Cher journal,
Je suis consciente que je ne suis pas venue ici pour t'écrire depuis longtemps. Mais ce soir, je suis rongée par la culpabilité, la fatigue et la honte.
Ça ne va pas. Ça ne va pas du tout depuis que j'ai commencé mon stage à l'hôpital. Pour être tout à fait honnête, cette première semaine auprès des malades m'a réellement plongé dans le métier. J'adore ce que je fais et ne regrette rien. Le docteur Jacob est un homme incroyable, présent et à l'écoute face à mes questions.
Mais là n'est pas le sujet...
Si je viens te parler, c'est parce qu'il m'est arrivé quelque chose de grave aujourd'hui. Je ne sais pas vraiment par où commencer....
Pour être brève, pendant la tournée habituelle de la journée, nous sommes passés dans la chambre de mon meilleur ami et son voisin. Tout s'est pratiquement déroulé normalement jusqu'à ce que je fasse un malaise.
Je crois même que cette journée a été bien plus compliqué que je ne le pensais. Une sensation de malaise s'est installée en moi, dans la matinée. Je me suis soudainement sentie très mal. Je ne comprenais pas vraiment ce qu'il m'arrivait. Mais c'est lorsque j'ai croisé le regard inquiet de Hugo, j'ai réalisé. Juste avant de pénétrer dans la chambre, le docteur Jacob m'a arrêté face à la porte pour me demander si tout allait bien. Dans un mensonge absolu, j'ai répondu que je suis en pleine forme.
La vérité : j'étais au bord de la crise.
J'ai compris bien trop tard que rien ne pourrait arrêter mon malaise aussi facilement. Sans crier gare, le sol s'est dérobé sous mes pieds. On m'a rattrapé mais c'était déjà trop tard. J'ai eu un trou noir. Je n'ai que des souvenirs très troubles.
C'est à mon réveil que j'ai compris. Comme une idiote, j'ai ignoré la mise en garde d'Anna. Elle m'avait pourtant prévenu des risques sur ma santé. Pour le coup, elle a fait zéro faute, elle a visé juste. Cette idée de malaise dû à l'accumulation du stress et du manque d'appétit, je me la suis enlevée de la tête.
Non cher journal, tu ne rêves pas. J'ai arrêté de manger comme je le faisais avant. Cette rentrée en terminale me flingue tellement que j'en oublie de dormir, de me nourrir et de vivre une vie comme les autres.
Depuis mon retour à la maison, je suis rongée par le stress et la culpabilité. Les questions ne font que de défiler dans mon esprit. Qu'est-ce que va penser le docteur Jacob lundi en me revoyant revenir d'entre les morts ? Est-ce qu'il va se montrer plus exigeant sur certains points de ma santé ? Et Yann ? Lui qui a crié lors de ma chute... Est-ce qu'il a prévenu Anna de ce qu'il m'est arrivé ? Et Hugo ?
Ah Hugo...
Je suis certaine qu'il a eu pitié de moi quand je me suis effondrée. J'ai pourtant aperçu son ombre s'approcher de moi avant de plonger dans un sommeil lourd.
Mon Dieu, qu'est-ce qu'il va penser, maintenant ?
Je suis nulle.
Nulle d'avoir été aussi têtue avec les autres, qui tentaient de me résonner. Cette fois encore, je sais que ma mère va tout faire pour que je me sente bien et que je me repose le plus possible. Pour mon père, je ne sais pas encore. Il est encore au travail. Il a surement été prévenu de mon malaise. Et ma sœur ne va pas comprendre pourquoi j'ai une tête de déterré ce soir.
Je suis enfermée dans ma chambre, la playlist de Lana Del Rey dans les oreilles. J'ai besoin de lâcher tout ce que je ressens. Je n'ai pas Anna sous les yeux, ou même Yann. Tu restes actuellement mon seul confident. Même si tu restes un petit carnet, tu es très important pour moi. Et pour ça, merci...
Je crois avoir écrit plus que d'habitude, ce soir. Mais je ne pouvais plus garder ça pour moi.
Je t'aime et je t'embrasse.
Ilona.
*
Je ferme mon journal intime d'une seule main et m'avachis la tête dans les bras sur mon bureau. Face à moi, la photo de Yann, Anna et moi sur un bateau lors de nos dernières vacances entre amis. Nos sourires sont bien présents. Ma meilleure amie est habillée d'une robe rosâtre avec quelques trous, laissant son maillot de bain apparaître. Yann possède un short de bain rouge, son éternel collier autour du cou et ses cheveux sont coiffés n'importe comment. Il est ébloui par le soleil qui se trouve juste derrière une photographe. Je suis sur la gauche, mes cheveux bruns lâchés avec un grand sourire. Sur moi, un bikini bleu clair magnifique.
Notre trio...
Comme une idiote, je souris. Quand je vois cette photo, les souvenirs reviennent. Pour la première fois, mes parents ont accepté de me laisser partir loin de la maison. Nous avons placé énormément d'argents de côté pour nous payer ces vacances de rêves aux États-Unis.
Oui, on a visé gros.
La famille d'Anna est d'origine américaine. Sa grand-mère a accepté de nous prêter la maison de son enfance le temps d'une semaine.
Quelle vacance... Je crois que je ne me lasserais jamais de me remémorer ces souvenirs inoubliables. On passait nos soirées sur la plage avec des amis américains.
C'était si bien...
En rentrant à la maison, ici à Rouen, le rêve est devenu un enfer. J'ai tout de suite enchaîné avec les fournitures scolaires, l'anniversaire de ma petite sœur et la rentrée scolaire. J'ai ensuite commencé à travailler en début d'année. Yann s'est fait hospitaliser quelques mois plus tard pour une nouvelle attaque cardiaque qui aurait pu être fatal.
Vie de merde.
Dès la fin de ces vacances de rêve, tout est parti en cacahouète. J'ai eu droit à six jours de repos dans le mois. Six jours pour laisser à mes démons de se préparer à l'attaque qu'ils s'apprêtent à faire.
Mon retour en France a été l'élément déclencheur des problèmes.
*
J'entends que ça sonne à la porte d'entrée. Je relève la tête et j'entends la voix de ma petite sœur crier qu'elle va ouvrir. Je me redresse sur ma chaise et m'étire. J'en profite pour regarder l'heure sur mon téléphone.
Dix-huit heures.
Punaise... il est seulement cette heure-là...
- ILONA !! C'EST POUR TOI !!! cri soudainement Alicia en trottinant jusqu'à ma porte et tambourine dessus.
Je fronce les sourcils et me lève de ma chaise. J'attrape un petit gilet, l'enfile et sors de ma tanière. Mais lorsque j'ouvre la porte, Alicia frappe malencontreusement mon ventre. Elle s'arrête et relève les yeux vers moi.
- Oups... Pardon grande sœur...
- Ne t'inquiète pas, tout va bien... lui assuré-je avec un léger sourire. Qui est-ce qui veut me voir ?
- C'est un garçon qui s'appelle Paul. Il veut te voir ! Il ne m'a pas dit pourquoi et il est sur le palier de la porte.
- Oh non...
Je pousse légèrement Alicia sur le côté et cours rejoindre l'entrée. Paul se tient contre l'encadrement de la porte avec ses clés de voiture en mains.
Qu'est-ce qu'il fait là ?
Quand il me voit enfin, un sourire se dessine sur son visage. Il se redresse et me dit avec un rictus aux coins des lèvres :
- Salut Ilo.
Je fonce vers lui, le tire par le bras et le sors immédiatement dans le couloir.
- Ilona ? Qui est-ce ? demande ma mère depuis le salon.
- Je reviens ! lui crié-je avant de fermer la porte derrière moi.
Je me retourne vers le nouveau venu et le regarde dans les yeux. Je fronce encore plus les sourcils et croise les bras.
- Sympa l'accueil... dit-il avec son rictus merdique.
- Qu'est-ce que tu fous là ? craché-je.
- Pourquoi tu m'agresses ? Je suis simplement là pour discuter.
- Discuter ? Mais discuter de quoi exactement ? On s'est déjà tout dit et tu le sais très bien !
- Non justement, on ne s'est pas tout dit Ilona. Bien au contraire.
- J'ai pourtant été claire avec toi, Paul ! Je ne veux plus te revoir chez moi avec ton sourire à la con ! Si mon père rentre et te découvre, tu vas être enterré vivant !! Retourne chez toi, merde ! le menacé-je rapidement en même temps de m'approcher.
- Laisse-moi te parler.
Je pousse un gros soupir et maintiens le regard. Sa main se clisse sur ma nuque et il s'approche encore plus de moi. Il me regarde de haut, de ses yeux bleus pétillants avec un sourire mauvais se dessine sur son visage.
- Écoute moi bien, Sanchez. Si tu penses pouvoir te débarrasser de moi aussi rapidement, tu t'es lourdement trompé. Je n'en ai rien à foutre de tes menaces à deux balles. Ton père ne me fait pas peur du tout, tu sais... le Phillipe Etchebest des Sanchez. Enfin bon... Là n'est pas le sujet.
- Bouge-toi avant que j'appelle la...
Il pose une main sur ma bouche et sourit encore plus.
- Non, Ilona... Non. Laisse-moi finir, je n'en ai pas pour très longtemps.
Mon cœur frappe fort contre ma poitrine. Paul me caresse la joue et admire mon visage avec attention. Il finit par prendre ma mâchoire dans sa main gauche et relève ma tête pour me forcer à le regarder.
- Tu sais Ilona... Toi et moi, ça n'a pas été une simple histoire comme tu peux lire avec tes livres. Nous deux, c'était une évidence. Je ne pense pas que tu ais vraiment réfléchis le jour où tu m'as plaqué comme un naze. Tu m'accuses de tout. Mais la seule et unique fautive dans cette histoire, c'est bien toi. Je ne t'oublie pas ! Et si un jour tu venais à donner ton cœur a un autre homme que moi, ton chéri et toi allez prendre cher. Tu m'as compris ?
Silencieuse.
Je garde le silence et le regarde dans les yeux. Je suis pétrifiée de peur.
Ce mec m'oppresse tellement.
Je sens son visage se rapprocher doucement du mien et nos fronts se toucher. Il reprend avec une voix plus sombre :
- Toi et moi, ce n'est pas finis. C'est loin de l'être...
Il approche ses lèvres près de mon oreille et susurre :
- Les murs ont des yeux et des oreilles, chérie.
- Qu'est-ce qu'il se passe ici ? demande une voix grave dans mon dos.
Je pousse Paul de toutes mes forces et me précipite dans les bras de mon père. Il me prend contre lui et pose une main dans mes cheveux. Paul reste immobile comme un idiot, regarde mon père dans les yeux.
Il passe une main dans ses cheveux et range son sourire sadique. Celui-ci est maintenant jovial et gentil.
- Bonjour monsieur Sanchez ! Vous allez bien ? demande-t-il en tendant une main vers mon père.
- Qu'est-ce que vous faites encore chez moi, gamin ! grogne mon père.
- Je suis simplement venu ici pour votre fille !
- Je vous le répète une nouvelle fois, Paul. Vous n'avez rien à faire ici ! Ma fille ne souhaite plus vous parlez et de vous avoir sous les yeux. Je ne vois pas ce qu'il y a de compliqué à comprendre là-dedans !! dit papa en haussant la voix.
Mon géniteur baisse la tête vers moi et me dis doucement :
- Rentre à l'intérieur, Ilona. On va parler de ce qu'il t'ait arrivé aujourd'hui dès que j'ai terminé.
J'hoche la tête et me sépare de lui. Doucement, sa main quitte mes cheveux et pars en direction de la porte. Avant de l'ouvrir, je jette un dernier coup d'œil vers Paul. Celui-ci me regarde avec un sourire en coin.
Il me donne la gerbe.
J'abaisse la poignée et l'abaisse pour rentrer. Une fois dans le hall, je la ferme et me laisse glisser dos contre la porte en fermant les yeux.
Dans ma poitrine, mon cœur s'emballe. Progressivement, les larmes me viennent et les laisse rapidement coulés. Je pleure encore et encore. Les jambes recroquevillées contre mon torse, mon visage contre mes rotules, je pleure à m'en arrachés les cheveux.
Ma mère se précipite vers moi et me décale vers un mur qui me protégerait de la porte venait à s'ouvrir. Elle s'installe à côté de moi et me prend contre elle. Sans hésiter, je me blottis dans ses bras, ma tête dans sa nuque.
*
C'est définitif, c'est la pire journée de ma vie.
Pourquoi faut-il toujours qu'il revienne dans ma vie ?
Chaque fois que je le revois, mon cauchemar reprend le dessus. L'homme a détruit ma vie est de retour pour me faire la misère.
Il m'a menti et m'en a fait voir de toutes les couleurs. Il m'a reproché tellement de choses que je n'ai jamais faite. Tout ça, c'est à cause de son égo de merde. Je ne comprends toujours pas comment il peut revenir comme ça après tout ce qu'il a fait.
Jamais il ne me laissera tranquille, c'est définitif.
Je suis fatiguée, brisée et détruite. Je ne sais même pas comment je fais pour rester encore debout après tout ce que je suis en train de vivre. Je dois pourtant faire avec. Je dois vivre comme toutes personnes vivantes sur cette Terre.
Je ne le comprends pas.
Je ne le comprendrais jamais, putain !!
J'ai envie d'hurler, de frapper contre les murs, de détruire quelque chose sur sa tête. Il a profité de la mort de mon parrain pour me plonger dans une dépression encore plus profonde. Il m'a lâché et bousillée.
Chaque seconde, j'espère me réveiller de ce cauchemard sans fin. Je prie pour ouvrir les yeux pour de bon. Je rêve de reprendre la vie que j'ai eu durant toutes ces années.
Ce n'est pas un rêve, ni un cauchemard Ilona. C'est ta vie, maintenant.
Non !
Non, je ne veux pas avoir la vie que j'ai aujourd'hui ! Ce n'est pas la réalité ! Je suis simplement plongée dans un monde où le malheur et la haine sont liés contre moi. Je ne peux pas être dans la vraie vie, ce n'est pas possible !
Le déni te frappe.
Non...
Non...
Non...
Je ne peux pas. Je ne peux plus.
Je ne peux pas vivre comme ça, ce n'est pas possible. Je vais me réveiller, pour de vrai.
Ilona... tu es bien réveillée. Tu ne t'en rends pas juste compte.