— Il n'y a rien à dire. Il me rend responsable d'une chose, alors que je n'y suis pour rien. Même, si je me sens terriblement coupable.
Je ne comprends rien à ce qu'il vient d'énoncer. Il est fautif ou pas ? Et de quoi au juste ? C'est moi, ou il n'est pas très clair ?
— Coupable ? Comment peut-on être responsable d'une chose, si on ne l'a pas commise ? demandé-je déboussolée.
— Je ne me suis aperçu de rien, et Fabio non plus.
— Vous n'avez pas vu quoi ?
— Que sa sœur était devenue anorexique, du moins c'est ce que nous pensons. Il n'admet pas que sa sœurette faisait tout, pour nous cacher tous ses kilos perdus. Elle portait des vêtements de plus en plus larges. Nous pensions qu'elle voulait changer de style, mais en réalité elle se camouflait.
— La sœur de Fabio ? sorté-je stupéfaite par ses dires.
L'homme qui se trouve devant moi devient livide. Je le voyais se décomposer au fil des mots qu'il prononçait. Et j'en rajoute, jamais satisfaite. Monsieur Monteiro a peut-être raison me concernant, je devrais apprendre à me taire.
Il hoche la tête et ajoute avec la voix brisée :
— Mais si vous le voulez bien, j'aimerais qu'on parle d'autre chose ?
Maintenant, c'est moi qui secoue la tête de bas en haut avec la bouche grande ouverte. Je suis toujours abasourdie par ce que je viens d'apprendre. Fabio a une sœur ? Je comprends mieux pourquoi tout le monde à l'air d'être affecté. Ils ne se sont pas rendus compte de sa maladie, donc ils se sentent fautifs. Et Fabio, en plus de se sentir coupable de la santé de sa frangine, il en impute également la responsabilité aux autres.
Mais une question reste en suspens : où est passée cette fille ? Est-elle internée quelque part ? Est-elle devenue folle à lier ? Est-elle... Non ! Je refuse de penser un truc pareil. Elle ne peut pas être décédée. Non ! Ça serait horrible ! Maria serait sens dessus dessous. Non ! Elle est sûrement partie ailleurs, loin des tourments de sa vie. Vivre auprès d'un frère aussi infernal, ne doit pas être de tout repos.
Quoi qu'il en soit, je ne connaîtrais pas la réponse ce soir.
Je refuse d'aborder de nouveau le sujet avec Manu, il semble souffrir de cette situation. Je ne parviens pas à saisir son implication dans cette crise familiale. Comment aurait-il pu le voir ? Il était le copain de Fabio, pas de sa sœur ? A moins qu'ils étaient tous amis... une bande de potes. Tant de questions sans réponses. Je vais devenir chèvre, à tant cogiter.
Le serveur nous sert nos plats et s'éclipse aussitôt.
Il faut que je me reprenne. Je dois me concentrer sur ce bel homme en face de moi, et non sur mon abruti de voisin, ou sa sœur qui s'est volatilisée je ne sais où.
— Que fais-tu dans la vie ? lui demandé-je pour relancer la conversation, oubliant les bonnes manières. Pardon ! Que faites-vous dans la vie ?
Toute cette histoire m'embrouille l'esprit. Elle ne peut pas prendre le dessus. Je dois garder la tête sur les épaules et ne plus réfléchir à ce tunnel sans fin.
— On pourrait se tutoyer ? me tend-il la main tout sourire après ma maladresse mal placée.
Si je voulais dîner avec lui, ce n'était pas uniquement pour en savoir plus sur le pâtissier du quartier, non, c'est également pour le connaître davantage. Et je peux dire avec certitude que j'apprécie profondément la personne que je découvre derrière ce regard émeraude.
— Je suis menuisier, je sais ce n'est pas une profession très glamour.
— J'aime bien les métiers manuels. Tu fais des meubles, c'est ça ?
— Oui, je fabrique du mobilier et des objets uniques, selon les commandes. Attention ! Je ne dénigre pas ce que je fais. J'adore mon job. Cela m'apporte beaucoup de satisfaction. C'est juste que j'ai l'impression que les gens me prennent un peu pour un bobet, vu que je n'ai pas fait de longues études.
— L'important, c'est d'accomplir ce qui nous rend heureux. Et à tes yeux qui se sont illuminés à l'évocation de ton travail, j'ose affirmer que c'est ton cas. Alors n'aies pas honte !
— Oui, en effet ! J'ai suivi les traces de mon père et de mon grand-père. C'est ce dernier qui m'a tout appris.
Voici un bon fiston !
Je ne peux pas en dire autant de moi. Je ne suis pas la digne héritière de mes parents. Je ne viens pas en aide aux autres et je ne suis pas douée de mes mains, au grand dam de mon père.
— C'est super ! Tu continues dans la lignée familiale. Ils doivent être très content de toi ? J'aurais aimé faire de même, poursuivre dans les traces de mon papa. Mais je n'ai pas son talent.
— Honnêtement, je ne sais pas s'ils estiment réellement mon travail. Je suis aux antipodes de ce que créaient mes aïeuls. Mais les temps changent, et nous avons envie de nouveautés. J'espère qu'un jour mon fils ou ma fille fera de même et qu'il ou elle apportera son grain de folie.
Voilà encore une nouvelle à laquelle je ne m'attendais pas. J'étais loin de me douter qu'il avait des petits... Pas que cela soit un frein, bien au contraire.
— Tu as des enfants ?
— Pas encore, mais je désire en avoir, et toi ?
— Moi ? Euh... Non ! Je n'en ai pas.
Je suis confuse. Je ne m'attendais pas à parler d'enfants dès notre premier rendez-vous. D'ailleurs, je ne suis pas prête pour ça. J'aimerais changer de sujet.
— Alors, vous avez trouvé l'inspiration pour votre prochain roman ? me demande t-il, modifiant de lui-même le thème de notre conversation.
Mais discuter de mes écrits ne me tente pas plus que ça.
— Non, pas vraiment.
Je ne vais tout de même pas lui raconter, que je relate mes aventures avec son ex-meilleur ami. Je préfère ne pas m'attarder là-dessus non plus.
Un silence s'installe. Je me noie dans mon assiette que je dévore, tellement j'ai faim et que c'est bon. Et Manu fait de même, avant de me proposer :
— Et que dirais-tu, si je te faisais visiter notre jolie ville ? Ça te donnera peut-être des idées, qu'en dis-tu ?
— Je serais très enchantée ! réponds-je avec un grand sourire.
Depuis que je suis au Portugal, je n'ai vu que ce qui est conseillé dans les guides touristiques. Je voudrais connaître la véritable Lisbonne. La ville sous le regard d'un habitant des lieux.
À quoi peut bien ressembler cette grande capitale européenne pour les lisboètes ?
Jusqu'à aujourd'hui, je n'ai visité que le quartier de Belém et celui dans lequel je vis. J'adore cette ville, il n'en fait aucun doute. Mais je suis curieuse de dénicher des endroits merveilleux et pourquoi pas hors norme qui sont cachés aux yeux des touristes mais qui sont bien connus des gens qui arpentent chaque jour qui passe les pavés de ces rues. J'attends de Manu qu'il me fasse entrevoir les coins magiques de cette sublime cité. Je veux en prendre plein les yeux.
— Un dessert ?
— Oui, volontiers ! Je suis une gourmande.
A l'évocation du mot gourmande, Manu reprend un air jovial. J'espère ne pas revoir sa triste mine refaire surface.
— Moi aussi, et surtout s'il y a du chocolat.
— Non ? Pareil, je suis une grande fan de ce mets ! dis-je étonnée qu'on est les mêmes goûts, d'abord le poisson et maintenant le chocolat.
Que me réserve t-il d'autres ? J'espère de belles surprises. Plus je parle avec lui et plus je l'apprécie, c'est quelqu'un de bien.
En attendant notre dessert, il me parle de Lisbonne et des coins qu'il aimerait me montrer. J'en ai déjà l'eau à la bouche rien que de m'imaginer dans ces fabuleux environnements. Ce qu'il me décrit, semble tout droit sorti d'un monde imaginaire, féerique.
Nous dégustons notre gâteau au biscuit chocolat, spécialité de la maison, en silence, savourant chaque bouchée. Puis, le moment de quitter le restaurant se fait. Je serais encore bien restée en sa compagnie pendant des heures, j'aime l'entendre parler. Il a une voix suave et très mélodieuse pour un homme.
J'ai hâte d'être à notre prochain rendez-vous.
Il m'accompagne jusqu'à la boutique, m'embrasse sur la joue d'un délicat bisou et me souhaite :
— Bonne nuit ! A samedi, 13h30 ! Je vais te faire voyager sans quitter ce pays, m'informe t-il en me laissant curieuse et impatiente d'y être.
— Bon...ne... nuit ! bafouillé-je.
Avant de prendre congé, il fixe l'intérieur de la boutique.
— Je vois que l'appel de Fabio à la radio porte ses fruits ! me surprend-il ne quittant pas des yeux la pâtisserie.
Il faut dire qu'elle est encore blindée de monde.
— De quoi parlez vous ? l'interrogé-je sur ce qu'il vient de débiter.
— Fabio a fait paraître à la radio une annonce, comme quoi il rouvrait le soir, et que pour l'occasion, il avait une nouvelle recette à leur faire découvrir.
Je comprends mieux, pourquoi il y a autant de monde depuis deux jours. Pourquoi n'a-t-il rien dit ? Pour faire son malin, certainement...
— Oui, un délicieux gâteau au caramel. Une tuerie !
— Mettez en moi une part de côté pour samedi ? me supplie t-il.
— Je vais essayer.
Je ne peux pas lui promettre, car je ne sais pas si je peux résister à cette gourmandise. Il faut dire que ce gâteau est un vrai délice ! Fabio n'a pas beaucoup de qualités. Si, en réalité, soyons honnête, il a de nombreux atouts sous ses manches, mais son caractère vient tout gâcher. Cependant, on ne peut pas lui enlever son talent pour la cuisine, c'est un Dieu de la pâtisserie, en tout cas du chocolat. Il sait le marier à la perfection.
Manu m'embrasse de nouveau sur la joue, ce qui me donne un léger frisson, n'étant pas préparée à le recevoir, et s'en va avec le sourire aux lèvres. Il est très heureux de cette soirée, tout comme moi.
Vivement samedi !
Publié le dimanche 8 octobre 2023
Comment avez vous trouvé ce rendez-vous avec le Beau Manu ?
Petite interrogation : Qui est pour Manu ? Qui préfère Fabio ?
Bon dimanche ! Et à la semaine prochaine.