Et là, ça devient confus, en mode sagesse asiatique random. J'imagine que la confusion, un peu humide et à base d'une certaine dose de rapprochement physique, nous a ramenés au salon et jetés, toujours confusément, sur le canapé. Je respire à peine, narines bouchées, mes lèvres scotchées aux siennes. Une langue très aventureuse, un shoot d'un arrière-goût de schnaps bas-de-gamme et, surtout, toute Abby pressée contre moi.
Elle donne soudain l'impression de sortir d'une longue et passionnante session d'apnée, se redresse d'un bond, mains plaquées sur mon torse.
« J'ai chaud, clame-t-elle comme s'il s'agissait des gros titres du JT.
— Ben, enlève ton pull. »
J'y croyais moyen, honnêtement. Mais elle s'exécute, virant cet énorme jacquard plus lourd qu'elle. Je m'en souviens, de ce soutif là. Je l'avais trouvé vachement intéressant. Il rend assurément mieux sur elle que sur un fil à linge.
« Abby, t'es...
— Nan nan nan, t-t-t, m'interrompt-elle en me zippant le bec sous un index appuyé. Attends, il faut... il faut qu'on... est-ce qu'on a, hm... »
Elle regarde autour d'elle, songeuse et pas mal ivre, aussi.
« Tu sais, ce qui faut, dans ces cas-là ? finit-elle par me demander, poings sur ses hanches un peu dénudées.
— Un tour de clé sur la porte ?
— Non.
— Des nouvelles piles ?
— Mais non. Ah oui, voilà. Des pré-ser-va-tifs. »
Satisfaite, elle m'observe par-dessous le rideau de sa mèche. Mes doigts ont trouvé les siens, se sont entrecroisés – et mon pouce, ce salaud d'insoumis, caresse le dos de sa main.
« J'en ai pas sur moi, avoué-je après un silence un chouïa pantelant.
— Quoi ? Mais vous en avez pas toujours, vous, les mecs ?
— Pas toujours, non. Un lampadaire, c'est à peu près le seul truc que je peux me taper par accident, ici, tu sais. »
Elle glousse, fronce soudain les sourcils.
« Dis donc. C'est une vraie réflexion de connard, ça, en fait.
— C'est pas tout à fait ce que je voulais dire.
— On en parlera à M. le juge. Mais j'en ai pas non plus. De préservatifs. Enfin, peut-être en fouillant dans un carton, mais... on en a jusqu'à demain. Fais chier.
— Au pire, c'est pas... si grave ? me hasardé-je.
— Pas si grave ? Mais... t'as pas envie ? »
Nos regards convergent vers mon entrejambe, encore que bien à l'abri de son jeans. Abby est plus ou moins assise dessus, ce qui ne laisse planer aucun doute sur la question - et me prive au passage d'une quantité non-négligeable de sang dans la partie supérieure de mon corps. Comme si je n'étais déjà suffisamment déficient en la présence de Mlle Sauldubois.
« Envie, si, mais j'ai 4g de goutte et de Dafalgan par bras en plus d'avoir les sinus défoncés, ce qui me rend pas très très optimiste sur la performance. Et, en plus de ça, on a pas de capotes.
— D'accord. T'as sûrement raison. Est-ce que... est-ce qu'on... va remettre ça, un jour ? Tu crois ? »
Si je m'écoutais, je lui dégraferais le soutien-gorge avec les dents. A-t-on seulement idée d'être aussi adorable, détestable, autoritaire et paumée à la fois ?
Maudits soient le rhume, Marcel, Poussin et ces derniers mois qui m'ont laissé croire qu'à part ma main, ma queue ne risquait pas de voir grand-chose de sitôt. Si j'avais été, tel la fourmi, prévoyant, plutôt que comme cette boloss de cigale onaniste, j'aurais peut-être pu revoir les cerises brodées d'Abby. Et j'aurais surtout pu lui prouver que je ne suis pas qu'un acarien acariâtre.
Oh, bien sûr, elle ne m'aime pas. Elle ne m'aimera jamais. Mais je ne nourris pas tant de prétention. Juste pouvoir me dire que j'ai réussi à occuper une autre place que celle du méchant dans sa vie.
« Peut-être bien, souris-je, la mort dans l'âme. Si toi aussi, tu veux.
— Qu'est-ce qu'on fait, alors ? » soupire-t-elle après avoir croisé les bras sur sa poitrine, toujours à califourchon sur moi.
Mon cerveau qui naguère aurait hurlé yolo mec, va secouer Oliver pour lui demander un condom, au pire pas de péné arrangez-vous mais c'est maintenant, GG mon pote, c'est le moment de tout donner, enfile à la place son bonnet de nuit pour me sortir un :
« On n'a qu'à aller dormir ? »