Last Wounds

By sileadh

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Un regard aussi sinistre qu'une plage de sable noir. C'est ce à quoi Roxane Wilheim a pensé quand elle l'a vu... More

𝘈𝘝𝘈𝘕𝘛-𝘗𝘙𝘖𝘗𝘖𝘚
𝘍𝘈𝘕𝘊𝘈𝘚𝘛
𝟷 - 𝚁𝙸𝙴𝙽 𝚂𝙰𝙽𝚂 𝚃𝙾𝙸
𝟸 - 𝚁𝙾𝚇𝙰𝙽𝙴 𝚆𝙸𝙻𝙷𝙴𝙸𝙼
𝟹 - « 𝚂𝙸𝙾́𝚁𝙶𝙷𝚁𝙰́ »
𝟺 - 𝚃'𝙴𝙼𝙱𝚁𝙰𝚂𝚂𝙴𝚁 ?
𝟻 - 𝙻𝙰 𝙳𝙰𝙽𝚂𝙴 𝙴𝚂𝚃 𝙻𝙰 𝙿𝙰𝚁𝙾𝙻𝙴 𝙳𝚄 𝙲𝙾𝚁𝙿𝚂
𝟼 - 𝙲𝙴𝙻𝙻𝙴 𝚀𝚄𝙸 𝙼'𝙰 𝚂𝙰𝚄𝚅𝙴́
𝟽 - 𝙻𝙴 𝙷𝙰𝚁𝙰𝚂
𝟾 - 𝙼𝙸𝚁𝙰𝙶𝙴
𝟿 - « 𝙰𝚂-𝚃𝚄 𝙳𝙴́𝙹𝙰̀ 𝚃𝚁𝙰𝚅𝙰𝙸𝙻𝙻𝙴́ 𝙿𝙾𝚄𝚁 𝚄𝙽 𝙿𝙷𝙾𝚃𝙾𝙶𝚁𝙰𝙿𝙷𝙴 ? »
𝟷𝟶 - « 𝙳𝙾𝙽'𝚃 𝙻𝙾𝙾𝙺 𝚂𝙾 𝙶𝙻𝚄𝙼 »
𝟷𝟷 - 𝙷𝙰𝙱𝙸𝚃𝚂
𝟷𝟸 - 𝙲𝙴𝙻𝚄𝙸 𝚀𝚄'𝙾𝙽 𝙳𝙾𝙸𝚃 𝚂𝙰𝚄𝚅𝙴𝚁
𝟷𝟹 - 𝙼𝙰𝙼𝙱𝙾 𝚉-𝙲
𝟷𝟺 - 𝟷... 𝟸... 𝟹
𝟷𝟻 - 𝙹𝙾𝚈𝙴𝚄𝚇 𝙰𝙽𝙽𝙸𝚅𝙴𝚁𝚂𝙰𝙸𝚁𝙴, 𝙰𝙻𝙴𝚂𝚂𝙸𝙾
𝟷𝟼 - 𝙲𝙴 𝚀𝚄𝙸 𝚂𝙴 𝙿𝙰𝚂𝚂𝙴 𝙰𝚄 𝙳𝙰𝙶𝙳𝙰, 𝚁𝙴𝚂𝚃𝙴 𝙰𝚄 𝙳𝙰𝙶𝙳𝙰
𝟷𝟽 - 𝚂𝙸𝙶𝙽𝙰𝚄𝚇 𝙳𝙴 𝙵𝚄𝙼𝙴́𝙴
𝟷𝟾 - 𝙿𝙴𝙸𝙽𝙴 𝙳𝙴 𝙲𝙾𝙴𝚄𝚁
𝟷𝟿 - 𝚉𝙾𝙽𝙴 𝚁𝙰𝙳𝙸𝙾𝙰𝙲𝚃𝙸𝚅𝙴
𝟸𝟶 - 𝚄𝙽 𝚂𝙾𝚄𝙵𝙵𝙻𝙴 𝙳'𝙴𝚂𝙿𝙾𝙸𝚁
𝟸𝟷 - 𝙽𝙴𝙴𝙳 𝚃𝙾 𝙱𝚁𝙴𝙰𝚃𝙷𝙴
𝟸𝟸 - 𝙻𝙴 𝙱𝙾𝚄𝙳𝙾𝙸𝚁
𝟸𝟹 - « 𝙹𝙴 𝙽𝙴 𝚅𝙴𝚄𝚇 𝚀𝚄𝙴 𝚅𝙾𝚄𝚂 »
𝟸𝟺 - 𝙳𝙴𝚂 𝚁𝙸𝚁𝙴𝚂 𝚀𝚄𝙸 𝙰𝚅𝙰𝙸𝙴𝙽𝚃 𝙻'𝙸𝙽𝚃𝙾𝙽𝙰𝚃𝙸𝙾𝙽 𝙳𝙴 𝙲𝚁𝙸𝚂
𝟸𝟻 - (𝙼𝙴𝙻)𝙰𝙽𝙲𝙾𝙻𝙸𝙴𝚂
𝟸𝟼 - 𝙴𝙼𝙾𝚃𝙸𝙾𝙽𝙰𝙻 𝙷𝚄𝙼𝙼𝙸𝙽𝙶
𝟸𝟽 - 𝚂𝚄𝚁𝙳𝙾𝚂𝙰𝙶𝙴
𝟸𝟾 - 𝚅𝙾𝚈𝙰𝙶𝙴 𝙲𝙷𝙰𝚁𝙶𝙴́
𝟸𝟿 - 𝙼𝙸𝚂𝙴 𝙰𝚄 𝙿𝙰𝚁𝙵𝚄𝙼
𝟹𝟶 - « 𝙲𝙰𝙽 𝚈𝙾𝚄 𝙳𝙾 𝚃𝙷𝙰𝚃 𝙵𝙾𝚁 𝙼𝙴 ? »
𝟹𝟷 - 𝙸𝙽𝙶𝚁𝙴𝚂𝚂𝙸𝙾𝙽
𝟹𝟸 - 𝚃𝙾𝚄𝚂 𝚅𝙸𝙲𝚃𝙸𝙼𝙴𝚂
𝟹𝟺 - « 𝙻𝙸𝙺𝙴 𝙸'𝙼 𝚈𝙾𝚄𝚁𝚂 »
𝟹𝟻 - 𝙻𝙰𝚂𝚃 𝙼𝙰𝙽 𝚂𝚃𝙰𝙽𝙳𝙸𝙽𝙶
𝟹𝟼 - « 𝙴𝚃 𝚂𝙸 𝙲'𝙴́𝚃𝙰𝙸𝚃 𝙻𝙴 𝙲𝙰𝚂 ? »
𝟹𝟽 - 𝙴́𝙲𝙻𝙸𝙿𝚂𝙴
𝟹𝟾 - 𝚁𝙴́𝙼𝙸𝙽𝙸𝚂𝙲𝙴𝙽𝙲𝙴
𝟹𝟿 - « 𝙶𝙸𝚅𝙴 𝙼𝙴 𝚃𝙷𝙰𝚃 𝙽𝙴𝙲𝙺 »
𝟺𝟶 - 𝙲𝙴𝙻𝙻𝙴 𝚀𝚄𝙸 𝙿𝚁𝙾𝚃𝙴̀𝙶𝙴 𝙻𝙴𝚂 𝙷𝙾𝙼𝙼𝙴𝚂
𝟺𝟷 - 𝚃𝙾𝚄𝚃 𝙲𝙴 𝚀𝚄𝙴 𝙹𝙴 𝚃𝙴 𝙼𝙾𝙽𝚃𝚁𝙴
𝟺𝟸 - 𝙳𝙸𝚂𝙹𝙾𝙽𝙲𝚃𝙸𝙾𝙽
𝟺𝟹 - 𝙳𝙴́𝙹𝙰̀ 𝚅𝚄
𝟺𝟺 - 𝙵𝙸𝙻𝚃𝚁𝙴 𝚁𝙾𝚄𝙶𝙴
𝟺𝟻 - 𝚁𝙸𝚅𝙸𝙴̀𝚁𝙴(𝚂) 𝙰𝙶𝙸𝚃𝙴́𝙴(𝚂)
𝟺𝟼 - 𝙸𝙽𝙳𝙴́𝙻𝙴́𝙱𝙸𝙻𝙴
𝟺𝟽 - 𝙰𝙲𝙸𝙳 𝙲𝚁𝚈
? - [...]
PUBLICATION TOME 2

𝟹𝟹 - 𝚂𝙾𝙻𝙳𝙰𝚃𝚂

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By sileadh

Une ultime fois, je gravis ces escaliers. Lorsque je franchirai la porte de mon appartement, je deviendrai captif d'un médicament. Les palpitations surveillées tout au long de ma soirée à l'hôpital ont été scrupuleusement transmises à mon médecin. Le son de son appel a percé l'air ce matin pour m'informer de cette triste nouvelle.

Je connaissais la raison de ma visite imminente. Je savais que je quitterais son cabinet avec une ordonnance pour un traitement antiarythmique. Pourtant, au plus profond de moi, je gardais un mince espoir que la maladie aurait disparu entre-temps.

Les boîtes de pilules nichées dans mon sac sont porteuses de ma déception silencieuse. Mes pas ralentissent, le poids de mon corps devient lourd alors que j'insère ma clef dans la serrure de mon logement, le murmure lointain de la télévision parvenant à mes oreilles. Je me crispe sur la poignée. Quelqu'un est à l'intérieur, et l'absence du doux grattage familier de mon bouledogue sur le parquet – signe qu'il attend ma venue avec impatience – m'alerte. Le poing fermé, je pousse la porte de toutes mes forces. Mon père sursaute dans le fauteuil, les yeux écarquillés telles des soucoupes figées dans le temps.

— Tu veux que je fasse une crise cardiaque ?! je lâche sans réfléchir.

— La télé de la maison a rendu l'âme ! Je suis dans le regret de t'annoncer que je vais devoir regarder les matchs de foot ici le temps que la nouvelle soit livrée !

— Dans combien de jours ?

— Quatre. Tu as de la chance, c'est plutôt court !

— Quatre jours à t'entendre gueuler sur l'arbitre, c'est déjà trop.

— Rappelle-moi qui paie ton loyer ?

— OK. T'as gagné.

Je me déchausse et arpente le coin salon. Mambo dort entre l'accoudoir et le plaid roulé en boule, les quatre fers en l'air. Ses ronflements prennent une ampleur folle à l'instant où je chatouille son cou. Un rire s'échappe de ma bouche, mêlé à une pointe de nervosité. Je n'aime pas savoir mon père ici, à une infime distance des médicaments que je n'aurais jamais pensé détenir dans ma vie. D'instinct, j'enroule une main ferme sur la sangle de mon sac avant de reculer.

— J'ai promené ton chien. J'ignorais que tu finissais les cours si tard.

— En fait, j'étais... chez un pote de la fac. On bossait notre projet de littérature espagnole.

— Ah, d'accord ! J'imagine que tes souches mexicaines t'aident pas mal dans ce genre de devoir ! Hein, fils ?

— Euh, oui... Beaucoup...

J'attends que la télévision retienne à nouveau son attention pour filer discrètement dans ma chambre. Dos à la porte, j'expire enfin. J'ai cru m'évanouir.
Un projet de littérature espagnole ? Sans rire ! Mon père n'a même pas idée que j'ai abandonné l'option il y a deux semaines. Je risque d'y laisser ma peau à force de sortir des idioties pareilles, mais pour l'instant, je suis content de m'être tiré d'affaire, une fois de plus.

Dans un soupir, je me mets à parcourir chaque meuble. Je fouille les rayons, mon bureau, mais l'endroit le plus sûr pour ranger mon traitement se situe dans mon placard, au fond d'un vieux sac de sport. J'extirpe une pilule d'une boîte, mes doigts légèrement tremblants, et l'avale d'un coup sec avant de tout dissimuler dans la poche la plus grande. Je retourne dans la pièce pour me servir un verre d'eau. La partie cuisine offre une vue d'ensemble sur le salon, où je peux scruter la tenue de mon père sans problème.

— Tu fais quelque chose, ce soir ?

Ses sourcils se haussent.

— Eh bien... Je regarde un match de foot ?

— Après le match.

— Je sors.

— Avec qui ?

— Des collègues. On va boire un coup.

— Un jour de Saint-Valentin ? Rasé et en costard tout juste récupéré au pressing ?

Je croise mes bras sur ma poitrine en le fixant sans détour. Mon père ne pourra jamais me feinter ; il a devant lui un triste professionnel dans le domaine du mensonge.

— Tu me lâches sans cesse cette excuse. Il va falloir te renouveler.

— J'ai beaucoup d'amis.

— Tu as rencontré une femme et tu ne veux pas l'admettre.

Un coup de sifflet retentit, ajoutant une note discordante à notre dialogue. Les maillots bleus se regroupent dans la surface de réparation de l'équipe adverse, prêts à continuer le jeu au corner. À l'image de ces sportifs, nous sommes pris dans un moment où tout peut basculer.

— Papa.

— Oui, j'ai quelqu'un.

Miracle !

— Tu vois ! Il n'y avait rien de compliqué !

— De ton point de vue, peut-être...

— Je ne comprends pas. Qu'est-ce qui t'empêchait de m'en parler ?

— C'était dur en tant que père d'envisager de te présenter une femme qui ne te sera jamais liée par le sang.

La lueur de gaieté qui brillait en moi s'éteint, engloutie par une obscurité soudaine. Je ne suis qu'un oiseau pris au piège, un spectateur impuissant de la confrontation mortelle entre le passé et le présent de l'homme qui m'a fait renaître. Ses mots résonnent comme des coups d'enclume dans mon ventre, martelant mon âme d'une précision implacable.

— S'il te plaît, papa, arrête de ressasser ce que nous avons perdu et songe à ce que nous pourrions gagner.

— Tu sais que j'aurai toujours une pensée pour ta mère, quoi qu'il arrive...

Je hoche la tête, l'estomac noué au contact de cette promesse. Il a aimé cette femme que je déteste tant, et l'a chérie jusqu'à sa mort désespérée. Il est temps que je réagisse en homme, et non en fils vexé.

— C'est ton droit. Personne ne doit te l'enlever.

Je caresse lentement ma gorge pour apaiser les sanglots qui se forment.

— Comment s'appelle-t-elle ? je l'interroge afin de revenir au sujet principal.

— Sandie. J'ai fait sa connaissance au magasin quelques jours après ta chute à moto. Une nouvelle cliente un peu paumée en matière de vins, dit-il en riant doucement, comme si le simple souvenir de son visage pouvait effacer les années de tristesse et de solitude. C'est probablement ce qui m'a tout de suite plu chez elle, son air étourdi.

Je suis sur le point de lui demander son âge quand la sonnerie du téléphone de mon père me coupe dans mon élan. Soudain, je réalise que trop de questions risqueraient de le mettre sur la défensive. Je ne veux surtout pas commettre les mêmes erreurs qu'avec Roxane. Cette interruption inattendue me laisse un moment pour réfléchir à la meilleure manière de poursuivre cette conversation ultérieurement.

— Je vais devoir filer, m'annonce-t-il après avoir raccroché.

J'éteins la télévision à la quatre-vingt-neuvième minute du match, l'instant précis où il se dirige vers le miroir pour ajuster sa tenue. Son reflet trahit une certaine nervosité à l'approche de ce rendez-vous, mais qu'il se rassure : son teint hâlé et ses cheveux de jais n'ont plus jamais repoussé quelqu'un depuis que ses bras se sont ouverts pour la première fois à la chaleur de la paternité.

— Papa...

— Oui, Alessio ?

— Je suis fier de toi.

J'ignore pourquoi le souffle me manque. Tout ce que je parviens à percevoir, c'est le mouvement hypnotique de mon géniteur tandis qu'il se retourne, au ralenti.

— Tu... Attends, tu m'as dit quoi ?

— J'ai conscience des batailles que tu as mené pour nous offrir cette vie-là, et je... je sais que j'ai de la chance. De t'avoir. Donc... sois serein, d'accord ? Si la personne que tu aimes est celle qui te mérite le plus au monde, alors moi aussi, je n'aurais aucun mal à la laisser entrer dans mon cœur.

Ma tirade terminée, je refuse de scruter les émotions qui déforment le visage de mon père. À la place, je fixe le sol, ou plutôt, un abîme invisible. Mes yeux se ferment involontairement pendant que je me sens partir contre lui dans une étreinte chaleureuse, sa paume soudée à l'arrière de mon crâne.

— Tu m'attendais au bout de cette guerre. Comment aurais-je pu t'y laisser ? Si je ne te récupérais pas, c'était moi que j'allais abandonner.

— Je t'aime.

Mon aveu se grave à jamais dans la peau de son cou, là où j'ai étouffé ces quelques mots. Son regard étincelle de tendresse tandis qu'il se détache de moi. Il attrape sa sacoche, puis me lance un sourire illuminé de larmes.

— Je t'aime aussi.

Et il me quitte.

Seul dans mon appartement, je mets plusieurs minutes à reprendre mes esprits. Cette conversation m'a chamboulé, mais elle m'a également rassasié d'amour. Je plonge ma main dans la poche de mon jean afin de retrouver la distraction de mon téléphone, mais je constate rapidement que celle-ci est vide. Où l'ai-je posé ? Mes recherches me mènent à travers le salon et la cuisine, mais ne donnent aucun résultat. C'est sur mon oreiller, dans ma chambre, que j'ai la surprise de l'entendre vibrer.

L'écran de verrouillage s'allume, révélant cinq appels manqués de Roxane. Mes sourcils se froncent. Pourquoi une inquiétude démesurée vient-elle troubler ce moment de plénitude avec moi-même ?

Recroquevillée dans mes draps, j'essaie de me souvenir de la dernière fois où j'ai eu l'esprit tranquille.

Chaque jour, j'aime regarder les couleurs chatoyantes du ciel disparaitre dans l'opacité de la nuit. La vue que j'ai ce soir ne laisse place à aucune transition. L'horizon n'est qu'un amas de nuages gris transpercés par les immeubles où progressent les nuances de la torpeur, comme si l'âme de la ville s'assombrissait au rythme de la mienne.

J'éponge le haut de mes joues, là où mes larmes ont creusé des sillons douloureux. Dans un geste hésitant, je supprime Instagram et Twitter avant d'activer le mode avion de mon portable, peinée qu'Alessio n'ait pas répondu à mes S.O.S. Ont-ils été avalé par le néant de l'indifférence ? La tristesse m'enveloppe de son manteau de plomb, et mes pleurs se remettent à couler sur les mots de la lettre qui m'a été offerte à la pause déjeuner. De rage, je froisse le papier en une boule. J'enfonce légèrement mes ongles dans mes paupières, à rien de m'arracher les globes oculaires pour échapper à cette réalité cruelle.

La scène où Candice reçoit le coup de poing envoyé par Maxwell tourne en boucle dans ma tête. Les détails sordides de ce moment m'assaillent. La violence du choc, le cri ulcéré de mon amie, les visages outrés des témoins... Tout se mêle dans un vortex apocalyptique. Ni la musique assourdissante que j'ai fait hurler à mes oreilles ni la douche froide qui a inondé mes cheveux, les glaçant jusqu'aux pointes, n'ont réussi à éloigner cette vision cauchemardesque.

C'est ma faute.

J'aurais dû agir en mon propre chef. C'était à moi d'encaisser la hargne des Satyres. J'étais la cible principale de leurs attaques, des attaques cinglantes que je n'ai même pas su contrer, trop idiote pour me défendre sans implorer silencieusement le secours d'autrui.

Je me déteste.

Je ne suis pas une bonne personne, encore moins une bonne amie. Ma lâcheté s'est voulue si accablante que j'ai préféré fuir jusqu'ici. J'ai abandonné Candice au milieu d'une bande de vautours aux serres impitoyables, tandis qu'elle, elle n'a jamais cessé de me soutenir.

Mon interphone sonne. La bouche entrouverte et le cœur battant, je me glisse à pas feutrés dans le couloir. Je pose mon regard sur l'écran minuscule du dispositif d'appel qui projette l'entrée de mon immeuble, encadrée par ses grands arbres et le ponton qui les sépare. Il n'y a personne à l'image, seulement le mouvement lent de la porte qui se rabat sur l'ombre d'une silhouette fugace. Je pince mes lèvres. Les cours sont terminés, et une question sinistre serpente dans mon esprit : les Satyres ont-ils poussé leur persécution jusqu'à découvrir où je réside ? La peur m'étreint. Je me dépêche de verrouiller ma porte à double tour.

Je ne reconnais pas immédiatement la personne qui émerge de l'ascenseur ; la lentille du judas distord son corps. L'homme finit par s'avancer dans ma direction, et je n'ai besoin que de quelques secondes pour me remettre à ces yeux clairs qui scrutent méticuleusement les numéros d'appartement sur leur trajet. Loric s'arrête à environ trois mètres d'ici, le regard désormais cloué sur la lisière de mon t-shirt qui recouvre à peine le haut de mes cuisses.

— Qui t'a renseigné sur mon étage ? je lui lance.

— La plaque collée à ta boîte aux lettres. Tu m'autorises à entrer ?

Je renifle discrètement. Après un bref instant de réflexion, je hoche la tête. J'ouvre davantage la porte pour le laisser passer, puis la referme derrière nous dans un clic sourd.

— Il n'y a pas beaucoup d'espace, chez moi, je le préviens en l'entrainant jusqu'au séjour.

Mais ses lèvres qui s'abattent sur les miennes me disent qu'il s'en moque royalement. Je pousse un petit cri de surprise, vite dissipé dans le tourbillon oppressant de notre baiser. Je ressens une connexion impérieuse entre nous, comme si tout ce qui avait précédé ce moment était une préparation minutieuse pour que nous puissions enfin nous retrouver dans cette intimité.

— Je t'ai cherchée partout, murmure-t-il, ses pouces caressant mes pommettes.

Son souffle chaud effleure mon menton. J'aimerais le regarder avec la même intensité que ses yeux dégagent, mais j'en suis incapable.

— J'étais là. Je n'avais pas la force de rester...

— Ainsi que de répondre à mes messages.

La culpabilité me pince en plein cœur. Je l'admets, c'est ce que j'aurais dû faire au lieu d'essayer désespérément de joindre Alessio. Penaude, je prends place sur le canapé et serre un coussin contre ma poitrine. Pendant ce temps, Loric dépose sa pochette avec son ordinateur sur la table et vient me suspendre une clef USB du bout des doigts.

— Tu y trouveras le cours d'anglais du jour. Candice a également copié celui de multimédia.

— Merci.

Je l'introduis entre deux cahiers sur une étagère, derrière moi. Loric retire sa veste avec une grâce presque inappropriée, dévoilant son allure impeccable. Mes doigts se perdent dans une danse nerveuse tandis que je tente, la voix brisée :

— Elle va bien ?

— Oui. Elle a passé tout son temps à adresser des sourires triomphants aux autres pour les intimider.

Je toussote, chassant le rire qui chatouille ma gorge. La plaie qu'elle a sur le bord de la lèvre la tiraille sûrement à l'heure où nous discutons, tout comme sa gencive doit porter la douleur constante d'un bleu. Il n'y a rien de drôle à ça.

— Elle aimerait savoir comment toi, tu vas, continue mon photographe.

Mes bras s'enroulent étroitement autour de mes cuisses. Je plonge mon visage dans le coussin pour y évacuer un filet d'air empreint de larmes. Ces garces ne me lâcheront pas tant qu'elles n'auront pas repeint le tableau de ma honte sur mes joues, j'en suis persuadée.

— Que t'ont-ils dit ?

— Tout ce qu'on peut déjà lire sur la Toile. Je suis une allumeuse, Loric.

— Tu sais bien que c'est faux.

— Mais c'est l'image que je renvoie. Si je veux éviter une nouvelle bagarre, je ne peux pas la récuser.

— Celle-ci n'aurait jamais dû exister. C'était un accident.

— Un accident ? (Je me redresse.) Les phalanges de ce gros con de Maxwell n'ont pas fini par hasard sous le nez de Candice, quand même !

— Ça ne serait probablement pas arrivé s'il n'avait pas un trouble d'impulsivité.

Les lignes de tension qui plissaient son front se relâchent brusquement. Il m'explique :

— Éléonore me l'a appris pendant qu'on traversait le bâtiment pour vous rejoindre. C'est un véritable handicap pour lui qui n'a pas été pris au sérieux par la proviseure. Elle a récolté une grosse somme d'argent pour avoir accepté son intégration au pôle Business alors qu'il requérait un accompagnement spécialisé. Garde-le pour toi.

Je me décompose. Mes mains tremblent.

— Hein ?! T'es en train de m'annoncer que mon amie a été agressée par un type à qui on a volontairement dégradé la santé mentale ?

Son silence me tord les intestins. Ma tête devient si lourde que je suis obligée de la rattraper en pleine chute. Les paupières closes, je m'abandonne à la haine qui me dévore, une rage si intense qu'elle menace de m'engourdir jusqu'à l'incapacité de ressentir mes membres.

— C'est pas possible, je sanglote. Il va se faire exclure...

— Personne ne l'a revu depuis que Marie a convoqué les Satyres dans son bureau. Nous en saurons mieux lundi.

— Cette femme doit payer pour tout le mal qu'elle a causé.

— Je suis d'accord avec toi...

Un soupir franchit la barrière de mes lèvres. Le ballet que mènent les doigts de Loric dans mes cheveux me promet des frissons d'extase si je ne bouge pas.

— ...mais pour le moment, je crois que tu as besoin d'échapper un peu à tout ça. Est-ce que tu as mangé ?

Je secoue la tête.

— Non. Et l'idée de cuisiner ne m'ouvre pas vraiment l'appétit.

— Pourquoi ? demande-t-il tout bas.

— Il n'y a rien de plus ennuyant que de dîner seule, dis-je avant de bâiller.

Je frotte mes yeux en douceur pour apaiser leur brûlure, lorsque tout à coup, un vacarme d'objets en métal me pétrifie. Je tourne la tête et remarque que Loric est en train d'explorer mon placard à provisions, une casserole à la main.

— Dans ce cas, nous n'avons qu'à nous ennuyer ensemble.

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