeune âge. Je serais prêt à parier qu'elle a le même que Tristan et moi. Certes nous avons attendu quelques années avant d'aller à l'université, mais bref.
— Rory...
Tristan lâche mon prénom, avec la bouche ouverte. Cela ne m'étonne pas, il est tout autant sous son charme que moi. La professeure repose son regard sur son bureau, sans que nos regards ne se soient croisés. Elle serait peut-être tombé sous le mien, qui sait.
L'instant où elle prend la parole, me fait encore plus perdre pied. Sa voix est douce, posée, mais aussi mature. J'ai l'impression qu'elle m'hypnotise. Nous pourrions sûrement passer des heures à écouter son cours, sans râler une seule fois. Je suis sûr que tous les étudiants pensent à cela, en ce moment même.
— Bonjour à tous, je m'appelle Eleanor Forbes. Je suis fraîchement diplômée d'Harvard et je vais vous faire de nombreux cours, tout autour de la psychologie cette année. Je compte sur votre participation pour rendre les cours attractifs.
En me rapprochant discrètement de Tristan, je lui chuchote à l'oreille quelques mots tout en tentant de calmer mon érection, avant que quelqu'un puisse la voir.
— C'est la femme la plus belle que j'ai vu de ma vie.
— Ro...
— Regarde la, son visage, sa prestance...
Mon meilleur ami soupire, alors je ne comprends pas. Il est sensé penser et réagir de la même manière que moi. Lorsqu'il se penche à son tour à mon oreille, j'attends impatiemment sa réponse.
— C'est elle.
Mon cerveau refuse d'y croire. Tristan n'a pas besoin de m'en dire plus avant que je ne fasse le lien. Eleanor. Mon regard ne cesse de faire des allers-retours, entre cette sublime personne et mon chanceux d'ami. Et c'est lorsque le regard de la professeure se pose sur nous, que je comprends qu'il dit vrai.
C'est sa Eleanor. C'est son premier amour. C'est la femme de sa vie. Elle ne pourra donc être la mienne.
Je ne l'avais jamais rencontrée mais je sais à quel point, elle a marqué la vie de Tristan. C'est la seule femme dont il est tombé amoureux. Et je comprends en un regard pourquoi. Parce que moi-même, j'ai eu le coup de foudre.
Cette dernière reste pendant de longues secondes bloquée sur nos deux visages, sûrement dans ses pensées. Elle non plus ne devait pas s'attendre à le voir ici. Néanmoins, je n'arrive à lire aucune émotion dans son regard. Puis, elle tente de se reprendre, en faisant comme si de rien était. Après s'être éclaircie la voix, elle reprend la parole.
— Je veux d'abord vous connaitre un peu plus, avant de débuter le premier cours. Quoi de mieux qu'une question philosophique et profonde ? Selon vous, une personne peut-elle réellement être heureuse, si elle n'a jamais éprouvé de grande tristesse ?
Son discours nous prend tous au dépourvu. Jamais nous aurions imaginé devoir directement prendre la parole. Cependant, je décide de la prendre avant qu'un autre étudiant le fasse. Tristan ne m'en voudra pas d'attirer l'attention sur nous, j'en suis persuadé. Même s'il n'a encore rien dit à son sujet, je sais qu'il est heureux. Il a toujours voulu la revoir.
— Selon moi quelqu'un qui n'a pas connu de grande tristesse profonde, vit dans l'ignorance. Je pense qu'une personne ne peut savoir ce qu'est le bonheur, si elle ne peut le comparer au malheur. Il faut passer par le pire, pour avoir le meilleur.
— C'est une belle prise de parole, Mr ... ?
Excité, je réponds presque directement à cette chère Eleanor. Je ne peux m'empêcher de penser, qu'elle aimerait peut-être en savoir plus sur moi. Même si c'est le seul amour de Tristan, je n'arrive pas à cesser de m'imaginer la prendre sur le bureau, où ses fesses sont assises. Je sais que c'est interdit, mais cela me donne encore plus envie.
— Rory Sterling.
— Très bien. Maintenant, j'aimerai entendre le point de vue de votre camarade, Mr Sterling.
Encore une fois, cette femme nous prend au dépourvu. Tristan s'éclaircit la gorge, tandis que je m'enfonce un peu plus au fond du siège. J'ai été bête. Je pensais qu'elle s'intéressait à moi, mais elle voulait juste trouver un moyen d'aborder mon pote.
De longues secondes passent, et ce dernier n'a toujours pas répondu. C'est une des premières fois, où je le vois aussi paniqué. Le connaissant, il réfléchit dix fois à son discours avant de le prononcer.
— Je ne suis pas d'accord. Une personne peut être vraiment heureuse sans avoir jamais éprouvé de grande tristesse. Le bonheur est un état émotionnel et mental, que tous les êtres-humains connaissent. Certaines personnes ne connaitront pas de grandes tragédies, et elles connaitront quand même le bonheur.
— Intéressant. Néanmoins, je partage le point de vue de Mr Sterling. On peut-être heureux sans malheur, mais ce sera donc un sentiment banal, qui n'aura aucune valeur. Seules les personnes qui auront connu une grande tristesse vivront le bonheur pleinement.
Eleanor quitte des yeux son amour de jeunesse, puis rencontre les miens, avant de ne plus nous regarder une seule fois des deux heures qui suivent.
Elle entame ensuite un cours sur la psychologie du développement et m'envoûte à chaque prise de parole. Sa manière de penser et ses méthodes de pédagogies, me plaisent énormément. Elle ne cesse d'interroger des étudiants, ce qui rend le cours dynamique. Son éloquence m'impressionne aussi. Si seulement tous les professeurs étaient comme cela.
Tristan disait la vérité pendant des années : cette chère Eleanor est une vraie perle.